Plus que jamais, figures inquiétantes à la lisière du réel et du cauchemar, les clowns maléfiques sont parmi nous. La « Grande Peur Clownesque » inaugurée en août 2016 bat encore son plein et, à la lumière de celles qui l’ont précédé, l’on peut aisément supposer qu’il y en aura d’autres. « Reflet carnavalesque de la coulrophobie grandissante, l’archétype du clown maléfique – sadique gloussant plutôt que bouc émissaire pleurnichard- est en train d’atteindre rapidement le statut de mème dans la culture de masse et les médias », écrivait déjà en 1999 Mark Dery dans son livre devenu culte The Pyrotechnic Insanitarium: American Culture on the Brink. « À l’approche du millénaire, le psycho-clown qui prolonge ses numéros de slapstick sociopathe au dehors du cirque est en train de prendre les devants de la scène dans l’inconscient pop » (p. 69). Cette observation prend désormais des allures de prophétie autoréalisatrice, vue l’étendue non seulement des légendes urbaines relatives aux « phantom clowns » (Loren Coleman) mais la quantité prodigieuse de créations mettant en scène dans divers médias des clowns dysfonctionnels, malveillants ou franchement psychopathes (pour preuve, se cantonnant au seul domaine cinématographique, ces 50 films qui leur ont été consacrés depuis 2000 selon le recensement minucieux qu’en a fait Patrick Peccatte). Force est de constater que nous sommes là, autant dans les nouvelles alarmistes des journaux que sur les grands et petits écrans, face à une véritable épidémie de l’imaginaire.
Afin d’interroger celle-ci à l’abri du sensationnalisme médiatique propre à notre âge de paniques morales sans cesse grandissantes, il s’impose de convoquer divers angles d’interprétation (anthropologie, folklore, sociologie, mythocritique, psychologie, études cinématographiques et littéraires –le clown maléfique plongeant ses racines dans le Romantisme noir européen et nord-américain-, etc.) à l’image de son caractère protéiforme.
Donald Trump s’exclame dans une ambiance déjà tendue la nuit des élections du 8 novembre 2016: «The quiet voices became a loud chorus, as thousands of citizens now spoke out together from cities small and large.» (Falchuk et al., 2018: épisode 1).
De Pierrot assassin de sa femme (1881) à Pierrot mormon (1888), on l’a vu, la folie homicide de Pierrot (incarnation décadente de la vieille connivence occidentale entre le fou et la mort) semble contaminer le réel.
Le clown maléfique, inversion nocturne (pour reprendre des termes durandiens) du culte solaire du clown bon enfant et mutation perverse de la figure sentimentale du clown triste tel que décliné dans des milliers de figurines kitsch (de la mélancolie on passe, comme chez Gacy, à la pure manie homicide), plonge ses racines, comme tant d’autres figures de notre culture populaire, dans le Romantisme noir.
Entre le roman de Stephen King qui cristallise définitivement la figure du clown maléfique et son adaptation télévisuelle qui la dissémine sur les tubes catodiques, l’avatar protéiforme du Grand Ancien primordial avait été suivi par une véritable cohorte de clowns psychopathes, dont les extraterrestres Killer Klowns from Outer Space (1988) qui littéralisent comme lui l’altérité foncière de la persona clownesque.
Signes avant-coureurs de l’Halloween, carnavalisation de la mort et autres phobies sécrétées par nos sociétés obsidionales, les clowns maléfiques sont de retour.