Depuis plus de 50 ans, Stephen King vit dans le Maine et il n’est pas près de le quitter. Fils d’une mère monoparentale –un jour, son père serait parti acheter un paquet de cigarettes, et n’est jamais revenu–, il y a connu la misère et y a découvert la littérature d’épouvante, au gré du hasard, en parcourant des exemplaires de Tales from the Crypt trouvés dans un coffre qui aurait appartenu à son père. C’est aussi là qu’est née sa passion précoce pour l’écriture.
Plus tard, avec femme et enfants, il a vécu dans une maison misérable à Bangor, sur un terrain aujourd’hui vacant et glauque. Il y a connu les fins de mois difficiles, l’enseignement à la Hampden Academy, et les petits boulots: à la New Franklin Laundry pour lui, au Dunkin Donuts en bas de la côte du quartier pauvre pour Tabitha, sa femme. Il y a vécu sans téléphone, avec deux bébés et une vieille bagnole si abîmée qu’il n’osait rouler sur l’autoroute. On raconte qu’il se promenait avec sa famille sur la West Broadway Street, admirant les belles maisons des magnats du bois, rêvant qu’un jour, il habiterait peut-être l’une d’entre elles…
Puis, ce fut Carrie, sauvé du fond d’une poubelle par Tabitha, qui changea sa vie. Laissant tomber l’enseignement, il se consacrera désormais à l’écriture. Plus tard, il achètera une des belles demeures de West Broadway Street, où il passe encore le plus clair de son temps, quand il n’est pas à son chalet à Lovell, près de Kezar Lake, ou en Floride, où il passe l’hiver pour y soigner sa jambe blessée lors d’un grave accident de la route qui a failli lui coûter la vie, en 1999.
Mais qu’en est-il de cet espace qui a inspiré King? Castle Rock, Jerusalem’s Lot et Derry sont souvent rassemblées en trinité par les lecteurs de King, en référence aux villes d’Arkham, d’Innsmouth et de Dunwich imaginées par H.P. Lovecraft, dont King a été un ardent lecteur. Or, on assiste en réalité à toute une fictionalisation du Maine, chez King. Des lieux réels qu’il a habités aux contrées ambiguës ou imaginaires qu’il a créées, en passant par une trinité aux accents lovecraftiens, King nous mène au gré de son imaginaire et nous fait voyager.
Né à Portland, King a quitté le Maine après le départ de son père, pour résider avec sa famille dans le Wisconsin, l’Indiana et le Connecticut. Revenu vivre dans un village du Maine où il fréquente l’école de Lisbon Falls, il s’y découvre une passion de l’écriture. À part un bref séjour au Colorado, où il écrira The Shining (1977), il reviendra séjourner dans le Maine et restera attaché à sa terre natale.
Puis, c’est Ogunquit qui sert de cadre à un bref épisode de The Stand: c’est là que s’entame le parcours de Frannie Goldsmith, survivante de l’épidémie qui décime 99 % de la population mondiale, en raison de son immunité à la maladie. Dans le stationnement du Harborside Hotel, Frannie observe le paysage déserté par les touristes, et songe à l’avenir qui l’attend, alors qu’elle vient de quitter le père de son enfant à naître. Bien qu’il ne s’agisse que du début du périple de Frannie, qui s’arrêtera à Boulder alors que ses compagnons se rendront jusqu’à à Las Vegas, King évoque avec tendresse l’ambiance estivale qui règne dans cette petite localité touristique1.
Dans le recueil Skeleton Crew, on retrouve aussi «The Monkey», qui met en scène un abominable jouet mécanique qui sème la mort quand il fait retentir ses cymbales. C’est dans la partie la plus profonde du Crystal Lake que le narrateur jettera un sac de sport lesté de pierres contenant le jouet infernal afin de s’en débarrasser pour toujours. Selon l’épilogue, constitué d’un article de journal du Bridgton News, des centaines de poissons auraient été retrouvés morts mystérieusement, flottant à la surface du lac. Notons d’ailleurs que le contraste entre les abominations décrites dans ces deux textes et l’ambiance joyeuse de Bridgton constitue l’un des délicieux paradoxes de l’univers narratif de King…
En continuant ce parcours, le lecteur découvre inévitablement des noms de petites villes qui sonnent un peu faux… C’est que King s’amuse à brouiller les cartes et à semer la confusion quant aux lieux qu’il décrit: on trouve une seconde catégorie de lieux, semi-fictifs ou ambigus qui n’existent pas comme tels, mais qui sont inspirés de lieux réels, et qui sont déformés, rebaptisés ou déplacés4.
Par ailleurs, il arrive à King de déplacer, voire de rebaptiser certains lieux romanesques. Par exemple, certaines sources attribuent l’inspiration du Dark Score Lake et de la forêt dont il est question dans The Girl Who Loved Tom Gordon (1999) et dans Bag of Bones (1998) au très réel Flagstaff Lake, perdu au nord du petit état, alors que d’autres lecteurs pensent que c’est plutôt le Kezar Lake, situé au sud du parc des montagnes Blanches, qui aurait inspiré King.
Un autre exemple de cette manie qu’a King de brouiller les pistes est celui de Ludlow, siège du très sinistre roman Pet Sematary (1983). S’il existe bel et bien une ville nommée Ludlow dans le comté d’Aroostook, c’est plutôt Orrington, dans le comté de Penobscot, au sud de Bangor, qui a inspiré ce récit, l’un des plus noirs des romans de King5.
Si l’on s’éloigne un peu de cette région, le Cycle of the Werewolf (1983), dans lequel un loup-garou attaque ce village bien ordinaire6, se déroule à Tarker’s Mills. Avec Chester’s Mills, cadre du récit claustrophobe Under The Dome (2009) – qui serait inspiré par la ville de Rumford (comté d’Oxford), selon certaines sources7 –, ces deux petites villes souvent appelées les «Twin Mills», fascinent la communauté des fans de King, à un tel point que, pour accentuer la vraisemblance des récits, un site web a même été créé (www.chestersmill.com), même s’il s’agit d’une ville purement imaginaire.
Enfin, à la suite de l’éclipse solaire du 21 août dernier, comment ne pas songer à celle qui, en monopolisant l’attention de toute la population de Little Tall Island, permet à l’héroïne éponyme de Dolores Claiborne (1992) de se débarrasser de son ordure de mari violent et incestueux en le précipitant au fond d’un puits et en l’achevant d’un coup de pierre pour lui écraser le crâne?
En plus d’être un écrivain hors du commun, King se distingue par sa vaste culture littéraire et sa connaissance en profondeur de l’héritage littéraire gothique (dont Edgar Allan Poe, cité en exergue de The Shining) et des auteurs fantastiques contemporains (Richard Matheson et Ray Bradbury), ainsi que par l’influence précoce exercée sur son œuvre par le grand maître de l’épouvante: H.P. Lovecraft, qui est à l’origine de récits campés dans les trois villes imaginaires d’Arkham, Innsmouth et Dunwich.
Née dans un grenier, où il fouillait dans des boîtes poussiéreuses avec son frère aîné, sa fascination pour l’écriture de Lovecraft a participé à révéler sa vocation9. Ainsi, pensons à Revival (2014), dédié à Mary Shelley, Arthur Machen, Bram Stoker et H.P. Lovecraft, mais aussi aux nouvelles «N.» (Just after Sunset), «Crouch End» (Nightmares and Dreamscapes), «The Mist» (Skeleton Crew) et «I am the Doorway» (Night Shift) qui reprennent le thème de l’horreur cosmique rendu célèbre par Lovecraft. Dans ces œuvres, l’écrivain rend hommage, par un singulier mimétisme, à l’écriture du maître de Providence, notamment par «le recours hyperbolique à l’aphasie et à la surcharge, à l’indicible et à l’excès grotesque de la description», évoqués par Denis Mellier (1999: 22).
Pour commencer avec la première des trois villes formant sa trinité fictive personnelle, on peut penser à la petite ville imaginaire de Castle Rock, qui sert de cadre à de nombreux récits de King10. Si certaines sources la situent aux environs de Woodstock, il demeure difficile de déterminer si une localité précise a inspiré l’auteur ou pas. Elle apparaît pour la première fois dans The Dead Zone (1979), alors que Johnny Smith y débusque le tueur de Castle Rock, grâce au don de voyance qu’il a reçu à la suite d’un grave accident de la route qui l’a plongé dans le coma. La petite ville constitue également le décor du roman Cujo (1981) et de la novella «The Body», que les enfants quittent pour partir à la recherche du cadavre du jeune Ray Brower, tué par un train en suivant la voie de chemin de fer jusqu’à la forêt de Harlow (elle aussi fictive) 11.
D’ailleurs, c’est là que l’auteur a mis en place la trilogie constituée de The Dark Half (1989), «The Sun Dog» et Needful Things (1991). Ce dernier roman fait découvrir au lecteur la vie ordinaire des habitants de cette «sleepy little place» sans histoire: «It’s just small-town life, […] it’s just folks eatin pie and drinkin coffee and talkin about each other behind their hands» (King, Needful Things, p. 14-17). L’incipit du roman décrit la petite localité comme un lieu où il fait bon vivre12, description qui pourrait aussi bien rappeler les villes réelles de l’ouest du Maine, Lewiston, Auburn ou Norway. Il y décrit les mesquines petites luttes entre catholiques et protestants, les usages des habitants à l’ouverture d’un nouveau commerce ou encore le va-et-vient des touristes saisonniers qui rythment la cadence de la ville13. Mais cette ambiance ordinaire et bon enfant sera bouleversée par l’ouverture du magasin éponyme, ouvert par l’inquiétant Leland Gaunt, qui semble changer d’apparence selon chaque client qui entre dans son étrange boutique et qui causera la destruction de la ville. Or, même si Castle Rock semble détruite à la fin du roman, King y reviendra dans «It grows on you» (Nightmares and Dreamscapes), une nouvelle qui se déroule chronologiquement après Needful Things et dans «Gwendy’s Button Box», longue nouvelle co-écrite par King. Ainsi, Castle Rock semble un lieu privilégié de l’irruption du surnaturel dans le quotidien, phénomène qui est mis en relief par sa nature complètement fictive14.
C’est alors qu’il est âgé de 11 ans que King et sa famille s’installent dans le Maine, à Durham, petit bled déprimant. En sillonnant ses routes quasi désertes, le visiteur n’a aucun mal à comprendre en quoi ce village sinistre, jalonné de bicoques abandonnées, a pu inspirer de tels récits. On peut présumer que des souvenirs d’enfance de King marqueront l’écriture de ‘Salem’s Lot (1975), de «Jerusalem’s Lot» et de «One for the road».
Pour les amateurs de H.P.Lovecraft, la délicieuse première nouvelle demeure la plus lovecraftienne des nouvelles de King. Présentée sous forme épistolaire, elle relate l’arrivée de Charles Boone, héritier de la propriété de Chapelwaite, et sa découverte des racines de son obscur et maléfique ancêtre fondateur d’une église satanique à Jerusalem’s Lot, un village fantôme qui terrifie les villageois des environs.
Plus contemporaine, «One for the road» reprend les événements relatés dans ‘Salem’s Lot et l’épidémie de vampirisme que relatait ce roman: lors d’une tempête de neige, un homme accidenté laisse sa femme et sa fille dans la voiture pour aller chercher de l’aide au Tookey’s bar. Au retour, c’est une épouse et une enfant monstrueuses que l’homme retrouvera sur les lieux, la nouvelle s’achevant sur la glaçante évocation d’une enfant-monstre attendant son baiser du soir.
D’ailleurs, on s’accorde à reconnaître l’importance des personnages enfants dans l’œuvre de King: par exemple, Malachi et les autres enfants maléfiques, autrement connus sous le nom d’«Enfants du maïs», dont l’innocence et la pureté sont détournées pour en faire des «êtres sanguinaires, engendrant la peur et l’incompréhension» (Sudret, p. 74). On retrouve aussi Teddy, Vern, Chris et Gordie, les quatre copains explorateurs de la nouvelle «The Body» (qui inspira le fameux film Stand By Me), mais aussi la jeune Patricia McFarland, de The Girl Who Loved Tom Gordon, Marty Coslaw, le jeune paraplégique qui triomphera du loup-garou dans Cycle of the Werewolf, ou encore le très célèbre Danny Torrance (The Shining), doté du don du «shining» qui lui permettra d’échapper à la violence de son père possédé par l’entité démente de l’Overlook Hotel. Ainsi, chez King, les enfants deviennent «porteurs de peur et d’horreur», selon Laurence Sudret.
C’est bel et bien d’un angoissant souvenir de jeunesse attribué à son personnage Ben Mears qu’est née Jerusalem’s lot, la première des trois villes de la trinité de King, qui trouve son apothéose dans le roman ‘Salem’s Lot15. Alors qu’il a quitté la ville depuis longtemps, l’écrivain Benjamin Mears décide de revenir vivre à Jerusalem’s lot, après 25 années d’absence. Ayant lui-même vécu une expérience traumatique dans la mystérieuse Marsten House, Mears cherche à la louer à son arrivée pour écrire un ouvrage à son sujet, mais il découvrira que la maison a déjà été louée par des hommes inquiétants… Lentement, le lecteur découvrira l’histoire et la nature de cette demeure maléfique, marquée par la torture, le suicide et le meurtre. Tout se passe comme si l’horreur étalée sur l’espace géographique externe se concentrait essentiellement désormais, dans ce roman, sur un espace fermé et domestique, soit celui de la demeure du défunt Hubert Marsten et de son épouse, qui vivaient en ermites et ont été retrouvés morts et décomposés des suites d’un meurtre et d’un suicide16.
Mais comment retracer la genèse de ‘Salem’s Lot? Au plan littéraire, Denis Mellier constate que «King ne cache nullement […] le projet intertextuel d’une réécriture des archétypes de la littérature vampirique: […] les thèmes de l’hésitation intellectuelle et de la dualité raison/surnaturel sont livrés à des notations ironiques ou comiques» (Mellier, p. 143), en citant non seulement Stoker, mais aussi les magazines du jeune Mark Petrie.
Certains attribuent l’inspiration de la Marsten house à la Shiloh Church de Durham, où il a grandi. D’autres évoquent la possibilité que ce soit plutôt une belle demeure de Bridgton abritant un antiquaire, qui ait permis à l’écrivain d’imaginer ce qui est devenu l’une des demeures les plus terrifiantes de la littérature d’horreur contemporaine: «It was huge and rambling and sagging, its windows haphazardly boarded shut, giving it that sinister look of all old houses that have been empty for some time» (‘Salem’s lot, p. 24).
«Can an entire city be haunted? […]
What’s feeding in Derry?
What’s feeding on Derry?»
(It, p. 139-140).
Que serait le Maine de King sans l’emblématique ville de Derry? Située à Dexter par certaines sources, c’est plutôt sur le modèle de Bangor20 que King a calqué la ville dont les égouts souterrains seraient habités par l’entité maléfique It (1986)21. Rappelons que celle-ci se nourrit d’enfants et sera vaincue par le «Loser’s Club», composé de Bill, Ben, Beverly, Eddie, Ritchie, Mike et Stan, sept enfants rejetés par leurs pairs, délaissés par les adultes22 et victimes de l’intimidation de la brute Henry Bowers et de ses complices.
Comme à Derry, on trouve à Bangor le canal qui traverse la ville (où se produit le meurtre d’Adrian Mellon, sous les yeux de son amant Don Hagarty, dans It) ou encore les rivages de la rivière Kenduskeag qui offre aux enfants un terrain de jeu privilégié («The Barrens» cadre de nombreux épisodes importants de It, dont une bataille de pierres «apocalyptique» entre le club des Losers et la bande de Henry Bowers, ainsi que la construction d’un barrage par Ben Hanscom).
Plus bas, près du canal et non loin d’un stationnement (qui n’existait pas en 1986 lors de la publication de It) se dresse la statue hideuse de Paul Bunyan, qui prend vie et attaque Richie Tozier à coups de hache, dans It: «From between gigantic yellow teeth there drifted a smell like small animals rotting it hot underbrush. […] I’m going to eat you up!» (King, It, p. 557). Ici aussi se manifeste la nature pourrie de l’entité hostile tapie au fond des entrailles humides de Derry, ce qui rappelle non seulement les «deux tendances de la dépravation humaine» dont parle Henri Baudin, soit «l’abjection et l’agressivité» (1976: 54), mais aussi plusieurs éléments de la description de l’abject de Kristeva, soit «l’ordure», la «pourriture», «l’entre-deux, l’ambigu, le mixte» du vivant et du non vivant (Kristeva, 1980: 12).
Et c’est au coin des rues Jackson et Union que l’on trouve la bouche d’égout qui inspira King pour la scène culte de It, sous la forme de Pennywise le clown. En effet, c’est par une scène atroce que s’ouvre le chef-d’œuvre de King, évoquant les gestes du petit George Denbrough venu jouer dans le caniveau avec un bateau de papier journal fabriqué par son grand frère Bill, puis l’apparition de Pennywise, la mutilation et le meurtre du petit garçon que son frère tâchera de venger jusqu’à la fin du roman24. Même si l’aspect de la bouche d’égout de l’angle Jackson et Union diffère de celui représenté dans le premier film (1990), les fans et lecteurs de King apprécieront le pèlerinage sur les lieux d’inspiration de cette scène mythique, la plus célèbre de toutes les visions cauchemardesques créées par King et traumatisante à souhait.
L’écrivain a aussi disséminé des références à Derry à travers plusieurs de ses œuvres, de la série de The Dark Tower à Bag of Bones, en passant par Insomnia (notamment avec le fameux Crimson King), laissant des indices qui mènent tous vers cette sorte de cœur de l’horreur, comme des veines de sang empoisonné. À titre d’exemple, on voit que le Mount Hope Cemetary de Bangor sert de cadre à l’enterrement du petit Gage Creeds dans la version adaptée au cinéma de Pet Semetary. D’autres romans tels que Insomnia (1994) et 22/11/63 (2011), de même que plusieurs nouvelles (dont les terribles «The Road Virus Heads North», et «Autopsy Room 4») font référence à Derry. Notons aussi que d’autres lieux réels ayant inspiré King peuvent être explorés à Bangor, notamment grâce au Stephen King Tours, offerts par Penney et Stu Tinker, deux anciens libraires lecteurs de King (https://sk-tours.com)26.
Pour conclure, l’immense succès et la réputation de Stephen King, le plus célèbre résident du Maine, n’est plus à faire. Sous sa plume, ce banal petit état prend une dimension presque mythique et devient aussi emblématique que le Londres de Dickens ou la Californie de Steinbeck. En témoigne la pelouse pelée qui s’étend devant sa résidence de Bangor, usée par les semelles des fans venus admirer la maison de leur auteur fétiche…
Malgré le succès, la célébrité et la fortune, et alors qu’il aurait le luxe de pouvoir habiter n’importe où sur la planète, c’est bien à Bangor, petite ville plutôt moche et très ordinaire du continent, que Stephen King a élu domicile pour de bon. C’est qu’il y a trouvé la paix et la sécurité. Ses concitoyens le connaissent, ils l’aiment et respectent son intimité, ils veillent sur lui et tâchent même de le protéger des intrus27. King a d’ailleurs tellement contribué à l’essor de Bangor en finançant l’hôpital, un terrain de baseball et une piscine municipale que les habitants de Bangor lui en sont reconnaissants. «He’s safe here, and he knows it», déclare Penney Tinker, copropriétaire des SK Tours, qui le connaît personnellement. Bref, l’écrivain n’est pas près de quitter sa terre natale, et on le comprend.
1. «It was a beautiful summer’s day, flawless, the kind that the tourist came to Maine seacoast for. You don’t come to swim because the water’s never really warm enough for that; you come to be knocked out by the day» (The Stand, p. 298).
2. Notons que la nouvelle a été adaptée au cinéma en 2007, et la chaîne Spike présente une adaptation de «The Mist» sous forme de série télévisée depuis le début de l’été 2017.
3. «Expiation! We have been punished for delving into secrets forbidden by God of old! […] It’s expiation gonna clear away this fog! Expiation gonna clear off these monsters and abominations! Expiation gonna drop the scales of mist from our eyes and let us see […] And what does the Bible say expiation is? What is the only cleanser for sin in the Eye and Mind of God? Blood. […] It’s the boy we want! Grab him! […] She was an apocalypse of yellow and dark joy» («The Mist», Skeleton Crew, p. 162-165).
4. Bien qu’elles offrent des informations parfois légèrement divergentes, on trouve plusieurs sources qui recensent les villes fictives de King et, parfois, les villes réelles qui les ont inspirées. À ce sujet, on peut consulter les liens suivants: http://mix941kmxj.com/stephen-kings-fictional-towns-in-maine/, https://www.mensjournal.com/travel/a-guide-to-stephen-kings-maine-20151019, https://www.theguardian.com/travel/2017/sep/20/it-movie-film-exploring-stephen-king-maine-bangor-mount-hope-cemetery, et https://zonevideo.telequebec.tv/media/18852/sur-les-traces-de-stephen-king/formule-diaz
5. https://www.stephenking.com/library/novel/pet_sematary_inspiration.html
6. Tarker’s Mill est décrit comme une «banale bourgade du Maine où l’événement de la semaine est le repas collectif (…) et dont l’unique hebdomadaire consacre de minutieux comptes rendus à toutes les excursions du club du troisième âge» (Cycle of the Werewolf, p. 13).
7. https://roadtrippers.com/stories/maine-macabre-the-real-life-locations-o…
8. «Home Delivery» (Skeleton Crew, p. 448).
9. Se rappelant de sa découverte du recueil de nouvelles The Lurker in the Shadow, ayant appartenu à son père absent, King a déclaré, dans une entrevue donnée en 2009 aux Barnes & Noble Studios: «I knew that I’d found home when I read that book». Plus tard, il déclarera également ce qui suit: «Lovecraft opened the way for me […] as he had done for others before me… it is his shadow, so long and gaunt, and his eyes, so dark and puritanical, which overlie almost all of the important horror fiction that has come since» (Bertrand, 2009).
10. C’est le nom que prendra la série, à venir en 2018, inspirée de l’univers imaginaire de King, sorte de synthèse de ses histoires les plus célèbres, incluant des récits situés ailleurs qu’à Castle Rock, dont Misery et It.
11. Inspirée par le nom de la forteresse mythique des enfants perdus dans The Lord of the Flies, de William Golding, un des romans préférés de King, elle constituerait un genre de modèle réduit de la société.
12. «Castle Rock is still a pretty nice place to live and grow […]. The sun shines pretty on the lake and on the leaves of the trees, and on a clear day you can see all the way into Vermont from the top of Castle View» (Needful Things, p. 18).
13. «Western Maine’s a part of the state that’s mostly forgotten once the summer has run away and all those people with their cottages on the lake and up on the View have gone back to New York and Massachusetts. People here watch them come and go every year – hello, hello, hello; goodbye, goodbye, goodbye. It’s good when they come, because they bring their city dollars, but it’s good when they go, because they bring their city aggravations, too.» (Needful Things, p. 13).
14. D’ailleurs, il est intéressant de noter que Castle Rock aurait inspiré le cinéaste John Carpenter (un ami de King) pour la création de Hobb’s End, le village fictif où culmine l’action de son film In the Mouth of Madness (lui aussi inspiré par l’univers de créatures à tentacules chères à Lovecraft). Quant à lui, les sonorités du nom du personnage de l’écrivain maléfique dont le livre rend fou, l’effroyable Sutter Cane que recherche le détective John Trent, ne sont pas sans rappeler celles du nom de King, ce qui confirme la théorie de l’hommage rendu par Carpenter à son ami écrivain dans ce film.
15. En effet, selon Sudret: «Les enfants ne forment pas seulement un public privilégié, ils sont aussi des vecteurs de peur et d’horreur. D’abord, parce qu’ils la recherchent ouvertement [.] Ils aiment avoir peur» (Sudret, p. 68). De plus, force est de constater que les enfants demeurent des personnages privilégiés par quantité d’écrivains ou de cinéastes d’horreur (il suffit de penser à Robert Bloch, à Saki ou à Ray Bradbury) en ce qu’ils «sont prêts à croire à l’impossible alors que les adultes sont enfermés dans un carcan psychologique qui leur interdit d’accepter l’irrationnel» (Bourdier, p. 49). Sudret n’hésite pas à citer Ray Bradbury, un autre auteur qui influença King: «L’enfance est la seule période où on peut croire en des choses qu’on sait être fausses» (Bradbury, cité par Stephen King dans Anatomie de l’horreur, tome I, Paris, J’ai lu, no 4410, 1997, p. 174).
16. Une citation placée en exergue du célèbre et sublime incipit de The Haunting on Hill House de Shirley Jackson que l’auteur ouvre le chapitre consacré à la Marsten House: «No live organism can continue for long to exist sanely under conditions of absolute reality; […] Hill House, not sane, stood by itself against the hills, holding darkness within; it had stood so for eighty years and might stand for eighty more. Within, walls continued upright, bricks met neatly, floors were firm, and doors were sensibly shut; silence lay steadily against the wood and stone of Hill House, and whatever walked there, walked alone» (Jackson, incipit).
17. «The house seemed to lean toward them, as if awaiting their arrival [.] A house was a house – boards and hinges and nails and sills. There was no reason, really no reason, to feel that each splintered crack was exhaling its own chalky aroma of evil» (‘Salem’s Lot, p. 144).
18. «I think that house might be Hubert Marsten’s monument to evil, a kind of psychic sounding board. A supernatural beacon [.] Sitting there all these years, maybe holding the essence of Hubie’s evil in its old, moldering bones» (id., p. 182).
19. D’ailleurs, le motif de la maison malveillante est récurrent chez King. En témoigne la création du 29 Neibolt Street, à Derry, qui terrorise Eddie, Bill et Richie dans It, ainsi que l’abominable Dutch Hill Mansion à Brooklyn, où Jake Chambers devra pénétrer et affronter un démon afin de pouvoir passer vers l’entre deux mondes dans The Waste Lands (1991), troisième tome de la série The Dark Tower.
20. Quelques références recensent les lieux emblématiques de Bangor que tout amateur de King aimerait visiter, notamment les liens suivants: http://z1073.com/10-places-every-stephen-king-fan-must-stop-while-in-bangor/ , http://www.independent.co.uk/travel/americas/stephen-king-bangor-maine-tours-travel-guide-horror-novels-the-dark-tower-it-a7900091.html
21. Comme pour le territoire derrière la maison des Creed dans Pet Semetary, «[l]e caractère immense [du] territoire laisse suggérer la présence, au cœur même de l’Amérique habitée, d’une zone inhumaine entièrement sous l’emprise du monde des esprits» (Gayraud, p. 172)
22. Comme le souligne Tony Magistrale, dans le monde de King, «The [adult’s] behavior is often immature and without consequence […] and their institutions – the church, the state’s massive bureaucratic’s system of control, the nuclear family itself – barely masks an undercurrent of violence» (Magistrale, p. 77).
23. «Inside that dim oblong he could see two sets of legs below the diagonal shadowline thrown by the door [.] He could see jeans that had decayed to a purplish-black. Orange threads lay plastered limply against the seams, and water dripped from the cuffs to puddle around shoes that had mostly rotted away, revealing swelled, purple toes within» (It, p. 408).
24. «He [George] dropped to his knees and peered in. […] There were yellow eyes in here […] He saw himself getting up and backing away, and that was when a voice […] spoke to him from inside the stormdrain. «Hi Georgie», it said. […] «They float, and there’s cotton candy…» George reached. The clown seized his arm. And George saw the clown’s face change. What he saw then was terrible enough to make his worst imagining of the thing in the cellar look like sweet dreams; what he saw destroyed his sanity on one clawing stroke. «They float,» crooned the thing in the drain crooned in a clotted, chuckling voice. It held George’s arm in its thick and wormy grip, it pulled George toward that terrible darkness […] George craned his neck away from that final blackness and began to scream into the rain, to scream mindlessly into the white autumn sky which curved above Derry on that day in the fall of 1957. […] «Everything down here floats» that chuckling, rotten voice whispered, and suddenly there was a ripping noise and a flaring sheet of agony, and George Denbrough knew no more. […] George Denbrough was already dead. […] The left side of George’s slicker was now bright red. Blood flowed into the storm drain from the tattered hole where the left arm had been, a knob of bone, horribly bright, peeked through the torn cloth. The boy’s eyes stared up in the white sky and […] they began to fill up with rain» (King, It, p. 12-14).
25. «Indian massacre? Doubtful. No bones, no bodies. Flood? Not that year. Disease? No word of it in the surrounding towns. They just disappeared. All of them. All three hundred and forty of them. Without a trace» (It, p. 147).
26. Les SK Tours offrent aux touristes la possibilité de voir (de l’extérieur) la splendide demeure aux grilles décorées de motifs morbides de King, sur West Broadway. Avec la sortie récente des films «The Dark Tower» et «It», mais aussi des séries télévisées «The Mist», «Mr Mercedes» et «Castle Rock», il va de soi que la tournée offerte par les Tinker connaît un succès grandissant.
27. Alors qu’on lui soulignait que Bangor est une ville où rien ne se passe, King a d’ailleurs déclaré au Inside Magazine ce qui suit: «That’s one of the reasons I like it in Bangor; if someone wants to get to me, they really have to be very dedicated… […] I grew up here. I am a hick and this is where I feel at home».
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