Entre le roman de Stephen King qui cristallise définitivement la figure du clown maléfique et son adaptation télévisuelle qui la dissémine sur les tubes catodiques, l’avatar protéiforme du Grand Ancien primordial avait été suivi par une véritable cohorte de clowns psychopathes, dont les extraterrestres Killer Klowns from Outer Space (1988) qui littéralisent comme lui l’altérité foncière de la persona clownesque. Fait révélateur, l’inspiration de l’œuvre viendrait d’une vision qui relève de la légende urbaine, aux dires du (co)réalisateur Edward Chiodo: “I was thinking about what was the most frightening image I could imagine. To me, it was driving down a lonely mountain road all by yourself, and having a car come by, passing you. When you look over, you see a clown with a maniacal smile and he laughs. To me, that was the most horrible image I could think of, what seemed to be an archetypal, primal fear”. À quoi son frère Charles ajoute: “Well, what if the clown wasn’t in a car, it was floating in air? Well, they had to be from outer space – so, killer clowns from outer space.” We just kind of riffed on that idea from there.” [1]
Le fait que le clown soit considéré, comme dans It, une créature non seulement inhumaine mais extraterrestre (les frères Chido se réfèrent au Bizarro world de l’univers de Superman pour désigner cette possibilité d’une planète entièrement constituée de références foraines –qui plus est, ils pourraient, comme Ça, être des sortes d’Anciens Astronautes dont dériveraient les clowns tels que les humains les connaissent), est en soi révélateur, comme le signale Dery :“The clown disturbs because he -it- is uncanny in the Freudian sense of the word, vacillating disconcertingly between human and nonhuman, animate and inanimate. The clown’s fixed expression and pixilated antics confuse the human with the wind-up doll, the marionette, the robot. (..) An alien nation moving among us, as in Killer Klowns from Outer Space. Snyder is haunted by the suspicion that clowns are “a completely unique species, not mere humans in disguise as they try to make us believe“. (Dery, 1999, p. 76).
Parallèlement, le clown psychopathe s’intronise comme égérie du slasher (le motif du tueur masqué lui seyant à merveille), devenu, comme les légendes urbaines, un phénomène viral. Nous le retrouvons essaimé dans des films tells que Funland (Michael A. Simpson, 1987), Ghosthouse (Umberto Lenzi, 1988), Clownhouse (Victor Salva, 1989) ou Out of the Dark (Michael Schroeder, 1989). Le succès de la figure est tel que rétrospectivement un film du sous-genre du « dark carnival » (selon la terminologie de David J. Skal) comme The Funhouse (1981), dont le monstre reste une créature frankensteinienne, arbore dans sa nouvelle affiche un clown menaçant tenant une hache et sortant d’une boîte (évoquant ainsi la célèbre scène de Poltergeist, caractéristique de la variante de la poupée clownesque –et tueuse). Le clown est devenu synonyme de psychopathe, embrayeur et marqueur générique de l’horreur.
Il n’est pas anodin de signaler que cette grande vague (1981-1989) correspond très exactement aux années Reagan, dont le lien avec le slasher a été maintes fois établi par la critique (au point de devenir un emblème de la réaction conservatrice contre les « excès » de la génération « sex, drugs and rock’n roll »). La persona politique de l’ancien acteur fut souvent associée à la figure du clown, comme le rappelle J. D. Ebert : « Such anecdotes add up to a mockery of the office of the president of the United States, as though a clown or a comedian had been elected to office rather than a competent statesman. As McLuhan pointed out, the clown is someone who tries to solve specialist tasks using generalist methods, and Reagan was the class clown of all the American presidents who tried to be president by sitting back and letting everyone else do the job for him while he drew cartoons on pads of stationery” (Dead Celebrities, Living Icons, p. 134). Très vite, les caricatures politiques s’emparèrent du motif (souvent par le biais de Ronald McDonald, devenu l’emblème des multinationales dont Reagan s’était fait le représentant), et l’artiste activiste Michael Kalish en fit un célèbre portrait, President Ronald Reagan Clown With Jelly Bean Background (1982). Cela ne peut qu’ajouter à l’ambivalence de la figure du clown dans le slasher, à la fois emblème du retour du refoulé puritain et hyperbole de son caractère déplacé, pathogène et grotesque.
Le succès du clown psychopathe devait toutefois survivre au président, soulignant peut-être une continuité idéologique que l’on constate par ailleurs dans les études filmiques, la notion de cinéma reaganien s’étendant de facto sur la longue durée (certains critiques, tels que Sébastien Hubier, postulant même que nous y sommes encore [2]). Ainsi, ironiquement, c’est à la fin du mandat de Clinton (en pleine crise du « Sexgate ») que le rythme des apparitions de la figure s’accélère jusqu’à donner naissance progressivement à un véritable sous-genre [3]. Ce n’est toutefois là qu’un aspect, le plus ostentatoire sans doute, d’une vague coulrophobe continue dont témoignent aussi les reprises périodiques de la légende urbaine, de plus en plus globalisée (à l’instar des exportations de l’industrie hollywoodienne, entrée dans l’ère des blockbusters): “a mini-scare of killer-clown stories surfaced briefly in Phoenix, Arizona, in 1985, and the rumors returned in full force again in 1991 with reports ranging from New Jersey to Chicago (…) .Whether they were observations of “real” phantom clowns or mass hysteria, reports surfaced once again in 1995 in the Central American country of Honduras, where “killer clowns” were said to be cruising the streets of large cities such as Tegucigalpa and San Pedro Sula in cars or ambulances, abducting children” (Brunvand 2012, 484).
Ce triomphe , qui avait jusque là échappé à la critique culturelle, amène Mark Dery à en faire une figure iconique de la culture panique du tournant du millénaire dans sa « déconstruction du psycho killer clown » au cœur de l’ouvrage devenu culte The Pyrotechnic Insanitarium: American Culture on the Brink (1999). “Increasingly clowns are seen as weirdoes”, écrit-il. “Though some people have always found clowns disturbing -because of the seedy surroundings of the big top or the reliance on physical humor. Now many feel that behind the face of a clown there may be a rapist waiting to pounce” laments the circus historian Bruce Feiler, placing the blame on the “climate of mistrust” whipped up by our hysterical fear of child molestation (…) casting a jaundiced eye on all who work with children. But there’s a millennial motivation for anticlown sentiment as well: the search for a societal scapegoat, a pattern familiar from the plagues of the Middle Ages (…) On the brink of the millennium, the symbolic sacrifice of a pie-facing, pratfalling agent of chaos is a means of appeasing the turbulent forces that seem to be pulling our world off its axis” (p. 66).
Bien qu’il ignore les légendes urbaines (qui n’avaient pas encore atteint le stade de mème viral médiatique), Dery observe les diverses formes prises par ce « déferlement de clownophobie », dont le site web Clowns are Evil où s’accumulent les confessions de coulrophobes se remémorant de leurs premiers traumatismes, souvent induits, symptomatiquement, par des représentations médiatiques. Il y voit émerger un curieux consensus qui présente les clowns comme des « sick, drug-addled, disgusting, filthy, murderous creatures from hell » (p. 68). Les sondages ont depuis montré que ce « déluge de crainte et de haine du clown » est en passe d’éclipser tous les sentiments positifs que l’on pouvait éprouver jadis à son égard, au point que, en octobre 2016, les états-uniens disent craindre davantage les clowns que le rechauffement climatique et le terrorisme [4]… Dans une parfaite boucle de rétroaction phobique, l’archétype du clown maléfique et sadique est d’autant plus présent que la coulrophobie gagne du terrain: “In a carnival mirror reflection of [this] growing sentiment, the archetype of the evil clown -a chortling sadist rather than a whimpering scapegoat- is rapidly attaining the status of a meme in mass culture and fringe media. As the millennium approaches, the psycho-clown who takes his sociopathic slapstick outside the ring is moving statge center in the pop unconscious” (Dery, 1999, p. 69)
La simple prolifération d’exemples invoqués par Dery parle d’elle-même, allant des galléries d’art alternatives aux bands tels qu’Insane Clown Posse (dont les fans les plus extrêmes, nommés les Juggalos, ont fait l’objet d’une surveillance active de la part du FBI), des cartoons (qui peut désormais ignorer, dans notre planète globalisée et « simpsonisée » en synchronie, Krusty le clown?) au véritable sous-genre de l’horreur clownesque qui s’est consolidé au tournant du millénaire. Cette icône omniprésente se nourrit, comme le Ça du roman homonyme, de traumas enfantins, d’horreurs judiciaires médiatisées dans les journaux sensationnalistes et de références culturelles qui vont du slasher et du hard rock (Alice Cooper chantant, en hommage à Poltergeist, « Can’t Sleep The Clowns Will Eat Me ») à la symbolique primordiale du trickster et l’ambivalence constitutive du bouffon et du phénomène de foire [5] : « Clownaphobia, crystallized in the ubiquitous image of the evil clown, is a meshwork of childhood traumas, the secrets buried in Gacy’s crawl space, and the cultural memories that swirl around the image of the clown: the fool’s traditional association with death and the uncanny, his preChristian role as a scapegoat, his sneering mockery of human follies, and his longstanding status as abnormal or nonhuman Other » (Dery, 1999, pp. 78-9)
Le clown maléfique devient alors la parfaite « mascotte de notre culture du chaos, avec ses actes aléatoires de violence gratuite, ses frénésies nourrissant les [et nourries de] tabloïdes, ses terroristes suicidaires et ses cultes millénaristes » (Dery, 1999, p.70). Plus insidieusement, le psycho-clown semble incarner la « seule réponse saine dans la baraque foraine des médias postmodernes : l’insanité. Déchiré entre l’anxiété et la saturation informationnelles, le clown psychopathe incarne ce mélange d’horreur et d’hilarité qui caractérise l’info-vertige (sic) de notre temps » (id, p. 84). Il nous montrerait, alors, la voie pour survivre à la dispersion et au décentrement schizoïde qui constitue la logique profonde de notre culture (voire à en jouir). Arkham Asylum (Morrison/ McKean, 1989) en serait, dans le sillage des théories de Deleuze et Guattari ou Fredric Jameson, la parfaite illustration afterpop. “The Joker’s a special case”, explique un des docteurs de l’asyle pour les “fous criminels”. « Some of us feel he may be beyond treatment. In fact, we’re not even sure if he can be properly defined as insane. His latest claim is that he’s possessed by the voodoo loa, Baron Ghede. We’re beginning to think of a neurological disorder similar to Tourette’s sydrome. It’s quite possible we may actually be looking at some kind of super-sanity here. A brilliant new modification of human perception more suited to urban life at the end of the Twentieth Century. Unlike you and I, the Joker seems to have no control over the sensory information he’s receiving from the outside world. He can only cope with that chaotic barrage of input by going with the flow. That’s why some days he’s a mischievous clown, others a psychotic killer. He has no real personality. He creates himself each day. He sees himself as the Lord of Misrule, and the world as a theatre of the absurd” (p.30). La fin suprêmement ambigüe du roman graphique semble par ailleurs donner raison au « Clown Prince of Crime » [6].
Et peut-être est-ce là le sens à trouver dans toutes ces manifestations paniques et virales qui, depuis le texte charnière de Marc Dery, se succèdent avec une régularité qui relève désormais du rituel. Au niveau des représentations, on assiste depuis le 11 septembre à un tel déferlement de clowns tueurs sur nos écrans que l’on peut sans exagération parler d’épidémie fictionnelle [7]. Après être devenu une icône du slasher le psycho-clown l’est devenu du “torture porn”, offrant un parfait composite entre la menace terroriste (présentée souvent comme une autre forme d’insanité), le serial killer et le retour du refoulé d’un patriarcat blanc –peut-on être plus « blanc » qu’un clown ?- en déréliction. De plus, il bénéficie aussi de la vague rétromane des remakes et des pastiches qui révisitent les anciennes figures horrifiques (figure en soi assez obsessionnelle –à la fois à l’intérieur des diégèses et dans les codes très formatés du sous-genre-, il se prête particulièrement bien à cette forme de compulsion qu’est le « retelling ») et de la vitalité de sa figure dans d’autres médias concurrents, voire dans les actualités.
Après être disparues pendant une décennie (1995-2008), fait d’autant plus étonnant que le clown tueur connaît alors un moment d’expansion transmédiatique, le retour des rumeurs autour des « phantom clowns » n’en est que plus éclatant, combinant des cas isolés, relevant de appropriation individuelle de la légende (le Northampton Clown de 2013, le Wasco clown de 2014, celui du cimetière de Chicago en 2015), avec des manifestations épidémiques de plus en plus massives et virales, telles celles qui assolèrent la France en 2014 et le « Great Clown Scare » de 2016, aussi appelé semi-ironiquement, dans le sillage des déclarations apocalyptiques du clown de Northampton [8], le « Clownageddon ».
Ce retour en force se fait sous une forme mutante qui combine la dynamique classique de la légende urbaine, démultipliée et transformée par les réseaux sociaux de l`ère numérique, avec des phénomènes d’ostension, eux-même infléchis par la pléthore de nouveaux médias. Définie par les folkloristes Linda Dégh et Andrew Vázsonyi en 1983 (soit deux ans après les premiers « phantom clowns », qui ne sont pas évoqués dans leur article bien qu’il soit centré sur les cycles de légendes constituées autour d’Halloween –leur préférant les rumeurs de bombons empoisonnés qui furent plus amplement médiatisés à l’époque), l’ostension désigne les modalités de mise en action de rumeurs et légendes populaires (leur « passage à l’acte »). L’on distingue, à leur suite, la proto-ostension (appropriation d’une légende présentée comme une expérience personnelle), la quasi-ostension (un évenement naturel est « més-interprété » selon les termes d’une légende) et la pseudo-ostension (une appropriation de la légende en la mettant en scène, notamment au moyen de canulars) [9].
Tous ces phénomènes cohabitent désormais dans un continuum où des supposés témoins continuent à rapporter des rencontres extraordinaires (qu’ils l’aient inventées ou hallucinées) tandis que d’aucuns s’amusent à mettre en scène la légende urbaine en guise de farce de mauvais goût, disséminée sur le web sous toutes formes de supports, voire par volonté réelle de nuisance, que ce soit par pur opportunisme –braquages et vandalisme- soit par un fantasme d’appropriation d’une puissance quasi-totémique. Sans oublier, dans ces temps de « rétromanie » galopante (Simon Reylnolds), la réappropriation dans des buts de pur merchandising (selon un soupçon qui persiste à y voir, à l’ère de franchises transmédiatiques de l’imaginaire, des campagnes promotionnelles), voire la perversion du rituel d’appropriation fanique propre à la nouvelle « culture de la convergence » définie par Jenkins (sorte de cosplay extrême qui va de pair, symptômatiquement, avec les remakes et les reboots de films mettant en scène ces rumeurs).
Les clowns maléfiques sont ainsi devenus des emblèmes inquiétants des festivités où leurs légendes se réactivent. « Halloween is based on legends, communicates legends, and creates legends”, écrivaient Dégh et Vázsonyi dans leur article pionnier. “[It] offers unique opportunity to show how partly traditional, partly updated, partly new legends are told and retold, produced and reproduced, presented and represented through mixed, interchanging, overlapping, and multifaceted forms of communication” (1983, p. 9). Or le psycho-clown incarne justement un des sens profonds de ce moment d’exception, qui occupe une place de choix dans la culture juvénile : « Halloween not only allows but also inspires, demands, and enforces deviation from everyday norms; it is the time disorder becomes the order through “symbolic inversion”. (…) In the trick- or-treat ritual, a host of monstrous, mostly supernatural beings, symbolically assault and plunder defenseless homes. They must be rendered harmless by a special ritual act. (…) In addition to securing anonymity and thus escaping the consequences of committing aggression, children’s masks and costumes mostly feature monstrous beings and attack the authority-holding generation of householders” (id, pp.10-11). Les enfants et les adolescents prennent d’assaut l’univers des adultes, en s’appropriant les figures qui incarnent leurs propres peurs, espérant s’en protéger en s’y identifiant. Or ces figures symbolisent bien souvent les aspects menaçants des adultes, notamment de la figure paternelle (d’où sans doutel’absence quasi-totale de clownesses maniaques)[10]. La « clownification » du pater familias, abondamment mise en scène dans les médias (que l’on songe à Homer Simpson ou Peter Griffin), se pare ici d’agressivité, dernier sursaut d’un patriarcat partout frappé de dérision. D’où l’appel de l’ostension comme tentative d’appropriation, par le Moi fragilisé, des assauts combinés du Surmoi (ou de ce qu’il en reste) et du Ça en les projetant vers l’extérieur.
Le clown tueur rend patent cet aspect antinomique de la festivité, se parant de ses anciens liens avec l’inversion carnavalesque et invoquant, contre l’âge de raison, tous les pouvoirs de la déraison. Plus que tout autre monstre, il semble s’insurger contre la progressive banalisation de la fête –ainsi que de sa propre figure- et c’est pour cela qu’il sort de son cadre préétabli (les premières rumeurs surgissant, cette année, en août) et choisit l’ensauvagement, ou plutôt la féralité. Enfin, il se pourrait bien qu’il puise aussi dans la vieille symbolique qui fait du Fou un complice de la Mort. « The deepest (if not the darkest) secret concealed in the clown’s painted-on smile is our own mortality -the mocking, mirthless grin of the death’s head”, écrit Dery. “Clown “mouths carved into artificial smiles” horrify because they embalm a spontaneous expression of happiness (..) Whiteface is just a death mask with a sense of humour. (…) The Fool/Death duality survives in contemporary culture, explicitly in the psycho-killer clown of pop mythology, implicitly in the uncanniness of all clowns” (p. 75). Or, comme l’écrivait le psychanalyste Richard Sterba, les rituels d’inversion halloweenesque reposent sur une sorte de memento mori entre burlesque et inquiétant : alors que les nord-américains ont érigé la mort en tabou absolu et tentent à tout prix de l’oublier, « the dead themselves have not forgotten. … It is our children who take upon themselves to be the executors of our conscience, and who punish us for our neglect”[11]. Quoi de mieux qu’un clown psychopathe, double inversé du terroriste dont l’ombre plane désormais sur toutes nos représentations, pour nous ramener à notre propre mortalité et frapper d’inanité ce qui nous tient lieu de vie ?
De la peur de la pure altérité qui se manifestait dans les premières rumeurs sur les « phantom clowns » on est donc passés, via la mutation technologique majeure du cyberfolklore, à une appropriation délibérée de la figure du clown maléfique. À l’ère des zombie walks et des manifestations sous l’enseigne des masques blancs d’Anonymous, la déambulation clownesque dans le désert banlieusard du réel constitue peut-être leur envers solipsiste et désespéré, le point ultime de la désagrégation de la communauté qui semble appeler, en s’appropriant la valeur chamanique de l’ancien trickster, fut-ce sous sa forme la plus nocturne et menaçante, sa refondation par sa « part maudite » même. D’où la dernière mutation en date de la légende, sous l’influence de la trilogie The Purge (2013-2016), qui en appelle à une violence sacrificielle massive selon un mécanisme on ne peut plus girardien et où le clown, ancien bouc émissaire, se transforme, de par sa collectivisation (et peut-être sous l’influence de la figure concurrante du zombie[12]), en ultime purificateur.
[2] Voir le dossier thématique popenstock à ce sujet « Le cinéma reaganien et ses métamorphoses »
[3] Citons notamment Carnival of Souls (Adam Grossman & Ian Kessner, 1998), The Clown at Midnight (Jean Pellerin, 1998), A Clown in Babylon (Nick Taylor, 1999) / Super Badass (Charles E. Cullen, 1999), Camp Blood (Brad Sykes, 2000), Killjoy (Craig Ross Jr., 2000) ou Vulgar (Bryan Johnson, 2000)
[4] “We live in scary times. In 2016, we’ve seen hundreds of mass shootings. We’ve watched the gap between rich and poor Americans widen. We’ve witnessed the fulminant rise of Donald Trump, whose nomination left Vox editor in chief Ezra Klein “truly afraid” for the first time in American politics. But in the eyes of our citizens, there is a graver threat at hand: clowns” (Zachary Crockett, “Americans are more afraid of clowns than climate change, terrorism, and … death”, Vox.com)
[5] “The clown/freak analogy harks back to the clown’s historical origins in the court jester -the hunchbacks, dwarves, and cripples whose misshapen bodies and grotesque gaits, as much as their jokes, amused nobles from Egyptian pharaohs to Renaissance princes. (…) Thus the lingering perception of clowns as abnormal or nonhuman beings” (Dery, 1999, p.85)
[6] “Though Batman has beaten the Joker in the short run, the zeitgeist is going the Joker’s way. He’s the man of the hour, perfectly adapted to life in a hall of media mirrors where reality and its fun house double are increasingly indistinguishable » (Dery, p. 86). Par un même paradoxe, le Joker incarné par Heath Ledger finit par régner sur The Dark Knight (2008), éclipsant (et contaminant) le héros éponyme.
[7] Pour donner une idée de cet aspect épidémique, citons, selon la liste établie par Patrick Peccatte dans son carnet de recherche en ligne: Killjoy 2 – Deliverance from Evil (Tammi Sutton, 2002) / Gacy (Clive Saunders, 2003) / [Captain Spaulding] House of 1000 Corpses (2003) et The Devil’s Rejects (2005) de Rob Zombie / S.I.C.K. Serial Insane Clown Killer (Bob Willems, 2003) / Fear of Clowns (Kevin Kangas, 2004) / Hellbreeder (James Eaves & Johannes Roberts, 2004) / Puppet Master vs Demonic Toys (Ted Nicolaou, 2004) / Feast of Fools (Robert Kleinschmidt & Tracey Waaka, 2004, Sausagehead (Josh Williams, 2004) / Within the Woods (Brad Sykes, 2005) / Mr. Jingles (Tommy Brunswick, 2006) / Supernatural Season 2, Episode 2, Everybody Loves a Clown (Philip Sgriccia, 2006) / 100 Tears (Marcus Koch, 2007) / Clown (Robert Newman, 2007) / Drive-Thru (Brendan Cowles & Shane Kuhn, 2007), Horny the Clown / Fear of Clowns 2 (Kevin Kangas, 2007), Secrets of the Clown (Ryan Badalamenti, 2007) / The Fun Park (Rick Walker, 2007) / Torment (Steve Sessions, 2008) / Clownstrophobia (Geraldine Winters, 2009) / Le Queloune – The Clown (Patrick Boivin, 2009) / Jingles the Clown (Tommy Brunswick, 2009) / Dahmer vs. Gacy (Ford Austin, 2010) / Dear Mr Gacy (Svetozar Ristovski, 2010, Balada triste de trompeta (Álex de la Iglesia, 2010) / Killjoy 3 (John Lechago, 2010) / Dark Clown (aka Slitches, Conor McMahon, 2012) / Klown Kamp Massacre (Philip Gunn, David Valdez, 2010)/ Fetish Dolls Die Laughing (David Silvio, 2012) / Laughter (Adam Dunning, 2012), Scary or Die (Bob Badway, Michael Emanuel, Igor Meglic, 2012) / The Cabin in the Woods (Drew Goddard, 2012) / Sloppy the Psychotic (Mike O’Mahony, 2012) / 21st Century Serial Killer (Henry Weintraub (as Henry Weintrab), 2013) / All Hallows’ Eve (Damien Leone, 2013) / Coffin Baby (Dean C. Jones, 2013) / Gingerclown 3D (Balázs Hatvani, 2013) / Camp Blood First Slaughter (Mark Polonia, 2014), Lullaby (Clifford Duvernois, 2014) / American Horror Story: Freak Show (FX Série, 2014) / Cannibal Clown Killer (Patrick Andrew Higgins, 2014) / Circus of the Dead (Billy ‘Bloody Bill’ Pon, 2014) / Just Killing (Shalaan Powell, 2015)/ / 31 (Rob Zombie, 2016). À quoi il faudra bientôt ajouter les remakes de It et de Killer Klowns from Outer Space…
[8] “An evil zombie clown apocalypse is on the horizon…. You see, as kids get angrier, the clowns they produce will eventually become more wicked. Yes, eventually all clowns will be evil zombie clowns. The disintegration of society will bring clown terror to the entire world.” (cit in Joe Durwin, “A Half Century of Clown Panics”, https://darkclowns.org/
[9] “Does the Word ‘Dog‘ Bite? Ostensive Action: A Means of Legend Telling.” (Journal of Folklore Research 20 [1983]:5- 34
[10] Victor W. Turner, The Ritual Process: Structure and Anti-Structure, Chicago: Aldine, 1969, p. 174.
[11] Richard Sterba, “On Hallowe’en,” American Imago, 5, 1948, p. 217
[12] Signe de la collusion entre les deux figures, des films tels que Dead Clowns (2004), La Queloune (2008) Zombieland (2009) ou Stitches (2012) présentent le sous-trope du « zombie clown » inauguré par Romero (en guise de rigolade?) dans Day of the Dead (1985). Tout aussi populaire, le zombie ne peut toutefois se répandre dans une véritable ostension (d’où l’aspect forcément carnavalesque de ses manifestations festives).
J. H. Brunvand, Encyclopedia of Urban Legends. Updated and expanded edition. New York: ABC-CLIO, 2012
Mark Dery, The Pyrotechnic Insanitarium: American Culture on the Brink, New York, Grove Press, 1999
J. D. Ebert, Dead Celebrities, Living Icons.Tragedy and Fame in the Age of the Multimedia Superstar, Santa Barbara, CA, Praeger, 2010
B. Radford, Bad Clowns, University of New Mexico Pres, 2016
Leiva, Antonio (2016). « Les clowns maléfiques (2) ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/les-clowns-malefiques-2-de-la-legende-urbaine-au-meme-viral], consulté le 2024-12-11.