«Big, fierce and extinct»: on connaît la réponse faite à Stephen Jay Gould par un collègue interrogé sur la fascination qu’exercent les dinosaures sur les enfants et, plus généralement, sur notre culture. Pourtant, rappelle Gould dans La Foire aux dinosaures, si les dinosaures ont toujours été gros, féroces et éteints, ils n’ont pas toujours suscité la même émotion que celle éveillée récemment par le trailer officiel de Jurassic World. Attendu pour le 10 juin 2015 et devenu, à quelques jours près, un nouveau D(inosaur)-Day, le film constitue aussitôt un horizon d’attente collectif. Serions-nous dinomaniaques?
En tant qu’objet culturel, le dinosaure est paradoxalement récent: il nous appartient alors de découvrir ce qui a pu changer et, surtout, d’étudier les ressorts d’une figure devenue, en peu de temps, centrale dans notre culture. Que veulent dire les dinosaures? Qu’avons-nous besoin de dire à travers eux?
Témoin d’un monde disparu, le dinosaure figure autant un renouveau possible de l’aventure (Arthur Conan Doyle, The Lost World) qu’une plongée au cœur de forces primitives cataclysmiques (Jules Verne, Voyage au centre de la Terre). Parce qu’il n’a jamais croisé la route de l’homme, il est l’inouï, l’extraordinaire, le lointain inexploré ou inexplorable, laissant bouchée bée Alan Grant et Ellie Sattler dans le Jurassic Park de Steven Spielberg. Le dinosaure, nature hors mémoire d’homme, ne peut faire l’objet que de reconstitutions, de représentations, faisant se rejoindre la méthode paléontologique et celle des études culturelles sous le signe de l’abduction, désignée par Umberto Eco comme un «mécanisme créateur de mondes». Son éloignement n’empêche pas le dinosaure de n’être parmi nous que depuis la moitié du XIXe siècle: il ne peut, ce faisant, qu’être culture, élaboration, fantasme érigé sur des connaissances lacunaires et elles-mêmes sujettes à caution. «C’est ainsi que nous humains voyons le monde, écrit Nancy Huston dans L’Espèce fabulatrice : en l’interprétant, c’est-à-dire, en l’inventant, car nous sommes fragiles, nettement plus fragiles que les autres primates. Notre imagination supplée à notre fragilité. Sans elle – sans l’imagination qui confère au réel un Sens qu’il ne possède pas en lui-même – nous aurions disparu, comme ont disparu les dinosaures». Une association faite pour rappeler que la survivance des mondes (et celle des dinosaures) ne dépend plus que de notre aptitude – et de notre désir – à les mettre en fable, quitte à supporter l’anachronisme en faisant du dinosaure la figure – voire le héros – de nos fictions préhistoriques.
Plus qu’un simple objet de découverte, de décor, ou plus qu’un éventuel musée animé (Voyage dans la préhistoire, Karel Zeman, 1955), le dinosaure nous intéresse dans la mesure où il fait progressivement récit. Tragédie manifeste dans le Fantasia des studios Disney (1940) qui réécrit une mythologie cosmogonique laïcisée, le dinosaure nourrit un imaginaire de l’extinction qui ne tarde pas à fonctionner symboliquement comme un memento mori réitéré, une vanité éco/égo-logique qui trouve aujourd’hui un écho favorable. La tragédie est plus familiale dans Land before time de Don Bluth (1988), où un groupe de dinosaures anthropomorphisés reformule l’avènement du dinosaure comme fiction de jeunesse, en même temps que le dessin animé assume à travers le mutique tyrannosaure la réinterprétation de figures plus classiques: l’ogre, le géant, le loup, le croquemitaine…autant de monstres dévoreurs réinvestis. Puis, plus récemment, une tragédie scientifico-aventureuse via le blockbuster Jurassic Park qui remet l’image hollywoodienne au centre de nos sensations.
Sans viser à l’exhaustivité, il est aisé de rappeler combien le dinosaure occupe aujourd’hui un large champ culturel, jusqu’à en constituer un pan spécifique. Jules Verne et Arthur Conan Doyle se prêtent à l’exploration de la dino-aventure, au même titre que les Dinosaur Tales de Ray Bradbury (écrits de 1951 à 1983) et que le Carnosaur de John Brosnan (1984). Par ailleurs, en 1912, Winsor McCay initie avec Gertie the dinosaur l’exploration cinématographique du dinosaure qui, eu égard à ses dimensions spectaculaires, ouvre le champ des innovations techniques: de la terreur à la fascination en passant par une forme de poétisation, le dinosaure fait image en même temps qu’il fait défi. Parallèlement s’engage, à travers cette même figure de Gertie, un siècle tourné vers l’élaboration d’une culture de jeunesse dans laquelle s’installe durablement le dinosaure: Casimir, inventé par Yves Brunier et Cristophe Izard, Denver, the last dinosaur, créé par Peter Keefe, mais aussi Barney (Barney and friends, Sheryl Leach, à partir de 1987) seraient-ils autant de dinosaures-outils destinés à porter les discours que nous adressons aux enfants?
Enfin, le dinosaure est aussi un marqueur de l’état et du fonctionnement de notre culture. Entre culture scientifique et devenir-jouet (le Rex de Toy Story, John Lasseter, 1995), les dinosaures génèrent autant de représentations relatives à ce que nous sommes capables de faire (l’anticipation de Crichton ou les techniques cinématographiques progressivement mises en œuvre pour ‘rendre visible’ le dinosaure) comme à notre manière d’appréhender le gigantesque, l’inaccessible: marchandisation, dévoration culturelle du géant devenu biscuit ou jouet, notre culture au sens large nous permet de domestiquer l’indomptable, et peut-être de réassurer notre position d’espèce dominante.
De la dinoculture à la dinofiction en passant par le dinomarketing, le dinosaure interroge notre traitement de la peur (il est le terrible lézard, de même qu’il est celui dont la nature s’est séparée), de l’exceptionnel (il est une figure de la performance, du record), de la réification (la boutique de souvenir serait un lieu privilégié du dinosaure témoin d’un âge du marketing – dans Denver, The Last Dinosaur, Morton Fizzback ne traduit-il pas sa fascination par l’évocation des «dinodollars»?), du détournement, tout comme de la réécriture, de la performance, ou encore de «l’émerveillement salutaire devant le merveilleux de ce qui est et de ce qui nous dépasse, qui est certainement le commencement de la poésie» (Michael Edwards, De l’émerveillement, 2008). Autant de pistes que ce dossier propose d’explorer.
Depuis l’Épopée de Gilgamesh, le récit d’aventures n’a jamais perdu de vue son objectif principal, à savoir de captiver son public via la mise en scène de héros subissant un enchaînement de péripéties devant susciter émotions, questionnements philosophiques et évolution interne chez les destinataires.
D’origine grecque (paléo- vient de palaios signifiant « ancien », et –logue vient de logos signifiant « la parole », « le discours »), la paléontologie étudie les organismes disparus ayant laissé dans les terrains sédimentaires des restes de leur corps ou des traces de leurs activités. Ces restes ou traces sont appelés fossiles (Du latin fossilis, « tiré de la terre », dérive de fodio, « fouir, creuser »).
Les dinosaures occupent une place à part dans le bestiaire de la culture populaire.
Nous évoquons l’entrée des dinosaures en littérature et l’évolution de leurs descriptions par des romanciers, parallèle à la lente reconnaissance de leur nature par les paléontologues.
Par définition, est «dinomaniaque» toute personne qui est obnubilée par les dinosaures.
L’une des rares suites de Spielberg, Le monde perdu, reprend et complète plusieurs thématiques et séquences du premier film.
L’année 2015 a été marquée au cinéma par l’arrivée de deux blockbusters très attendus: Jurassic World et Avengers: Age of Ultron.
Le sol nord-américain regorge d’ossements de dinosaures.
La sortie à l’été 2015 du quatrième volet de Jurassic Park, modèle de l’entertainment «spielbergien» pour les enfants de 7 à 77 ans nous montre que notre «dinomanie» n’a jamais été si forte.
Les dinosaures ont vécu sur notre planète entre 240 millions et 66 millions d’années.
Si le terme dinosaure a été créé en anglais dans les années 1840, son transfert lexical et sémantique en France fut lent et difficile: en 1873 et en 1883, Littré cite le dinosaurien, mais sa définition est très floue: «Reptile gigantesque découvert dans l’oolithe de la Grande-Bretagne.»
De nombreuses obsessions traversent la vie d’un homme. Les dinosaures en sont bien souvent une et nombre de petits garçons, car il s’agit bien là d’une figure encore très genrée de l’imaginaire enfantin, se sont pris d’amour pour ces créatures, que ce soit au travers de livres illustrés, de figurines en plastique ou de films grand spectacle.
Le film de Terrence Malick, The Tree of Life (2011), est innervé par l’imaginaire des dinosaures, qu’il utilise au cœur de son récit comme un motif poétique capable d’approfondir et d’éclairer ses riches significations.
Gros, féroce et éteint: la réponse faite à Stephen Jay Gould s’interrogeant sur le statut culturel du dinosaure résume trois éléments de la fascination provoquée par le dinosaure: la sidération devant le gigantesque (Alan Grant en contre-plongée devant le premier brachiosaure), la peur devant l’effroyable (Alan Grant pétrifié devant le tyrannosaure), et le fantasme du rêve éveillé (Alan Grant en train de chanter à l’unisson d’un paisible troupeau d’herbivores).
Dans les dernières semaines, une série d’ouvrage a beaucoup fait parler d’elle sur les réseaux sociaux.