L’automédialité désigne la construction du sujet à la fois dans l’écrit, l’image et les nouveaux médias (B. Jongy, L’Automédialité contemporaine, Revue d’Études culturelles n° 4, Dijon, Abell, 2008). Quel terreau plus fertile pour la mise en scène, la figuration de soi, que le fantasme sexuel? Celui-ci questionne en effet l’identité, le genre, et les métamorphoses du temps. La scène érotique, libérant l’infini des possibles, permet l’élaboration d’un moi fantasmatique et protéiforme…
Dans le fantasme, le sujet est toujours présent, ne serait-ce que comme observateur. D’une part, en tant que producteur du fantasme, il est nécessairement impliqué comme «moi-sujet». D’autre part, il est aussi sujet du désir manifesté dans le fantasme: il est au plus près du «je» sujet d’énonciation. Enfin, puisqu’il s’agit d’action, on a un sujet-agent (ou patient) de l’action représentée. Sébastien Hubier note que «la subjectivité de l’érotisme explique surtout que ce dernier corresponde toujours, d’un point de vue littéraire, à une manière de lyrisme, au sens où, comme le note Georges Molinié, “l’expression lyrique est d’abord expression de soi à soi sur soi”».
Ce sujet opère une dramatisation de soi, qui rend son fantasme intelligible à autrui. Par les procédés de condensation-déplacement et de transformation mis au jour par Freud dans L’interprétation des rêves [Die Traumdeutung], l’intime devient intelligible au lecteur/spectateur. Ces derniers sont les éléments clés de l’invention de soi, puisque c’est auprès d’eux que se développe la fabrication du sujet. M.-F. Luna rappelle que «les récits libertins empruntent abondamment les ressources de la première personne, qu’il s’agisse de romans en forme de mémoires, de romans dialogués ou de romans épistolaires», ce qui permet «aux narrateurs un rendu plus direct des sensations et des émotions qui provoque une identification plus excitante du lecteur au héros». Sébastien Hubier conclut de l’histoire du genre que «la dimension autodiégétique des récits érotiques indiquerait que l’excitation que provoque la lecture de ceux-ci n’est point (…) génitale, mais qu’elle renvoie au contraire à des stades archaïques du développement psychique.»
C’est pourquoi, ajoute-t-il, «la matière licencieuse est advenue dans le Bildungsroman, dans le roman-mémoires, dans le roman personnel et, enfin, dans ce genre paradoxal qu’est l’autofiction».
Dans une perspective culturaliste, nous accueillerons au cours de cette matinée les grandes oeuvres littéraires, la chanson pop, le récit expérimental et les petites annonces. À chaque fois, nous verrons comment l’érotisme permet de se mettre en scène, de dessiner un moi rêvé. Ce n’est pas seulement le moi de l’autre qui est fantasmé sur la scène érotique, mais soi-même.
Maja Vukusic Zorica évoque les pages érotiques de Miodrag Bulatović, dans lesquelles il met en scène son personnage romanesque et alter ego Gruban Malić et nous fait assister à l’élaboration de sois fantasmatiques au pluriel.
François Perea portera son attention sur les petites annonces électroniques de rencontre sans lendemain; il observe les modalités de figuration de soi et d’autrui, et l’investissement subjectif d’un personnage.
Enfin Gerald Preher analyse trois romans à la première personne qui prennent la forme de confessions d’un narrateur retraçant son désir et ses plaisirs avec une jeune fille: Lolita de Vladimir Nabokov, Blue Calhoun de Reynolds Price et Ma chère Lise de Vincent Almendros.
Dans l’espace social numérique, les représentations de soi s’inscrivent dans un continuum dont les bornes sont constituées par l’identité civile (ancrée par le nomem verum) et l’identité virtuelle sous-tendue par le pseudonyme (Martin, 2006) et l’avatar.
Miodrag Bulatović (1930-1991), l’écrivain serbo-monténégrin traduit dans une trentaine de langues, a choisi lui-même ses pages érotiques qu’il a publiées en 1983, Jahač nad jahačima (Le meilleur des monteurs de chevaux).
«L’artiste en moi vient de prendre le pas sur le gentleman.» (Nabokov, Lolita)
M.-F. Luna, «Du “je” libertin» in J.-F. Perrin & Ph. Stewart (éd.), Du Genre libertin au XVIIIe siècle, Paris, Desjonquères, 2004, p.242.