Parallèlement à la consolidation des codes génériques du space opera littéraire, ceux-ci migrent des pulps vers d’autres médias. L’un des premiers à en être marqué est un nouveau venu promu par cela même à une certaine néophilie et un enthousiasme pour tous les futurs. Dès janvier 1929, Philip F. Nowlan adapte en comic strip sa novella Armageddon 2419 A.D., parue dans Amazing Stories quatre mois auparavant. Son succès phénoménal allait le faire paraître dans plus de 400 quotidiens à travers le monde, traduit en 18 langues, avant d’être transposé en serial radiophonique (de 1932 à 1947), le premier consacré au genre et aussi à susciter des produits dérivés tels que jeux, jouets, vaisselle et déguisements. La popularité du héros fut telle qu’il se substitua à Santa Claus lui-même dans un grand magasin de Virginie en 1934.
Comme l’écrit B.E. Childs dans sa thèse sur le folklore technologique nord-américain, la transmédialité va désormais caractériser le genre, de plus en plus défini pour le grand public par ses extensions dans la culture visuelle :
In the American experience of the genre’s development, fictional formulas became readily transferable from one medium to another, concurrent with the technical advancement of the media themselves. Stories such as Philip Francis Nowlan’s “Armageddon: 2419 A.D.” could be serialized in a magazine, published as a novel, recast as a comic strip and filmed as a cinema serial— while concurrently spawning a line of toys and a retinue of imitators— all occurring between 1928 and 1939. Such a rapid development and diversification of media render the technological fantasies of science fiction subject to the same process they celebrate: technological advance. The result, on a textual level, is the accelerated fragmentation of the original text, as its new adaptations and imitations find new audiences. The result, in turn, of such a diversification of audience is that the narrative and substantive motifs of the genre do not remain under the exclusive control of the developing subcult of science fiction. (…) This may be the source for fandom’s twin complaint that their genre is, on the one hand, trivialized when it is aimed at a mass audience, and (on the other hand) consistently judged by outsiders in terms of its own “worst” examples. [1]
Bien que Buck Rogers ne soit pas techniquement un “space opera” (il ne le deviendra qu’au fil des décennies) mais bien son corollaire inversé, un récit d’invasion, il va contribuer au développement du genre au point d’y être durablement associé. Sa figure de « héros technologique » consacré corps et âme à la rébellion contre un Empire maléfique en fait un des prototypes des enjeux idéologiques de Star Wars :
Nowlan had his hero emerge in a changed future America, to take part in nothing less than a re-enactment of the American Revolution, this one against the technologically-superior “Han dynasty,” a thinly-disguised version of the Oriental “yellow peril” that Jack London had summarily dispatched with germ warfare in a science-fiction story some years before. (…) Rogers’ heroic task is essentially that of redressing an oppressive instance of technical differential; the Hans’ airships and disintegrator-rays are the primary high-technological means employed to keep the nomadic Americans under Han domination. Rogers, rather than seeking to develop a higher technology, instead makes efficient strategic use of the Americans extant technology, serving as an innovator in strategy [and] tactics (…). This is harmonious with Mumford’s concept of “democratic technics.” Rogers assesses the weaknesses of the Hans’ high-tech weapons, and attacks them “from underneath,” as it were (…). Though Rogers’ forces also make use of Arcane Machines, the manner of their deployment is essentially democratic— which harmonizes with the struggle’s deliberate parallel to the American Revolution. [2]
Il s’agit selon B. E. Childs d’une importante transition qui se démarque du “héros technologique primitif” à la Burroughs (“Technology as an agent of social change is here not only acknowledged, but also exploited, while still allowing the Arcane Machine to function as a substitute for the magical object” [3]), mais l’on pourrait dire que l’ambivalence entre la technologie et la magie va continuer à determiner tout un pan du space opera. W. H. Young associe quant à lui cette transition à l’émergence de l’idéologie technocratique, qui eut aussi une importance cruciale dans l’évolution du genre (notamment à travers la figure d’E. E. Smith) :
Much of the strip’s fascination lies in Buck’s gradual introduction to twenty-fifth-century gadgetry. The innumerable machines, rockets, weapons, etc. (almost all of which seem extremely crude and dated today), that the strip displays constantly serve two purposes: they show one conception of the future and things to come, but they also show a world where science has eliminated such problems as depressions, unemployment, and poverty. The fondness for machines in the strip is especially strong during the early Thirties, the grimmest days of the Depression. It was during 1931-1932 that a movement began in the United States which claimed man was obsolescent, and that many of his pursuits could be better accomplished by machines. The people behind these ideas were unemployed engineers, scientists, architects, and others in related fields. To them, the Depression was proof of the failure of the social system. Calling themselves Technocrats, they recommended control of the nation’s economic life by trained technicians. (…) The fascination that Buck Rogers displays toward a mechanized future has its real counterpart in the concepts of the Technocrats. [4]
La promotion du « héros technologique » à la tête de la guérilla rebelle va de pair avec sa romance avec la belle guerrière Wilma Deering, qui s’éloigne du stéréotype des demoiselles en détresse pour mieux correspondre à la féminité tough de la Grande Dépression [5]. Inaugurant une contre-tradition de femmes combattantes, elle aura une influence certaine sur la figure de la princesse Léia (née d’une tentative avortée de transformer Luke en héroïne, puis de sa division actantielle en deux personnages, qui, initialement, ne seront pas jumeaux [6]).
Le succès de Buck Rogers entraîna la création, cinq ans plus tard, du comic strip Flash Gordon par le syndicat rival King Features (qui avait auparavant essayé d’obtenir les droits d’adaptation du cycle martien d’E. R. Burroughs). Grâce à l’inventivité graphique de son créateur, Alex Raymond, celui-ci allait devenir un des icônes du 9e art mais aussi un phénomène pop : publié dans 130 journaux, il sera lu par 50 million de personnes et continuera ses aventures dominicales jusqu’en 2003. La saga devancera son modèle sur le grand écran, devenant le premier serial de science-fiction en 1936, dont le succès éclatant au box-office entraîna deux suites : Flash Gordon’s Trip To Mars (1938) et Flash Gordon Conquers the Universe (1940). Ironiquement, l’adaptation ultérieure de Buck Rogers (1939) fera appel au même acteur principal, Buster Crabbe, « All-American-Man » du futur.
Serials were a fitting medium to adapt comic strip and pulp series: both were cheap entertainment firmly located within the mass culture of the time, and more crucially, both thrived on long narratives broken down in shorter arcs separated by cliffhangers”, écrit Nicolas Labarre dans une des rares études dévolues à cette adaptation pionnière à plus d’un titre. “Indeed, the respect paid to Raymond’s vision and style suggests that there is no hierarchy between the two forms, which is in itself a historical phenomenon. In 1936, the comics form had not yet been associated with comic books and juvenile reading, the legitimization of cinema was incomplete and the serial was still profitable enough to be treated seriously, from a financial and aesthetic standpoint. [7]
Par un effet d’achronie que l’on associe à la « haute culture » (notamment de par le poids scolaire du canon qui perpétue des modèles dans une sorte de « hors-temps » qui relève du fantasme de l’immortalité) mais que l’on retrouve dans la culture pop sous le signe du recyclage industriel, les vieux serials des années 30 connurent une deuxième vie dans le médium qui en prit directement le relais, la télévision, avide dès ses premiers temps de matériel susceptible de nourrir sa grille horaire. C’est ainsi que le jeune George Lucas fut happé par la planète Mongo, et, partant, par les galaxies du Space Opera.
Lucas has never been shy about refering to Flash Gordon as the most direct and prominent inspiration for Star Wars”, écrit Chris Taylor. “The original Universal serial was on TV at 6:15 [P.M.] every day, and I was just crazy about it,” Lucas said after shooting Star Wars in 1976. “I’ve always had a fascination for space adventure, romantic adventures.” The serial was the “real stand-out event” in his young life, he said on the set of The Empire Strikes Back in 1979. “Loving them that much when they were so awful,” he said, “I began to wonder what would happen if they were done really well? Surely, kids would love them even more.” (2014, p.54) [8]
De fait, lorsqu’il voudra se remettre de l’échec de son film de science-fiction contre-culturelle THX1138, il tentera de se procurer les droits pour l’adaptation de la bande dessinée originale; il sera devancé par Dino De Laurentis qui comptait recruter un autre grand fan, Federico Fellini (qui avait commencé lui-même dans les fumetti, affirmant avoir écrit la version pirate italienne des strips de Raymond). De ce double échec naîtra, comme l’on sait, Star Wars.
Les échos du comic strip et surtout du serial (les trois d’origine étant rediffusés comme un seul sous le titre pour le moins trompeur de Space Soldiers) y seront nombreux. Tout d’abord la superposition délibérément anachronique (voire achronique ou suprachronique) d’époques et de cultures, brassant quantité d’éléments thématiques et iconographiques. Cet aspect qui sera souvent souligné comme une originalité de Star Wars est déjà entièrement à l’œuvre chez Raymond, qui s’amuse à créer une synthèse hétérotopique de tout ce que les littératures de l’imaginaire, souvent illustrées par des dessinateurs de talent, avaient produit depuis le XIXe siècle : mondes perdus, savants fous, rayons de la mort, romans de cape et d’épée, combats de gladiateurs, fictions paléontologiques, fusées spatiales, rêveries orientalistes, Péril Jaune, extraterrestres fortement animalisés (et racisés), etc.
Daniel Riche et Boris Eizykman en firent une analyse pour le moins biaisée par l’« antiamérikkkanisme » militant de la contre-culture francophone en 1976 (soit un an avant Star Wars, qui allait lui aussi essuyer quelques critiques similaires dans son aggiornamento de cet imaginaire composite):
La S.F. reduplicative qui s’applique à étendre les lois de l’ordre dans l’univers et l’avenir, utilise ici un procédé somme toute passablement connu, en caractérisant un « autre » monde comme amalgame d’éléments dérobés à des civilisations terrestres éteintes et actives. Ainsi coexistent sans la moindre gêne dans ce creuset expérimental les armes les plus rudimentaires et les plus sophistiquées : épieux, massues, arcs, flèches, couteaux, haches, capes et épées, cuirasses, casques (romains), cavaleries légères, missiles atomiques, armotanks, fusées, sous-marins, thermitons, rayons paralysants, glacials, thermiques, fusils électriques, canons ultra-soniques, rayons anti-insurrections qui rendent « fous et baveux », antigravitation (!). Prenez les uniformes, vous rencontrez la même diversité, le même défilé historique (…), sarabande insouciante et irrévérencieuse qui entraîne rois, nobles, tyrans, rebelles, esclaves, savant, l’Histoire, à se fondre dans l’unité supérieure réconciliée, l’idéal démocratique républicain des États-Unis d’Amérique du Nord. [9]
Et, pour enfoncer le clou, l’accusation de militarisme qui pèsera aussi sur l’univers lucasien : « la concentration d’objets incongrus, hétéroclites, appartenant à des sociétés féodales, despotiques, préhistoriques, contemporaines, mythologiques (…) est ambigüe. L’amour d’Alex Raymond pour l’uniforme et les armées, qui rayonne dans les innombrables parades et manifestations guerrières, invite à une réflexion kritik [sic] : ce brassage de sociétés diverses où se donne libre cours la force du héros ne tend-il pas à établir l’universalité de l’ordre et du pouvoir, puisqu’aucune de ces sociétés n’échappe à l’emprise du virus militaire « possémaniaque », puisque toutes sont vouées à fusionner dans l’ordre républicain centralisé »[10]. Mais parallèlement, la machine s’affole : « cette mixture culturelle, cette toile de fond cacophonique fait basculer tout l’édifice ordonné, d’ordonnance, que le récit a charge de répandre. Les mélanges grouillants apparaissent comme un désordre irréversible, un excès mortel pour la compulsion d’ordre de la matrice narrative (…). C’est le temps qui devient fou, incertain ». Et de repérer « dans cet affolement historique, un effet de la civilisation électrique », McLuhan à l’appui, voire « un effet du capital »[11]. Une même tension entre classicisme et maniérisme, voire néobaroque (ou, en termes nietzschéens, entre apollinisme et dyonysisme) articulera l’univers lucasien.
Le serial tenta tant bien que mal de rester fidèle à cet esprit hétérotopique (de fait le premier, doté d’un budget inhabituel pour le genre, se caractérisa par une grande fidélité comme le signale Nicolas Labarre[12]). « En transposant fidèlement à l`écran les inventions d’Alex Raymond, [le serial] parvient à créer un univers alors très innovant, brassant de nombreux genres du cinéma d`aventures », écrit Émannuel Denis. « La part belle est d`abord faite aux éléments futuristes : ainsi, les héros combattent au moyen de pistolets laser et se poursuivent à bord de fusées armées de canons destructeurs. Mais certains passages et décors évoquent, eux, irrésistiblement des épopées médiévales. Au cours d’un duel, Flash combat à l’épée un mystérieux guerrier masqué. De son côté, Ming trône dans un palais à l’étrange architecture orientale. Certains personnages, comme les hommes oiseaux ou les hommes requins, relèvent plus d`un fantastique merveilleux que de l`anticipation. George Lucas se souviendra de tout cela, intégrant à sa saga de science-fiction des éléments provenant de genres aussi variés que le film de samouraïs ou de chevalerie »[13].
Autre grand élément hérité par Star Wars des strips et du serial, la vitesse qui complète et rend possible le collage d’éléments hétérogènes. « Flash éclaire le principal atout de Gordon. Les temps de repos, de répit, de détente, sont réduits à une portion désespérément congrue. Sans la morale qui imprègne ce récit, on serait tenté d’établir une comparaison entre cette frénésie combative et ce qui se passe dans les vieux films muets (…), les rythmes surhumains, impossibles, exigeant une dépense et provoquant une libération d’énergies incalculables »[14]. Cela vaut autant pour les planches de Raymond que pour les serials, restés fidèles au rythme endiablé de leurs ancêtres muets et leur « cinéma d’attraction » (Tom Gunning)[15]. Trait stylistique emblématique que Lucas reprendra en y ajoutant un effet citationnel rétromane (ou, selon les goûts, postmoderne): le transitions entre séquences par des effets de volet, permettant des véritables sauts spatio-temporels et des effets rythmiques soutenus.
De là aussi ces débuts abrupts qui radicalisent la tradition homérique de l’incipit « in media res ». Comme dans les serials, ont est littéralement balancés au milieu d’une action trépidante : “I’d like to use, as a vehicle [for Star Wars ], Saturday matinee serials, which were these really high-powered action adventures that existed for 15 minutes, each Saturday they’d show a different one, and if you missed one you just sort of picked it up”, explique Lucas. “So you never really saw, unless you were a really avid moviegoer, you never saw the whole thing. You only saw parts of it. And so it was designed to be like that…You know, you’re in the middle of the thing and that would be the end of it”[16].
Il s’agit là des deux vecteurs essentiels entre ces œuvres, profusion hétérotopique et crarotopie frénétique. L. Jullier signale aussi la conduite du récit (« la narration visuelle se concentre sur le cœur des péripéties » avec un « souci de lisibilité narrative constant »), la musique (« qui soutient, ponctue remplit, scande sans interruption les faits et gestes des héros ») et la désinvolture (2015, p. 122-4); significativement, parmi les différences notables, Lucas délaissera les « choix esthétiques contre-réalistes », l’érotisme torride (et quelque peu sado-masochiste) et opposera au « sacrifice de la vraisemblance au profit du rebondissement » (par une causalité beaucoup plus stricte) ainsi qu’à « celui de la profondeur psychologique au profit de l’action » (rétablissant un équilibre plus classique entre les deux).
À cela s’ajoutent quantité de détails minutieusement glanés par les fans, à commencer par le générique déroulant (repris de son rival Buck Rogers dans le troisième volet du serial), qui permet de créer un effet d’immersion littérale dans le récit et renvoie autant à un mystérieux narrateur omniscient qu’au caractère épisodique (le deuxième draft du scénario prévoyait aussi un carton final annonçant le prochain épisode, sur le modèle des Flash[17]). Parmi ces multiples « fantômes sémiotiques » —pour reprendre le terme de Gibson dans sa nouvelle rétromane sur l’effet « hantologique » des pulps The Gernsback Continuum (1981) qui pourrait bien être une allégorisation du travail scénaristique de Lucas—, citons, pêle-mêle, pour la trilogie originale : les légions de soldats-robots casqués qui défendent l’Empereur mégalomane Ming, l’infiltration de la forteresse impériale par deux amis déguisés en soldats de l’armée impériale, le compagnon velu (Thun, prince des hommes-lions, ancêtre de Chewie), les monstres chtoniens (le Rancor du Retour du Jedi aura plusieurs ancêtres flash-gordiens, dont l’un des plus inattendus procède de la parodie soft-porn Flesh Gordon), la ville aérienne dont le maître change d’allégeances, le jargon extra-terrestre incompréhensible qui sollicite d’un interprète improvisé (Zarkov travesti en C-3PO), les rayons tracteurs, la récupération de l’avionrotor (qui préfigure celle du Faucon Millenium), le peuple de la forêt vivant dans les arbres et se déplaçant sur des plateformes qui les relient, le royaume glacial de Frigia qui annonce la planète Hoth, la coiffure de la reine Fria dont héritera Leia, les portes du palais d’Azura qui s’ouvrent en coulissant comme celles de l’Étoile de la mort, etc.
Cette myriade d’éléments montre l’étonnant télescopage entre le caractère palimpsestique (voire l’« effet bric-à-brac ») de Flash et celui de Star Wars, double anamorphose qui superpose non seulement deux époques marquantes du space opera, celle de sa fondation et celle de sa refondation, mais aussi deux discours idéologiques en deux moments de crise (ironiquement, c’est la parodie softcore Flesh Gordon qui mettra ce parallélisme de l’avant, trois ans avant Star Wars, dans son générique d’ouverture : “Lors de la crise de 1929, pour remonter le moral du public, les Américains créèrent les super-héros. Flash Gordon, Captain Marvel, Buck Rogers, Superman, etc… Pour vous aider à surmonter la crise actuelle, nous vous proposons un nouveau super-héros qui possède ces hautes vertus morales: Flesh Gordon”).
Toutefois, pour ce qui est des éléments narratifs, c’est plutôt le serial rival consacré à Buck Rogers qui semble avoir eu le dessus, avec sa Rébellion traquée par les troupes d`un impitoyable dictateur et contrainte à cacher sa base au fond de cavernes montagneuses; de même le lieutenant Wilma Deering, jeune femme énergique, prête à participer aux combats les plus violents, s’avère un prototype plus proche de la princesse Leïa que la bipartition flashienne entre la virginale Dale Arden (éternelle damsel in distress) et la sournoise fille de Ming, la princesse Aura, femme fatale plus entreprenante qui n’hésite pas à sauver « son mâle » tout en essayant de se débarrasser de sa rivale. Le chassé-croisé entre Buck et Flash en fait des œuvres à maints égards parallèles, dont l’influence se combine dans le syncrétisme lucasien. L’on sait aussi ce que Darth Vader doit au super-villain The Lighting d’un autre serial de science-fiction, The Fighting Devil Dogs (1938), rediffusé dans la même émission qui servit de véritable réservoir du genre (Adventure Theater)[18].
Fait symptomatique, la référence flashienne, qui sera dominante dans les pitchs de Lucas avant et après le tournage de Star Wars, servira d’élément agglutinant de son équipe, contribuant à la cohérence de cette œuvre collective et lui dotant d’une aura clairement générationnelle: « Every true believer on the set of Star Wars remembered it fondly. Producer Gary Kurtz, four years’ Lucas’s senior, caught the tail end of Flash’s run in Saturday movie matinees before it even came to TV. “Flash Gordon definitely made the biggest impression of all the serials,” said Charley Lippincott, Star Wars’ marketing chief, who watched Flash Gordon projected onto the side of a library in Chicago. Howard Kazanjian, Lucas’s friend and the producer of Return of the Jedi, said that visiting Mongo in a rocket ship was his childhood dream, to the point that he and his brother once tried to build their own rocket cockpit out of toothpaste tops.” (Taylor, 2014, p. 54).
Par une sombre ironie, Alex Raymond, chassé de sa propre création par le King Features Syndicate à son retour de la guerre, meurt dans un accident de voiture en 1956 alors même que son héros renaît pour toute une génération, et se transforme progressivement dans la tête du jeune Lucas, qui survivra, lui, à un autre crash routier qui le mènera vers les études cinématographiques: « As he met his end, Raymond had no idea that his most famous creation was reverberating around the head of a twelve-year-old boy in the unassuming town of Modesto, California”, écrit Taylor. “The boy also had a passion for fast cars and was just six years away from his own fateful appointment with an automobile accident. The flaming torch of space fantasy was about to be handed down to another generation—and this time, it would set the world alight” (id, p. 40).
Ce passage de relais était toutefois loin d’être évident. Comme dans la quête du héros qui anime le monomythe campbellien dont il allait lui-même s’inspirer, Lucas allait devoir encore braver des multiples épreuves, de même que le genre qu’il allait réinventer.
[1] THE MARK OF THE ARCANE MACHINE: TECHNOLOGY CONSIDERED AS MODIFIER, CATALYST, AND IMITATOR OF FOLKLORE IN A MODERN AMERICAN SETTING, Thèse, Département de Folklore, Indiana University, 1982, p. 145-146
[2] Id, p. 168-170
[3] Id, p. 170
[4] Images of Order: American comic strips during the Depression, PHD, Emory University, 1969, p. 191-2
[5] Pour Childs elle relèverait aussi de traits folkloriques en tant qu’adjuvante du héros: “The American group into which he is adopted rewards his industry and success with rapid advancement in rank. His warrior-wife Wilma Deering, who is the first twenty-fifth century American he encounters, serves a dual narrative purpose: she is analogous to a magical helper who provides him with his first weapons and instructions, and she is also the Girl as Helper in the Hero’s Flight (Aarne-Thompson Type 313)— who eventually weds him” (B. E. Childs, op cit, p.169). Toutefois ces traits sont réactivés dans un contexte culturel tout autre, marqué par une remise en question (encore toute relative) des codes du genre (au sens de gender).
[6] La restitution minutieuse (et quelque peu fastidieuse) des différentes étapes du scénario entreprise par Kaminski à la suite des travaux de J.W. Rinzler permet de suivre la valse de ces influences sur l’axe diachronique.
[7] N. Labarre, « Two Flashes. Entertainment, Adaptation : Flash Gordon as comic strip and serial », Comicalités [En ligne], Théorisations et médiations graphiques, mis en ligne le 19 mai 2011
[8] Ironiquement, les vieux serials des années 30 étaient de meilleure qualité que les shows live à très faible budget que la télévision pouvait alors produire. Par ailleurs le répertoire des effets spéciaux ne s’était guère enrichi depuis de façon significative.
[9] D. Riche et B. Eizykman, 1976, p. 42-3
[10] Id, p. 43
[11][11] Id, ibid. La citation de McLuhan est la suivante. « La vitesse de l’électricité mélange les cultures de la préhistoire et les détritus des boutiquiers de l’ère industrielle, les analphabètes avec les demi-alphabétisés et les post-alphabétisés. L’effondrement mental est le résultat le plus courant de ce déracinement et de cette submersion dans un flot mouvant de modèles d’information » (Pour comprendre les médias, 1964, p. 33).
[12] « It constitutes a test case for adaptation, with a script that adheres to Raymond’s story and a mode of representation that is often deceptively close to cinematic technique” (Labarre, op. cit., ibid). Toutefois les différences entre les deux médiums finissent par altérer radicalement l’adaptation: “With its emphasis on close-ups, reaction shots, summaries, repetitions and completeness, Space Soldiers [titre de la rédifussion télévisuelle] alters the scale of the narrative, narrows it down to a character-driven plot, in which the viewer has no choice but to follow Flash, Dale and Zarkov even in their most irrelevant moments. Space Soldiers seeks to create proximity with these characters, while Raymond’s strip deliberately keeps them at a certain distance. While Raymond’s vision came to define the streamlined vision of the late thirties and has survived as a work of graphic art, almost detached from the story it purported to tell (…), Space Soldiers has survived as entertainment, mostly presented in cheap DVD packages and discussed with enthusiasm in journalistic and fan books. Many factors include these diverging trajectories but as the present study has sought to show, they were partly inscribed in the cultural objects themselves and in their respective narrative strategies” (id, ibid).
[13] “DE FLASH GORDON À ANAKIN SKYWALKER Space-opéra et serial : les sources de Star Wars”, Écran fantastique, 6/11/2017
[14] D. Riche et B. Eizykman, op cit, p. 37
[15] « The opening sequence of ToT and the first six panels of the February 4 Sunday page have a lot in common when it comes to rhythm. Both strive to depict a short and intense span of time, while dilating it to allow the reader/spectator to enjoy it fully. (…) This is a very fast-cut sequence, with an average shot length (ASL) of two seconds, roughly comparable to modern action movies and much faster than the Hollywood norm of roughly 10 seconds at the time. In the article “B’s in their bonnets”, David Bordwell suggests in that B movies of the period tended to be cut faster than prestigious features. ToT is still on the upper end of the spectrum, with an ASL of 3,9 seconds over the complete twenty minutes” (N. Labarre, op cit, ibid)
[16] Entretien dans The Charlie Rose Show, 9 septembre 2004
[17] “...And a thousand new systems joined the rebellion, causing a significant crack in the great wall of the powerful Galactic Empire. The Starkiller would once again spark fear in the hearts of the Sith knights, but not before his sons were put to many tests... the most daring of which was the kidnapping of the Lars family, and the perilous search for:"THE PRINCESS OF ONDOS." (cit in M. Kaminski, p. 94)
[18] Pour un compte-rendu exhaustif (et superbement illustré) de l’évolution graphique de Darth Vader v. M. Kaminski « The Visual Development of Darth Vader »
L. Jullier, Star Wars. Anatomie d’une saga, Armand Colin, 2015
M. Kaminski, The Secret History of Star Wars, ebook, 2008
D. Riche et B. Eizykman, La bande dessinée de science-fiction américaine, Albin Michel, 1976
C. Taylor, How Star Wars Conquered the Universe, NY, Basic Books, 2014
Leiva, Antonio (2020). « Star Wars et la refondation du space opera (3) ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/star-wars-et-la-refondation-du-space-opera-3-a-lombre-des-astronautes-en-short], consulté le 2024-12-21.