Une adolescence en banlieue: tragédie en 93 alexandrins
Ville aux mille tours, il me faudra te dire.
Je compte sur toi, Muse, signale le désir.
Car ça, a priori, on chercherait en vain,
Ce qui dans ce lieu, éveille le divin.
C’est en soixante-trois, nous abordons décembre;
La banlieue est calme, pas de quoi se surprendre.
Pourtant mon souvenir, le premier, jeune enfant
Relève du tragique, car la mort en l’instant
dûment authentifié, par son aspect déchirant,
Une chape de plomb, écrase le chaland.
Kennedy le baiseur, l’homme aux nombreux talents,
A succombé aux balles, il est mort dans un char,
Las! Laissant dans le deuil, vraiment, un peuple hagard.
Je vois les funérailles, elles sont à la télé.
Car au creux des banlieues, il faut la regarder.
Ainsi mon premier mort, rencontré dès l’enfance,
Associait la banlieue à cet affreux non-sens.
Mais d’autant plus affreux, que pour la circonstance
Et pour mon grand malheur m’enlevait Bobino,
Sacrifié des ondes, Ô bande de nonos.
À l’autel de l’Histoire, on avait sacrifié,
L’émission pour enfants; me voilà opprimé.
Au creux du bungalow, voilà que commença
Sur le mode mineur une triste saga.
N’en doutez point public, et j’atteste les Dieux
Que toujours la banlieue est présente à mes yeux.
L’absence ni le temps, je vous le jure encore,
Ne vous peuvent ravir cet ennui qui m’endort.
De la mort foudroyante, celle d’un président,
En vint pour moi une autre, celle d’un geste lent.
Car si, on peut le dire, pour l’enfant la banlieue
A la valeur d’une ville, pour l’ado c’est bien creux.
L’armada de maisons, se suivant (enfilade)
Peut, je le dis, conduire, à vous rendre malade.
Bungalow, bungalow! Viendra-t-il donc le jour
Où me tournant vers toi je verrai de l’amour
Au lieu encor de craindre de perdre la raison
Et je rirai pour vrai du film de Tim Burton.
Car derrière Edward et ses mains aux longs doigts
Je vois les bungalows qui me glacent d’effroi.
Décision fut prise, assez rapidement:
Bientôt je me tournai vers un lieu plus aimant.
Mais las, avant cela, il me fallait les arrhes
Qui lors, m’assureraient, de payer mon départ.
Les premières années, je comptais sur les bois,
Parfois même les champs, calmant mon désarroi;
Mais bien sournoisement, partout les bungalows
Détruisaient la nature, de quoi rendre alcoolo.
Banlieue tentaculaire, ton dessein éclatait:
Dévaster pour bâtir, franchement c’était laid.
Maintenant je grandis, au fond du bungalow;
Me voilà condamner, au Donald Lautrec Show.
Je cherche bien en vain l’être désespérée
Qui viendra me chercher, d’un regard, d’un baiser;
Sauf que le temps passe, toujours à Candiac,
Et ma banlieue encor rime avec simonac.
L’horizon c’est Brossard, me voilà bien marri;
La Prairie, Saint-Constant, Saint-Jean (bonjour Marie)
À peine un peu plus loin, on voit les gratte-ciels;
Faut que vingt minutes pour que baisse mon fiel.
Car la ville est tout’ proche, c’est tellement frustrant:
Ne pouvoir la joindre, juste en s’étirant?
Le temps passe et, quoi donc, publicité s’impose!
On souhaite attirer, dans ma ville morose;
Que lis-je, le slogan? «Candiac la sainte paix»!
Mais non pas possible, c’est sûr, je me trompais…
Pour qui sont ces slogans qui sifflent sur nos têtes??
Cette platitude, qui me rend l’air si bête??
On en fait un attrait, on en fait un appât?
On cherche à attirer une bande de tatas?
Vite, partons, fuyons, il faut bien lever l’ancre;
Ni argent, ni meubles, quelques stylos pour l’encre.
Oh, allez, bien assez de grandir comme un veau:
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau!
Mon déménagement fut donc réalisé.
Les ans s’ajoutent aux ans; au fil, j’ai bien changé.
Les yeux vers le passé, y a pas d’Eurydice;
Seulement une banlieue, sans même de police.
Peut-être y en a-t-il, en ces temps plus troublés?
Qui vivent à Candiac, pour les vols, éviter?
De nos jours, surprise, sévissent des crosseurs.
Usant de ce mot laid, je ne vise recteurs;
Mais plutôt un produit, bien néo-libéral:
Plutôt Vincent Lacroix, un voleur, un anal.
Obsédé par l’argent, se foutant bien des gens.
Crime, fraude, mentir: être désobligeant;
Une tête de nœud, cet homme de Norbourg,
Qui trouve les gens biens, du moment qu’on les fourre.
Oh ça dégénère, oh oui ça dégénère;
Mais pas de nostalgie, hier c’était pas super.
Et vraiment mes amis, quittant le bungalow,
Je dirais, franchement, avoir gagné le gros lot,
Même si ce dernier vers, il a un pied de trop.
Merci à Jean Racine et à Charles Baudelaire.