Comment aborder l’univers fictionnel en expansion le plus connu de notre galaxie (et d’ailleurs)? Depuis la sortie du premier film en 1977, la saga Star Wars a défini une nouvelle époque de la culture pop, à la fois au niveau de la narrativité (le recours au «monomythe» campbellien comme modèle universel, fusionnant récit et histoire en une commune régression archaïque au mythe –et au conte de fées- pour atteindre une efficacité maximale), de l’industrie cinématographique (fournissant le modèle ultime de sa «blockbustérisation», ancrée sur l’hégémonie des effets spéciaux qui basculent dans l’ère du numérique), du merchandising (alors que Hollywood ignorait les produits dérivés au moment où Lucas s’en assurait la propriété dans son premier contrat, 5 milliards ont déjà été récoltés à cette enseigne pour le Réveil de la Force, contre 1 milliard au box-office), de la «culture de la convergence» intermédiatique (extension de l’univers diégétique des films aux comics, aux téléfilms et séries animées, aux innombrables romans de «l’Univers Étendu» -désormais frappé d’inanité par l’empire Disney pour des raisons autant mythopoétiques que commerciales), enfin de la culture participative qui en a découlé (jusqu’au point de rupture entre un fandom hyperactif et «l’auteur» lui-même, voire l’Empire médiatique qu’il en est venu à représenter).
Vecteur de «cette culture qui plait à tout le monde» qui définit, pour F. Martel, le «mainstream» planétaire, marqueur de ses modes de production, de réception et de transformation, l’univers-franchise Star Wars n’a cessé de susciter des tentatives d’interprétation, allant de la dénonciation post-adornienne la plus totale à la célébration de sa «postmodernité» (œuvres-collage marquées par le pastiche, le recyclage culturel et la nostalgie dès leur origine même). Des études psychanalytiques sur le «roman familial» que sans cesse il décline aux analyses politiques de l’opposition manichéenne entre Résistance et Empire, le conflit des interprétations est aussi vif dans cette galaxie très, très lointaine que dans ce bas monde où nous traînons encore. Ce dossier vise à accueillir et nourrir le débat, encore très anglosaxon, dans le monde des études pop francophones, où la Force s’est peu à peu réveillée grâce à quelques publications récentes (L. Jullier, F. Labrousse et F. Schall, L. Aknin). Tous les aspects de la saga, sans distinction, seront évoqués, des œuvres canoniques aux univers étendus, des multiples sources aux innombrables influences, fussent-elles parodiques (comment oublier Spaceballs?), voire pornographiques.
Que la Force nous accompagne…
Ne pouvant entrer dans le détail de tous les effets de citation et de reprise des éléments génériques du space opera littéralement accumulés par le Retour du Jedi, nous nous cantonnerons aux deux extrêmes devenus les plus iconiques du film, à savoir Jabba et les Ewoks.
Le Retour du Jedi consacre, avant tout, le retour du Même, dont l’emblème le plus frappant est sans doute la reconstruction « opérationnelle » de l’Étoile de la Mort.
Le dernier volet de la trilogie est d’emblée placée sous le signe de la sérialité : non seulement il se doit de conclure les différentes intrigues laissées en suspens dans l’épisode précédent, mais il parachève une formule qui est désormais parfaitement connue.
Suite au succès colossal du premier volet et au regain phénoménal d’intérêt pour le space opera, Lucas reprend son rêve sériel en faisant justement appel à l’une des reines incontestables du genre, Leigh Brackett.
La critique s’est longuement penchée sur les raisons du succès colossal de Star Wars, essayant de l’expliquer a posteriori, en invoquant quantité de phénomènes sociopolitiques, souvent selon le célèbre principe du « Post hoc ergo propter hoc ».
Après avoir suivi les différentes et tortueuses étapes de la rédaction du scénario de ce qui deviendra Star Wars, nous arrivons enfin, avec la quatrième version (1er janvier, 1976) et sa révision (15 mars), en territoire connu.
L’année 1974 fut cruciale pour le space opera. Outre l’anthologie éponyme de Brian Aldiss et le scénario de Lucas (« The Star Wars »), ce fut l’année de naissance de Métal Hurlant, qui allait définir l’infléchissement graphique du genre par l’esprit de la New Wave et des comix underground, en passe de « récupération » par la culture pop mainstream.
En 1974, Brian Aldiss redéfinit le space opera dans l’introduction à son anthologie du même titre, la première d’une série consacrée aux« futurs du temps passé » (« Way-Back-When Futures »).
Fruit de son double passage par la contre-culture et l’ USC Film School, George Lucas choisit, pour son premier long-métrage, de transformer un de ses courts expérimentaux, Electronic Labyrinth THX 1138 4EB (1967), qui avait connu un grand engouement dans le milieu étudiant.
Après avoir évoqué le tournant camp et parodique qui marqua une certaine carnavalisation des codes du space opera au sein des Swinging Sixties, il nous faut maintenant nous tourner vers les deux piliers de la transformation du genre pendant cette période de formation du jeune George Lucas.
Alors que Lucas continue à gribouiller compulsivement des « space soldiers » (titre de la nouvelle mouture télévisuelle des serials de Flash) au milieu de son initiation à l’âge adulte dans la scène contre-culturelle californienne, l’opprobre qui pesait sur le « space opera » ne fait que grandir, et ce, justement, dans le passage à la « maturité » de la science-fiction au contact de la contre-culture.
L’opposition stratégique entre space opera honni et science-fiction légitime introduite par Tucker configure durablement leur place respective à l’intérieur du champ littéraire.
Des joyaux Fulgurs imaginés par E. E. Smith à la Force lucasienne qui en partie s’en inspire il y a toute une évolution qu’il importe de tracer, illustrant une mutation majeure de l’imaginaire culturel pop.
Parallèlement au succès transmédiatique des codes du space opera, ceux-ci trouvèrent leur aboutissement ultime dans l’œuvre d’un auteur qui passe souvent pour le fondateur du genre, bien qu’il y soit venu une décennie après ses premières moutures.
Parallèlement à la consolidation des codes génériques du space opera littéraire, ceux-ci migrent des pulps vers d’autres médias.
Par une logique compensatoire, c’est avec l’avènement du « monde fini» diagnostiqué par Valéry en 1931 dans Regards sur le monde actuel (mais l’aventurier Jack London lamentait déjà dès 1900 «Le Rétrécissement de la planète») que s’opère la fuite imaginaire dans l’Ailleurs interplanétaire.
Ruse de la Raison ou de la Force, synchronicité junguienne ou simple hasard, George Lucas vient au monde l’année même où le terme « space opera » reçoit sa paradoxale intronisation dans la Fancyclopedia de Jack Speer (1944).
Le désir fétichiste se construit comme l’on sait sur la métaphore et la métonymie comme signifiants de la substitution.
Une seule journée aura suffi, après la sortie du tant attendu épisode 7 de la saga Star Wars, pour que les ventes DVD de la plus célèbre parodie porno de cette dernière, Star Wars XXX (2012), augmentent de façon spectaculaire,