Par définition, est «dinomaniaque» toute personne qui est obnubilée par les dinosaures. Cette passion dévorante est d’une telle ampleur qu’elle finit par modifier celui qui en est touché dans son être et par le caractériser; on ne naît pas dinomaniaque, on le devient.
Ce constat, qui fait état d’une affection accompagnée d’une (re)configuration de soi par l’autre, n’est pas sans rappeler la passion que Jacques Derrida portait pour l’animal, dont témoigne la publication à titre posthume de L’Animal que donc je suis.
Le présent travail se propose de poursuivre l’image du dinosaure du XIXe siècle à nos jours afin d’interroger l’évolution des rapports inter-espèces et de voir en quoi cette évolution révèle et accompagne les opérations de subjectivation individuelle et collective de l’homme; il s’agira d’évaluer dans quelle mesure l’ipséité humaine se forge près et auprès du dinosaure par un processus d’hétérogénèse1.
Pour sonder les dynamiques qui sous-tendent ce processus de reconfiguration par le prisme de l’Autre, il convient, dans un premier temps, d’établir ce que cherche à faire l’homme lorsqu’il représente le dinosaure dans les récits paléo-fictifs. C’est avec la présentation, qui est aussi une re-présentation, du dinosaure dans ces récits de proto-SF que l’image du dinosaure se répand de manière quasi pandémique, au point de rendre les barrières poreuses et d’insérer du jeu dans les mécaniques du vivant. Cela amènera à formuler que cette fluidité des frontières permet au dinosaure de passer du côté de l’homme, de pénétrer au cœur du système pour s’y insérer et ainsi lui offrir les outils nécessaires à l’écriture et la signature de son autobiographie.
Bien que le sous-titre laisse supposer que l’approche sera linéaire, l’analyse ici esquissée sera ancrée dans l’affect, plutôt que dans l’historique, et l’on s’attachera à présenter une lecture de la réception du phénomène dinomaniaque en tant que produit appartenant à la culture populaire.
Le «long XIXe siècle», pour reprendre l’expression consacrée d’Hobsbawm est d’abord une période de progrès, avec les révolutions que l’on connaît dans les sciences, les arts, les médias et l’industrie. C’est aussi une période traumatisante, avec la seconde «blessure narcissique» (Freud) infligée par Darwin. Il y a un mouvement général d’expansion qui est accompagné par un mouvement d’intégration, puisqu’il faut opérer des réajustements successifs dans la pensée pour assimiler ces nouvelles découvertes.
C’est dans ce contexte turbulent d’intense reconfiguration que naît le dinosaure, mis au jour par la paléontologie. Le dinosaure tel qu’on le connaît ne peut cependant nous apparaître en chair et en os que par la reconstruction: situé au confluent des sciences, des médias et de la fiction, dont il opère la conjonction, le dinosaure doit d’abord être offert à la vue pour qu’il puisse être connu et reconnu. La paléo-fiction met en place une dialectique du déictique, qui vise à annexer le dinosaure en l’indexant. Dans Voyage au Centre de la Terre (Jules Verne, 1864), le savant Lidenbrock, son neveu Axel, et leur guide Hans rencontrent inopinément un ichtyosaure et un plésiosaure alors qu’ils naviguent sur une étendue d’eau souterraine dans le Sneffels:
Hans montre du doigt, à une distance de deux cents toises, une masse noirâtre qui s’élève et s’abaisse tour à tour. Je regarde et je m’écrie:
«C’est un marsouin colossal!
– Oui, réplique mon oncle, et voilà maintenant un lézard de mer d’une grosseur peu commune.
– Et plus loin un crocodile monstrueux! Voyez sa large mâchoire et les rangées de dents dont elle est armée. Ah! il disparaît!
– Une baleine! une baleine! s’écrie alors le professeur. J’aperçois ses nageoires énormes! Vois l’air et l’eau qu’elle chasse par ses évents!»
En effet, deux colonnes liquides s’élèvent à une hauteur considérable au-dessus de la mer. Nous restons surpris, stupéfaits, épouvantés, en présence de ce troupeau de monstres marins. Ils ont des dimensions surnaturelles, et le moindre d’entre eux briserait le radeau d’un coup de dent. Hans veut mettre la barre au vent, afin de fuir ce voisinage dangereux; mais il aperçoit sur l’autre bord d’autres ennemis non moins redoutables: une tortue large de quarante pieds, et un serpent long de trente, qui darde sa tête énorme au-dessus des flots.» (Verne, 183-84)
Hans «montre du doigt» la «masse noirâtre». Ce geste ostentatoire, doublé de marqueurs déictiques, permet de désigner et situer l’ichtyosaure que les trois hommes, impuissants, sont réduits à pointer du doigt car ils ne sont pas en mesure de mettre un nom sur cette «masse noirâtre» et plurielle. L’ichtyosaure prive l’homme de la parole: il vainc et défait le langage.
Ce geste de l’Islandais Hans est aussi un geste de monstration au sens étymologique du terme, si l’on fait le rapprochement entre le verbe «montrer» et le substantif «monstre,» qui ont la même origine latine (monstrare). L’ichtyosaure ici désigné est bien un monstre, il en a toutes les caractéristiques: il est miraculeux (il devrait être éteint); a des «dimensions surnaturelles», soit prodigieuses et gigantesques («colossal», «d’une grosseur peu commune», «énormes»); et son apparition suscite une stupéfaction mêlée de crainte qui va crescendo («surpris, stupéfaits, épouvantés»). Dans sa multiplicité et sa profusion désordonnée, qui fait un amalgame improbable entre différents animaux (marsouin, lézard, crocodile, baleine), c’est encore un monstre, une chimère homérique qu’il s’agit de dompter et de maîtriser.
Pour ce faire, il faut emprisonner le dinosaure dans des cadres discursifs et théoriques qui le ramènent à l’échelle de l’homme. Dans Voyage au Centre de la Terre, c’est la science, avec son argumentaire démonstratif, qui vient à la rescousse de ces navigateurs de l’inconnu tout à la fois dans et hors de la diégèse pour «récupérer» le monstre.
Le combat s’engage à cent toises du radeau. Nous voyons distinctement les deux monstres aux prises.
Mais il me semble que maintenant les autres animaux viennent prendre part à la lutte, le marsouin, la baleine, le lézard, la tortue. […] Je les montre à l’Islandais. Celui-ci remue la tête négativement.
«Tva, dit-il.
– Quoi! deux! Il prétend que deux animaux seulement…
– Il a raison, s’écrie mon oncle, dont la lunette n’a pas quitté les yeux.
– Par exemple!
– Oui! le premier de ces monstres a le museau d’un marsouin, la tête d’un lézard, les dents d’un crocodile, et voilà ce qui nous a trompés. C’est le plus redoutable des reptiles antédiluviens, l’ichthyosaure!
– Et l’autre?
– L’autre, c’est un serpent caché dans la carapace d’une tortue, le terrible ennemi du premier, le plésiosaure!» (184)2
Ce mouvement de «dé-monstration» est double: il s’agit d’abord de nommer, dans un procédé que Derrida qualifierait d’adamique (tel Adam donnant leur nom aux animaux du jardin d’Eden) et de prométhéen (en utilisant la technique), le reptile marin3; l’homme se sert de la science anatomiste pour assurer sa prise sur le monde et démontrer son assurance. C’est en se servant de la taxinomie du vivant et en énumérant une à une les parties de l’ichtyosaure en les considérant comme étant subordonnées à une seule unité structurelle et structurée, que l’éminent professeur peut imposer ses vues aux autres. Cette vue correspond à la vision réduite que le savant Lidenbrock a en observant le monde a travers sa lunette, qui «n’a pas quitté [s]es yeux» (Verne: 184).
Du point de vue du récit, c’est le schéma narratif scientifique, et plus particulièrement les théories de Buckland, présentes en filigrane4, qui prennent le pas sur le dialogue:
J’aperçois l’œil sanglant de l’ichthyosaurus, gros comme la tête d’un homme. La nature l’a doué́ d’un appareil d’optique d’une extrême puissance et capable de résister à la pression des couches d’eau dans les profondeurs qu’il habite. On l’a justement nommé la baleine des Sauriens, car il en a la rapidité́ et la taille. Celui-ci ne mesure pas moins de cent pieds, et je peux juger de sa grandeur quand il dresse au-dessus des flots les nageoires verticales de sa queue. Sa mâchoire est énorme, et d’après les naturalistes, elle ne compte pas moins de cent quatre-vingt-deux dents.
Le plésiosaure, serpent à tronc cylindrique, à queue courte, a les pattes disposées en forme de rame. Son corps est entièrement revêtu d’une carapace, et son cou, flexible comme celui du cygne, se dresse à trente pieds au-dessus des flots (Verne: 185). Là où avant il n’y avait qu’émotions non contenues, un langage spontané, assez primitif et dénué de toute interprétation, la narration se charge d’imposer un genre en opérant une taxinomie du récit. Du côté de la phrase, aux exclamations et phrases presque averbales de Lidenbrock5 succède le schéma syntagmatique usuel (Sujet-Verbe-Objet) convoqué pour diriger et canaliser le langage vers un but précis: communiquer une information, instruire («La nature l’a doué́ d’un appareil d’optique d’une extrême puissance et capable de résister à la pression des couches d’eau dans les profondeurs qu’il habite.» Verne: 185). Quant au style dudit acte de communication, on retrouve ici le modèle du traité scientifique avec son ton neutre (voir passage en italique) qui se fait le vecteur d’un message tenu par une autorité experte dont l’identité reste indifférenciée, globale et généralisée («On l’a justement nommé […]», «d’après les naturalistes»), mais dont la contribution performative a valeur de loi. Cette voix qui parle du dessus réussit là où la parole directe avait échoué: elle parvient à s’approprier les reptiles marins en les assimilant dans son discours.
Cependant, cette nomination porte en elle les germes d’une certaine violence, et cette tentative d’assimilation pourrait être reliée à une notion que Derrida appelle le «carnophallogocentrisme» (Derrida, 2009: 3). Pour Derrida, ce trope culturel du cannibalisme est un acte sacrificiel qui permet à l’homme de comprendre l’autre en l’ingérant; tout acte de compréhension est un acte d’incorporation, il s’agit d’absorber un organisme externe pour le faire sien. Si l’on opère un glissement pour adapter ce concept à la littérature, tout acte de narration, par sa forme (syntaxe), son contenu (hypotaxe et organisation des idées selon le schéma aristotélicien), et ses contraintes de genre (ici, le discours scientifique) est une assimilation du vivant, un acte d’inclusion et de compréhension, ou tout du moins une tentative de circonscription du biologique6.
Or, pour Derrida, nommer, c’est aussi déjà condamner à mort (selon le principe de la survivance du nom). On peut en effet dire que les animaux préhistoriques sont malmenés, d’une manière symbolique, par les savants. Si Lidenbrock se sert de sa lunette pour apercevoir les reptiles, il ne lui viendrait jamais à l’esprit que ceux-ci puissent le regarder en retour. Ce refus de donner une conscience mais aussi une voix à l’animal trouve son écho dans la narration, où l’appareil optique de l’ichtyosaure est décrit en termes précis et scientifiques7 qui font encore une fois de ces animaux des êtres sans raison. Ce ne sont que des animaux théorisés et réifiés, des objets d’étude offerts aux regards avides des protagonistes, mais aussi à l’imagination du lecteur; nul besoin de rappeler les visées pédagogiques et récréatives de l’œuvre vernienne: il s’agit bien de dorer la pilule en donnant un cadre fictionnel délectable aux dernières découvertes de la science. En conséquence, Voyage au centre de la Terre est à la page, mais à la page du Grand Livre de la Science.
En effet, il y a de nombreuses références dans le texte qui abondent en ce sens: le monde est un livre ouvert qui n’a besoin que de l’œil du scientifique pour le déchiffrer, pour le déplier. Les strates géologiques de la terre font de la planète bleue un mille-feuille estampé et Lidenbrock est un justement grand bibliophile8. Sa lecture logocentrique est aussi pragmatique et performative; elle lui permet de retracer et poser la genèse d’une autre espèce, l’homme, dont il trouve des squelettes plus loin dans son exploration et dont il retrace l’histoire à voix haute, mimant la conférence qu’il s’imagine déjà donner à ses collègues. Le discours du savant permet donc de restaurer la suprématie de l’homme sur le reste des espèces en lui donnant une origine qui est réconciliée avec les théories darwinistes, théories qui fondent le nouveau paradigme humain au XIXe siècle. L’histoire du monde a été transformée en mémoire9.
Si l’on pourrait croire que Lidenbrock signe la fin du dinosaure lorsqu’il réinstaure l’univocité et la suprématie du genre humain, tel n’est cependant pas le cas. Certes, au XXIe siècle, l’espace topographique est soigneusement cartographié, ce qui invalide la thématique des mondes perdus, quelque peu passée de mode. La science, la fiction et la science-fiction se replient sur elles-mêmes en un renversement qui met l’accent sur l’identitaire et le biomécanique, sur la recréation d’un monde artificiel plutôt que sur la découverte d’un milieu naturel, mêlant une fois encore sciences, arts et vie. Le dinosaure n’est pas laissé pour compte: on verse dans le topologique quand il est placé à l’intersection entre science et vie, et qu’il y a contact entre les deux mondes.
La génétique offre un nouveau terrain à reconnaître, à décoder et à ré-encoder en se conformant à l’idéologie du jour; l’ADN est le lieu de la mémoire où se renoue la souveraineté de l’espèce humaine. Dans Jurassic Park (1993) de Steven Spielberg, l’ADN du dinosaure est ré-activé et il est modifié pour mieux l’assujettir: avec la génétique, le scientifique n’est plus un simple spectateur, éloigné de son objet d’étude (comme c’était le cas avec Lidenbrock), mais un acteur qui fait du dinosaure sa créature et qui met les mains dans le cambouis. Manipulé par le généticien, le génome se fait «je nomme» dans un acte de création similaire à celui du Docteur Frankenstein. Aux récits de découverte d’un monde oublié succède ainsi un récit de production du Sujet, mais aussi de production capitalistique. Le monstre saurien devient monstre de foire, et l’animal thématisé devient l’attraction phare d’un parc à thème avilissant. Ce sont les dialectiques d’un capitalisme rampant, représenté par l’avocat-vampire Donald Gennaro, qui dictent l’avenir du dinosaure.
Toutefois, le dinosaure ne répond pas à l’appel du gain: il n’apparaît pas là où les protagonistes l’attendent quand ils font le tour du Park dans la fameuse jeep montée sur monorail. Il faut bien dire que son ADN, son adresse génétique, est une adresse –ou «citation» à comparaître– mal formulée; c’est une inscription tronquée (car incomplète), répétée et répliquée en laboratoire, puis sur-interprétée et surchargée: pour incarner le dinosaure, il a fallu combler les vides dans la séquence génétique avec l’ADN de la grenouille. C’est à dire qu’il a fallu ajouter de la différence, il a fallu ouvrir le corpus génétique du dinosaure aux influences externes pour lui donner corps. Ce surplus de mémoire, ajouté à ce qui est déjà une archive génétique transmise de génération en génération (l’ADN), modifie le comportement de toute l’espèce, qui finit par échapper au contrôle de ses maîtres.
Plutôt que de briser les cadres qui l’enferment, le mode de subversion privilégié du dinosaure est celui de la répétition du trait différentiel (Derrida, 2006: 50-54). La frontière se fait lieu de contact et de dédoublement, notamment dans le film éducatif intradiégétique de John Hammond, où ce dernier, pour illustrer comment les dinosaures ont été ressuscités par les généticiens du parc, met en scène une scène dialoguée entre lui et son moi «imagé.» Se jouant de la limite entre spectateur et acteur, il va même jusqu’à faire couler le sang de son clone quand il prétend lui piquer le doigt avec une aiguille:
La barrière posée par l’écran devient un lieu de contact, qui, loin de crever ou percer le quatrième mur, en complique le statut limitrophe10. La frontière permet l’interaction et la reproduction du vivant tout en gardant cette copie démultipliée du vivant à la frontière, où elle se nourrit et croît (il finit par y avoir trois clones d’Hammond). Cette limite où l’on génère et cultive la mimésis permet d’échanger les rôles en faisant des actants des acteurs:
Là où le dinosaure était un être passif, pressé entre le cadre de la page, de la gravure, ou de l’écran; là où il n’était qu’un prédicat assujetti sans objet, il devient un être actif avec un objet, qu’il poursuit: l’homme. Se jouant des vues («Objects in mirror are closer than they appear»), des perceptions et des visées carnophallogocentriques de la science, le dinosaure se rapproche avec une vitesse mortelle: il redevient une force pure et déraisonnée qui se retourne contre ses geôliers. Les rôles s’inversent, les deux mondes ontologiques se rencontrent et les frontières, sans jamais disparaître, se distendent au point d’ouvrir une brèche, un abîme.
L’image de l’abîme n’est pas anodine; Derrida rappelle que le symptôme est une chute. La chute notamment du temps et de la narration, tous deux mis à plat, ce qui a pour effet de révéler les mécaniques qui règlent l’avancée du récit; le texte apparaît au grand jour comme un discours construit par un auteur –enfin révélé et dévoilé– en suivant une certaine logique, et dont la progression est motivée par un telos. Dans Voyage au centre de la Terre, Axel et Lidenbrock naviguent sur une étendue maritime lisse et immobile où le temps est figé (la lumière blanche constante qui éclaire les lieux ne faiblissant jamais, il est impossible de savoir quand est-ce qu’il fait jour ou nuit). Le rythme du calendrier solaire, aboli dans la diégèse, est émulé directement dans et par le texte: c’est dans ce lieu virtuel de l’éternel maintenant qu’Axel entreprend l’écriture d’un journal de bord qui retrace le quotidien des explorateurs jours après jour. Ceci a pour effet de mettre aussi à plat le récit, ce qui révèle son mode de fonctionnement au lecteur. En effet, le journal a prétention de saisir les faits dans leur intense immédiateté (sans l’intermédiaire d’une mise en récit ou d’un travail élaboré sur le style), alors que tout journal est nécessairement écrit après les événements relatés.
Dans Jurassic Park, les dialectiques du temps et de l’espace sont de même suspendues pour montrer au spectateur les rouages qui font tourner la machine du récit: c’est en faisant pivoter la salle de cinéma qu’il est possible d’apercevoir le laboratoire, bien réel, où les spectateurs intra- et extra- diégétiques (ce qui jette un pont entre le monde actuel du spectateur et la réalité ontologique des personnages) peuvent assister en direct au processus de création génétique.
Toutefois, la métaphore du cinéma comme laboratoire où l’on fabrique du réel et comme lieu qui opère la jonction entre faits et fiction (vide supra) se retourne comme un gant:
Les personnages semblent être enfermés dans une bobine de film lorsqu’ils se mettent à table dans une salle particulièrement sombre, où des faisceaux lumineux se croisent par intermittence et éclairent les convives en contre-jour, alors même que des diapositives sont projetées sur les murs.
À la fois suiveur et poursuiveur, précédant et suivant l’homme, le dinosaure se fait spectral et profite de sa liminalité pour insérer du jeu dans les mécaniques du vivant, précisément pour faire ressortir les déviances d’un mode de pensée par trop aristotélicien et pétrifié dans un raisonnement inchangé et uniforme, voire automatique11. La scène du repas dans Jurassic Park semble indiquer la nécessité de changer de point de vue, de changer de perspective. Après avoir bouleversé ordre spatio-temporel et temps de la narration, après avoir introduit du jeu, le dinosaure aide l’humain à trouver un nouvel élan, en introduisant cette fois du «je», de l’autobiographie.
Car ce qui importe n’est plus cette image mise en scène par Hammond, maintenant rendue invisible par son intégration dans le décor (les diapositives projetées sur les murs); le nouveau point de mire est ce qu’on voyait sans voir et sans savoir: la pupille, motif récurrent qui imprègne les rapports inter-espèces.
Le dinosaure peut maintenant regarder l’humain en retour, et son regard se pose sur une autre pupille personnifiée12, renversement métonymique qui se joue des proportions pour mettre l’accent sur la jeunesse, quelque peu laissée pour compte («He left us!» s’écrie Lex quand l’avocat l’abandonne avec son frère dans la Jeep).
De toute évidence, si l’adresse génétique du T-Rex ne parle pas aux adultes diégétiques, c’est que le dinosaure s’adresse d’abord à l’affect, au pulsionnel, à ce qui est en suspens: on le pressent avant de le voir, et nombreux sont les signes qui annoncent son arrivée sensationnelle (comme en atteste le gros plan sur le verre d’eau agité dans Jurassic Park). C’est donc l’enfant, être non encore complètement formé, qui est plus à même de relever ces traces quasi subliminales. Si le dinosaure entoure la jeunesse et fait de la pupille le centre de l’attention pour ses gardiens13, il est nécessaire d’analyser ce trope conjointement avec un autre motif récurrent, dans lequel elle s’imbrique: la lign(é)e. L’enchâssement est d’abord visuel:
La forme de l’écran, qui rappelle la forme d’un œil de T-Rex avec la pupille au centre (le logo circulaire de Jurassic Park) représente une mise en abyme chiasmique, car dirigée vers l’intérieur, comme un écho sémiotique réfléchissant: les deux Hammond se font face, le Hammond «réel» tourne le dos à l’audience ce qui boucle la boucle. Toutefois, la fonction de l’écran étant, par définition, de projeter une image vers l’extérieur pour capturer le regard des spectateurs, on peut remarquer que la bordure de l’écran, le trait différentiel de la limite, a une tendance marquée à se répéter hors de son cadre: les lignes lumineuses quadrilatérales (à gauche et en haut) semblent autant d’extensions du cadre hors de l’écran premier (physique), et qui se démultiplient dans le monde actuel des personnages. Ce syncrétisme visuel fait que le cadre devient une sorte de sentier de traverse, une arcade qui relie deux paradigmes ontologiques (monde possible de l’imagination au cinéma et monde actuel des protagonistes): il englobe à la fois l’image de la pupille, imbriquée et magnifiée dans celle de la ligne et de la lignée (héréditaire) et du cadre (cadre de l’écran, mais aussi cadre «générique» narratif du documentaire éducatif de Hammond en tant que production familiale).
De fait, la représentation du dinosaure, comme le fait remarquer Pascal Hachet dans «Derrière les dinosaures, nos aïeux et leurs secrets» est à considérer et replacer dans le cadre d’une étude sur les relations transgénérationnelles. Toutefois, l’étude purement psychanalytique, uniquement ancrée dans l’inconscient et le familial, révèle vite ses limites lorsqu’elle exclut de l’équation l’environnement extérieur, le sociétal, et notamment les dimensions visuelles et technologiques, qui jouent pourtant un rôle de taille dans la production du Sujet.
La jeunesse est conçue comme une reproduction à petite échelle de l’image de l’adulte, qui d’ailleurs n’est toujours qu’un substitut de parent14. Lidenbrock forme son neveu Axel au métier de minéralogiste, alors que Tim et Lex ressemblent étrangement à Alan Grant et Ellie Sattler: ils sont habillés de la même façon (chemise en jean et foulard rouge noué autour du cou pour Tim et Alan) et ont des traits physiques en commun (couleur de cheveux). La répétition peut se faire mortifère: à trop jouer avec les fossiles, à vouloir faire du même avec de l’ancien, cela peut avoir des répercussions négatives. Lex et Tim sont en passe de devenir des fossiles vivants quand la Jeep où ils sont réfugiés s’enfonce dans le sol du parc jurassique sous la poussée formidable de la patte du T-Rex, lequel semble désireux de les faire rejoindre la tourbe dont on l’a tiré contre son avis.
La répétition se fait régénératrice lorsqu’elle introduit de la différence dans un premier temps, puis de l’autobiographique ensuite. Le dinosaure, grâce à son surplus d’ADN étranger, parvient à se reproduire, et ce en dépit de l’hybridation génétique imposée par les scientifiques du parc. Côté humains, la copie conforme à échelle réduite entre adultes et enfants n’est pas d’actualité. Axel, bien qu’il soit un minéralogiste accompli, est avant tout un romantique dans les deux sens du terme: il est un amoureux transi mais aussi un romantique au sens culturel. Tel Victor Hugo, il voit dans chaque ombre une fée ou naïade et cite du Virgile quand l’occasion s’y prête; le monde reste un lieu plein de fantaisie et de mystères. Les personnages représentant la jeunesse se situent tous au seuil de la communauté, résistant ainsi à l’idéal de la mimesis et de l’uniformité aristotélicienne avant l’arrivée du dinosaure. Pourquoi le dinosaure, donc? Pour intégrer cette différence à l’autobiographique, pour s’acquérir à soi-même.
Du point de vue diégétique, ce qui sauve le vivant de la pulsion mortifère inhérente à une forme de répétition qui ne fait que des copies de copies sans âme, c’est ce qui fait du poison un antidote: il ne faut plus générer, mais régénérer du vivant, et cette régénération se fait de façon souterraine: il faut tout tirer par le bas, il faut tout ramener au banal, au kitsch tel qu’il est conçu par Walter Benjamin dans son fragment «Dream Kitsch» (1925).
Selon Benjamin, à l’ère technologique, tout devient uniforme et la seule chose qui a prise sur notre inconscient est ce qui, emblème du banal, est devenu l’emblème de la normalité et de la norme. Cependant, c’est en se laissant imprégner par le banal dans nos rêves que l’on peut retrouver l’essence même du kitsch, sorte de persona que l’on adopte et dont on peut tirer bénéfice; il y a un fond positif dans le kitsch. L’analyse de Benjamin ne se focalise toutefois pas sur la psyché, mais sur les objets: le kitsch rêvé sort de la sphère de l’inconscient pour rejaillir sur le biotope; si l’homme moderne garde ce qu’il y a de bon dans le kitsch, il peut s’en servir pour se bricoler une identité, faite à la fois des fragments du passé et de ceux du présent.
Si l’on adapte le raisonnement de Benjamin au sujet traité ici, on peut émettre l’hypothèse que le dinosaure est l’élément kitsch dans l’équation. En effet, c’est à l’intérieur de l’éprouvette, sous le regard attendri de Hammond, que le dinosaure (re)naît, perdant ainsi son statut de dragon mythique. Le temps aidant, il se vide de sa substance pour devenir un produit de marketing. Le dinosaure kitsch est, au surplus, celui qui hante les rêves du dinomaniaque. Dans le rêve éveillé d’Axel dans Voyage au centre de la Terre, le jeune homme recrée par l’imagination la faune et la flore du jurassique et s’introduit subitement dans le décor, ajoutant une dimension anachronique au songe. La musique du générique de Jurassic Park et la première rencontre avec les brontosaures donnent un côté merveilleux au film (de par leur présence inexpliquée, Hammond n’ayant pas encore fait sa démonstration sur le «miracle du clonage» et parce que l’on assiste à la rencontre de deux plans ontologiques: le monde jurassique d’une part, et l’époque moderne d’autre part). Il appartient au rêveur de se saisir de ce rêve «kitschisé» pour se réécrire par hétérogénèse: le dinosaure doit fournir à l’humain les moyens d’écrire son identité en le (re)formant et réformant de l’intérieur pour en faire un être nouveau.
Il faut donc renverser la dynamique du récit pour passer du rêve au réel, avec le protagoniste comme levier ou force médiane qui change le cours de l’histoire, qui replie le récit sur lui-même. Le mythe se fait muthos, notion que Richard Martin définit comme acte de langage performatif qui requiert des actants qu’ils dépassent leurs aînés par la réappropriation; c’est en recombinant les matériaux de leurs prédécesseurs et en les manipulant avec doigté qu’il est possible de se forger une personnalité propre (Martin: XIV). Pour Martin, ce qui compte ce n’est pas la parole «mythique» des héros dans ce qu’elle a de traditionnel et de performé, celle qui affirme la réalité en faisant de la parole un acte marqué (Martin: XIV). Au contraire, chaque parole, pour spontanée qu’elle soit, a ce pouvoir d’affirmation de réalité. Dans le corpus étudié ici, on peut voir que les protagonistes s’emparent en effet des codes de ceux qui les précèdent pour se les réapproprier et changer ainsi cours de l’histoire et cours du récit.
Dans Voyage au Centre de la Terre, Axel est l’axle, ou «axe» en anglais, qui fait pivoter le récit. C’est après le rêve éveillé et la rencontre avec l’ichtyosaure et le plésiosaure que les navigateurs approchent d’une autre masse noirâtre, qu’ils croient être un autre monstre marin. Malheureusement, ils se trompent de nouveau: il s’agit cette fois d’un îlot inoffensif. Mais il est intéressant de noter que Lidenbrock décide de nommer cet îlot «Axel,» identifiant ainsi son neveu avec ce qu’il avait cru de prime abord être un animal préhistorique. C’est à ce moment que le récit quitte tout à fait le champ de la paléo-fiction, genre où tout est expliqué par les théories de la science contemporaine de l’auteur, pour entrer dans l’imaginaire, où la présence d’un personnage humanoïde, un «nouveau fils de Neptune» qui garde un troupeau de mastodontes, reste inexpliquée (Verne: 217). La citation latine qui vient spontanément à l’esprit d’Axel face à ce spectacle mi-arcadien, mi-fantastique, et qui est intégrée à la narration –«Immanis pecoris custos, immanior ipse» (Verne: 217), ou «Gardien d’un troupeau monstre, et plus monstre lui-même!»– est une citation faussée de Virgile. Le texte original du poète, tel qu’on le trouve dans ses Bucoliques est en réalité: «formosi pecoris custos formosior ipse» (Bucoliques, V, 44), dont une traduction possible est «Berger encore plus beau que son troupeau». La citation tronquée de Virgile trouve en réalité son origine dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo et correspond au titre du chapitre trois du livre quatrième de ce roman (Hugo: 202). Ce renversement grotesque de Virgile par l’auteur romantique permet d’intégrer du disgracieux dans la sublimité du style lyrique (la poésie de Virgile), traditionnellement jugé comme plus noble. La citation que Verne fait de Hugo imitant Virgile devient ainsi le lieu de contre-signature du changement que l’auteur (Jules Verne) et le narrateur-orateur (Axel) font dans la conduite du récit, dont tout autant Jules Verne que son héros en sont les signataires. La convocation hugolienne de Virgile, en mauvais latin, fait sortir le texte de ses gonds scientifiques et le fait pencher du côté de l’imaginaire et l’esthétique romantique, où tout n’a pas nécessairement besoin d’être expliqué de manière empirique.
La sur-présence des codes, cryptogrammes plie le récit, et permet au surplus à l’humain touché par le dinosaure de s’inscrire et s’écrire dans ce récit pour en faire une autobiographie «pure» au sens derridien (Derrida: 84), soit une autobiographie prélapsarienne qui est dénuée de toute trace de confession (à l’inverse des Confessions de Saint Augustin ou de Rousseau). C’est un témoignage qui ne réclame pas de preuves, «comme si le moi parlait d’un autre, citait un autre» (Derrida: 84). Cet autre, c’est le dinosaure qui déclenche et accompagne l’écriture d’une d’une hétéro-autobiographogenèse qui produit l’Être en se servant de l’Autre comme miroir originel. Toutefois, parce que ces langages restent cryptés, voire (zoo)cryptiques, la seule parole vive, spontanée, qui peut affirmer la réalité de l’orateur est celle du cri – l’on songe immédiatement au cri d’émerveillement, cri d’effroi, et même au cri aphasique – mais encore au cri de l’enfant naissant, sorte de parole primitive qui annonce publiquement l’arrivée d’un être Nouveau, un dinomaniaque.
De nos jours encore le dinosaure n’est pas ramené à la vie dans la culture populaire à des fins exclusivement carnophallogocentriques parce que nous en avons les moyens (techniques, graphiques, cinématographiques), mais parce que nous avons choisi le dinosaure comme familier et persona avant même notre existence consciente.
Le dinosaure est d’abord conçu comme une créature que l’on dompte et dont on trace l’image pour mieux le rendre atone: coincé entre les marges de la page, pressé dans les pages des livres de taxonomie, le dinosaure se joue du pouvoir évocateur et invocateur inhérent à l’image pour brouiller les codes. Être limitrophe qui se nourrit de –et grandit sur– la limite, il se démultiplie en faisant de la ligne du cadre un rail à suivre pour passer d’un monde à l’autre. Profitant de son avantage, il introduit du chaos à vocation déterministe dans le monde discursif des objets et s’avance petit à petit vers l’humain avant de passer à travers le miroir. Il peut de cette manière se frayer un passage au cœur du système et notre système de pensée(s), qu’il s’attache à modifier en profondeur.
Le dinosaure est à la fois un animal euclidien dont l’existence court en parallèle avec la nôtre: il réapparaît dans les productions culturelles et fictionnelles de chaque époque, sous des formes mythiques, scientifiques, réalistes, ou artistiques. Il est également un être non‑euclidien en ce qu’il jette des ponts entre différents plans d’immanence et en ce qu’il établit des points de contact entre ces plans. Ces lignes horizontales et verticales, ces entrelacs que le dinosaure nous fait suivre, sont ceux de l’écriture, et c’est par l’acte d’évasion et de déplacement –soit l’acte de lecture– dans un biotope onirique qui se fait vecteur de fictionnalité (le parc, le volcan, mais aussi les mediums que sont la gravure, le livre et le film) que ces lignes graphiques, sémiotiques et narratives peuvent se dérouler et s’activer pour intégrer et modifier le dinomaniaque dans le récit.
1. Si l’on suit la lexicographie de Jean-Marie Nicolle, «L’hétérogénèse désigne la formation d’un être vivant à partir d’un matériau, autrement que par une mécanique de reproduction» (101). Pour qu’il y ait hétérogénèse, il faut donc qu’il y ait un matériau de base, un héritage généalogique qui sert de matière première, sur lequel se greffe un élément extérieur, foncièrement différent, voire même contre-nature (puisqu’il s’oppose aux mécaniques naturelles de reproduction du vivant). C’est bien là le statut du dinosaure, qui, de par son ambivalence spectrale (il est posthume car éteint, mais anthume car il vient avant l’homme qui le ressuscite) est ce qui va contre le naturel; le dinosaure est surnaturel et apporte de l’imprévu. Ce processus créatif de formation hétérogénétique du Sujet relève plus du machinique ou du biomécanique que du biologique pur; la lignée ne rentre pas en jeu, ce qui compte est plutôt ce qui rentre en collision avec -et s’insère dans– cette lignée, et ce qu’il résulte de cette rencontre une fois le premier choc passé.
2. Sauf mention contraire, les italiques sont toujours ajoutés.
3. Il est important de noter que l’ichtyosaure, comme le plésiosaure, ne sont pas des dinosaures mais des animaux préhistoriques. Cependant, parce qu’ils sont considérés comme des dinosaures par le grand public et que le présent travail s’attache à sonder les faits, affects, et effets de la culture de masse, il n’est pas contradictoire ou contre-productif d’inclure ces animaux ici.
4. «C’est ainsi qu’un même individu offre le museau du marsouin et les dents du crocodile, la tête d’un lézard et les vertèbres d’un poisson, le sternum d’un ornithorhynque [sic] et les nageoires d’une baleine. L’ichthyosaure, par son aspect général, devait rappeler de bien près le marsouin moderne, ou l’épaulard (Delphinus orca). Il avait quatre pattes élargies, sortes d’avirons, et son corps se terminait en arrière par une queue longue et puissante. Les plus grands de ces reptiles ont dû avoir plus de trente pieds de long.» (Buckland: 146-47). William Buckland est un paléontologue anglais catastrophiste.
5. Par exemple: «L’autre, c’est un serpent caché dans la carapace d’une tortue, le terrible ennemi du premier, le plésiosaure!» (Verne: 184).
6. D’après le Trésor de la Langue Française (TLF), à la fin du XIIe siècle, le terme «circonscription» était justement «ce qui limite l’étendue d’un corps.»
7. «J’aperçois l’œil sanglant de l’ichthyosaurus, gros comme la tête d’un homme. La nature l’a doué́ d’un appareil d’optique d’une extrême puissance et capable de résister à la pression des couches d’eau dans les profondeurs qu’il habite.» (Verne: 185).
8. Voir le chapitre II en particulier, où Lidenbrock s’extasie devant un vieux manuscrit, se complaît à l’ouvrir et refermer, et juge avec une admiration profonde la beauté de la reliure et des pages.
9. Pour Derrida, qui se réfère à la philosophie hégélienne, l’allemand erinnerung, qui veut dire à la fois «mémoire» et «intériorisation,» montre que l’histoire est assimilée pat un processus de remémoration: «Spirit incorporates history by assimilating, by remembering its own past» (Derrida, 2009: 3). Il s’agit donc de faire du monde des objets et de la mémoire historique collective un objet privé, un souvenir individualisé. Cela s’effectue en reconsidérant (considérer une seconde fois) ce passé historique, en se le rappelant, ce qui permet d’absorber ledit passé et de le faire sien, d’en faire un récit personnel.
10. Derrida rappelle l’étymologie grecque de «limitrophie,» qui vient de «trephô, trophe, ou de trophos»et renvoie au «nourrir, la nourriture, la nourrice, la génération, les rejetons, le soin et l’entretien des animaux, le dressage, la culture, le vivre et le faire vivre en donnant à vivre, à se nourrir et à se cultiver.» La limitrophie est donc «ce qui pousse et croît à la limite, autour de la limite, en s’entretenant de la limite, mais de qui nourrit la limite, la génère, l’élève et la complique.» (Derrida, 2006: 51. Les italiques sont de Derrida). Pour Derrida, il serait naïf de vouloir supprimer ou briser cette limite, et tout son propos consiste à démontrer qu’il faut au contraire en multiplier les occurrences en renforçant et multipliant le trait différentiel.
11. Le prénom de Lidenbrock, Otto, fait saillir son côté machinique, mécanique: Otto est l’ «Otto-mate» (automate) à la vie strictement organisée et régulée, et qui ne souffre pas d’écarts à la règle.
12. Sur le motif de la pupille dans The Mysteries of Udolpho, voir l’article de Thomas Dutoit, qui le premier a vu l’importance de la pupille en tant que personne mineure à la charge d’un gardien, en liant cela à la question de la vérité gardée, cachée. Voir T. Dutoit, «Vérité animale et hétéro-biographique: The Mysteries of Udolpho d’Ann Radcliffe,» à partir de la p.385 en particulier.
13. L’ichtyosaure et le plésiosaure encerclent le radeau de Lidenbrock, Axel et Hans dans Voyage au Centre de la Terre; dans Jurassic Park et Jurassic World, a motivation principale des protagonistes adultes est de récupérer les enfants et de les mettre en sécurité).
14. Le divorce est un motif récurrent dans Jurassic Park et Jurassic World: les enfants, dont les parents sont en instance de divorce, sont confiés à la garde de leur grand-père (Jurassic Park) ou de leur tante (Jurassic World). Aucun de ces substituts de parent(s) ne se montre, initialement, particulièrement qualifié ou doué pour remplir cette tâche ardue et les enfants se retrouvent vite séparés de leurs gardiens.
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Dutoit, Thomas. 1999. «Vérité animale et hétéro-biographique: The Mysteries of Udolpho d’Ann Radcliffe.»In Marie-Louise Mallet (dir.) L’Animal autobiographique. Autour de Jacques Derrida. Paris: Galilée, p.369-401.
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Vernes, Jules. 2000.Voyage au centre de la Terre.(1864). Paris: Éditions Delville, 253p. (Cette réédition illustrée des Voyages Extraordinaires de Jules Verne a pour particularité de reproduire intégralement, dans la forme artistique de son époque, l’édition originale de l’œuvre vernienne).
Jonckheere, Sarah (2016). « Le dinosaure que donc je suis? ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/le-dinosaure-que-donc-je-suis-evolutions-et-reecritures-des-rapports-inter-especes-xixe-xxie-siecles], consulté le 2024-12-26.