Le terme geek aujourd’hui est largement répandu dans les médias. À l’heure où les séries télévisées, les comic books, les films ou les jeux-vidéos sont produits et déployés à très grande échelle et avec une grande célérité, tout le monde pourrait revendiquer un statut plus ou moins « geek ».
Pourtant, comme le fait remarquer David Peyron cet engouement collectif contemporain est paradoxal si l’on considère l’histoire et les variations sociologiques associées à ce terme. On peut dans un premier temps définir le geek comme passionné par un domaine souvent inscrit dans la culture de masse – ou culture populaire – en marge et de l’imaginaire: cinéma, jeux de rôles, comics… mais le terme peut désigner à l’inverse la pratique spécifique d’une communauté (informatique, jeux vidéo…). Il faut aussi considérer historiquement que le geek dans sa conception contemporaine trouve ses ancêtres dans le bas-allemand médiéval geck, qui désignait un fou espiègle, un idiot de village. Essaimant en Europe et aux États-Unis, le geck a aussi des liens de parenté avec le freak, ce monstre qui mange tout sans distinction au sein des cirques de monstres. De cet appétit sans bornes sensationnel demeure aujourd’hui une capacité du passionné à « dévorer ce qu’il aime et aller au plus loin de ce qu’il aime ». Au Japon, on trouve aussi l’otaku que Joseph Tobin préfère à son homologue américain pour son appétit de l’information qu’il glane et engrange sur les réseaux. Passer du monstre solitaire dévoreur, de l’exclu social (fut-il volontaire) qui se distinguait sur les campus américains des 80’s de son opposé sportif et séducteur; à ces nouvelles représentations de passionné.es porte-étendards de la pop culture ne va pas de soi. C’est pourquoi cette journée d’étude entend questionner aussi bien les termes au cœur de l’histoire et de la société que les représentations au travers de la pop culture, tous supports confondus.
Qui sont ces Freaks and Geeks ? Comment leur représentation a pu évoluer au fil des années dans les fictions ? Existe-t-il un genre et un âge propre au geek ? Comment est représentée la femme geek aussi appelée geekette ? Y a-t-il fallu attendre Erica Sinclair et Suzie Bingham (Stranger Things, 2016-)? Cesse-t-on d’être freak ou geek une fois adulte? Ces derniers sont souvent représentés comme de grands enfants (Seinfeld, 1989-1998) ou comme des êtres perpétuellement en décalage avec le monde social (The Big Bang Theory, 2007-2019, le personnage de Dwight Schrute dans The Office, 2005-2013, ou encore celui de «Fat Neil» dans Community, 2009-2014). Comment le geek fait-il le lien entre deux cultures qu’on a pu considérer comme opposées: la science et la littérature ? Au sein même des œuvres, on pourra aussi se demander comment le geek a pu passer d’un personnage secondaire voire d’arrière-plan dans le cas des teen movies ou des teen TV series ; à un héros indispensable à la réussite des missions du groupe tel Jerry Steiner dans la série Parker Lewis ne perd jamais (Clyde Phillips & Lon Diamond, 1990-1993); voire au personnage principal de son aventure (Code Lisa, Robert K. Weiss, 1994-1998 ; Ready Player One, Steven Spielberg, 2018…).
La culture geek est également très attentive aux objets. Un jeu de rôle tel que Dungeons & Dragons est particulièrement représenté dans une série comme Stranger Things. Tandis que de nombreux artefacts de la « medieval fantasy », des jeux vidéo, des comics et de la S-F seront plus visibles dans The Big Bang Theory (2007-2019), That’s 70s Show (1998-2006) ou encore The Lost Boys (1987). On pourrait même avancer que les personnages du roman d’Ernest Cline Ready Player One (2011) – et de son adaptation cinéma par Steven Spielberg, (2018) sont littéralement à la recherche d’un Graal de la pop culture. Les pratiques et les sujets évoluent, continuant d’être des enjeux de recherches universitaires: ceux d’Anne Besson ou encore Justine Breton pour le médiévalisme et la fantasy; ou d’Alex Nikolavitch et Xavier Fournier spécialistes de la S-F et des super-héros. Que signifie être geek aujourd’hui alors que l’intérêt pour ces thèmes a rarement été aussi fort, au point que la pop culture et la culture geek se rejoignent dans les consciences ?
Jack Chick, un chrétien fondamentaliste se spécialisant dans l’illustration de pamphlets religieux, publia en 1984 la bande-dessinée Dark Dungeon. Le récit présenté dans ce pamphlet religieux (« Chick-tract ») représente parfaitement le discours de l’époque parce qu’il illustre la supposée influence satanique qu’avait le jeu sur ses joueur·euse·s ainsi que ses dangereuses conséquences
La proposition de Tas d’roches, de Gabriel Marcoux-Chabot (GMC) est originale : le roman est rédigé en plusieurs langues (ancien et moyen français, joual beauceron, chiac, et innu) et sa narration est imprimée en différentes polices (italiques, caractères gras, couleur grise, etc.), elles-mêmes juxtaposées dans une mise en page acrobatique (colonnes, encadrés, superposition de caractères, etc.). Le roman raconte l’adolescence et la jeunesse d’un garçon appelé Tasderoches, lui dont la force et l’appétit sont respectivement herculéenne et gargantuesque.
Il me semble que pour interroger la figure du geek dans la pop culture actuelle, et plus particulièrement dans le roman Ready Player One (2011) d’Ernest Cline et dans le film éponyme de Steven Spielberg (2018), qui lui donna, au moment même où il tournait ses Pentagon Papers, un nouveau sens, il convient d’étudier l’imaginaire dans lequel elle s’inscrit, à quels processus économiques et politiques elle renvoie, comment elle permet d’exploiter le goût hypermoderne pour la nostalgie et pour les communautés, comment elle questionne la sociabilité et la socialisation, comment, en somme, elle dessine les contours d’une « geektopia », pour reprendre le néologisme forgé par Rareş Moldovan[1].
[1]Rareş Moldovan, « The State of Play: Geektopia in Ready Player One » in Caietele Echinox, n°32, Images of Community, juin 2017.
Geekerella, mash-up du mot « geek » et de Cinderella (le nom de Cendrillon en anglais), raconte l’histoire d’une jeune lycéenne, Elle (diminutif de Danielle), qui a perdu son père et sa mère et vit à présent avec sa belle-mère et ses deux demi-sœurs, les jumelles Chloe et Calliope. Elle est fan de la série des années 90, Starfield, série télévisée complètement fictionnelle et inventée par Ashley Poston, l’autrice de Geekerella. La protagoniste développe un amour pour la série qui a été transmis par ses parents, fans eux-mêmes de la série à l’époque où elle est sortie et qui se sont rencontrés à une convention.
Dès le premier épisode et pour toute la durée de ses sept saisons, une des marques de fabrique de la série télévisée Buffy the Vampire Slayer (BtVS) est l’usage constant de références à la culture populaire par les différents personnages. Ainsi, par les références culturelles qu’elle réexploite, la série se réapproprie continuellement la culture qui la produit, et peut être vue comme un exemple frappant de l’auto-référentialité postmoderne de la culture populaire