Malić a gagné la Deuxième Guerre mondiale, il va aussi faire la paix! Aussi n’est-il pas important d’où il vient! Malić arrive du Nord et du Sud! De l’Ouest, et de l’Est! Il est invincible, indestructible, car il est partout! Ange qui va brûler tout ce qui est sale au monde et parmi les hommes!
— Miodrag Bulatović, Le meilleur des monteurs de chevaux1
Miodrag Bulatović (1930-1991), l’écrivain serbo-monténégrin traduit dans une trentaine de langues, a choisi lui-même ses pages érotiques qu’il a publiées en 1983, Jahač nad jahačima (Le meilleur des monteurs de chevaux). Ce bréviaire érotique comprend trois parties: la première, «Blagi dodir» («Un toucher tendre») comprend les livres: Les Diables arrivent, Le loup et la cloche, Le coq rouge s’envole vers le ciel; la deuxième, plus furieuse, «Jahač nad jahačima» («Le meilleur des monteurs de chevaux») comprend Le Héros à dos d’âne et La Guerre a été meilleure; dans la troisième, «Les goujats dans mon cœur» («Hulje u mom srcu»), écrite à la Miller, Les Hommes à quatre doigts, où il y a plus de meurtres que de sexe. Rejeté par le jury du prix Nobel de littérature à cause de son dernier roman Gullo Gullo, publié en 1983 et traduit en français en 1985 par Jean Descat chez Belfond, le dernier Bulatović, émigré, crée Gullo Gullo, le mélange d’un avant-gardisme frénétique et d’un imaginaire abyssal entre fureur, destruction et nostalgie.
Dans son œuvre, il met en scène son alter ego Gruban Malić, qu’il a introduit dans son roman Le Héros à dos d’âne2. C’est le lien entre ces deux orphelins, nés près de Bijelo Polje, à Oklade, l’un fictionnel, et l’autre réel, qui va déterminer la constitution de son double à l’écrit et comme transpercer dans la vie. À travers cette mise en scène du soi à l’intérieur d’une figuration des scènes érotiques, le texte va poser des questions sur l’identité des deux «héros» et les intermittences de leur esprit. L’élaboration de ce soi fantasmatique et protéiforme, un bougre typique balkanique, le héros à dos d’âne mégalomane avec un globe entre ses mains, qui va exiger de tous ses ennemis qu’ils se rendent à sa cinq cents et unième division monténégrine, qu’il a sûrement rêvée, tout comme le monde après la révolution mondiale, rappelle une épopée, mythique et mystifiante.
Bulatović utilise la sexualité et la lascivité «fonctionnellement», pour introduire la moquerie, même la bouffonnerie, omniprésentes dans son œuvre. Son humour surréaliste accentue le sentiment de l’étrangeté monolithe que procure le livre, et rappelle non pas le rire cathartique, ravageur de l’érotisme, mais le rire «non-moral» et «non-éthique» de «l’ancien régime du rire» (Delon), dont fait partie Sade, Grosley3 et Swift4. Or, à l’encontre de Grosley, la veine de Bulatović n’a rien d’un badinage souriant, d’une connivence ludique ou d’une plaisanterie tranquille –il vise à inquiéter. Il reconnaît lui-même sa veine érotique, en la distinguant nettement de la pornographie– les impulsions et les désirs décrits sont autant d’essais, selon ses propres mots, d’exprimer son lyrisme, la poésie, une sorte de «dorure», et le sexe serait ennobli par le tragique des situations. Là déjà, le lecteur se noie dans les interprétations auctoriales idéologiques, en devançant son inexplicable vocation de l’idéologue de la Grande Serbie vers la fin de sa vie, ce qu’il a payé de sa tête. Les nouvelles du recueil Le loup et la cloche encodent déjà prophétiquement, dans les impressions de la Deuxième Guerre mondiale, les images de la menace d’une guerre possible entre les frères.
Les différences des mentalités du Sud et du Nord, de l’Ouest et de l’Est, stéréotypées depuis longtemps5, s’avèrent incontournables pour la compréhension des implications et des références de Bulatovi,ć car le sens de son érotisme en dépend.
La comparaison pourrait être illustrée via l’introduction de la cinématographie. Bulatović, iconoclaste, insère le film de Georges dans son roman. Ce nouveau médium reflète ce qui se passe dans le roman, et s’identifie comme le contraire même de la tradition du film partisan (film YOU), le film officiel de l’après-guerre. Le sexe dans le film partisan n’existe pas, l’idée même se rapproche de l’oxymore6. La représentation de la guerre est le genre puritain de la morale socialiste, où le sexe est traité soit comme une relique de la culture bourgeoise décadente (le Mal), soit comme un instrument biologique qui sert à la procréation en servant à la communauté des ouvriers (le Bien). Considéré comme «asexuel», androgyne, purifié, ascétique (il s’agit de l’ascèse révolutionnaire, qui se rapproche de celle des nihilistes russes du XIXe siècle, dont parle Berdajev7), le film partisan accentue, en fait, l’agressivité de la suppression des impulsions. Bulatović, dans son film-mise en abyme, devance l’échec du film yougoslave des années 90 (et la guerre), qui ne réussit pas à faire rimer les partisans avec leurs racines balkaniques, «forestières», primordiales, de guérilla8. L’idéologie qui devait supprimer les termes mêmes de l’homme et de la femme, et de leur rapport sexuel, en introduisant les termes de «camarade» et de «camaraderie» générale, voulait promouvoir un rapport qui serait à la fois non-sexuel et décidément très sexué, car ancré dans une tradition foncièrement patriarcale. Rappelons-nous le roman Nous de Zamjatin et sa société postrévolutionnaire utopique brutale et son contrôle absolu du rapport sexuel.
D’où l’importance primordiale du jeu de Bulatović avec les icônes culturelles et les symboles de ce paradigme historique, et la polémique idéologique et la démystification du mythe du monde slave incarné dans le hymne panslave Hej, Slaveni de Samuel Tomášik (1834). Dans les romans Le Héros à dos d’âne et La Guerre a été meilleure, l’icône du Jésus, tout comme l’icône du vampire dans la trilogie d’immigré –le troisième cycle: Les Hommes aux quatre doigts9, Le cinquième doigt et Gullo Gullo– deviennent la figure principale qui anéantit le «mensonge romantique» (Girard) du mythe slave. En découvrant l’ironie tragique de l’histoire, Bulatović démystifie les fantasmes de l’imaginaire slave, constitué à l’époque romantique, et examine le caractère utopique du panslavisme, et indirectement, de tout messianisme. En jouant avec la dimension sacrée de l’icône de Jésus et de l’horreur conventionnelle du vampire, il démystifie les stéréotypes traditionnels et l’idéologie qui s’y cache.
L’un des personnages les plus importants de Bulatović, qui figure, lui aussi, Jésus, est Gruban Malić, qui apparaît dans sa trilogie non achevée, qui ne comprend que les romans Le Héros à dos d’âne et La Guerre a été meilleure. Malić est la synecdoque (pars pro toto) du monde slave et des Balkans, une «métaphore incarnée» qui apparaît dans la vision apocalyptique du major Antonio Peduta, demi-fou et toujours ivre, comme le messie10.
Or Gruban Malić est l’une des victimes des idées romantiques sur le combattant pour la cause nationale. Ses «visions» rappellent une mission suicidaire; ses illusions le discours d’un fou. Dans Le Héros à dos d’âne, ce dernier, tout noyé dans les hypothèses idéologiques, se réduit à des gestes futiles, à la distribution des pamphlets communistes, et à son dénigrement des officiers italiens. Créé comme le messie slave qui apparaît dans la bourgade monténégrine occupée par les Italiens, il est avant tout un anti-héros bouffon, mais aussi une attraction touristique, un spécimen ethnique. Bulatović polémise non seulement avec les idées romantiques, mais aussi avec le modèle du roman héroïque sur les partisans, omniprésents dans les Balkans, en détruisant par la moquerie, le renversement et le reniement le mythe héroïque et culturel du barbarogénie de Ljubomir Mitsitch11. Barbarogénie, le décivilisateur12 né au sein du zénithisme, mouvement foncièrement anti-historique d’une seule personne irascible, proche du dadaïsme (et de l’anarchisme) et du futurisme (Marinetti nomme le «zénithisme», au cours d’une conférence à la Sorbonne en 1924, «la variante barbare du Futurisme»), qui voulait inaugurer son programme de dé-civilisation de l’Europe «syphilitique» par acculturation, son culte des forces archaïques et sa «révolution barbare», qui n’était que l’accomplissement d’une longue mythification des Balkans, devait être démystifié.
Ce barbarogénie, l’incarnation de la nature non souillée par l’insincérité de la civilisation occidentale avec son rationalisme, son «juste milieu», ses conventions et son hypocrisie, est la synthèse des forces primitives, de la vitalité, de la santé et de la vérité. Il est l’anti-messie, et le premier anti-héros serbe, qui seul peut guérir l’Ouest par sa barbarisation.
En transformant Malić en «clown», pantin, Bulatović se moque des efforts pour cacher l’infériorité des «petites cultures» balkaniques par le sentiment de supériorité incarné dans cette folie du messie et le culte de la nation, qui a culminé dans la guerre de la Yougoslavie et de la Serbie contre les Croates et les Bosniaques des années 1990. Dans Le Héros à dos d’âne, Bulatović attribue à son barbarogénie des traits comiques et l’homo heroicus monténégrin grotesque désacralise l’icône de Jésus. «L’ange balkanique», qui se rapproche plus de Don Quichotte que de Jésus, réalise ses idées fixes avec un véritable sérieux. Ce pantin, être créé par le remplacement de ce qui était sublime dans le mythe héroïque par le comique, engendre cette poétique du pathos «à rebours», fondée sur le remplacement de ce qui est héroïque, sublime, pathétique par ce qui est pauvre, burlesque, carnavalesque, superficiel et ridicule. Aux temps héroïques succède le temps de la honte et de la chute. La limite entre la réalité du roman et la comédie des comédiens s’efface (La Guerre a été meilleure). Paradoxalement, en oscillant entre la folie et «sa normale» burlesque, Malić ne peut survivre que grâce à sa folie qui lui permet de comprendre le tragique et l’ironie de l’histoire slave. Or, ici naît l’ironie même du pantin tragi-comique: pour voir l’ordre du monde et pour pouvoir s’en défendre, il doit tout d’abord le nier, jeter soi-même dans l’abîme du non-sens, de la folie. Et cependant, même cela n’apporte pas le salut, car une négation totale n’exprime plus rien – l’homme y demeure un prisonnier de l’absurde.
L’icône grotesque du messie dans les romans de Bulatović fait voir non seulement le «mensonge romantique» des époques passées, mais aussi un diagnostic pénible sur le monde slave de la deuxième moitié du XXe siècle. Le messianisme utopique s’est avéré être un piège idéologique, et les immigrés qui envahissent l’Ouest, dans Les Hommes aux quatre doigts, deviennent des caricatures des Slaves qui «aiment les idylles». La prédestination de J.G. Herder pour la renaissance morale de l’Europe n’est ici qu’une fiction et tout finit, pour les barbarogénies slaves, par une démoralisation absolue, annoncée par leur impuissance innée apparente –soit ils deviennent des victimes faciles du trafic d’êtres humains, soit ils tombent dans le demi-monde des criminels.
Dans les romans de la trilogie des immigrés, qui comprend les romans Les Hommes à quatre doigts, Le cinquième doigt et Gullo Gullo, Bulatović s’attaque aux gens simples et sereins qui aiment la liberté de la campagne. En anticipant les événements des années 1990, il démasque les totalitarismes du XXe siècle et le mythe du Slave, sa servilité (utilisée dans la propagande anti-slave nazie), sa «nature tendre», perçue déjà par Herder, s’est transformée pendant la christianisation dans une passivité rusée, cruelle et servile. Bulatović expose la mégalomanie insupportable de ce concept et découvre l’ironie de l’histoire qui s’est moquée de ces «victimes innocentes» en les transformant dans les victimes d’un système totalitaire de l’après-guerre. Dans Les Hommes aux quatre doigts, les ennemis d’hier sont aujourd’hui, paradoxalement, des sauveurs.
Au lieu de la renaissance morale de l’Ouest, La Guerre a été meilleure propose une invasion «sexuelle» slave de l’Europe. Le code grotesque y est assuré par le chef de cette invasion, Malić, et sa differentia specifica, son énorme pénis qui devient le symbole de la force et de la pureté spirituelle du barbarogénie et séduit les cœurs des Européens.
Bulatović dénonce les visions millénaires, car l’utopie ne répond pas à la question comment devrait être ce monde idéal quand les Slaves accomplissent leur mission et sauvent le monde. Le retour des nations ou la renaissance morale de l’Europe contemporaine? Ou le deuxième est-il la condition du premier? Bulatović répond ironiquement, par une image grotesque –dans le film de Georgosov sur l’invasion triomphale de Malić sur l’Europe occidentale (La Guerre a été meilleure), l’Empire céleste sur terre est envahi par les morts. L’auteur souligne que la résurrection du monde slave signifie le retour des fantasmes romantiques, des spectres poussiéreux qui se cachent dans l’imaginaire national. «L’aube balkanique» n’est pour lui que «l’aube des morts vivants13», d’où l’icône du vampire, qui devient la métaphore du destin vampirique des émigrés slaves14 qui les démystifie, déshumanise et les entraîne en enfer, où ils mènent une vie pauvre des maquereaux, des trafiqueurs et des voleurs qui volent de leurs propres. L’érotisme brutal combiné avec la vie en dehors de la loi pousse le récit vers le stéréotype contemporain de l’immigré vu par les Européens. Or l’émigré lui-même doit, pour survivre, se priver de sa propre humanité, se vampiriser et oublier sa patrie slave: la patrie devient une pute gloutonne et sans âme15. La chanson vampirique de Budak est un geste de combat avec le paradigme romantique qui comprend la nécessité de remplir l’obligation patriote. L’émigré, bien que la patrie elle-même l’ait rejeté et réduit à la solitude, ne peut pas l’oublier. Son destin, selon Bulatović, ressemble celui d’un porc, une existence aux poubelles de l’histoire.
Dans Les hommes à quatre doigts chaque naissance du porc Joséphine est devancée par un événement crucial et tragique pour les Slaves: la naissance et la destruction de la monarchie austro-hongroise, la naissance du fascisme et l’avènement des communistes au pouvoir dans les pays de l’Europe de l’Est. Bulatović semble révéler la faiblesse du messianisme qui crée des symboles vides16 et il démontre que l’on peut donner un sens au mal. Chaque retour de Joséphine entraîne une spirale des crimes et des brutalités. Dans l’interprétation de l’histoire suggérée par l’auteur, tout comme dans le messianisme, les Slaves sont le peuple choisi pour les persécutions, mais leur souffrance n’a pas un aspect eschatologique. Elle est plutôt la conséquence des erreurs du passé, comme la vengeance du vampire François Joseph17. L’auteur suggère que le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, qui s’est transformé en Royaume de Yougoslavie et après en Yougoslavie, n’était pas une vraie utopie, ni même la première. L’illusion utopique ne leur a pas permis de se rendre compte qu’ils se trouvaient depuis longtemps dans le «paradis slave». Ils l’ont abandonné et contribué à transformer l’Europe en un champ de bataille. Dans le roman de Bulatović, la Deuxième Guerre mondiale dure sans arrêt, son roman ne souffre pas de chronologie, car les Slaves règlent encore des comptes historiques, les oustachis et les tchétniks ne sont pas encore enterrés18.
En utilisant les icônes culturelles et l’ironie pour découvrir le caractère utopique de l’idéologie messianique, Bulatović l’iconoclaste a touché à un mythe serbe toujours vivant, celui de la bataille de Kosovo (1389), qui dit l’actualité du paradigme romantique qui a survécu dans les stéréotypes toujours vivants dans les Balkans. En fait, la culture symbolique serbe est foncièrement messianique. Conçu comme un peuple créé pour les grandes choses, l’établissement d’un nouvel empire byzantin qui défendrait la frontière de l’orthodoxie, le peuple serbe célèbre la défaite provoquée par la suprématie islamique et barbare des Turcs. Depuis la mort de Lazar19 au champ de Kosovo, les Serbes y puisent la conviction qu’ils sont nés pour la souffrance. D’où leur dignité aristocratique, leur droit inaliénable à la vengeance et la foi dans leur nature extraordinaire. Car, attaqués, moqués et insultés depuis toujours, ils ne peuvent que provenir de Dieu, comme disait l’essayiste polonais Witold Nawrocki.
Dans Les Hommes à quatre doigts, les symboles du porc, le chiffre 11 et la couleur noire20 contribue à la suppression systématique de la conception dualiste du monde et à l’anéantissement des différences archétypales entre le Bon Dieu et le diable, entre le bien et le mal, entre le sacré et le profane, entre le poli et le scandaleux, entre le masculin et le féminin. Bulatović promeut sa propre anti-culture, à l’encontre de la sphère monténégrine (Le coq rouge s’envole vers le ciel, Le Héros à dos d’âne) et occidentale (La Guerre a été meilleure, Les Hommes à quatre doigts), où il fait voir les distorsions de la fonction phatique du langage, de la communication, et l’encodage symbolique particulier via l’animalisation, la démonisation et la bestialisation.
Depuis Les Hommes à quatre doigts, où l’histoire du personnage de Miloš Marković, l’émigré, et sa descente aux enfers, rappelant la parabole du fils prodigue, se transforme en une anti-parabole qui détruit sa fonction propédeutique et son style sous l’influence de la philosophie de l’absurde et le grotesque carnavalesque chaotique et sans contrôle, et Gullo Gullo, qui mobilise la tradition du bestiaire antichrétien dans les suites métatextuelles de la Bible comme une parodia sacra et le satanisme comme une quête du sublime dans la bassesse (connue depuis Baudelaire), Bulatović construit le culte du mal et de la souffrance qui deviennent des symboles d’une spiritualité autre tout imbibée du non-sens de la culture avant-gardiste. Les personnages mythiques ont disparu, tout comme les hommes, pour laisser la place à la désacralisation totale et au consumérisme. Les «couilles de chocolat» deviennent la métaphore de la chute du pouvoir viril, phallusoïde, du cancer de la gloutonnerie mercantile; le chocolat devient, dans les années 1980, le symbole d’une marchandise «idéologique» qui entre en dialogue avec le discours socialiste pétrifié, qui ne fait voir que la banalité et la profanation des idées communistes. Bulatović établit un lien indéniable entre le chocolat et le communisme, pour montrer l’idéologie antihumaniste, droite ou gauche, bourgeois ou prolétaire, la démonologie politique, bref, la civilisation du chocolat. Cette dernière, cupide, sera anéantie par le futur du serpent qui joue avec les oppositions, l’utérus et le phallus, et représente l’unicité androgyne de l’autosuffisance. Bulatović introduit finalement un remède possible à la civilisation du chocolat, qui doit disparaître –le retour à l’unicité du monde, à l’androgynie, à l’état d’avant la différentiation divine, que le christianisme a détruit. Ainsi le carnaval, la folie et la destruction introduisent-ils le retour à l’harmonie par l’excès, et cette thérapeutique du serpent, tout en inaugurant une victoire de la nature sur la culture et l’esprit, fait rentrer Bulatović dans la tradition romantique.
Le romantisme propre à l’œuvre de Bulatović déploie son énergie désintégratrice orientée vers la destruction du canon et du réel (Gullo Gullo et ses mythèmes eschatologiques). Les images irrationnelles et fantastiques se situent au même niveau que les événements réels; le fantastique et le diabolique deviennent ordinaires. Ce jeu avec les codes romantiques inaugure l’introduction du réalisme grotesque, et fait voir le procédé crucial de son univers diégétique – le carnavalesque bakhtinien d’où naît son image du monde déformée, «out of joint» dirait Hamlet.
Le romantisme de Bulatović peut s’identifier dans la poétisation et son lyrisme, l’hyperbolisation et la non-motivation des événements, le fantastique, et l’hybridité et la fragmentation des structures qui organisent son univers romanesque. Le code narratif se rapproche du code poétique, le code mimétique par le code symbolique. Sous l’influence de la réduction symbolique, les personnages, hypertrophiés et grotesques, deviennent des types. Le mimétisme psychologique renié, ces types, comme la sublimation des caractéristiques individuelles, demeurent statiques et soulignent leur arbitraire. Ils ne peuvent se reconstruire que via le prototexte, l’ordre symbolique et mythologique qui les régit.
Or, la symbolisation en figurant pervertit le monde et les références se retirent devant le fantastique et l’exaltation carnavalesque des rapports hypertrophiés entre les personnages caricaturaux. Ils ne font voir que leur caractère obsédé et obsessionnel, trop émotionnel et exalté, soumis à des impressions limite; ils s’affirment comme des anormaux dressant une apologie de la folie et de l’hyperbolisation. Les personnages recréent perpétuellement leur irrationalité dans les phrases courtes, denses et saccadées régies par une syntaxe qui met en évidence l’affect, l’affectivité et l’affectation. Ils y introduisent des éléments du folklore, de la mythologie slave et germanique. Le pathos y règne sous forme de la parataxe, de l’acculumation des tropes, de l’anacoluthe, de la répétition et de l’intonation exclamatoire et déclamatoire (symboles!). Le style en dit long à travers le principe de l’analogie des suites des structures rythmiques, de la parcellisation comme éclatement et émiettement de la phrase qui devrait suggérer l’irrationnel et le surréaliste comme le paradigme d’un nouveau réel fantastique. Le chaos du monde et des personnages «out of joint» devient visible dans l’encodage grotesque et l’écriture fragmentaire. Le fantastique, existant dans le familier, le quotidien et l’empirique, y devient le locus où la logique ambivalente de la fantasmagorie subsiste dans le lien établi entre le rire et la mort, voire le meurtre. Le délire et la distorsion de la vision du monde y exploitent son potentiel hallucinatoire. Et cependant, tout appartient au même monde diabolique –en effaçant les limites, l’anormal et le fantastique y sont considérés comme «normaux», qui constituent ensemble un réel unilatéral, grotesque, difforme et dysharmonique.
Or, à l’encontre de la tradition romantique qui fait de l’Homme un jouet du destin et de ses passions, Bulatović érige son Homme comme le jouet des systèmes politiques totalitaires, qui façonne son existence d’une manière irrationnelle et inexplicable. L’irrationnel romantique mène à la mise en valeur du hasard et du fatalisme, et la désacralisation des textes sacrés du paradigme narratif vers le paradigme dramatique et lyrique. L’hybridité générique fait côtoyer le code narratif, lyrique (poétique), dramatique et grotesque.
La révolte contre la civilisation, contre Dieu, incarnée dans la figure du diable, tout comme le mépris de toute poltronnerie et la glorification du «je», font dater le texte en rappelant les solutions simplistes du recours au mal, au diable, aux animaux mythiques pour se donner l’illusion de maîtriser le monde. Ce satanisme-là, quoique libertin et voluptueux, sous-entend la recherche du sublime dans la bassesse, le culte de la souffrance et de la douleur, qui devrait donner l’accès à une spiritualité autre, désormais seule possible, une sorte de metanoia dans le sens théologique, rhétorique et psychologique du terme. Dans Gullo Gullo, la narration s’organise comme une suite d’orgies et des rituels sataniques qui sont l’expression d’une révolte pathétique contre les forces qui dépassent les personnages, et le déséquilibre entre leur volonté et leur pouvoir limité (le «vaudeville érotique multinational» de Nossack21). Bien que tout le monde souffre, le collectif s’éloigne vers la périphérie –il n’y a que l’individuel qui demeure. Le modèle héroïque et révolutionnaire, conjugué sous toutes ses formes, qui, par son caractère itératif et tenace, montre de doigt l’historicité de cette cosmogonie, est dévasté par l’imaginaire carnavalesque. Entre-temps même cette carnavalisation a vieilli, d’où le caractère désuet de cette révolte. La sensualité perverse, la frivolité de cette volupté et ses excès ne font que problématiser une vieille dichotomie, celle de la fissure entre l’animal et le spirituel, le naturel et le spirituel dans l’homme.
Cette corporéité hypertrophiée et anormale, entre autres chez Miloš Marković et chez Kurt Bod Nossack, qui doit souligner la suprématie du corps sur le spirituel et le divin, n’est qu’un signe, un symbole du vieux principe romantique –l’hypertrophie corporelle étant le symbole de la maladie du corps, et l’extrémisme, comme la forme sociale de l’hyperbole, le symbole de la maladie de la société. Ces anomalies indiquent l’existence du principe archétypal du mal, car toute déformation corporelle est considérée comme un signe par lequel les forces du mal marquent leurs victimes.
Ainsi même la corporéité et la sexualité ne sont-elles pas autonomes dans les fictions de Bulatović; elles ne surpassent jamais leur statut de symboles.
Bulatović garde le même principe assez prévisible et schématique même pour son double romanesque, Gruban Malić. Son comportement excessif, contre les normes du code révolutionnaire, profondément patriarcal, n’a d’autre fonction que de souligner que, dans le modèle socialiste/communiste, le comportement du révolutionnaire est normé jusqu’au dernier détail. Tout écart, tout incident, est puni. Dans cet espace socioculturel non héroïque, Malić devient la métaphore de l’imprévisible. Il est l’incarnation du héros romantique disloqué qui fonctionne dans le contexte traditionnel balkanique, guerrier, rigoureux, épique et viril. La redondance de ce paradigme culturel, esquissée dans les modus facendi schématisés, rend possible l’émergence de cet anti-héros grotesque, de ce double qui, bien que grotesque, finalement, n’est pas extraordinaire, car il naît du renversement simple des valeurs, et ne représente que ce qui était considéré comme l’envers de l’auteur. Or Bulatović le dit «supérieur», excentrique, exalté et scandaleux, car il ne le définit que par rapport à l’ordre établi, à la société des «normaux». Dans l’univers de Bulatović, Malić est un oxymore à quatre pattes, lui aussi dans un sens déformé, mais dont le destin diffère radicalement de celui des émigrés dont les pouces sont coupés (Les Hommes à quatre doigts). Cette mutilation à la fois physique et morale a, elle aussi, une valeur symbolique du rituel de la profanation: le pouce coupé n’est que l’enlèvement de la virilité, de l’humanité, de la force créatrice, démiurgique et sexuelle d’où naît l’extase vampirique de Franz Joseph.
Celle-ci (la sexualité), en tant que désir immédiat, transforme tout en objet de l’action et, du même coup, égalise tout. (Adorno, Minima moralia, 54, Les brigands, II, 2003, p. 121)
C’est l’histoire du «bouchon» de Malić qui engendre sa légende. Sa verge équine est une vraie arme, qui s’érige graduellement («de spire en spire») en rappelant une chenille tressée de veines. En érection, cette verge peut casser des noix. Elle a emporté la Deuxième Guerre mondiale, car Malić sème l’effroi à travers l’Europe et fait des petits garçons. On l’appelle le chevalier slave au visage pâle, guerrier et amant qui vit dans un rêve.
Les femmes européennes attendent pour voir, avant la mort, comment les ducs slaves cassent les noix. Il doit résister à la tentation, car la révolution mondiale dure encore, et il faut garder ses forces pour le combat. Elles l’aiment à cause de sa verge énorme, même s’il dit qu’elle appartient au progrès, à la liberté, à l’internationale communiste. Or les femmes le violent (Ana, Gigia) en l’appelant «clown», «Slavo» (Slave) (Lady Agatha Christie), tandis qu’il prononce tous les mots de haine qu’il connaît: «M’aimes-tu, mon clown, mon prince balkanique, mon chef, au moins un peu? «Je n’aime que la révolution mondiale! Je t’aimerais, peut-être quand le progrès aura vaincu, quand j’aurais pris un bain. Ça veut dire, bientôt22!» Dans la bouche de l’Anglaise, le verbe «baiser» qu’elle répète sans cesse va devenir le mot pour la Croix Rouge23. France-Claire, avant de le violer, lui dit: «Je m’appelle France et je me rends inconditionnellement24». Elle ne peut pas attendre jusqu’au samedi. Elle «galope» toujours à la frontière entre les deux pays fraternels, en plein jour, devant tout le monde. Elle est un trou qui cherche une corne; son sexe excité ressemble aux couilles d’un chat.
Dans les années cinquante du XXe siècle, ce «Rabelais serbe» ne rentrait pas dans la littérature dite «haute», mais en fait péchait le plus par sa critique de l’idéologie. Le monde de Bulatović est en premier lieu le monde d’une irrationalité grotesque; le vertige érotique va amener les héros à un point où, en parlant de soi, ils vont se moquer de soi, du Monde et même de celui qui écrit leur histoire. L’érotisme chez Bulatović ne se réduit pas aux ébats érotiques sans lendemain, à la débauche qui fait évanouir, mène au-delà de la raison et provoque la nausée. La critique traditionnelle des années quatre-vingt mettait en valeur le potentiel subversif de ses textes.
Ainsi l’érotisme de Bulatović serait-il aussi le champ d’une résistance démoniaque de la nature féminine qui, en exprimant ses désirs à travers les images nuancées par l’idéologie, exprime ce qui est inné et ce qui détermine la destinée d’un homme, comme dirait Goethe, le spasme qui veut dépasser une telle destinée, si ce n’est qu’en imaginant une vie différente. Son érotisme est censé n’être qu’une voie pour entrer d’une manière chirurgicale dans les âmes des individus qui ne peuvent marquer sa différence dans ce monde chaotique que par son spasme. Cependant, l’idée que l’érotisme serait une religion séculaire, un champ décidément «sérieux» où l’homme doit être dénudé, pour le faire parler du mal qui l’obsède, est une idée désuète, car elle finit par employer le discours de la justification traditionnelle, qui réduit l’érotisme au statut d’un simple moyen d’exprimer l’absurde de la destinée humaine, ses masques et ses mystères tout en soulignant que le sexuel y demeure l’il y a du rapport25.
Ces critiques essaient de déterminer la bonne ou la mauvaise nature de l’homme, avec le but de motiver la vanité de l’esprit anéanti par le corps et d’éclairer une perversité par une autre. Cette répartition entre ceux qui souffrent et ceux qui les font souffrir se sauve du schématisme par le rire omniprésent dans cette comédie humaine qui se moque de la morale archétypale «balkanique». Cet érotisme n`est pas seulement une force profondément refoulée par les préjugés et les phobies qui peut quand même exploser et éclairer tout, une lutte entre la raison et les instincts, entre le corps et l’esprit –les histoires grotesques sur les femmes qui violent le grand héros Malić ou sur la «chose» féminine mystérieuse qui menace d’engloutir tout empêchent une telle simplification. Évidemment, la vagina dentata est un vieux mythe qui ne peut pas se circonscrire devant les cuisses nues d’une femme à la Lilith, mais au milieu d’un chaos à la limite du masochisme et du mal, car ce vagin va faire voir les plus téméraires pour les lâches qu’ils sont. Cet abysse poilu, muqueux et humide devient l’image du cataclysme, un gouffre où s’enlisent et s’anéantissent les grandes morales, les systèmes et les héros. Marika est un stratège et un tacticien plus habile que tous les commandants ensemble. Devant elle, qui se moque de tout même sans en avoir conscience, les commandants et les vagabonds, les fascistes et les partisans, tombent à genoux, comme devant un confesseur qui a le pouvoir d’«aplatir» le monde. Marika l’«Ortodossa», plus ivre de l’idéologie que de la débauche, comprend les folies de la guerre –elle voudrait rencontrer «Duce», et que le pape la proclame sainte.
L’érotisme de Bulatović se rapproche de celui de Bataille, comme un phénomène qui confirme la vie même à la limite de la mort tout en montrant cette multitude des petits hommes ridicules et phalliques, faibles et fous, qui croient dans les grandes idées ridicules. L’anti-héros, Gruban Malić, le double de l’auteur, n’en est pas épargné –il est le héros à dos d’âne avec un globe entre ses mains doté d`une arme épouvantable, un symbole du pouvoir érotique qui s’écoule en deçà de ce monde.
Or Gruban Malić n’est pas le seul à être ridicule et grand, pathétique et grotesque, et finalement comique dans son sérieux –Luda Mara (Mara La Folle) est à la fois une pute et une vagabonde, une courtisane qui acquiert un nouveau pouvoir en survivant au viol et à la défiguration, qui lui assure sa faculté de tout endurer. Il serait aisé de tomber dans le constat d’un éloignement radical entre l’individu et la masse qui ne comprend rien de ses peines (Le Coq rouge s’envole vers le ciel). La lecture «pathologique», teintée par une certaine idéologie, y lirait le renversement de la thèse de Marx sur la liberté de l’individu comme une condition nécessaire de la liberté de la masse et l’image de la masse qui serait essentiellement un décor pour cacher la violence. Cependant, comme écrivain de l’effroi et du dégoût, Bulatović a choisi le grotesque, l’hyperbole, la caricature, le sarcasme et le cynisme comme des moyens pour renverser l’effet du rire qui libère. Pour renverser l’idée de la catharsis, il veut faire rire (de) l’effroi. Tout comme Marika, Gruban Malić se venge par le sexe: pour le passé et le présent, pour anéantir en quelque sorte la guerre, les fascistes, la politique et tous ceux qui l’entourent et ne le comprennent pas.
L’acte sexuel est bien ici une façon de bouleverser le monde, et s’il laisse le champ libre, ce n’est ni à la moralisation ni à la morale, mais au seul roi possible, au rire qui déploie toute l’illogique de la violence et de l’absurde de la guerre. L’écrivain se moque de tout, des hommes d’Église, des espions, des fous, des conquérants, et de soi –la folie de Malić, sa vie dans un rêve, rappelle plus la tentation de Saint-Antoine de Flaubert que les questions de Pedro Caldéron de la Barca.
Cet érotisme est un carnaval de la folie. Ce n’est pas la passion, mais l’excitation, le pouvoir, la force, la folie et la souffrance qui régissent cette corporéité. Gruban Malić n’est jamais un acteur dans une mise en scène; ses épisodes érotiques ne deviennent jamais un cérémonial proprement libertin à la Sade. Cette épopée ne peut se réduire ni à l’image d’un érotisme du corps, dit pornographique, et certainement pas à celle d’un érotisme «du cœur». Or elle ne s’épuise pas dans l’érotisme des «idées». Bulatović ne sacralise pas l’érotisme, bien que le sacrifice reste toujours présent. L’imagination de l’écrivain transforme le texte en son explication propre, et la question du double de l’auteur et du statut de l’auteur remet en question la relation entre la vie et l’art dans son principe même.
Malić, en tant que figure caricaturale du révolutionnaire, cruel comme tout révolutionnaire, et insensé comme tout être fasciné dans le sens barthésien, rappelle tous les dangers d’une poétique destructive qui démolit tout sauf le droit de l’auteur à détruire un monde. Cette tentation de décoder le monde, le dénuder et disséquer ses perversités par l’érotisme n’est rien à côté de l’érotisme qui dit et redit le besoin de rire et de se moquer de tout. Il n’y a pas de sacré.
La destruction du mythe du monde par le pathos sarcastique au moment où un nouveau mythe ne peut pas être établi semble à la fois fondamentale et néfaste. L’érotisme de Bulatović n’ajoute pas l’amour et la passion au corps, comme Miller; il aborde les problèmes en introduisant les événements à la limite du fantastique. Les exploits de Malić rapprochent son histoire à un certain «réalisme magique», proche du celui de Borges. Malić le rêveur idéaliste va montrer les lacunes et les points de suture de l’idéologie des forts, en confirmant le mot de Mircea Eliade – l’arrêt de l’écoulement de la semence provoque un arrêt des pensées.
Le charme qui distingue «Bule» d’un Houellebecq ou d’un Jauffret gît dans nuance «historique», désuète, du statut de cette littérature érotique, conditionnée par la perspective dite critique. Sa critique de l’idéologie révolutionnaire, socialiste, yougoslave, pose aujourd’hui des questions du statut du lecteur et du spectateur de cette invention de soi.
L’érotisme qui ne se réduirait qu’à un défi, qu’à un gant jeté à la figure du monde (rappelons-nous le geste et le cri de Rastignac) lui assurerait peut-être le statut d’un classique de la littérature érotique serbe, mais c’est la possibilité d’assigner à cet érotisme «indirect» et «distancié» (Jouve) par la parodie, le sarcasme et la caricature, le rôle de représenter une cosmogonie morbide pleine des personnages carnavalesques, à la fois tragiques et comiques, qui lui ont valu des comparaisons avec Boccaccio, Rabelais et Cervantes. Même la permissivité ne peut rien au rire qui déplace et transpose laissant derrière soi les morales et les idéologies, comme le confirme l’histoire de Malić, en devançant la vie même de Bulatović.
La thèse classique de Barthes, que l’érotisme n’est qu’un discours allusif sur les désirs, les préparatifs ou les circonstances peut se remettre en question à travers l’histoire de Malić. Bien que le double de l’auteur soit fou de la révolution, et teinté d’un esprit de sérieux (en annonçant les critiques traditionnels de l’œuvre de Bulatović), d’un esprit presque catholique, dirait Gide, à travers l’histoire de son Doppelgänger et anti-héros, Bulatović a introduit une arme omnipotente dans ses livres, son rictus, dont l’écho confirme encore aujourd’hui qu’il fait chanter le mal.
Chez beaucoup de gens, c’est déjà une audace insolente de dire je. (…) Premier et unique principe de l’éthique sexuelle: celui qui se fait accusateur a toujours tort. Le tout est le non-vrai26. (Theodor W. Adorno, Minima Moralia, 29, Fruits nains, 2003, p. 64)
Le dédoublement de Bulatović dans le personnage de Malić prend une tournure grotesque dans les années finales de la vie de l’auteur, mais le rayonnement de ce personnage devenu type pour une certaine génération des lecteurs dans les Balkans se voit dans une étrange coïncidence de l’interpénétration de la fiction et de la biographie: un fait divers.
En fait, selon Večernje novosti, Gruban Malić, le héros du Héros à dos d’âne, a été accusé par le Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY) pour des crimes contre l’humanité, qui ne cite cependant pas son nom intégralement, mais le nomme «Gruban, prénom inconnu27». Il accuse également, pour des crimes commis au même lieu une autre personne du nom de Gruban, cette fois une personne réelle et condamnée par le même tribunal en 2008, Momčilo Gruban, également connu sous le pseudonyme de «Čkalja». L’acte d’accusation spécifie la raison –le viol répété28. Il ne s’agissait, selon le même journal, que d’une blague du journaliste Nebojša Jević à un de ses collègues américains, qui avait compris et transmis l’information comme une vérité. Les charges contre «Gruban» ont été abandonnées le 8 mai 199829.
Ainsi l’œuvre érotique de Bulatovic, une mise en forme avant-gardiste de «faire catleya», comme dirait Proust (Un amour de Swann), une œuvre effrayante qui redéfinit à sa façon le «tout dire» («Je fis tout», dirait Juliette30), est transfigurée par l’humour, une vraie ivresse de l’imaginaire, tout comme celle de Sade, et elle déploie un désir «qui se sait insatiable». L’érotique est ici à la fois un jeu et une rupture qui se propose de mettre le langage, selon le précepte de Deleuze (Présentation de Sacher-Masoch) en rapport avec sa propre limite, avec une sorte de «non-langage». Il n’y a rien ici de la «langue gazée» à la Crébillon –chez Bulatović le discours érotique n’est ni un apprentissage de l’amour ni une rhétorique de la séduction ni une propédeutique de la jouissance. Bien que l’«imaginaire pornographique» (Sontag) de Bulatović, tout entier dans le performatif, ne visant qu’un seul but– faire lire le livre d’une main –, produise son lecteur essentiellement «voyeur», et n’échappe pas à son allure stéréotypée et prévisible, il s’en détache par son caractère fantastique. Quoiqu’essentiellement fasciste dans le sens barthésien du terme, impérieux, cet imaginaire laisse échapper quelques discordances spéculatives voulues. Tout en refusant l’univers rationalisé et rationalisant de la pornographie, Bulatović désexualise le sexe pour son propre compte, pour faire advenir un univers totalitaire qui absorbe et métamorphose tous les rapports –l’univers fantastique et idéologique, perdu et archétypal du socialisme balkanique. La dérobade dans l’imaginaire y devient le dernier recours non seulement contre l’idéalisme, comme chez Sade, mais contre le réel, et le rire sardonique qui en découle, qui le sépare nettement de Bataille, pour qui la réalité de l’érotisme est essentiellement tragique, le fait appartenir à l’érotisme distancié explicite (Jouve) qui inaugure à la fois deux lectures différentes –mimétique et sémiotique.
La poétique carnavalesque de Bulatović se conjugue sous forme de parodie, comme une sorte de «reprise», de réécriture, de transformation ludique, comique ou satirique d’un texte (discours politique et romanesque traditionnel), et sous forme de satire, dont la visée n’est pas littéraire, mais sociale et morale. Nabokov disait que la satire est «une leçon, la parodie un jeu», qui implique une volonté de réforme, une stigmatisation des vices en vue d’une correction via le ridicule en effectuant un travail de sape de son hypo-contexte31. Or, l’œuvre de Bulatović, comme l’espace de «dédoration» (Dominique Noguezù32) satirique et parodique, souffre d’un mal particulier: en instaurant une fausse distance, il ne fait que renforcer le discours qu’il semble mettre en question. Selon Barthes (S/Z), le rire cacherait ici, comme dans tout texte parodique, une «parole ‘classique’», une volonté de maîtrise et de censure. Non pas la plurivocité d’un discours véritablement ironique, comme celui de Sade, de Fourier ou de Flaubert, mais une univocité qui serait un signe de la «bonne conscience (et la mauvaise foi) de la parodie33». Or, l’érotisme de Bulatović, quoiqu’il n’ait rien du «non-sérieux» de la scène sadienne, est décidément parodique dans le sens qu’Agamben donne à ce terme34. Il se rapproche même de l’œuvre sadienne dans le sens que les deux révoquent –Sade, d’une manière implacable, le Canzoniere de Pétrarque, qui, selon Agamben, voulait sauver la poésie de la parodie en espérant éliminer l’intangible de l’objet d’amour, mais n’a abouti qu’à la création d’un spectre, d’une aura morte impossible à parodier (Exit parodia. Incipit literatura.), Bulatović la «bonne» sexualité idéologique– autant bourgeoise que socialiste. L’œuvre de Bulatović se retrouve ainsi rapprochée de la pornographie, qui est, selon Agamben, la forme eschatologique de la parodie. Elle est aussi paraontologie, l’impossibilité de faire joindre les mots et les choses et «témoigne de ce qui semble être la seule vérité possible du langage» (Agamben 2006: 55-57). D’où l’ironie foucaldienne du titre de son ouvrage capital, car ce négatif-là n’oppose pas du réel à de l’idéal, comme disait François Jullien dans Du mal/du négatif.
Le jeu érotique de dédoublement de Bulatović dans la figure maléfique de Malić ressemble à la fois à une dramaturgie et à une idéologie. Le dédoublement n’est là que pour mettre en évidence l’absurde de l’existence qui s’éloigne à la fois du libertinage «classique» du XVIIe et XVIIIe siècle, de l’érotisme à l’âge bourgeois35 et de l’érotisme fin de siècle, décadent, mélancolique, morbide, pathologique et gynéphobique (Hubier, 20009, p. 152) – le double, Malić, met en scène l’alter ego de l’écrivain, et représente le nouveau roué, ni élitiste, ni solipsiste, ni sophistiqué, mais détraqué et dépravé, qui ne refuse quand même pas sa propre illusion – la grande Révolution de demain. Malić, tout ivre de ses rêveries idéologiques irrésistibles et terribles, utilise l’éros comme un art de la guerre, un savoir-faire stratégique, une technique de subordination, un style de vie «révolutionnaire» qui sous-entend aussi un exercice, un code, une morale, une esthétique et un cérémonial. Ces obligations se teintent chez Malić d’une nuance supplémentaire: le pathétique propre à la pornographie, avec l’utopie pornographique contemporaine qui se réduit à «tout voir, tout de suite», rappelle non seulement la désillusion avec le monde actuel, mais le mot d’Adorno: «Ce n’est pas à l’ivresse que succède le dégoût, mais à l’amour approuvé par la société: selon Ibsen, cet amour est poisseux.» Et encore: «Ce qui contribue à ce dégoût ce n’est pas tant la fatigue des sens que le caractère institutionnel du plaisir ainsi autorisé, intégré dans un ordre qui l’a aménagé et qui le transforme en mélancolie mortelle au moment même où il est prescrit36». Malić dit, au nom de l’auteur, comme son double et son alter ego, la jouissance qui reste le lieu d’un abandon, d’un défaut, d`une absence.
Nonobstant, Bulatović ne crée pas de suspense ni d’excitation; toute tension s’y résume dans le lien problématique de la pornographie et de la parodie. Tout ceci n’est pas une explication de texte, dirait Barthes (S/Z) –la parodie de la pornographie demeure encore pornographique, et le dédoublement encore une mise en abyme parodique et satirique, profondément idéologique et iconoclaste de l’écrivain, qui coexiste avec le «scandale» de la sexualité. De cet affrontement de la pornographie et de la parodie ne naît que la joie de la déconstruction, de la dévastation, teintée par une lueur de l’espoir éternellement futur, la joie de succomber à la tentation d’un «tout dire» propre. Car, même le double qui serait le Glenn Gould de l’érotisme autre37, balkanique et porteur d’un nouvel avenir, ne peut ni «compter» ni «conter» le rapport de ou au sujet de l’acte sexuel; il ne fait que mettre en scène le problème fondamental de la littérature érotique38. Malić n’est que le chevalier en armure étincelante de l’auteur, la tête de proue de cette carnavalisation du monde. À la fois héros et pantin dans un monde qui fait rimer, comme le fameux kakemphaton (littéralement «mal dit») du Polyeucte de Corneille39, l’attendu et l’inattendu, le «normal» et l’«anormal», bref, le calembour malencontreux, proprement disloquant, Malić ne dépasse sa fonction du double que vers la fin de la vie de son auteur. Or, dès le début, il est plus qu’un simple double –si la parodie, selon Agamben, qui affiche le trop du réel de son objet, est l’opposé symétrique de la fiction et demeure en quelque sorte sur le seuil de la littérature, Malić est celui qui, par son caractère du double de l’auteur, encore plus que par ses «messages» toujours quelque peu prétentieux, assure que dans Le meilleur des monteurs de chevaux le lecteur trouve –comme Barthes, dans la Vie de Rancé, le chat jaune de l’abbé Séguin– la littérature.
1. Miodrag Bulatović, Jahač nad jahačima, Belgrade, Bigz, 1983, p. 97. Toutes les citations ont été faites par l’auteur de l’article.
2. Miodrag Bulatović, Le Héros à dos d’âne, Paris, Seuil, 1965, traduit par Claude Bailly.
3. Pierre-Jean Grosley, L’art de battre sa maîtresse, préface de Michel Delon, Paris, le cherche midi, 2014.
4. Jonathan Swift, que Breton salue comme l’un des premiers maîtres de l’humour noir, avec son Humble proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public, publiée en 1729 sous un prudent anonymat, en est encore un exemple, qui propose de vendre les nourrissons comme viande de boucherie.
5. Visibles, entre autres, dans la comparaison des visions des U.R.S.S. respectives d’un André Gide (Retour de l’U.R.S.S. et Retouches à mon ‘Retour de l’U.R.S.S.’) et d’un Miroslav Krleža (Excursion en Russie). cf. Maja Vukušić Zorica, Les pérégrinations de Gide et de Krleža: les Russies ou les lignes de fuite du référent (Retour de l’U.R.S.S., Retouches à mon ‘Retour de l’U.R.S.S.’ et L’Excursion en Russie), dans Cahiers ERTA n° 3, «Déformer le réel», Université de Gdansk, Institut de Philologie romane (Pologne), 2013, p. 143-159.
6. Dans les films de l’époque, le sexe s’associe le plus souvent avec les artistes du «courant noir», qui l’utilisent soit pour promouvoir la liberté, qui s’oppose à la rigidité totalitariste et moralisatrice (Makavejev, «Les mystères de l’organisme»), soit pour accentuer le triomphe de la destructivité impulsive sur l’essor post-révolutionnaire de la construction (Živojin Pavlović). Chez eux, tout comme chez Lazar Stojanović, Joca Jovanović ou Mišo Radivojević, à l’encontre de la ligne «générique» officielle du film YOU, le sexe devient l’arme principale contre l’idéologie ambiante. Or, cette idéologie transparaît dans sa critique même –les binarités obligent.
7. Par ce nivellement horizontal extrême, le révolutionnaire russe ne peut pas transformer les impulsions, il ne fait qu’essayer de les anéantir. Mais elles vont se manifester dans ses formes perverses –le sado-masochisme prononcé y est combiné avec leur volonté de mourir et de tuer pour cette société future juste, comme dans Les Démons de Dostoïevski, où le pittoresque sort du cadre de l’esthétique réaliste, et leur athéisme qui valorise le néant et le vide. Ce nivellement horizontal de l’ascèse et l’exploit qui vise le Futur au lieu de l’Éternel traditionnel transforment l’idéologie révolutionnaire en une idéologie de la mort, qui ne croit pas dans la vie après la mort, mais croit dans les tombes. Les cultes des «maisons des fleurs», des mausolées, des monuments à un héros inconnu, témoignent que l’Eros révolutionnaire non transformé mène à l’abysse de l’empire de Thanatos.
8. Les deux films de Pavlović, Zaseda et Hajka le laissent voir, où la révolution ne naît pas du désir pour atteindre la justice sociale, mais du désir de violer sa voisine.
9. Les hommes à quatre doigts n’ont pas de pouce, et comme orthodoxes, ils ne peuvent pas faire le signe de la croix.
10. Miodrag Bulatović, Rat je bio bolji, Belgrade, Prosveta/Zagreb, Globus, 1983, p. 62-63.
11. Ljubomir Mitsitch (Micić) est un poète serbe (Jastrebarsko, 1895–Pančevo, 1971), fondateur de la revue internationale d’avant-garde yougoslave Zénith (Zenit), militante et anticonformiste, qui a été publiée à Zagreb (février 1921-1923), et puis à Belgrade (1923-1926), jusqu’à son interdiction par la censure royale, provoquée par l’article «Zenitizam kroz prizmu marksizma» («Le Zénithisme à travers le prisme du Marxisme»). Micić fut obligé de fuir la Serbie, dans la nuit du 15 à 16 décembre 1926 et, avec l’aide de F. T. Marinetti, d’émigrer en passant par l’Italie jusqu’en France où il restera dix ans, jusqu’en 1936. L’un de ses collaborateurs importants (et même rédacteur de Zenit pour l’Europe occidentale, du n°8 d’octobre 1921 au n°13 d’avril 1922) a été Yvan Goll (1891-1950). Les soirées «zénithistes» ont donné lieu aux conférences, à la création des pièces de théâtre, et à la Première Exposition internationale d’Art Nouveau (et la dernière), en avril 1924 à Belgrade, avec les œuvres de Kandinsky, Zadkine, Delaunay, Moholy-Nagy, etc. Mitsitch a conduit une polémique véhémente contre les surréalistes français et serbes; il les a accusés, en oubliant Apollinaire, que le terme même de «surréalisme» a été utilisé par Goll dans Zenit avant le Manifeste de Breton. Goll a, en fait, écrit l’essai «Surréalisme et alogique du nouveau drame» publié dans la traduction serbo-croate (Zenit n°14, Zagreb, mai 1922) et un seul cahier de la revue Surréalisme, publiée en septembre 1924 –un mois avant le Manifeste de Breton. Or, les définitions du «surréalisme» des deux diffèrent: celle du Zenit n°14 (1922), «le surréalisme est la négation du réalisme», est le contraire même de celle de Breton, comme une élévation du réel intensifié jusqu’au surréel. Selon Aleksić, Goll semble être à l’origine du conflit avec La Révolution surréaliste. Il était coauteur, avec Micić et Boško Tokin (Čakovo, 1894–Belgrade, 1953) du «Manifeste du zénithisme» publié en serbo-croate à Zagreb et en allemand, à Berlin, dès 1921 (car le zénithisme faisant une propagande ciblée sur le territoire de l’expressionnisme, et Micić visita Herwarth Walden, éditeur de la revue Der Sturm en 1922).
12. Ljubomir Mitsitch (Micić), Barbarogénie, le décivilisateur, Paris, Arènes de Lutèce, 1938.
13. Miodrag Bulatovic, Rat je bio bolji, op. cit., p. 158-159.
14. Miodrag Bulatovic, Ljudi sa četiri prsta, Belgrade, Prosveta/Zagreb, Globus, 1983, p. 47.
15. Ibid., p. 7-8.
16. Ibid., p. 135.
17. Ibid., p. 136-137.
18. Ibid., p. 49.
19. Le prince Lazar Hrebeljanović (en serbe cyrillique: Лазар Хребељановић; 1329-15 Juin 1389) était un souverain médiéval serbe dont le programme politique était de réunir l’état serbe sous son règne (1373-1389) et de créer le plus grand et le plus puissant royaume sur le territoire de l’empire serbe désintégré. Il se disait successeur direct de la dynastie Nemanjić, qui a pris fin en 1371, après deux siècles de domination. Lazar était soutenu par l’Église serbe, mais les nobles ne le reconnaissaient pas comme leur souverain. Dans la bataille de Kosovo du 15 Juin 1389, Lazar s’est combattu contre le Sultan Murad I et l’invasion massive de l’Empire ottoman. Les deux princes, Lazar et Murad I, ont y perdu leurs vies. Pour les Serbes, c’était une victoire à la Pyrrhus, car la veuve de Lazar, Milica, qui a régné comme régent au nom de son fils mineur Stefan Lazarević, le successeur de Lazar, a dû accepter la suzeraineté ottomane en été 1390. Lazar est vénéré dans l’Église orthodoxe serbe comme un martyr et un saint, et l’histoire et la culture serbe le célèbrent dans la poésie épique et le nomment le tsar Lazar.
20. Le porc comme le symbole de la gloutonnerie, de la volupté lascive («porcine»), de l’égoïsme, de la bêtise, de l’ignorance et de la perversion rime avec le symbolisme du chiffre 11, comme la clé de l’occultisme noir, les mystères de la sensualité, de l’excès, de la violence, du péché et de la maladie. Le tout y est complété par la couleur noire, couleur du chaos primaire et de la mort.
21. Miodrag Bulatović, Gullo Gullo, op.cit., p. 42.
22. Miodrag Bulatović, Jahač nad jahačima, op.cit., p. 127.
23. Ibid., p. 128.
24. Ibid., p. 149.
25. Jean-Luc Nancy, L’«il y a» du rapport sexuel, Paris, Galilée, 2001, p. 53.
26. L’inversion du mot fameux de Hegel: «Das Wahre is das Ganze» (Phänomenologie des Geistes).
27. Pavle Pavlović, «Hero on a Donkey goes to the Hague», dans Večernje novosti, 31 mars 1998 (texte intégral: http://www.srpska-mreza.com/WarCrime/gruban/index.html.)
28. «25.1. Between early June and 3 August 1992, a guard at the Omarska camp with the surname GRUBAN, who was a member of Mladen RADIC’s shift, repeatedly forced «F» from the room where she was sleeping, took her to another room on the first floor of the administration building in the Omarska camp and subjected her to forcible sexual intercourse.
29. (en) CC/PIU/314-E (http: //www.un.org/icty/pressreal/p314-e.htm)
30. Marquis de Sade, Histoire de Juliette, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, t. III, p. 371.
31. Dans La relation parodique (Paris, José Corti, Les Essais, 2007), Daniel Sansgue utilise le terme d’«hypo-contexte» en mobilisant les deux significations du préfixe «hypo -», comme un contexte social, crucial, qui se trouve toujours derrière («dessous») la parodisation et rend possible et présent sa propre lecture, et dans un deuxième sens comme un contexte proprement littéraire, qui parodie délibérément le contexte littéraire inférieur («en dessous») du modèle illustre qu’il parodie.
32. Daniel Sangsue, op.cit., p. 107.
33. Roland Barthes, Plaisir du texte, Œuvres complètes, t. II, 1994, p. 1498.
34. Giorgio Agamben, Profanations, Paris, Rivages poche, Petite Bibliothèque, 2006, p. 52-53.
35. Cf. Sébastien Hubier, L’érotisme à l’âge bourgeois, Neuilly-les-Dijon, Éditions du Murmure, 2009.
36. Theodor W. Adorno, 113, Le trouble-fête dans: Minima moralia, Réflexions sur la vie mutilée, Paris, Petite Bibliothèque Payot, Éditions Payot & Rivages, Paris, 2003, p. 233-237.
37. «De l’érotisme, en somme, on pourrait dire ce qu’on dit de la musique: tous les êtres humains sont capables d’apprendre à jouer du piano (rien, dans le programme génétique de l’espèce, ne s’y oppose); mais il ne s’ensuit pas pour autant que chacun puisse devenir Glenn Gould» (Guy Scarpetta, Variations sur l’érotisme, Paris, Descartes & cie, Paris, 2004, p. 16).
38. Jean-Luc Nancy, L’ “il y a” du rapport sexuel, Galilée, Paris, 2001, p. 17.
39. «Et le désir s’accroît quand l’effet se recule»: la possibilité d’entendre «les fesses reculent» dans «l’effet se recule» dans l’aveu du désir dit platonique dessine toute la saveur d’un message érotique crypté.
ADAM, Antoine. Les Libertins au XVIIe siècle, Paris, Éditions Buchet / Chastel, Paris, 1986.
ADORNO, Theodor W. Minima moralia, Réflexions sur la vie mutilée, Paris, Petite Bibliothèque Payot, Editions Payot & Rivages, Paris, 2003.
AGAMBEN, Giorgio. Nudités, Paris, Éditions Payot & Rivages, Rivages poche / Petite Bibliothèque, 2009/2012.
AGAMBEN, Giorgio. Profanations, Paris, Rivages poche, Petite Bibliothèque, 2006.
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