L’érotisme, ce triomphe du rêve sur la nature, est le haut refuge de l’esprit de poésie, parce qu’il nie l’impossible.
— Emmanuelle Arsan, Emmanuelle.
Dans les dernières semaines, une série d’ouvrage a beaucoup fait parler d’elle sur les réseaux sociaux. Ce sont des récits érotiques avec des titres tels que Taken by the T-Rex, Ravished by the Triceratops ou Taken by the Pterodactyl (la redondance étant, on le voit, un des traits distinctifs du «dino-porn» dès sa naissance), écrits sous deux pseudonymes féminins Alara Branwen et Christie Sims. Au cas où les titres pourraient sembler des simples métaphores, les descriptifs des œuvres ne laissent aucune place au doute:
Dianne est une bergère [que l’on imagine par ailleurs charmante d’après la pin-up de l’étonnante couverture, toute en simplicité édénique –et par ailleurs libre de droits, nous assurent les auteures] qui veille sur un troupeau de moutons. Elle s’est juré de les protéger contre tous les prédateurs, peu importe leur taille. Mais quand un troupeau de ptérodactyles attaque, Dianne n’a d’autre choix que de se servir d’appât pour attirer leur attention loin de son précieux troupeau. Un ptérodactyle fonce et la soulève, l’enlevant jusqu’à son nid. Elle s’attend à être mangée par la bête massive, mais quand il commence à picorer ses vêtements, la laissant nue, elle commence à comprendre que le ptérodactyle pourrait avoir des intentions tout autres, et bien plus déviantes à l’égard de la jeune vierge qu’elle est. (Taken by the Pterodactyl).
On aura reconnu, au passage, le célèbre striptease auquel le colossal King Kong soumet sa bien-aimée, qu’il a par ailleurs défendu des attaques des créatures antédiluviennes de Skull Island dont les intentions à l’égard de l’appétissante femme blanche n’étaient peut-être, après tout, pas si éloignées de la sienne1. Comme dans ce Monde Perdu archétypal qui est aussi un retour aux stades archaïques de la psyché, les héroïnes (le genre étant pour l’instant bâti autour de l’archétype des damoiselles en détresse) sont en proie à une cynégétique impitoyable, transposition fantasmatique d’un darwinisme sexuel sans bornes. Pour preuve cet autre synopsis du tandem:
Avant qu’elle ne puisse parachever ses rites de la féminité et prendre sa place dans sa tribu, Beliria doit fournir un trophée de chasse à sa tribu. Beliria choisit de chasser l’herbivore le plus dangereux sur les plaines, le Tricératops. Pas un seul chasseur n’a jamais réussi à prendre un Triceratops, mais Beliria est déterminée à être la première. Nue, sans eau, ni nourriture, ni d’autres aides que ses armes, Beliria part jusqu’à poser une ingénieuse embuscade; pas assez ingénieuse hélas. Son attaque a causé la perte de la compagne du grand Triceratops qui a maintenant l’intention de remplacer celle-ci avec nulle autre que Beliria. (Ravished by the Triceratops)
Le schéma cynégétique revient inlassablement dans les autres œuvres, signalant, au-delà de la pratique convenue des «formula stories», la cohérence du fantasme2. La hantise de la dévoration y est systématiquement associée à celle de la pénétration monstrueuse, en un déplacement freudien aussi gros que les membres évoqués. Les historiettes (car le genre, de façon très prévisible, ne se prête guère aux longs développements romanesques) tournent de fait exclusivement autour de cette nouvelle Urszene, noyau dur obsessionnel sans cesse réitéré comme le prouve ce passage de In the Velociraptor’s Nest :
Azog stood, back to the wall, clad only in damp buckskins, waiting for the beast to slash at her torso until she lay helpless and bleeding on the damp cave floor. She wondered if it would kill her first, or if her limbs would be sliced from her body as the beast gorged on her ./ Instead, it reached out with a clasped hand to snatch at her damp animal hide as it clung to one shoulder. Azog felt the kiss of sharp claws against her skin as the hide slid from her shoulder and exposed a naked, heaving breast. The raptor paused, curious, sniffing at her as she pressed desperately against the wall. / A reptilian tongue, stiff and hot, dashed out to lick at the tender, naked flesh so suddenly exposed. Azog gasped at the touch, then gradually relaxed as her body warmed to the intoxicating sensation of the beast’s flesh against her own. / She wasn’t sure if her sudden arousal was because of her earlier thwarted climax in the cool stream, or if she was just desperate for one last pleasant sensation before being torn limb from limb by the great, scaly beast. Either way, Azog relished the rasp of its tongue, hot and rough, on her sensitive skin.
L’oralité dévorante se fait, on le voit, figure de la consommation érotique et la rêverie sur les corps monstrueux (l’anatomie du vélociraptor ici mise tant bien que mal à profit) nous propulse dans le territoire protéiforme des fantasmes, régression au stade archaïque du pervers polymorphe.
Si les internautes s’amusent à faire circuler sur les réseaux sociaux les références étonnantes à ces œuvres outrancières il reste que leur succès sur les plateformes de littérature digitale auto-publiée a de quoi surprendre. Elles illustrent, au cas où l’on la mettait encore en doute, la justesse de la célèbre règle 34 (qui veut qu’il existe, à propos de tout ce qui existe, une version pornographique) et, plus généralement, la maxime bien connue du Sex Sells, quel qu’il soit (les auteures disent, en un entretien au New York Magazine, avoir gagné plus d’argent en un mois que leurs amies ingénieures ou comptables… bien davantage, en tout cas que leurs revenus de collégiennes respectivement caissière et tutrice3). Ce succès fabriqué de toutes pièces en ligne par les stratèges du marketing avant même qu’il puisse être cautionné par les lecteurs et lectrices participe, de fait, de la logique de l’hyperspécialisation des niches qui envahit non seulement la pornosphère contemporaine, mais notre iconosphère (et notre économie d’hyperconsommation) au complet. Succès du DIY et de la stratégie de guérilla des nouvelles plateformes qui n’attendent plus la légitimation par les instances institutionnalisées du champ littéraire et qui, par compensation, doivent surenchérir dans la course à «l’extrême», qu’illustre en elle-même l’idée saugrenue du dino-porn.
Car l’énormité de celle-ci est à la mesure de l’«extrémisation» des rapports érotiques qu’elle articule, de par la disproportion des partenaires et le pur colossalisme de la bête (dont l’anatomie, au demeurant, se prête parfois mal aux jeux de l’amour –voyez le cas du ptérodactyle, par exemple). Incidemment, cette disproportion est d’autant plus ahurissante qu’elle est «(pré)historiquement» fausse, puisque, comme nous savons, les dinosaures et les humains non seulement n’ont pas eu des rapports sexuels, mais, qui plus est, n’ont jamais cohabité sur cette planète. Ce qui situe le dino-porn dans le pur domaine du merveilleux érotique, ou plus précisément de ce que nous avons nommé ailleurs la «pornoféerie». Or, nous savons aussi que le créationnisme, dont on assiste au comeback triomphal aux États-Unis4, multiplie les images de cohabitation, souvent édénique, entre les humains et les grands sauriens (la plus frappante étant sans doute où le Christ lui-même berce dans ses bras un petit vélociraptor). Selon que l’on se situe d’un bord ou l’autre de la «guerre culturelle» opposant le darwinisme à ses détracteurs, l’on lira le «dino-porn» comme de la pornoféerie ou comme de l’érotisme (pré)historique à la Jean M. Auel dans ses moments les plus sulfureux.
Quoi qu’il en soit, on s’en doute, le genre est condamné d’avance à une extinction aussi totale que celle des créatures qu’il met en scène (peut-être trouvera-t-il d’ici là son Cervantès ou, pour rester plus dans l’air du temps, son Seth Grahame-Smith pour le parachever, fut-ce en le parodiant), mais là aussi réside son «extrémisme»: succès viral et consubstantiellement éphémère aligné sur le modèle des productions culturelles youtubéennes ou des campagnes promotionnelles de la publicité généralisée. C’est le choc de l’idée qui prime, le fait qu’on en parle comme d’un cyber-«mème» quelconque, qu’éventuellement les plus curieux/ses effectueront le geste fatal de télécharger ces historiettes sur leur Kindle.
Or ce singulier micro-genre, voué à une prompte disparition, s’inscrit dans un genre plus vaste, mais tout aussi méconnu et lucratif, qui est celui du «Monster Erotica». De fait Branwen s’y exerça elle-même pendant un temps avant de tomber sur l’idée lumineuse du dino-porn qui en est une extension pour le moins originale; cette «épiphanie», pour reprendre le terme qu’elle emploie dans son entretien, lui vint, dit-elle, en cherchant précisément une alternative aux créatures habituelles (dragons, loups-garous, êtres tentaculaires) du genre et en pensant à Jurassic Park5. Cet hommage qui a sans doute fait bondir Spielberg sur son trône de défenseur à outrance de la All American Familly (coïncidant par ailleurs avec le 20e anniversaire de sa création multimilliardaire) montre une autre dimension à l’œuvre, très importante dans le pacte de lecture introduit par le «monster erotica», celle de la profanation d’une figure vénérable de la culture fan (ou du moins de la Fantasy au sens large), en l’occurrence la «dinomanie»6.
Par une logique toute bataillienne, l’érotisme procède ainsi par la transgression des emblèmes de l’innocence d’une culture infantilisée. En cela, ces œuvres participent de la même logique contemporaine qui anime les élucubrations porno autour des figures majeures de la culture pop dans la fiction des fans, qu’il s’agisse du «slash» (variations homosexuelles), du «het» (hétérosexuelles), du «squick» (avec des transgressions majeures, à commencer par l’inceste), du «OTP3» (pour les ménages à trois), voire pour le «PWP» (ou «Porn without plot», où le récit est éclipsé par la pure logique pornographique). De fait, des titres antérieurs de Christie tels que Captured by Orcs ou Mounted by the Gryphon sont des extensions d’univers fictionnels très reconnaissables (Tolkien et Rowling, en l’occurrence).
Avant d’en venir aux dinosaures, l’érotisme tératologique s’était déjà attaqué à des créatures mythiques du bestiaire occidental comme en témoignent des titres aussi ahurissants les uns que les autres: Forced to mate with the Minotaurs; The Minotaur’s Mate; Bride of the Centaur; Yielding to Werewolves; Yielding To Dragons ou encore, plus étonnant, Yielding to the Rat Clan! La soumission extrême des héroïnes à cette cohorte d’hybrides (la figure du Minotaure étant déjà en lui-même le fruit d’amours bestiales) et de monstres de toutes tailles (on reconnaîtra aisément dans les dragons lubriques le prédécesseur direct des grands sauriens, Alara s’étant illustrée de fait dans les deux genres) semble faire directement appel au stéréotype du «masochisme féminin», à la fois pour ce qui est des lectrices (embrayant un mécanisme d’identification) et des lecteurs (stimulant leur sadisme par identification complémentaire avec les figures hyper-viriles des monstres sur-membrés).
D’autres créatures plus indéterminées (Ravaged by the Pond Beast; The Rite Bred to the Horned God) étaient aussi convoquées, sans qu’aucune ne soit a priori exclue de cette partouse universelle des êtres; pour preuve l’étonnante érotisation de… la seiche (qui plus est, homosexuelle!) dans Someone to Cuttle7. Sans oublier les petits compagnons des légendes, devenus, malgré leur petite taille (mais une longue tradition les affuble, par voie de compensation, de sexes monstrueux à faire honte aux humains les mieux dotés en la matière), des partenaires infatigables. En témoignent, dans la lignée des versions pornoféeriques autour de la polygame Blanche-Neige, Garden Gnome Gangbang (où les gnomes de jardin reprennent visiblement vie), The Horny Leprechaun ou Goblin Gangbang:
La seule chose que Alanna Rose, belle fille d’un riche marchand, voulait c’était de pouvoir choisir son propre mari. Mais quand elle s’enfuit dans les montagnes hostiles de Frosty elle se retrouve bientôt la victime non consentante d’un rituel qui implique la perte de tous ses vêtements, l’invocation d’un dieu sombre et plus de gobelins nus que la vierge Miss Rose n’a osé jamais rêver! Attention! Cette histoire pour adultes seulement contient 4,328 mots de sexe gobelin hétérosexuel, gang bangs, rapports sexuels forcés, doubles pénétrations, bukkakes, et une mariée en fuite prise pour la première fois…!
Ironiquement il s’agit là d’une radicalisation (très exactement comptabilisée pour que les acheteurs virtuels sachent qu’ils en auront pour leur argent en ratio de mots et de sexe) d’une célèbre rêverie érotique victorienne, celle du Goblin Market de Christina Rossetti. Le fruit défendu vendu par les gobelins à l’ingénue Laura a été lu à la fois comme une allusion à la perte de la virginité (et la consomption tragique qui s’ensuit pour la femme «consommée» avant le mariage) et à la consommation d’opiacés, par ailleurs souvent érotisés dans la tradition du Romantisme noir8.
Parallèlement à cette prolifération de textes, des sites d’images extrêmes, souvent générées directement par ordinateur, se spécialisent dans la pornographie explicite mettant aux prises des fragiles bimbos hypersexualisées et des créatures aux dimensions impossibles. C’est le cas par exemple du très extrême Taboo Studios (Beautiful Girls Fucked by Monsters) ou de son site associé Galaxy of Terror. Plus généralement, la catégorie du «Erotic Fantasy Art» triomphe sur la webosphère, allant de la tradition pulp des pin-ups à la Boris Vallejo jusqu’au pur extrémisme du hentai, friand comme l’on sait de créatures tentaculaires en tout genre. De fait le «tentacle porn» n’est jamais trop loin du «monster erotica» comme le prouve, entre quantités d’autres exemples, ce Yielding to the Giant Slug: Monster Hunter Conquest (signé Mandoline Creme!):
Once more our young, nubile, and determined Monster Hunter has found herself deep in over her head. This time, literally. Tangling with a slug should be easy, but things get out of control, and slippery tentacles are quick to dig where they don’t belong. Siena is at it again in this sexy 4k erotic story with all the makings of a fantasy adventure, and a dose of reluctant monster tentacle sex.
Au-delà de cet investissement fantasmatique sur les figures d’une Fantasy de plus en plus toute-puissante sur notre iconosphère (vidéoludisme et blockbusters aidant), il se pourrait que ces fictions appellent à une constante anthropologique de notre imaginaire. En effet, l’on peut lire derrière les œuvres provocatrices du dino-porn ou des gobelins partouzards une certaine réécriture des hiérogamies mythiques de l’Antiquité. Les origines du merveilleux érotique se perdent dans la nuit immémoriale des temps, allant des créatures ithyphalliques qui jalonnent l’art rupestre d’Altamira à Tanum, en passant par Litsleby-arden ou le détroit de Behring aux accouplements rituels de personnages zoocéphales (art Ti-n-Lalan, etc.). L’on connaît l’importance cruciale des rites de fertilité sur l’évolution des mythologies des chasseurs-cueilleurs ainsi que des agriculteurs du Néolithique, dont témoignent encore les mythes grecs.
Ceux-ci sont dominés comme l’on sait par l’hiérogamie mythique des dieux génésiaques comme appropriation et agglutination de divinités et de strates: la souveraineté de Zeus sur d’autres divinités pré hellénistiques passe par leur enlèvement et l’accouplement sous des formes métamorphosées (le taureau de Pasiphaé ou Europe, le cygne de Léda, l’aigle-homosexuelle- de Ganymède, etc.) qui s’assimile de façon «totémique» différentes divinités phagocytées par le nouveau dieu9. Une équipe de chercheurs s’est même amusée à tracer la carte labyrinthique de toutes ces relations extra-conjugales (et souvent bestiales)… Ce «violisme» du dieu souverain a pu par ailleurs être lu par les féministes comme l’instauration du «règne du phallus» sur les différentes divinités féminines agricoles (les théories parfois fantaisistes, mais toujours stimulantes de R. Graves etc.) en syntonie avec la promotion artistique des satyres et des cultes phalliques:
Rape is the ultimate translation of phallicism into action. Rape is committed not for pleasure or procreation, but in order to enact the principle of domination by means of sex. It is no wonder that the Athenian Greeks were obsessed with it. It is, in fact, one of the most characteristic features of the specifically Attic mythology which emerges in the beginning of the fifth century B.C. (…) The master rapist, of course, was Zeus: the catalogue of his conquests became a topos of Greek literature, and led to a scurrilous Greek anecdote. A foreigner once came to Athens and asked why the Athenians so often used the exclamation “by Zeus”; the answer: “Because so many of us are.” In the literary tradition, Zeus overcomes most of his female victims by trickery: he rapes Leda in the form of a swan, Danaë in the guise of a golden rain, and Alkmene in the persona of her legitimate husband (holding up the dawn for three nights to draw full profit from his scheme), and he does not even hesitate to take on so coarse a disguise as that of a randy satyr for the purpose of violating Antiope (…). One can only marvel at the candor with which Greek myth fashioned and depicted these tales dramatizing the power of the male over the female.10
Cette centralité du viol mythologique est attestée par sa diffusion triomphale dans l’art de l’époque classique (plus de 395 illustrations plastiques de ces viols nous sont parvenues pour le seul Ve siècle av. J.-C.!11), qui insiste surtout sur le dynamisme de la poursuite érotique annonçant la cynégétique généralisée du dino-porn, déjà évoquée12. Mais c’est surtout à la période hellénistique dont hérite la culture romaine que ces thèmes mythopoétiques deviennent le support d’une érotisation amusée qui, par le biais de l’œuvre d’un Ovide ou des mosaïques pompéiennes, va marquer durablement l’art et la littérature d’Occident. Or, que ne peut-on reconnaître, dans la “vache humaine” qui donne titre à The Human Cow. Transformed and Milked, la féminisation contemporaine du célèbre Lucius métamorphosé en âne dans le chef-d’œuvre fondateur d’Apulée?
She looked down at herself and gasped in surprise. All she felt was the sense of pleasant, tingling warmth, almost like a warm breeze on her skin, but she could see her breasts growing, swelling like ripe and heavy fruit. What had been modest handfuls strained against her bra until she felt the clasp give with a pop. (…) Her figure was now curvaceous to an extreme, but that wasn’t all. A pair of tiny, nublike horns grew from her head, small but still obvious – and she recognized them as a cow’s horns, the kind that the females of some breeds had. Even if she hadn’t recognized them, the skinny, hair-tufted tail that now extended from the base of her spine, just above the waist of her skirt, would have made it obvious. Somehow, the delicious cream had turned her into some kind of human-cow hybrid.13
Même poétique de la métamorphose, en effet, que dans le texte classique, où l’on lit:
ce que j’ai de poil s’épaissit, et me couvre tout le corps. Ma douce peau devient cuir. À mes pieds, à mes mains, les cinq doigts se confondent et s’enferment en un sabot; du bas de l’échine il me sort une longue queue, (5) ma face s’allonge, ma bouche se fend, mes narines s’écartent, et mes lèvres deviennent pendantes; mes oreilles se dressent dans une proportion démesurée. (6) Plus de moyen d’embrasser ma Photis; mais certaines parties (et c’était toute ma consolation) avaient singulièrement gagné au change. C’en est fait; j’ai beau considérer ma personne, je me vois âne. (L’Âne d’or, I, XXIV)
Le fétichisme de la lactation érotique va se substituer ici à celui de la performance asinienne de Lucius, assailli par une vieille lubrique (X, XXI-XXII):
Abby has no idea what she’s in for when she responds to a strange job offer from a new dairy farm. What the dairy really wants is a woman to transform into a human milk-cow for their new line of premium human milk products. How will Abby handle her new horns and milk-swollen bust?
This 3,500 word erotic short features lactation, transformation and breast growth. Adults only!
On sera dès lors à peine surpris d’apprendre qu’il existe aussi un copieux sous-genre dévoué à la lactophilie, avec des titres tels que Pretty Cow. The Making of a Hucow; Human to Cow Conversion, Becoming a MIlk Cow, Milky Daze Farm ou Prisoner of the Milking Machines…
Or, ce que les mythes de l’Antiquité proclamaient, dans l’excès même de leur bestialité, c’était le règne de la «pornotopie» orgiastique où s’affirmait, selon Georges Bataille, la nostalgie de la circulation première entre le divin, l’humain et l’animal dans
le désordre de l’être qui se perd et n’oppose plus rien à la prolifération éperdue de la vie. Cet immense déchaînement parut divin, tant il élevait l’homme au-dessus de la condition à laquelle il s’était lui-même condamné. Désordre des cris, désordre des gestes violents et des danses, désordres des étreintes, désordre enfin des sentiments, qu’animait une convulsion sans mesure. Les perspectives de la perte exigeaient cette fuite dans l’indistinction, où les éléments stables de l’activité humaine se dérobaient, où il n’était plus rien qui ne perdît pied.14
C’est ce règne archaïque de l’orgie où se dissolvent les repères de l’humanité, au contact même avec le désir brut des bêtes, que ressuscitent peut-être, sans le savoir, nos deux roommates texanes et toute la cohorte anonyme de pourvoyeurs de cette nouvelle littérature (post)industrielle dévolue, pour reprendre le beau titre de Pauwels, aux rêveries immémoriales des amours monstres.
Vous pouvez aussi écouter Size Matters: la résistible ascension du Dinosaur Porn.
1. V. à ce sujet les analyses du mythe dans mon prochain ouvrage L’Amour Singe ou la Passion selon King Kong (Paris, Horizons comparatistes, sous presse) et aussi dans notre émission sur «King Kong, apothéose de l’Amour Fou» que vous pouvez écouter ici.
2. Ainsi, Taken by the T-Rex: “Drin is her tribe’s chief huntress; she lives for the thrill of the hunt. Men and sex hold no allure for her, as Drin has never found a partner to satisfy her. When a T-Rex descends upon her village, destroying it, Drin demands that the tribe’s hunters go in search of the beast and slaughter it. Opting for safety instead of revenge, the tribe moves to a new location, hoping that the big beast won’t follow them. It does.
Drin taunts the beast, giving her tribes mates time to flee. As she runs, leading it through a gauntlet of traps, the thrill of the hunt soars through her blood, leaving her wet with desire. When the angry T-Rex corners the huntress in a box canyon, it seems more interested in her wet womanhood than in her flesh”. Ou encore Running from the Raptor: “Ula is a beautiful cavewoman who is out foraging for her tribe with the rest of the tribeswomen. As she’s foraging, she senses she is being watched, and not just by any creature, by raptors- the most cunning predators in the jungle. She can sense them stalking her and her tribe. All Ula can do is retreat and hope not to be attacked. One night, while Ula’s tribe sleeps peacefully, the raptors attack and Ula retreats to the cave. She thinks she is safe until a raptor finds her and corners her in the cave. Ula knows she is done for, but instead of the tearing her to bits, the raptor begins to nuzzle at her nether regions. It doesn’t take long for Ula to discover what the raptor truly wants from her… but is she willing to give it to him?”
3. Maureen O’Connor, “The Women Who Write Dinosaur Erotica”
4. Le mouvement est amorcé comme on sait au tournant du millénaire, v. Jessica Mathews, “Creationism Makes a Comeback,” Washington Post, 8 April 1996. 24.
5. “I did some research and found that a subgenre called “monster erotica” was starting to get popular. So I decided to write stories that contained monsters that were staples, or at least what I thought were staples, of the genre: shifters (werewolf), tentacle monsters (it was only later I found out shifters weren’t considered “monsters”). I wrote a lot of dragon-erotica stories, BBW romance, a few other things. But after a few months of writing about dragons having their way with busty maidens, I started getting burned out. I toyed with the idea of quitting and going back to work. But one day, I was walking and I thought about the movie Jurassic Park. My perverse mind immediately went to my work, and I pictured dinosaurs having their way with women. I died laughing. I was about to dismiss these thoughts as the workings of my freaky mind, but then I had an epiphany. Dinosaur erotica was something new that I’d never tried before. I sat down the next week and wrote my first dinosaur story. I showed my story to Christie and we worked together to smooth out the prose. She liked it, and since then she and I have been writing dinosaur-erotica stories, among our other fiction. And that is how we became the dynamic duo of monster porn!”Cit in Maureen O’Connor, id, ibid
6. José Luis Sanz Starring T. Rex!: Dinosaur Mythology and Popular Culture, Indiana University Press, 2002. W. J. T. Mitchell, The Last Dinosaur Book: The Life and Times of a Cultural Icon, University Of Chicago Press, 1998
7. Il s’agit en fait de “shape-shifters”, figure commode qui se prête à toutes les métamorphoses et devient ainsi, comme dans la pornoféerie libertine du XVIIIe siècle, un pilier du genre. “Businessman Paul is on a beachside vacation to unwind and enjoy the sun, the sand and the surf – sometimes from below the waves. While scuba diving, he encounters a trio of cuttlefish that turn out to be much more than they seem: they’re shapeshifters, and they want Paul for their own! Warning: 18+ only! Contains partial shifting, hot gay sex, and a cuttlefish shifter gangbang!” On remarquera l’insistance générale sur cette figure du gangbang, acmé du récit pornographique à l’ère du gonzo.
8. Voir notamment Lesa Scholl, “Fallen or Forbidden: Rosetti’s “Goblin Market””, sur Victorian Web
9. “L’oeuvre cosmogonique de Zeus, instauration d’un nouvel ordre met fin à la succession violente des dynasties divines [par ] une série de mariages (…) [et] des amours avec plusieurs déesses, la plupart de structure chtonienne (Dia, Europe, Sémélé, etc.). Ces unions reflètent les hiérogamies du dieu de la foudre avec les divinités de la terre. La signification de ces mariages et ces aventures érotiques est à la fois religieuse et politique. En faisant siennes les déesses locales préhelléniques, vénérées depuis des temps immémoriaux, Zeus s’y substitue et met en marche le processus de symbiose et d’unification qui conférera à la religion grecque son caractère spécifique» (Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses. De l’âge de la pierre aux mystères d’Eleusis, Plon, 1975, 325-6).
10. Eva C. Keuls, The Reign of the Phallus: Sexual Politics in Ancient Athens, Berkeley: University of California Press, 1993, 51
11. Kaempf-Dimitriadou Die Liebe der Goiter in der attischen Kunst des 5. Jahr- hunderts V. Chr.. Bern: Francke, 1979
12. «In the pictorial tradition of the mid-fifth century, this excursions are represented mostly through the motif of pursuit”, E. C. Keuls, op cit, ibid
13. http://www.amazon.com/The-Human-Cow-Transformed-Milked-ebook/dp/B00CZE4Q0E
14. G. Bataille, L’Érotisme, 10/18, pp. 124-125
G. Bataille, L’Érotisme, 10/18, U.G.E., 1965
Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses. De l’âge de la pierre aux mystères d’Eleusis, Plon, 1975
Eva C. Keuls, The Reign of the Phallus: Sexual Politics in Ancient Athens, Berkeley: University of California Press, 1993
W. J. T. Mitchell, The Last Dinosaur Book: The Life and Times of a Cultural Icon, University Of Chicago Press, 1998
Maureen O’Connor, “The Women Who Write Dinosaur Erotica”
José Luis Sanz Starring T. Rex!: Dinosaur Mythology and Popular Culture, Indiana University Press, 2002.
Leiva, Antonio (2013). « Hiérogamies de l’extrême ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/hierogamies-de-lextreme-pour-comprendre-le-dinosaur-porn], consulté le 2024-12-21.