Donald Trump is withdrawing his lawsuit against television host and comedian Bill Maher seeking $5 million that Maher said he would give to charity, in a seemingly facetious offer, if Trump could prove he was not the son of an orangutan [1].
§ Portrait du jeune cinéaste en « fan boy » : la découverte de 2001.
John Landis est un réalisateur, producteur et scénariste américain né à Chicago en 1950. Habitué des comédies dans lesquelles on peut retrouver Chevy Chase, Dan Ackroyd, John Belushi ou Eddie Murphie, tous venus du comedy show « Saturday Night Live » sur NBC, Landis doit également sa notoriété à l’une des réussites majeures du cinéma fantastique : An American Werewolf in London (1981).
Sa découverte du film The 7th Voyage of Sinbad de Nathan Juran, 1958, au même titre que les effets spéciaux de Ray Harryhausen, lui donne, dès l’enfance, l’ambition de travailler dans le cinéma. Landis est un cinéphile averti ; en témoignent ses interventions à la Cinémathèque Française (février 2009 [2]), au British Film Institute de Londres (2010) ou au Toronto International Film Festival (2017).
L’œuvre cinématographique de Stanley Kubrick (1928 – 1999), toutefois, occupe une place à part parmi ses influences, et plus particulièrement 2001: A Space Odyssey, sorti sur les écrans en 1968.
Comme il le raconte lui-même au BFI où il présente le film de Kubrick lors d’une séance exceptionnelle, Landis a découvert 2001 en avant-première au Pacific Warner Cinerama Theatre, Hollywood Boulevard, alors qu’il travaille comme coursier pour la 20th Century Fox. Landis était le camarade de classe d’Eloise et Andy Blau (Jimmy Wood), enfants de Louis C. Blau (1915 – 2014), avocat de Stanley Kubrick pendant plus de quarante ans. Les Blau invitent Landis à assister à la projection du film pour une séance nocturne. Louis C. Blau compte voir le dernier film de son client ; la salle, quant à elle, est presque vide.
Comme l’explique Landis à Justin Johnson dans un court texte qu’il a lui-même rédigé pour l’occasion :
None of us knew anything about what we were going to see although I knew it was Kubrick’s newest movie and that it was science fiction. I was already a Kubrick fan. In the language of our time, we had our minds blown. Imagine seeing this knowing nothing. It was extraordinary. Although Pauline Kael said in her New Yorker review of 2001: A Space Odyssey it was a “monumentally unimaginative movie.” I thought it was and I still believe it to be astonishing [3].
Faut-il parler d’épiphanie, toujours est-il que le futur réalisateur est impressionné par le film, par sa structure, par le contrôle que Kubrick exerce sur son œuvre, par sa photographie comme par ses prouesses techniques. Landis ne cessera, par la suite, d’apprendre du cinéaste. En 1981, aux studios Twikenham, on [4] lui propose d’assister à une démonstration de la Steadycam par son inventeur Gareth Brown. La Steadycam, ou système de stabilisateur d’image, est indissociable des films de Kubrick de 1980 à 1999. G. Brown a personnellement travaillé sur The Shining en 1980. C’est à Twikenham que Kubrick et Landis se rencontrent. Cette première entrevue suggèrera à Landis l’idée d’utiliser la Steadycam pour An American Werewolf in London [5], l’un des films préférés de Kubrick [6].
La référence à la critique Pauline Kael est loin d’être anodine dans le texte de Landis. Le rapport du cinéaste à 2001 est intime, viscéral. Il s’est déjà approprié l’œuvre et reviendra, à plusieurs reprises, sur son rapport avec cette critique pour le moins mal avisée [7]. 2001 est marquant tant d’un point de vue artistique, esthétique, que du point de vue de la réception de l’œuvre par son public. Si Landis découvre un film d’exception, il découvre concomitamment que le travail d’un cinéaste visionnaire se heurte, inéluctablement, à une forme certaine d’incompréhension. Un script révolutionnaire peut ainsi passer pour « redondant », le perfectionnisme pour de l’« amateurisme », une célébration du « banal » [8]. Et Michel Ciment de confirmer que Kael est loin d’être la seule critique acerbe des États-Unis jusqu’à la France [9]. Dernier signe du malentendu : les singes créés par Stuart Freeborn pour 2001 ne seront pas nominés aux Oscars en dépit de la prouesse technique révolutionnaire, à la différence de ceux du Planet of the Apes de Franklin Shaffner tourné la même année. L’imitateur est de la sorte récompensé au détriment de l’original.
Cette avant-première finit de décider Landis à tenter sa chance comme réalisateur à Hollywood. En 1970 il a déjà une expérience d’assistant réalisateur et de cascadeur[10]. Gardant Kubrick en tête, le jeune homme va se lancer dans l’écriture de son premier scénario : « See You Next Wednesday » dont le titre est emprunté au message qu’adresse le père du personnage de Frank Poole (Gary Lockwood) alors en route pour Saturne dans 2001. Si le scénario n’aboutira jamais, la phrase est présente dans bon nombre de films de Landis et marque un fil conducteur entre son œuvre et celle de son modèle. On la retrouve comme titre de film à l’intérieur du film dans Schlock, The Kentucky Fried Movie (1977), The Blues Brothers (1980), An American Werewolf in London, Trading Places (1983) où il est qualifié de « l’un des 10 meilleurs Films du Monde »[11], dans Into the Night (1985), Coming to America (1988) ; dans le dialogue du film que va voir Michael Jackson dans la vidéo Thriller (1983) ; sur un poster de recrutement de l’armée dans Spies Like Us (1983) etc…
Landis se lance également dans sa première réalisation : Schlock, tourné en 1971 mais qui ne sortira sur les écrans que deux ans plus tard. Schlock est un objet inclassable. Véritable hommage à 2001 auquel il va multiplier les références, les deux films n’ont, en apparence, rien de commun. Schlock est tourné en quelques jours[12], à Agoura, Californie, pour 60,000 dollars, dont la moitié est avancée par Landis en personne. Les acteurs y sont tous amateurs, hormis Harriet Medin (1914 – 2005)qui a déjà tourné avec Mario Bava (La frusta e il corpo {Le corps et le fouet}, 1963 ; 6 donne per l’assassino {6 Femmes pour l’assassin}, 1964) ou Riccardo Freda (Lo spettro {Le spectre du Dr. Hichcock}, 1963) sous le nom d’Harriet White.
Landis choisit volontairement de tourner un film aux antipodes de 2001. Schlock est une comédie : l’histoire d’un singe préhistorique, interprété par Landis lui-même[13], un chaînon manquant ou « schlockthropus »[14] qui tombe amoureux d’une jeune aveugle nommée Mindy (Eliza Garrett) et finit par terroriser une petite ville de Californie. Tout ici est saugrenu : depuis le présentateur télé venu montrer les cadavres qui jonchent le sol tout en proposant de récompenser le spectateur qui aura retrouvé le nombre de morts contenus dans des sacs plastique pour un « body count contest », jusqu’à l’incompétence comique des policiers, aux savants loufoques, à l’aveugle Mindy qui passe le plus clair du film à se cogner, ou encore aux jeux de mots[15] et autres regards des acteurs en direction de la caméra.
Dès le début du film, Landis renvoie au film de Kubrick par le biais d’un pas de côté comique. Le casque grotesque que porte le Professor Shlibovitz ? Il a été mis au point par le Dr. Heywood Floyd Jerome (« This particular helmet was designed by Dr. Heywood Floyd Jerome of the Acme Research Group »), double renvoi au personnage d’Heywood R. Floyd (William Sylvester ) de 2001 et aux dessins animés de la Warner Bros.
Le script, écrit par Landis, est absurde, et semble reprendre, point par point, la critique que Pauline Kael adressait quelques années auparavant. Landis, à l’opposé de cinéastes tels qu’Andrei Tarkovsky, John Carpenter, ou, plus récemment, Paul Thomas Anderson, Christopher Nolan et Claire Denis, qui vont répondre à 2001 par leur propre lecture et esthétique science-fictionnelle[16], choisit, dans un mouvement inédit, de rendre hommage par une œuvre qui tend, le plus radicalement possible, à s’éloigner de son modèle : non pas un chef d’œuvre mais un « navet », du moins pour son auteur, une « connerie » ou « camelote » assumée jusque dans son titre manifeste[17]. Au cours de ses entretiens, Landis ne manque d’ailleurs jamais de confirmer ce qu’il pense du film : « it’s bad and appropriately named »[18], « this piece of… schlock »[19], « a terrible movie »[20] – ce que semble confirmer Jean-François Roger à demi-mot, lorsque le directeur de la programmation de la Cinémathèque Française choisit, le 1er février 2009, d’entamer la « leçon de cinéma » consacrée à John Landis par The Blues Brothers, son quatrième long-métrage.
Il faut attendre 2018 avec une sortie restaurée de Schlock en Blu-ray 4K incluant une version commentée par John Landis et Rick Baker ainsi qu’un livret écrit par le critique de cinéma américain Joe Bob Briggs pour remettre le film sur le devant de la scène et lui redonner un semblant de légitimité.
§ Le singe au cinéma : entre maltraitance et métaphore :
Le singe comme personnage à part entière est traité de différentes manières tout au long de l’histoire du cinéma. Il peut être l’élément qui suscite l’empathie, humain par bien des aspects, et étranger, de par sa nature, à la méchanceté et au cynisme de la civilisation moderne. Son traitement par les humains permet de faire le portrait en creux de notre société, tout comme Restif de La Bretonne l’avait fait avec son texte Lettre d’un singe aux êtres de son espèce en 1781. Ce rapport comparatif entre civilisation et bestialité, entre nature et culture, permettra également de faire du singe le symbole d’une force masculine et virile autant indépassable que dérangeante – ainsi la relation ambiguë entre King Kong et le personnage d’Ann Darrow (Fay Wray) dans le King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack (1933), l’érotisme provocateur du couple formé par le personnage de Margaret Jones (Charlotte Rampling) et le chimpanzé Max dans Max, Mon Amour de Nagisa Oshima, 1986. Le singe est en ce cas le symbole d’une force perturbatrice : la « belle » d’un côté, la « bête » de l’autre[21].
Le singe peut être l’élément désorganisateur, burlesque, qui vient contrarier le bon déroulement de la narration – « ape » en anglais signifie « singe », « singer », tandis que « go ape » signifie littéralement « péter les plombs ». On le retrouve dans des comédies comme Africa Screams, Charles Barton, 1949, ou Every Which Way but Loose, James Fargo, 1978. Le singe est, partant, « l’image manquée de l’homme. Par son indécente ressemblance, pratiquement inacceptable, par ses attitudes, ses gestes, son pouce opposable aux autres doigts, ses grimaces et son don d’imitation, l’animal est naturellement comique, du moins aux yeux de l’homme dont il semble la caricature »[22]. Landis va plus loin en jouant Schlock parfois comme un singe de pacotille (il mange des bananes, grogne, épouille une petite fille), d’autres fois comme un être humain à part entière (il sonne aux portes ou joue du piano, tombe amoureux de Mindy ou essaie des lunettes avant de se regarder dans un miroir ; surtout il va au cinéma voir The Blob d’Irvin S. Yeaworth Jr., 1958, un film produit par Jack H. Harris, également producteur de Schock, dans un renvoi nettement hyperfilmique).
Le singe peut, en outre, être filmé comme un élément horrifique ; il est le symbole d’une nature également incontrôlable et de la morgue d’une humanité qui se considère, elle-même, comme le parangon de l’évolution. La littérature fantastique regorge de ces exemples. Le singe de la rue Morgue qui sème le chaos a une influence considérable sur ces films où la bête, ébauche d’homme, sauvage et inapprivoisable, provoque la terreur, depuis Murders in the Rue Morgue, Robert Florey, 1932, jusqu’à Monkey Shines de George Romero, 1988, ou Godzilla x Kong: The New Empire d’Adam Wingard, 2024.
C’est cette tradition hollywoodienne, dont Trog, 1970, qui vont, en partie, inspirer Schlock à John Landis et lui suggérer une approche parodique. Le film réalisé par Freddie Francis a, en effet, cette double particularité : être l’œuvre médiocre d’un cinéaste et d’un chef opérateur dont le talent n’est plus à prouver[23], et d’employer, comme le confirmera Mick Garris, des masques de singes récupérés sur le tournage de 2001. Le tournage du dernier film de Kubrick est effectivement le lieu d’un espionnage industriel intense et les films de singes tournés au même moment, voire au même endroit, sont soupçonnés de s’inspirer de, sinon de piller purement et simplement 2001 tandis que les masques circulent d’un plateau à l’autre[24]. Le symbole est amer, mais caractéristique, sans doute : le maquillage simiesque élaboré à l’origine par S. Freeborn est saboté, transformé en accessoire de série-Z, et Hollywood n’aura gardé de l’œuvre de Kubrick qu’un élément devenu risible : un comédien torse-nu (Joe Cornelius) portant un masque déjà usé, confirmant le constat que porte Landis sur l’incompréhension suscitée par 2001.
Landis reprend plusieurs scènes de Trog, dont la découverte du chaînon manquant dans une caverne par des jeunes gens insouciants du danger qui les menace, les passants projetés en l’air par l’animal, l’attaque d’une voiture, la scène finale d’enlèvement ou encore l’intervention de l’armée. La reprise pousse le ridicule de chaque situation, ce qui n’était qu’involontaire dans le film de F. Francis.
Au cinéma, les singes sont soit animés par stop-motion (King Kong animé par Willis O’Brien), soit de véritables singes loués par le studio. Ils posent la question du dressage, et de ce qu’il est possible, ou non, de demander à un animal sur un plateau de cinéma. Surtout, la montée en puissance des sociétés protectrices des animaux qui ne cessent de souligner les cas de maltraitance poussent les studios à changer de politique.
Les animaux sujets au caprice et à l’imprévisibilité encouragent également un certain nombre d’acteurs à se spécialiser dans des rôles simiesques, comme Charles Gemora, qui endosse un costume de gorille dans Murders in the Rue Morgue, Africa Screams ou encore The Monster and the Girl, Stuart Heisler, 1941 parmi beaucoup d’autres exemples.
Le costume de singe, autrefois encombrant, le maquillage, jusqu’ici grossier, prend une nouvelle tournure avec 2001. La première partie du film, ou séquence intitulée « Dawn of Man », est jouée par des mimes, dont Dan Richter. Le maquillage simiesque élaboré par Freeborn doit leur permettre de jouer avec leurs muscles faciaux et d’exprimer des émotions.Le travail de Kubrick rompt avec la tradition hollywoodienne précédente : Richter et les comédiens présents sur le plateau visionnent les films tournés par la primatologue Jane Goodall et doivent imiter parfaitement l’attitude, le comportement des grands singes en société[25]. C’est dans cette optique que Landis demande au jeune Rick Baker, qui travaillera, par la suite, sur Star Wars (1977), An American Werewolf in London[26] et la vidéo Thriller, et dont la vocation vient, entre autres, du travail de Freeborn[27], de réaliser un masque qui lui permette de jouer le personnage de Schlock et non, simplement, de couvrir son visage ; le seul impératif est que les prothèses réalisées par Baker tiennent dans le four de sa mère.
Cette volonté de passer au-delà de l’apparence simiesque atteint aujourd’hui un nouveau degré avec l’emploi de la technique de motion capture qui permet à l’anglais Andy Serkis de se spécialiser dans des rôles de singes crédibles – le King Kong de Peter Jackson ; la franchise Planet of the Apes de 2011 à 2024.
§ L’hommage et le paradoxe : Le Singe peintre de Chardin :
Difficile de faire sens du mélange entre « les Marx Brothers, 2001: A Space Odyssey, Woody Allen, Trog et des douzaines d’autres films »[28] qu’opère ici John Landis, de cet hommage qui ne vaut, en tant qu’hommage, précisément parce qu’il ne peut se permettre d’en être un. Deux traditions picturales qui prolongent la représentation d’animaux humanisés sensés permettre de juger le comportement humain, représentation remontant à Ésope, permettent de mieux comprendre l’intention de l’auteur : celle de la « singerie » et celle du « singe artiste ». Ces deux mouvements sont liés à l’apparition de la « peinture de genre »[29] dans la peinture Flamande de la fin du XVIème siècle.
La « singerie » est apparue au XVIIème siècle par le biais d’artistes comme Brueghel ou David Teniers qui rompent avec l’image traditionnellement négative du singe qui devient progressivement animal de compagnie en Europe (aux XVIIème et XVIIIème siècles). « Le singe, qui est en effet l’animal le plus proche de l’homme morphologiquement, peut imiter physiquement les attitudes de l’homme ; les peintres dans un esprit de dérision le représentent sous les traits du singe se livrant à toutes les activités humaines dans un esprit satirique »[30] – ainsi le Concert de singes avec chats solistes attribué à Christophe Huet.
Le « singe artiste » apparaît, quant à lui, avec la toile Le Singe peintre de Chardin (1699 – 1779) : « L’animal, vêtu d’un tricorne à plumes et d’un habit brun galonné d’or, est assis devant une toile placée sur un chevalet. Il s’efforce, semble-t-il, de copier quelque chose, un plâtre, mais ne parviendra à reproduire en définitive que son image de singe, sa propre nature simiesque. […] La légende laisse entendre que tous les peintres s’entre-imitent. L’animal, par ailleurs, ne fait que singer la capacité de l’artiste à transcrire la nature, il incarne une sorte de degré zéro de l’imitation quand le véritable peintre, lui, parvient à l’unité entre l’expression et le réel ».[31] Le tableau de Chardin est une critique transparente de ses contemporains. Le singe a ce point commun avec le « mauvais » artiste qu’il imite, qu’il « singe », ses modèles dont la technique, le talent l’écrasent. Or ce singe a bien un rapport avec John Landis engoncé dans le costume que lui a fabriqué Rick Baker : il sait que toute tentative d’imitation du 2001 est non-seulement inutile mais vouée à l’échec, que le film de Kubrick est bel et bien un objet limite, qui redéfinit, depuis sa sortie en salles, la portée d’un cinéma à la fois expérimental et commercial comme celle de l’artiste démiurge. En se filmant lui-même en lointain écho des anthropoïdes de la séquence « Dawn of Man », Landis renvoie à l’animal endimanché, représenté « au moment où il entame un tableau en tournant le regard vers le spectateur, autrement dit vers Chardin lui-même en train de peindre. Le tableau montrerait donc l’artiste-singe sur le point de réaliser le portrait de Chardin et nous aurions par conséquent une sorte d’autoportrait dédoublé sous les espèces du singe dont l’humanité est la plus émouvante »[32], de la même manière que Schlock montre sa propre inconséquence, son incapacité à répondre efficacement à son modèle et, enfin, une « sorte de degré zéro de l’imitation ». La phrase que choisit Landis comme légende, dans son livre Monsters in the Movies: 100 Years of Cinematic Nightmares, à l’un des clichés du film où on le voit en costume : « The Author as the Schlockthropus »[33] est, à ce titre, révélatrice : Schlock est, véritablement, le portrait de l’artiste au travail.
Ces éléments de réflexion sont encore validés par le fait que la bande-annonce du film affirme, avec un second degré transparent, sinon désarmant, le tout sur le motif d’ouverture d’Also Sprach Zarathustra de Richard Strauss, désormais inséparable du film de Kubrick :
From the Dawn of Man comes… SCHLOCK! […]
First… “Birth of a Nation.”
Then… “Gone with the Wind.”
“2001: A Space Odyssey.”
“Love Story.”
“See You Next Wednesday.”
And Now… SCHLOCK![34]
Le même morceau est employé dans le film lorsque Shlock découvre le dessin d’une banane géante, publicité pour Chiquita Brands International sur la devanture d’une épicerie, et commence à manipuler les os d’une mâchoire animale abandonnée au sol dans un nouveau renvoi tout aussi explicite à la séquence « Dawn of Man ». Landis filme Schlock frappant un os contre l’autre, puis les projetant en l’air. Là où l’os se changeait par ellipse en vaisseau spatial dans la scène de 2001, celui-ci finit par briser la vitre du magasin, permettant à la bête de dérober des bananes sous les yeux médusés d’un homme en train de déjeuner. Toute poésie est évacuée au profit de l’imitation puérile. Le morceau de Strauss se termine au moment où Schlock lance les fruits au visage du témoin, sans autre raison logique que le beau geste. Landis, admirateur déclaré de la technique de pin drop employé par Kubrick la reprend à son compte en en effaçant toute prouesse ou démonstration technique[35]. Nous sommes bien diamétralement éloignés de l’analyse que fait Gene D. Phillips du rôle du motif d’ouverture de Strauss dans 2001, une « suite ascendante de trois notes (do, sol, do), [motif] connu comme le thème de “l’énigme du monde”, une introduction tout à fait pertinente, donc, pour un film “labyrinthique baigné de mystère et d’énigmes” »[36]. Schlock est simple, transparent, spontané. Il ne dissimule rien. Aucune métaphysique ou quête, aucune justesse scientifique. Et le singe artiste de « singer » ; en l’occurrence ce chaînon manquant qu’il parodie sans plus de conviction. Le spectateur assiste avec cette scène à l’imitation (Landis en Schlockthropus) d’une imitation (Joe Cornelius en Trog) d’une imitation (Dan Richter en Guetteur de Lune[37]), mise en abime vertigineuse de la beauté – comme de l’épouvante – du processus artistique. Landis ne dévoile pas « sa propre nature simiesque » mais sa nature d’artiste dont les ambitions semblent momentanément vaincues par l’empire du film de Stanley Kubrick.
L’influence de 2001: A Space Odyssey sur la filmographie de John Landis est considérable. 2001 a, non seulement, poussé le jeune homme à devenir réalisateur lui-même, il a également amorcé, dés 1971, un dialogue entre deux œuvres parfaitement dissemblables, entre deux aspirations.
À la différence de très nombreux artistes qui revendiquent l’influence de 2001 au risque de se perdre dans un hommage superfétatoire, poussif et dispensable, Landis se lance, dès son premier film, dans une réflexion sur l’héritage technique, esthétique et artistique du film de Kubrick sur son propre travail.
À la manière des tableaux de « singes artistes » apparus au XVIIIème siècle, Landis pense Schlock comme un ambitieux exercice autoréflexif, film manifeste d’un artiste qui, dès ses premiers pas, signifie l’infériorité de son art par rapport à celui de son modèle. Schlock est, par sa volonté de ne jamais tout à fait se mesurer à l’inspirateur avec lequel il conserve une distance loufoque, le lieu d’une introspection convaincante et fonctionnelle.
Schlock est autant l’affirmation d’une déférence de Landis vis à vis de 2001, film inimitable et objet limite, qu’une moquerie de ses imitateurs – le Trog de Freddie Francis –, et de la réception du film par les critiques, dont Pauline Kael, dont le mauvais jugement semble servir de grille de lecture au film.
Éreinté par la critique, le premier film de John Landis est un compagnon précieux du film de Stanley Kubrick et un pur exercice hyperfilmique. Il marque avant tout la tension que sous-tend le désir, pour un artiste, de marcher dans les pas de ses inspirateurs tout en tentant, dans la douleur, de réduire à néant leur ascendant.
Pour Aurélien Gleize et Gilles Volle.
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Bibliographie sélective :
§ Ouvrages cités :
Nicolas RESTIF DE LA BRETONNE, Lettre d’un singe aux êtres de son espèce, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2014 [1781].
Dan RICHTER, Moonwatcher’s Memoir: A Diary of 2001: A Space Odyssey, Cambridge, Da Capo Press, 2002.
Ouvrages collectifs :
Nicole GARNIER-PELLE, Anne FORRAY-CARLIER, Marie-Christine ANSELM, Singeries & Exotisme chez Christophe Huet, Saint-Rémy-en-l’Eau, Editions Monelle Hayot, 2010.
Les Archives Stanley Kubrick, édité par Alison Castle, Cologne, Taschen, 2008.
L’Odyssée de 2001, suivi de Entretien avec Stanley Kubrick, sous la direction de Michel Ciment, Arles, Collection Positif, Institut Lumière | Acte Sud, 2018.
§ Filmographie sélective :
Paul Thomas ANDERSON, There Will Be Blood, 2007.
Charles BARTON, Africa Screams, 1949.
John CARPENTER, Dark Star, 1974.
Merian C. COOPER & Ernest B. SCHOEDSACK, King Kong, 1933.
Guillermo DEL TORO, Hellboy II: The Golden Army, 2008.
Claire DENIS, High Life, 2018.
James FARGO, Every Which Way but Loose, 1978.
Robert FLOREY, Murders in the Rue Morgue, 1932.
Freddie FRANCIS, Trog, 1970.
Peter JACKSON, King Kong, 2005.
Nathan JURAN, The 7th Voyage of Sinbad, 1958.
Gordon HESSLER, Murders on the Rue Morgue, 1971.
Stanley KUBRICK, Paths of Glory, 1957.
____________, 2001: A Space Odyssey, 1968.
John LANDIS, Schlock (1973).
____________, The Kentucky Fried Movie, 1977.
____________, The Blues Brothers, 1980.
____________, An American Werewolf in London, 1981.
____________, Coming Soon, 1982.
____________, Thriller (vidéo), 1983.
____________, Trading Places, 1983.
____________, Spies Like Us, 1983.
____________, Into the Night, 1985.
____________, Coming to America, 1988.
Norman MCLEOD, It’s a Gift, 1933.
Christopher NOLAN, Interstellar, 2014.
Nagisa OSHIMA, Max, Mon Amour, 1986.
Matt REEVES, Dawn of the Planet of the Apes, 2014.
____________, War for the Planet of the Apes, 2017.
George ROMERO, Monkey Shines, 1988.
Franklin SHAFFNER, Planet of the Apes, 1968.
Andrei TARKOVSKY, Solaris, 1971.
Jordan VOGT-ROBERTS, Kong: Skull Island, 2017.
Adam WINGARD, Godzilla x Kong: The New Empire, 2024.
Rupert WYATT, Rise of the Planet of the Apes, 2011.
Irvin S. YEAWORTH Jr., The Blob, 1958.
§ Articles en ligne :
« Dan Richter on Playing the Ape in ‘2001’, Life With John and Yoko », Vulture, 22 avril 2008, article consultable à l’adresse :
§ Documents vidéos :
« John Landis introduces 2001: A Space Odyssey », BFI Screen Epiphanies, vidéo à visionner à l’adresse :
« John Landis on 2001: A SPACE ODYSSEY », Trailers From Hell, vidéo à visionner à l’adresse :
John Landis on Schlock & Kentucky Fried Movie, vidéo à visionner à l’adresse :
« Schlock: Original Trailer », vidéo à visionner à l’adresse :
[1] Agence Reuters, 2 avril 2013. Le journaliste Joseph Ax précise, dans le même article, que l’avocat de Donald Trump a, dans les faits, produit un acte de naissance justifiant du fait qu’il n’était pas le fruit de l’union d’un être humain et d’un singe.
[2] Où les deux seuls films qu’il n’a pas réalisé présentés dans sa rétrospective sont Paths of Glory de Stanley Kubrick, 1957, et It’s a Gift de Norman McLeod, 1933.
[3] « John Landis introduces 2001: A Space Odyssey », BFI Screen Epiphanies, vidéo à visionner à l’adresse :
[4] Richard Attenborough ou Richard Lester selon les versions que donne Landis.
[5] Landis aura des conversations avec Kubrick au téléphone ; conversations frustrantes puisque le réalisateur refuse de discuter de son travail.
[7] Kael est fréquemment mentionnée et surtout citée verbatim par Landis, qui reviendra, à la Cinémathèque Française, sur sa critique assassine de The Blues Brothers.
[9] Voir la préface de L’Odyssée de 2001, suivi de Entretien avec Stanley Kubrick, sous la direction de Michel Ciment, Arles, Collection Positif, Institut Lumière | Acte Sud, 2018.
[11] En français dans le texte.
[12] 11 ou 12 selon les versions de Landis.
[13] Son nom est absent du générique de début, pas de celui de fin.
[14] Comme il est désigné dans le générique.
[15] Joe Putzman : But surely, Professor Shlibovitz…
Professor Shlibovitz : No, that’s Professor Shirley Shlibovitz. A strange quirk of my mother’s.
[16] Avec, respectivement, Solaris (1971), Dark Star (1974), There Will Be Blood (2007), Interstellar (2014) et High Life (2018). À noter que Christopher Nolan et son chef opérateur Hoyte Van Hoytema s’occupent de la restauration du film en 4K présenté au Festival de Cannes le 13 mai 2018.
[17] C’est bien ce que signifie « schlock » en anglais. Le terme est employé pour désigner un navet ou film de seconde zone. Nous prenons nos distances avec la critique que Landis oppose à son premier film qui reste, à nos yeux, une œuvre ambitieuse, drôle et réussie.
[20] John Landis on Schlock & Kentucky Fried Movie, vidéo à visionner à l’adresse :
[21] Le King Kong de 1933 finit sur cette phrase, reprise dans le remake de Peter Jackson en 2005 : « it wasn’t the airplanes. It was beauty killed the beast ». Schlock finit sur cet échange parodique : « Looks like the guns got him. / No, it was beauty killed the beast ».
[23] On lui doit plusieurs films de la Hammer dont Dracula Has Risen from the Grave, 1968, avec Christopher Lee. F. Francis est chef opérateur pour David Lynch et Martin Scorsese. Il reçoit l’Oscar de la meilleure photographie à deux reprises : pour Sons and Lovers de Jack CARDIFF, 1970, et pour Glory d’Edward ZWICK, 1989.
[24] « We had stuff stolen. I can’t say it was Planet of the Apes, but they were the only other movie shooting at the same time and same place we were. Stanley and I even had someone steal a mask and some ape hands right out from under our noses on the backlot, where someone had hid in a drainage ditch. We were in lockdown all the time », « Dan Richter on Playing the Ape in ‘2001’, Life With John and Yoko », Vulture, 22 avril 2008, article consultable à l’adresse :
[25] « I met with anthropologists. My goal was to take this group of twenty man-apes, drop them in a parking lot without telling them what to do, and they would just look right. We even put milk bladders in the female apes’ breasts, because we had two real baby chimps, and we hoped that they would actually drink from the breasts. But they never did », « Dan Richter on Playing the Ape in ‘2001’, Life With John and Yoko », Vulture, Ibid.
[26] Pour lequel il remportera le premier Oscar décerné aux meilleurs effets spéciaux.
[27] À noter que Freeborn travaillera également sur Star Wars. Il est le premier choix de George Lucas en raison de son travail sur 2001. Baker est engagé suite à la maladie de Freeborn et à son éloignement des plateaux de cinéma.
[29] Une scène intime ou encore une nature morte.
[30] Nicole GARNIER-PELLE, Anne FORRAY-CARLIER, Marie-Christine ANSELM, Singeries & Exotisme chez Christophe Huet, Saint-Rémy-en-l’Eau, Editions Monelle Hayot, 2010, p. 16.
[32] Ibid., p. 63.
[34] « Schlock: Original Trailer », vidéo à visionner à l’adresse :
[35] Le morceau est employé une dernière fois à la fin du film pour annoncer, par moquerie, la sortie future d’une suite intitulée Son of Schlock tandis que le professeur Shlibovitz remonte de la grotte un bébé Schlockthropus. Le visage de l’enfant répond à celui du fœtus dans 2001. Notons qu’un morceau de la bande originale est intitulé de manière humoristique « Thus Sprach Gazotskie ».
[36] Gene D. PHILLIPS, « La Musique dans 2001 : l’Odyssée de l’Espace », in Les Archives Stanley Kubrick, édité par Alison Castle, Cologne, Taschen, 2008, p. 31.
[37] Nom que porte l’homme-singe dans le roman d’Arthur C. CLARK, 2001 l’Odyssée de l’Espace, Paris, Robert Lafont, 1968.
Nicolas RESTIF DE LA BRETONNE, Lettre d’un singe aux êtres de son espèce, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2014 [1781].
Dan RICHTER, Moonwatcher’s Memoir: A Diary of 2001: A Space Odyssey, Cambridge, Da Capo Press, 2002.
Ouvrages collectifs :
Nicole GARNIER-PELLE, Anne FORRAY-CARLIER, Marie-Christine ANSELM, Singeries & Exotisme chez Christophe Huet, Saint-Rémy-en-l’Eau, Editions Monelle Hayot, 2010.
Les Archives Stanley Kubrick, édité par Alison Castle, Cologne, Taschen, 2008.
L’Odyssée de 2001, suivi de Entretien avec Stanley Kubrick, sous la direction de Michel Ciment, Arles, Collection Positif, Institut Lumière | Acte Sud, 2018.
Paul Thomas ANDERSON, There Will Be Blood, 2007.
Charles BARTON, Africa Screams, 1949.
John CARPENTER, Dark Star, 1974.
Merian C. COOPER & Ernest B. SCHOEDSACK, King Kong, 1933.
Guillermo DEL TORO, Hellboy II: The Golden Army, 2008.
Claire DENIS, High Life, 2018.
James FARGO, Every Which Way but Loose, 1978.
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Freddie FRANCIS, Trog, 1970.
Peter JACKSON, King Kong, 2005.
Nathan JURAN, The 7th Voyage of Sinbad, 1958.
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Christopher NOLAN, Interstellar, 2014.
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https://scrapsfromtheloft.com/2017/01/05/pauline-kael-on-2001-a-space-odyssey/
« Dan Richter on Playing the Ape in ‘2001’, Life With John and Yoko », Vulture, 22 avril 2008, article consultable à l’adresse :
« John Landis introduces 2001: A Space Odyssey », BFI Screen Epiphanies, vidéo à visionner à l’adresse :
« John Landis on 2001: A SPACE ODYSSEY », Trailers From Hell, vidéo à visionner à l’adresse :
John Landis on Schlock & Kentucky Fried Movie, vidéo à visionner à l’adresse :
« Schlock: Original Trailer », vidéo à visionner à l’adresse :
Becker, Christophe (2025). « I’M AN APEMAN ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/im-an-apeman], consulté le 2025-09-12.