La suprématie du 2.0 fait en sorte que nous sommes tous les jours confrontés à une multitude d’images et de mots qui nous percutent sans que nous nous en rendions vraiment compte. Une vaste majorité de ceux-ci servent à nous vendre un produit, une idée, un service. En effet, la publicité, qui autrefois n’était que du domaine public (journaux, revues, affiches commerciales), est —depuis la mainmise du privé dans l’avènement de la télévision—, plus que jamais ancrée dans la sphère du domus. Parallèlement, la naissance du spot publicitaire a toujours été synonyme d’un reflet de la société par le jeu des stéréotypes qu’il proposait. Le corps de la femme apparaissait dans les années 1950-1960 tant comme un élément de mise en valeur d’un produit que comme un objet de satire sociale dans un discours mettant en valeur les discriminations sexuelles, alors moins dérangeantes à l’époque. Entendons-nous, la situation n’a pas beaucoup changé: l’utilisation du corps érotique d’alors est plus que jamais présente au vingt-et-unième siècle, bien que ses représentations aient grandement varié. Si l’érotisme est omniprésent dans la publicité contemporaine, il est cependant nuancé sous trois perspectives suggérées par Violette Morin dans son article «Érotisme et publicité» dans la neuvième édition de la revue Communications parue en 1967. Nous chercherons à appliquer sa notion de «marché des fluides» érotiques sur quelques exemples de publicités récentes, tout en analysant en quel lieu la démocratisation de l’érotisme pourrait être un facteur d’aliénation ou d’émancipation selon la thèse de Jean Zurfluh (1968) à l’ère où les nouveaux médias saturent l’imaginaire collectif tout en se permettant les plus grandes divagations.
Violette Naville-Morin, professeure de philosophie, écrivaine, chercheuse et membre fondatrice de la prestigieuse revue Communications, a tenté d’expliquer comment l’érotisme pouvait s’exprimer dans la publicité. Pour expliquer sa thèse, elle établit de prime abord que la suprématie de l’image a modifié notre façon de percevoir notre consommation. L’image publicitaire ne renvoie plus seulement à la fonction de l’objet que l’on souhaite vendre: elle vend une aspiration, un plaisir, un épanouissement. Selon Violette Morin, l’objet diffuse avant tout son fluide érotique dans le but de «[libérer] l’acheteur de l’angoisse prosaïque d’acheter, et lui donne le plaisir lyrique de collectionner.1» Autrement dit, le consommateur n’achète effectivement plus en fonction des besoins essentiels de se nourrir, de se loger et de se vêtir. Il achète par pur désir de consommer davantage et, en quelques mécanismes d’autodéculpabilisation, celui-ci convertit la pulsion d’achat en mérite de possession, de sorte que l’objet n’est plus un objet, mais un transobjet d’accomplissement ou de parachèvement de soi. La chercheuse va plus loin en parlant de cette nouvelle société friande du badge qui module notre pensée depuis quelques années; nous avons développé l’habitude d’étiqueter les objets, les manières, et les personnes de notre entourage selon notre humeur. Les «moi j’aime» et les «DOs & DON’Ts» sont des exemples communs des badges que nous apposons inconsciemment ou non dans les divers champs de la société. La démonstration la plus précise de cette tendance est l’apparition d’innombrables sites de type réseau sociaux qui nous permettent d’«aimer» et de «partager» les photos et les commentaires de parfaits inconnus. La création de cette nouvelle société du web 2.0 régi par ses lois internes strictes et ses codes propres influence bien sûr la vraie société de laquelle cette dernière émane. L’être humain se conditionne à déterminer dans une fraction de seconde ce qu’il «pense» d’un concept présenté. Le verbe «penser» est souligné, car nous comprenons qu’il ne peut pas être de l’ordre de la pensée que de réagir promptement à un mot ou à une image; lorsqu’il est question de réactivité, nous nous trouvons dans le domaine absolu de l’impulsion, bref, de l’émotion.
Quoi de plus direct et provocateur que l’image, qui ne demande aucune analyse sinon la vue elle-même? L’image, au contraire du texte, rejoint un groupe plus vaste d’individus et s’adapte à notre monde moderne qui «nous oblige à recourir aux évocations les plus simples et les plus rapides pour en connaître davantage2». Bernard Duroussy fait l’analogie suivante: comme la profusion de bruit affaiblit notre ouïe, l’habituation à une grande quantité d’images réduit notre sensibilité à celles-ci, et ce, les publicitaires l’ont bien compris. En réaction à cette nouvelle insensibilité visuelle, ceux-ci doivent redoubler d’ardeur afin de provoquer les sens, l’érotisme en étant l’outil par excellence. Duroussy souligne toutefois qu’à trop vouloir parfois, on finit par dépasser les limites de l’érotisme et tomber dans la pornographie. Ces écarts de parcours génèrent une divulgation massive de l’érotisme et, par le fait même, à sa démocratisation. Il souligne également que la perception de l’érotisme est une variable dépendante des mœurs à une époque donnée. Les critères sont irrémédiablement différents de décennie en décennie; ainsi, la Goulue, prise en exemple par le chercheur, était une danseuse cancan populaire dans les années 1900 reconnue pour sa pose provocante montrant une jambe libérée de ses nombreux jupons. De nos jours, ces photographies de la danseuse ne nous provoquent plus alors qu’elles pouvaient créer un tollé à son époque. L’érotisme était du domaine du privé et toute manifestation publique était de l’ordre de la prostitution. Est-ce un épanouissement graduel de la société qui a généré la libre expression de l’érotisme dans les médias, ou bien la publicité qui, par un processus d’habituation, a modifié les codes cettedite société de génération en génération?
Une fois l’érotisme démocratisé par son exploitation dans les médias, il est tout naturel de se demander en quels lieux celui-ci s’exprime dans les publicités télévisuelles contemporaines: quelle est la nature de cet érotisme, et en quoi contribue-t-il à la promotion du produit? Nous poursuivrons cette analyse en expliquant la notion du marché des fluides développée par Violette Morin quant à ce qui constitue l’aura érotique des corps mouvants dans la publicité. Tout d’abord, la professeure nous expose bien la différence entre les trois niveaux de perspectives élaborées dans son analyse, qui se modulent et se nuancent afin d’agir sur l’objet tel un argument double, car «le propre du fluide érotique», écrit Violette Morin, «est de se greffer sur l’axe fonctionnel de l’image sans le perturber.3» En effet, le travail du publicitaire est d’utiliser l’érotisme sans toutefois nous l’imposer: par son habileté à faire jouer entre elles les diverses composantes de l’érotisme, il fait en sorte que le spectateur-client se voit charmé par le contenu présenté sans qu’il soit toutefois choqué par sa forme. Les trois perspectives retenues par la chercheuse sont donc le fluide que l’on dit ambiant, sentimental, ou positif.
Afin d’illustrer la première catégorie, prenons en exemple une publicité de la bière Molson Canadian sortie sur nos ondes en février 2013.
La version longue de ce message publicitaire (90 secondes) nous présente des personnages situés dans des villes éparses dans le monde telles que Berlin, Dublin, Cape Town, Tokyo, ainsi qu’une route inconnue d’Australie. Tour à tour, nous assistons à une discussion entre deux personnages, l’un racontant à l’autre son expérience incroyable auprès d’une personne de passage dans leur ville respective. Vers le milieu de la vidéo, nous apprenons qu’il s’agit en fait de Canadiens et de Canadiennes en voyage. Pour les trente dernières secondes de la publicité, une phrase apparaît, nous demandant: «So, what happens when Canadians get together?» Une série de scènes déboulent sous nos yeux: nous y voyons un groupe de jeunes gens sauter en même temps dans une piscine dans un décor nocturne, un autre groupe courir follement dans la rue, ainsi qu’un spectacle extérieur où l’on voit la bière Molson Canadian rebondir au rythme du haut-parleur. S’en suit une scène nous présentant d’autres jeunes adultes qui glissent dans la boue, entrecoupée d’une superposition d’images de fêtes délirantes et d’anecdotes cocasses qui inspirent un certain libertinage, une mise en valeur de la frivolité et du «vivre sans penser au lendemain» propre à une jeunesse insouciante sans responsabilités. Il est évident que le message s’adresse ici aux 18-25 ans, soit à cette période de la vie où l’on cherche à s’amuser sans trop se questionner et où les responsabilités de la vie adulte sont soit non ressenties, soit non assumées. Les personnages y sont donc jeunes, beaux et habillés à la mode; ils sont heureux et représentent un idéal auxquels tous les jeunes de cette période voudraient ressembler, forment un groupe auquel n’importe qui souhaiterait sans aucun doute adhérer. Le fluide ambiant est présent dans cette démonstration d’un bonheur plus grand que nature que semblent partager les jeunes de l’annonce. Aucune trace explicite d’érotisme n’est présentée, mais il y en a tout de même un qui émane du plaisir que nous procure la vue de ces scènes: elles nous inspirent un désir de liberté ou un sentiment de nostalgie pour certains. La bière Molson Canadian est ici «un relais indispensable pour parvenir à une vie de rêve, le relais de l’attente indécise, de la préparation à des plaisirs dont on ne perçoit pas encore la nature. [4]» En somme, le fluide ambiant est lorsque le niveau d’érotisme est dans sa plus grande subtilité. La nature de l’objet n’est en aucun cas modifiée, mais il nous inspire la révélation d’un meilleur possible par le biais du produit vendu.
La deuxième perspective proposée est le fluide sentimental, qui correspond à la présence de deux protagonistes partageant un certain niveau de complicité qui promet une relation amoureuse éventuelle. La publicité des pâtes Barilla en est un bon exemple.
Une très belle femme blonde, à qui l’ont peut facilement attribuer la tranche d’âge des 35-45 ans, fait bouillir des spaghettis vis-à-vis de sa fenêtre. En levant la tête, celle-ci découvre son voisin, un bel Italien (qui, comble du hasard, prépare également des spaghettis) avec qui elle échange un sourire chaleureux, mais timide. Nous sentons que le courant passe entre les deux personnages. Au moment de servir ses pâtes, la femme réalise avec un air découragé qu’elles sont toutes collées les unes aux autres. Le plan suivant nous la présente ouvrant sa porte d’entrée et voyant, à sa grande surprise, un paquet de spaghettis Barilla au pied de sa porte. Suivent un plan rapproché de la boîte, une scène de spaghettis jetés allègrement dans un plat de service avec ses accompagnements et celle d’une femme servant cette assiette à ses invités. Puis, la femme se recule légèrement de la table, regardant par la fenêtre où le même Italien lit son journal. Ils échangent un regard complice rempli de désir et nous voyons finalement le logo de la marque Barilla apparaître avec la phrase «Le choix de l’Italie» inscrite au dessous, le tout énoncé par une voix féminine à la fois séduisante et distinguée sur un air d’Andrea Bocelli. Il est évident que cette publicité cherche à inspirer la femme célibataire dans l’espérance d’une rencontre inusitée avec un charmant voisin, ou du moins à faire fantasmer la mère de famille rêvant secrètement de rencontrer un homme mûr (italien peut-être) sachant manier la casserole. Le publicitaire joue ici sur une idée préconçue de l’Italie, lieu de romance et de bonne gastronomie, pour vendre son produit: «le fluide sentimental, plus auréolaire que jamais, se glisse en douceur sur la surface, comme descendu du ciel (…)4». Au contraire du fluide ambiant, l’aura érotique ne fait pas aspirer à un bonheur infini, mais se spécialise plutôt autour de la vie sentimentale et de l’idée du couple heureux en amour. Dans ce cas-ci, la vidéo se termine sur une ébauche de relation qui pourrait se concrétiser éventuellement dans le fluide positif, mais c’est par ce qu’il respecte cette limite que la publicité se classe uniquement dans le sentimental.
Le troisième fluide est celui que Morin appelle le fluide positif, propre à la vie érotique épanouie. L’érotisme émane de l’objet lui-même, qui respecte tout de même sa fonctionnalité première.
Par exemple, la publicité de sous-vêtement pour homme de H&M sortie en février 2013, mettant en vedette David Beckham, met un protagoniste masculin dans une situation plutôt cocasse: sa robe de chambre reste coincée dans la portière d’une voiture quittant le stationnement. Au même moment, la porte de son domicile se referme sur elle-même, laissant le personnage en sous-vêtements à la vue de tous. Il décide de partir aux trousses de cette voiture afin de récupérer le peignoir, et se faisant, il a à franchir quelques obstacles contribuant à l’effet érotique de l’objet: il franchit une haie de cèdres à laquelle sa camisole reste accrochée, il plonge dans une piscine pour en ressortir mouillé, et finit par vouloir abandonner lorsqu’un autobus rempli de touristes asiatiques s’arrête devant lui, ceux-ci l’assaillant de photographies. Tous les éléments sont rassemblés ici pour créer l’érotisme qui émane déjà du modèle, un joueur étoile de soccer et mannequin, et du produit vendu, des sous-vêtements moulants. Le plan final nous montre le derrière musclé de Beckham (et les sous-vêtements), lui les ajustant d’un geste du doigt et repartant à courir. Ce qui semble pourtant mis en valeur dans cette publicité est le confort et la résistance du produit, face à différents obstacles spectaculaires. L’érotisme n’est donc pas imposé; le modèle ne regarde pas langoureusement la caméra et n’effectue pas de mouvement de bassin volontaire pour provoquer l’excitation sexuelle. Le publicitaire choisit délibérément de ne se fier qu’au produit et au modèle —qui possède un corps d’athlète, certes, et «l’objet a une vertu érogène puissante, qui ne dépend ni de l’ambiance, ni du sentiment.5» Bref, la simple vue de l’objet crée cette aura érotique nécessaire à la séduction du client, autant chez les hommes et que chez les femmes.
Le caractère aliénant de ces publicités est de l’ordre de la profusion des images. Plus nous sommes confrontés à des images érotiques, plus nous en sommes immunisés. De dire si la publicité a créé la démocratisation de l’érotisme ou s’il a simplement évolué en fonction de la société équivaut à la problématique de la poule et de l’œuf. Cependant, nous pouvons constater qu’il existe encore aujourd’hui des tabous et de la censure dans les médias: tout n’est pas permis. D’un autre côté, l’aliénation peut également être perçue dans l’exposition de fantasmes souvent irréalisables, c’est-à-dire que les situations fictives tel que démontré plus tôt sont idéalisées. Nous, les Canadiens, ne faisons pas constamment la fête en se jetant tous en même temps dans une piscine ou en se glissant dans la boue jusqu’au petit matin, nous ne rencontrons pas de voisin(e) charmant(e) et célibataire dans le cadre de notre fenêtre en préparant des spaghettis, et nous n’exposons pas notre corps d’athlète en courant après nos vêtements dans les rues de la ville. Toutes ces situations fictives sont peu probables, mais inspirent aux téléspectateurs des rêves, elles créent de faux espoirs. Dans ce cas, la publicité est aliénante par définition: elle cherche à séduire et nous crée de nouveaux fantasmes afin de contrôler nos pulsions d’achat. Jean Zurfluh explique ce qu’il considère comme étant une désublimation institutionnelle: «Il y aurait désublimation dans la mesure où les pulsions retrouveraient leurs objectifs sexuels initiaux et institutionnalisation de ce mécanisme dans la mesure où la sexualité deviendrait une valeur marchande, un signe de prestige et par suite un instrument de cohésion sociale.6» Selon lui, l’érotisme s’est naturellement intégré aux médias en réponse au refoulement de toute pulsion libidinale dans le système éducatif. Et il n’y aurait de l’aliénation que dans le cas particulier où l’érotisation par le biais de la publicité engendrerait un fétichisme vis-à-vis de l’objet en question. Dans les exemples présentés ci-haut, il serait très peu probable qu’une société développe un fétichisme autour du spaghetti. Or, si nous revenons à la thèse de Violette Morin, il est possible de superposer les différents fluides afin de jouer avec le niveau d’érotisme d’un produit: une publicité peut être de nature ambiante et devenir sentimentale (si le montage de Molson Canadian nous avait montré une rencontre amoureuse par exemple), ou si un fluide sentimental devient positif. La professeure nous indique que c’est par la gradation de ces fluides que nous pouvons reconnaître différents niveaux d’érotisme dans une publicité. Ainsi, un spot publicitaire possédant deux ou trois perspectives possède un niveau élevé d’érotisme, et court le risque de faire dévier la fonction première de l’objet. Une fois la fonctionnalité du produit déviée par sa force érotique, celui-ci pourrait facilement devenir objet de fétichisme, donc aliénant peut-être, selon la thèse de Zurfluh. La publicité pour les sous-vêtements Agent Provocateur mettant en vedette Kylie Minogue est un parfait exemple de modification de la fonctionnalité d’un objet.
La chanteuse s’adresse spécifiquement aux hommes: «Agent provocateur est la lingerie la plus érotique au monde. Et avec votre aide, on peut le prouver.» Elle défait son chemisier blanc pour se retrouver en sous-vêtements noirs aguichants de la marque Agent provocateur. Le plan dévoile ensuite un manège en velours rose nous rappelant un taureau mécanique. La jeune femme le chevauche sensuellement et fait un signe de tête à une vieille dame complice de la démonstration. L’objet se met en marche et, sur un rythme rock et séduisant, nous voyons la jeune femme se déhancher langoureusement sur l’objet en mouvement, la caméra effectuant des zooms sur la bouche ouverte de la chanteuse, sur ses fesses et ses seins. Le visage de la femme suggère la jouissance sexuelle à son paroxysme, au point où nous, téléspectateurs, nous retrouvons irrémédiablement choqués et excités par cette scène. À la toute fin, elle se relève, s’avance vers l’auditoire et demande «Maintenant, pour la preuve… Est-ce que les hommes de cette salle pourraient se lever de son siège? (silence) Non?» La vieille dame se met à rire et dit: «J’étais sûre que personne n’oserait!» Puis, nous entendons à nouveau la voix de Kylie Minogue dire «La lingerie la plus érotique du monde… Comme vous l’avez prouvé…» Cette publicité fait une promesse aux hommes: achetez ces sous-vêtements à votre femme et elle vous chevauchera comme une déesse. L’aspect pornographique de la publicité fait oublier le réel érotisme des sous-vêtements. Il nous provoque, certes, mais plutôt par la profusion d’images sexuelles que nous présente le scénario. Nous ne remarquons pas la beauté de la broderie du tissu, mais les fesses et les seins de Kylie Minogue qui cherche volontairement à exciter les hommes qui la regardent simuler la relation sexuelle. Bref, cette publicité peut sembler aliénante parce que la fonction première du sous-vêtement est annihilée par la tension érotique que génère la mise en scène. À trop vouloir provoquer, cette publicité incite le client masculin à acheter le produit non pas pour sa finesse et sa qualité, mais par désir de recréer la scène qu’il a vue. Le produit promet une scène de sexe inoubliable et la réalisation d’un fantasme nouveau. En somme, il est dangereux de trop vouloir érotiser un produit; lorsque sa fonction première est modifiée au profit d’une érotisation idéalisée, l’objet est aliéné, et sa publicité, aliénante.
Les thèses de Violette Morin et de Jean Zurfluh sont convergentes, toutes deux inspirées des travaux de Marcuse qui prétendait que «les principes de plaisir et de réalité pouvaient perdre le caractère antinomique que Freud leur avait donné5». L’idéalisation que permet la publicité est reliée au principe de plaisir, tout comme l’exploitation de l’érotisme dans les médias contemporains. Comme questionnée au début de notre analyse, la publicité s’adapterait donc à notre société dans laquelle s’effectueraient des modifications selon l’évolution du principe de plaisir dans la réalité. Ces notions ne s’opposent plus, elles se superposent au point où nous pourrions même affirmer que la réalité se subordonne au plaisir dans notre «société du divertissement». Oui, la démocratisation de l’érotisme permet une émancipation des mœurs, prouve une libération sexuelle sur plusieurs générations, mais sommes-nous tous assez naïfs pour nous laisser entraîner dans cette spirale de la sexualité de l’extrême exploitée par les mauvais publicitaires de ce monde? Nous répondrons par l’affirmative, car, par ce fameux mécanisme d’habituation, nous absorbons involontairement ces images comme toutes les autres et deviendrons par défaut insensibles à cette nouvelle provocation.
Ainsi, peut-être, le fluide positif de Violette Morin deviendrait alors le premier niveau de l’érotisme visible dans la publicité, estompant tous les autres devenus inutiles à la promotion d’un produit. Dans un autre ordre d’idée, peut-être la pornographie deviendra-t-elle accessible aux moins de dix-huit ans suite à une libération hypothétiquement démesurée des mœurs libidinales de notre société. Une chose est sûre, nous ne pouvons contrôler l’évolution du média publicitaire par sa seule censure: cette dernière cherche à contrer un tabou, qui contribue lui-même à son érotisme par sa force de transgression. La qualité érotique d’un élément dépend donc de sa manière de jouer avec ses propres limites et, tant qu’il y aura des interdits, il y aura de l’érotisme. Reste donc à voir comment les interdits se modifieront dans les décennies futures et nous serons à même de comprendre le phénomène publicitaire de ces générations.
1. Violette Morin, «Érotisme et publicité: un mécanisme d’autocensure» dans La censure et le censurable, Communications, no9, 1967, p. 106 [en ligne], http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1967_num_9_1_1132 (Consultée le 10 avril 2013)
2. Bernard Duroussy, «La presse du sexe ou la démocratisation de l’érotisme» dans Les cahiers de la publicité, no.21, 1968, p. 41 [en ligne], http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1967_num_9_1_1132 (Consultée le 10 avril 2013)
3. Violette Morin, «Érotisme et publicité: un mécanisme d’autocensure» dans La censure et le censurable, Communications, no.9, 1967, p. 104 [en ligne] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1967_num_9_1_1132 (Consultée le 10 avril 2013)
4. Violette Morin, «Érotisme et publicité: un mécanisme d’autocensure» dans La censure et le censurable, Communications, no9, 1967, p. 106 [en ligne] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1967_num_9_1_1132 (Consultée le 10 avril 2013)
5. a. b. Violette Morin, «Érotisme et publicité: un mécanisme d’autocensure» dans La censure et le censurable, Communications, no9, 1967, pp. 104-113 [en ligne] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1967_num_9_1_1132 (Consultée le 10 avril 2013)
6. Jean Zurfluh, «Publicité érotique: aliénation ou libération?» dans Les cahiers de la publicité, no.21, p. 94 [en ligne] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_1268-7251_1968_num_21_1_5090 (Consultée le 10 avril 2013)
DUROUSSY, Bernard, «La presse du sexe ou la démocratisation de l’érotisme» dans Les cahiers de la publicité, no.21, 1968, pp. 41-46 [en ligne] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1967_num_9_1_1132 (Consultée le 10 avril 2013)
MORIN, Violette, «Érotisme et publicité: un mécanisme d’autocensure» dans La censure et le censurable, Communications, no.9, 1967, pp. 104-113 [en ligne] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1967_num_9_1_1132 (Consultée le 10 avril 2013)
ZURFLUH, Jean, «Publicité érotique: aliénation ou libération?» dans Les cahiers de la publicité, no.21, 1968, pp. 92-97 [en ligne] http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_1268-7251_1968_num_21_1_5090 (Consultée le 10 avril 2013)
Pilote, Émilie (2014). « Les fluides érotiques de la publicité ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/les-fluides-erotiques-de-la-publicite], consulté le 2024-12-26.