Apparus au lendemain du krach boursier comme personnages phares des comic books adoptés comme lecture de prédilection par les enfants de l’époque, les superhéros, avec leurs costumes colorés et leurs pouvoirs extravagants, émergèrent comme la version américaine du mythe du surhomme. «Héros positif qui doit incarner, au-delà de toute limite, les exigences de puissance que le citadin ordinaire nourrit sans pouvoir les satisfaire» selon les termes de la célèbre analyse d’Umberto Eco dans Le mythe de Superman, le superhéros américain est condamné à perpétuer une série d’idéologèmes inscrits dans la structure de ses récits mêmes (ne pouvant se consumer, il est voué à une temporalité itérative qui annule toute progressivité; modèle de l’homme «hétérodirigé», il est une «conscience civile complètement séparée de la conscience politique»).
Toute une industrie culturelle se bâtira sur ces coordonnées initiales, créant un véritable système tout aussi itératif que les récits, les personnages et les actions qu’il met inlassablement en scène. Symptomatiquement ce système entrera en crise au moment même où le mythe du surhomme s’hypertrophie en pleine réaction néoconservatrice contre les supposés excès de la contre-culture (qui avait allègrement parodié ce même mythe dans les comix underground). En effet, c’est dans l’Angleterre de Thatcher et dans les États-Unis de Reagan et de Rambo que surgissent deux romans graphiques majeurs publiés par l’éditeur DC Comics, The Dark Knight Returns de Frank Miller (1986) et Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons (1987). Miller propose une version glauque de Batman en en faisant un quinquagénaire sortant de sa retraite pour reprendre sa croisade contre le crime, poussant la logique d’application de la justice jusqu’à en devenir un vigilante tortionnaire au modus operandi versant dans le totalitarisme, alors que Moore et Gibbons créent un groupe de justiciers masqués dont la ligne de partage entre le bien et le mal est si floue qu’elle met en question une sorte de théodicée pervertie.
Chacune à leur manière, ces deux œuvres interrogent les fondements mêmes de la figure du superhéros en en problématisant toutes les coordonnées (la consumation temporelle, la crise de l’hétérodirection, la question de la progressivité et de la conscience politique, l’inflation de consanguinité diégétique restreignant le lectorat, etc.). Ce dossier vise à aborder la problématisation et la dégradation du superhéros entamée par ces deux œuvres charnières et approfondie par les multiples héritiers de ce véritable «crépuscule des idoles» nietzschéen.
Que reste-t-il des super-héros ?
L’analyse va débuter avec deux citations liées au domaine des superhéros. La première est du bédéiste britannique Alan Moore, dont il sera question dans la première partie.
L’apport de Chris Claremont, Dave Cockrum et John Byrne au comic book américain a longtemps été circonscrit à l’édification de la famille de mutants les X-Men, l’inclusion dans leurs aventures des revendications sociales de l’après-guerre du Viêtnam et la popularisation de personnages aujourd’hui célèbres (Wolverine, Phoenix, etc.).
Si Phœnix, nous l’avons dit, incarne la machine identitaire déglinguée, Proteus et ses pouvoirs homogénéisant est conceptuellement plus passionnant, faisant face à des mutants dont l’identité repose existentiellement sur ces pouvoirs qui les rendent différents, ces pouvoirs qui font la différence.
L’influence de William S. Burroughs sur le milieu de la bande dessinée et du comic book anglo-saxon est aujourd’hui encore peu documentée ; celle-ci demeure, à vrai dire, peu abordée dans des ouvrages critiques pourtant de référence qui se concentrent, essentiellement, sur une œuvre romanesque et programmatique.
Il suffit de demander à quelques amateurs et créateurs de comic books quel est l’auteur ayant le plus marqué le médium pour obtenir une réponse unanime: Alan Moore.
Si le but des philosophes est généralement de lutter contre la violence, la culture populaire semble devoir, dans son processus d’accessibilité et d’autoréférence, produire une violence de plus en plus élaborée.
Avec Iron Man, dont nous fêtons les 50 ans (Tales of Suspense, #39 Mars 1963), la super-héroïcité est toute entière externalisée; l’armure seule est dotée de superpouvoirs poussant jusqu’au bout le traditionnel clivage entre les deux personnalités, sociale et super-héroïque, devenue ici une scission du sujet: le dissolu Tony Stark, le métallique Iron Man…
Tous genres, littéraires ou paralittéraires, arrivent un jour à une totale codification qui limite l’œuvre dans un carcan oppressant.
C’est en mars 1977 que, à l’instigation de l’éditeur Pat Mills, le scénariste John Wagner et le dessinateur Carlos Ezquerra créèrent le personnage qui allait redéfinir les comics britanniques, l’inexorable Judge Dredd.
De la première moitié du XXe siècle jusqu’à nos jours, les bandes dessinées de superhéros subissent une véritable évolution, non seulement au niveau de leur structure narrative, mais également au niveau de la caractérisation de leurs personnages.
On l’a constaté à la lecture des précédents articles de ce dossier, la figure du superhéros, qui avait déjà connu des tourments dans les années 1970 grâce à l’assouplissement de la dictature du Comics Code chez les éditeurs majeurs et par la parodie cinglante dans les underground comix, en a vraiment pris pour son grade pendant les années 1980.
Umberto Eco a très bien montré, dans son chapitre «le mythe de Superman», que ce superhéros emblématique existe à l’intérieur d’une société temporellement figée afin qu’il puisse régler infiniment des crises momentanées où rien ne change vraiment en profondeur.
C’est une méthode classique pour le prophète de malheur que d’annoncer la chute de X, n’ayant pu survivre à la charge critique de Y et/ou de Z.
Bien que la bande dessinée fût souvent considérée comme un médium dont la fonction principale est de divertir, son univers compte pourtant plusieurs bédéistes…
En 1964, Bob Dylan chantait «The Times they are a-changin’». Cette chanson représente toute une génération révolutionnaire qui contestait l’hégémonie de l’État et son ordre établi.
La bande dessinée américaine de superhéros a eu son lot d’intrigues linéaires et de personnages sans profondeur.
L’univers de la bande dessinée a longtemps été étiqueté comme étant destiné à un public enfantin.