La bande dessinée Fun Home d’Alison Bechdel, paru en 2006, est une tragicomédie sur la famille de l’autrice et particulièrement sur sa relation avec son père, mort dans un accident de la route lorsqu’elle était jeune. Dans ce récit décalé, l’autrice parle de son homosexualité qu’elle met en rapport à celle de son père. En effet, ce dernier a vécu toute sa vie dans le mensonge et y a entrainé sa famille. La relation entre Alison et son père a toujours été particulière, entre le conflit et la complicité partagée autour des livres. Dans cette bande dessinée, Alison retrace la vie de sa famille afin de pouvoir s’en dessiner les contours. Par un travail d’archivage et de fictionnalisation représentés dans le texte et le dessin, elle souligne la dynamique familiale qui sous-tend les apparences. Dans une approche psychanalytique des procédés de création de l’autrice, il sera question de revenir sur l’utilisation de la matérialité dans ce récit. En effet, divers supports sont employés afin d’établir une frontière entre Alison et le reste de sa famille. Tout d’abord, l’utilisation de la littérature, de l’objet littéraire, permettra de faire état de la famille dans la fiction. Le père sera particulièrement analysé dans son rapport aux livres. La littérature faisant également partie d’un processus d’identification de soi pour l’autrice. Par la suite, il sera question de l’usage de la photo qui met en tension le réel et la fiction tout au long du récit. En effet, de nombreuses photos d’archive de l’autrice déterminent les premières pages de chaque chapitre, ce qui donne l’impulsion à chaque partie de l’histoire. Dans ce même travail d’archive, l’analyse de facsimilés des journaux intimes d’Alison et de lettres échangées avec ses parents permettra d’entrer dans le processus de création et les choix opérés par l’autrice. Ces facsimilés sont à la limite entre le réel et la fiction, ils attestent une vérité recherchée par l’autrice et les lecteurs. Pour autant, leurs passages sont minutieusement choisis par l’autrice, ce qui les renvoie à la fiction. Pour finir, ces enjeux de représentation du réel dans la fiction seront mis en lien avec le concept de déterritorialisation du sujet de Deleuze et Guattari. Un concept à partir duquel il est intéressant de relire Fun Home. L’autrice explique devoir procéder à cette fictionnalisation de sa famille afin de leur dessiner un contour tangible. Cela lui permet, dans ce cas-ci, un déplacement de sa famille et du secret dans la fiction afin qu’elle puisse s’inscrire dans le réel. Elle place alors une frontière entre l’Autre et elle. Dès lors, ce concept souligne l’importance pour l’autrice de la réappropriation de son histoire et de sa sexualité à travers l’écriture de la mémoire, ainsi que sa matérialisation dans la bande dessinée.
L’utilisation de la littérature comme rapport à la famille : déterritorialisation de la famille
Tout d’abord, il est notable que la littérature possède plusieurs places et, ainsi, remplit plusieurs rôles dans le récit. En effet, la littérature est un objet que se partagent Bruce Bechdel et Alison. Il est le lien dans leur relation, sa matérialité, sa définition par Alison mais aussi son lieu à elle. Comme le professeur Robin Lydenberg l’explique dans un article consacré à Fun Home, la famille d’Alison est représentée par toute une série de documents servant à les définir.
The family is a repository of literary, historical and aesthetic books, of dictionaries, private letters and diaries, of newspapers, catalogues, official documents, maps and family photographs-texts and images that are read and read into by the narrator. [1]
Il s’agit d’une manière d’aborder sa famille, de la repenser et de la rendre possible pour la narratrice. D’ailleurs, elle le dit elle-même lorsqu’elle compare ses parents à des personnages sortant d’Henry James et de F. Scott Fitzgerald. « Ces allusions à James et Fitzgerald ne sont pas qu’un procédé descriptif. C’est en terme de fiction que mes parents m’apparaissent les plus réels. » [2] La fiction permet à Alison de se réapproprier ses parents. Elle les compare à des personnages de livre afin de les redessiner. Comme pour un romantique qui tenterait de cerner la période floue dans laquelle il se trouve, Alison tente de se faire une image d’une famille mensongère où chacun joue un rôle. Par la littérature, Alison l’enferme définitivement dans un rôle déjà écrit : ce qui lui permet de cerner tous les membres de sa famille.
Par ailleurs, bien avant Alison, Bruce employait également la littérature pour vivre à travers les personnages. Il fuit sa propre identité refoulée et vit au travers des livres.
Trying to keep his homosexuality at bay, Bruce finds in Fitzgerald a template for the heterosexual, upper-class identity he will also try to construct through renovations of his once gracious Victorian house and in his role as pater familia. [3]
Une façon de vivre hors de sa réalité, tantôt pour rejoindre celle de la famille et de l’hétéronormativité, tantôt pour vivre son homosexualité cachée. Bruce se déterritorialise hors de lui-même afin d’échapper à l’enfermement. La littérature est un moyen d’évasion et d’identification pour Bruce, qu’Alison utilise également par la suite. En enfermant ses parents dans un livre, elle sort du schéma familial, tente une circonscription de ceux-ci dans un territoire précis afin de se créer le sien. La notion de territoire, de dé-territoire, part du concept de Gilles Deleuze et Félix Guattari expliqué dans divers de leurs ouvrages et appliqué notamment dans le cas de Kafka dans sa Lettre au père.
L’existence ne se résume pas à la permanence dans son territoire. Partir, c’est naitre à soi-même, les voyages forment la jeunesse. Quitter le territoire de papa et maman, adieu nid familial, c’est mourir un peu et renaitre de plus belle. Entrouvrir la porte pour laisser entrer l’étranger, […], c’est accueillir une source de vie et aussi une espèce de chaos qui vient remuer mon trop d’ordre. [4]
Par la littérature, Alison sort du territoire des parents, elle prend du recul pour mieux le voir et ainsi l’enfermer en dehors d’elle. C’est une première déterritorialisation. Seulement, « il n’y a pas déterritorialisation sans reterritorialisation subséquente. […] Se déterritorialiser, emprunter des lignes de fuite, avec reterritorialisation subséquente,[…]» [5].
Il est intéressant de souligner l’intrication d’Alison et Bruce dans l’objet littéraire. En effet, au-delà de son usage comme circonscription des identités au sein du récit, la littérature fait le lien entre Alison et son père. Elle est un objet d’intérêt commun et donc un terrain d’entente dans une relation gênée. C’est grâce à ce médium qu’Alison et Bruce parviennent à discuter comme le souligne le passage dans la voiture où le père et la fille parlent à demi-mot de leur sexualité. Alison amorce par : « Je me demande si tu savais ce que tu faisais quand tu m’as donné ce livre de Colette. » [6], une façon d’aborder un sujet par une référence littéraire commune. La littérature est ici un point de convergence entre le père et la fille. Cependant, il en demeure tout de même le terrain du père avant celui de la fille et c’est pourquoi elle s’en détache en arrivant au Collège.
Alison falls under the influence of her father, her teachers and her lovers, each promoting a different mode of reading for identification, reading for parallels and symbolic meanings, reading for the sensual pleasure of language. [7]
Comme souligné dans ce passage, la littérature devient un enjeu d’identification personnelle pour Alison. D’abord sous l’influence de son père, qui a été son professeur d’anglais et avec qui elle a pu tissé un lien grâce aux livres, elle se détache peu à peu de sa lecture pour chercher la sienne. Dans ce parcours, il s’agit de se réapproprier l’objet du livre, notamment dans sa sexualité. En effet, il faut remarquer l’usage du livre qui diffère chez Bruce et plus tard, chez Alison. En changeant de lectures et d’interlocuteurs à l’université, le livre devient un symbole d’homosexualité, d’une existence de plaisir qui passe d’abord par les mots pour ensuite se concrétiser. Alison refuse le compromis de son père qui ne vit qu’à travers les livres. Les livres sont pour elle la première ouverture vers une sexualité assumée. Les livres sont le support de sa relation avec sa compagne, qui devient une autre source d’influence littéraire. Dans les passages où elles sont au lit, il y a toujours un livre qui les accompagnent. « Le tout entrelacé de livres, en une sorte de fusion pour moi entre le mot et la chose ». [8] Cette omniprésence de la littérature dans la vie d’Alison réinvestit ce que son père lui a transmis ; elle reterritorialise le livre, la littérature pour elle, sans son père. Il n’en demeure pas moins la première influence pour Alison. C’est pourquoi, la figure du père doit être circonscrite dans un livre, dans une bande dessinée, afin d’entamer un nouveau chapitre sans son père au-dessus de son épaule.
This meeting of high and low culture, like the relationship between Alison and her father, is not a harmonious merging but an ongoing struggle, simultaneously a connection and a disconnection. Even working in her chosen medium, Bechdel feels the “inhibiting influence” of her father “looking over her shoulder” (1008), a constant looming presence in her reading and writing life. [9]
La bande dessinée devient le médium unique de l’autrice et lui permet de redéfinir les contours graphiques et lexicaux de son existence. Encore ici, la littérature donne l’impulsion à la réalité en la nommant. En effet, de nombreux chapitres débutent par une page de couverture où il est inscrit un titre de livre. Le récit autofictionnel, à la limite de l’autobiographie, tient d’abord dans une référence littéraire. Par le titre, Alison enferme tout un pan de son histoire et le classe dans les différentes problématiques dont relèvent les livres cités.
(…) each chapter title referring to a different author whose is used to frame the chapter’s themes: struggles with identity (Joyce), desire (Oscar Wilde and Marcel Proust) and death (Albert Camus).[10]
Ces catégories donnent aux lecteurs une tendance sur ce qui s’en suit dans le récit. Les titres portent le poids de l’histoire qui est racontée dans les pages qui suivent. Ils ne permettent pas aux lecteurs d’avoir une grande interprétation au-delà de ce que l’autrice entendait. Le processus fictionnel s’entame dès la première page du chapitre et permet la matérialisation de la famille d’un livre à l’autre. Cette classification permet à nouveau d’avoir un lien avec le père, puisqu’il s’agit de classiques dont il s’est d’abord emparé. Seulement, la fictionnalisation entame aussi la circonscription d’un territoire personnel hors de la famille, dès qu’ils sont dans la bande dessinée. C’est un « sous-territoire »[11] de la famille, qu’Alison exploite pour se réapproprier son histoire familiale.
L’utilisation d’archives : des photos pour appuyer la fiction
Au début de chaque chapitre, se trouve un croquis en noir et blanc, qui semble représenter une photographie. En effet, la page de couverture du chapitre 1[12] présente un croquis du père d’Alison. Le style de dessin, la pose du père, et les coins à photo dessinés aux bords de l’image laissent croire aux lecteurs qu’ils plongent dans un album de photos de famille. Lorsque ces derniers tournent la page, le style de dessin change cependant : le récit commence. Il y a là une importante différence entre les débuts de chapitre, marqués par le détail dans les traits et le style noirci, et les chapitres en eux-mêmes qui sont plus simplifiés au niveau des traits, dans une couleur plus pâle. Comme le souligne Juliette Cherbuliez dans son analyse de Fun Home :
Bechdel concentrated not on the story but on the very technical ways in which she created it. A self-avowed obsessive archivist, Bechdel applied this same attention to the creation of each panel. She posed for and photographed recreations of each frame, in order to later redraw the scene.[13]
Le terme d’archiviste représente bien les techniques élaborées par l’autrice pour rester le plus fidèle possible à son histoire. Il y a une volonté de ne pas trahir le réel mais de le souligner à travers la fiction. Résultant une mise en tension du réel et de la fiction. En effet, l’autrice part d’un aspect réel, intime de sa vie qu’elle (re)présente dans la bande dessinée avant chaque partie de récit. Dans cet acte, l’autrice part des photos pour ancrer la fiction dans un cadre spatio-temporel précis. La photo est un médium majeur puisqu’elle commence chaque chapitre, accompagnée du titre d’un livre. Elle donne ainsi la tendance de ce qu’il va suivre.
En commençant chaque chapitre par une archive photo redessinée, il est aussi question d’une représentation du sujet du chapitre ; comme si, à l’intérieur de chaque chapitre, il fallait déconstruire le faux semblant de la photo. Déconstruire le faux semble primordial dans cette tragicomédie. Le processus de création qui y est lié concorde avec le fond du récit, qui veut déconstruire l’image du père et de la famille d’Alison. L’autrice veut dénoncer et s’inscrire en tant que sujet seul. Cette approche de déconstruction du sujet réel dans la fiction mêlent ironiquement le faux, le mensonge réel de la famille et la vérité rétablie par la fiction qu’Alison tente d’écrire dans cette bande dessinée.
This technique is a recreation and reappropriation of the book’s other genesis-her discovery of certain photos that was a clue to her father’s homosexuality and led her to reconsider, and rewrite, her own life.[14]
Grâce à ce procédé d’archive comme mise en tension du réel dans la fiction, il est intéressant de souligner la place centrale de l’homosexualité cachée (et découverte) du père dans le récit. Il s’agit d’un sujet primordial de la bande dessinée avec lequel l’autrice joue tout au long du récit. En effet, lorsqu’Alison découvre une photo de son babysitteur en maillot de bain dans les affaires de son père[15], elle met en tension l’image et l’écrit. Encore une fois, il s’agit d’un croquis, comme en début de chapitre. Ce rappel est d’autant plus détonnant puisqu’il s’agit du seul visuel prenant deux pages au sein de la bande dessinée. Le dessin est omniprésent et significatif de toute la scène. De plus, la présence de la main redessinée d’Alison tombant sur la photo met l’emphase sur le centre de l’image : le garçon posant. L’étonnement des lecteurs lorsqu’ils tombent sur cette page double évoque le malaise ressenti par Alison au moment où elle découvre la photo. L’image sublime ce que le personnage ne veut pas comprendre une fois de plus. En effet, Alison va se rappeler du lieu de la photo, ce qui va raviver un souvenir d’enfance vécu avec son père. Seulement, cette fois, la photo entache ce souvenir de vacances agréable. Elle est alors envahie par son père dans ce qui lui appartenait de l’enfance. Il reprend également une place effrayante dans ce qu’Alison avait déterritorialisé : son homosexualité. Elle finit par parler de la beauté de la photo ce qui l’éloigne des sujets de la mort et du refoulement de son père. L’inscription dans le langage de cette photo découverte n’a pas été choisie par l’autrice, reterritorialisée malgré elle dans son espace où le père réapparait au-dessus d’elle. En effet, elle se place en observatrice du jeune homme, comme son père l’a été des années avant en prenant cette photo.[16] Elle reste ici du côté du père, dans son ombre et celle de sa sexualité.
L’utilisation des lettres et des journaux : leur représentation « authentique »
Dans cette même perspective, l’utilisation d’archives comme point de départ à la fiction se retrouve également dans les nombreuses lettres et pages de journaux intimes, réécrites tout au long du récit. Tout comme les photos, ces dernières ne sont pas illustrées dans le style de la bande dessinée. Il est important de souligner que chaque lettre, chaque page, est unique dans sa calligraphie. Comme on peut le voir au chapitre 5, de nombreuses cases sont utilisées par des morceaux de journal intime que tenait Alison plus jeune.[17] Les pages sont ici réécrites par l’autrice pour compléter la trame du récit. Le facsimilé est omniprésent au sein de l’histoire et met l’emphase sur l’importance des traces écrites comme gage de réalité. En effet, comme le marque le passage ci-dessous, les facsimilés des journaux intimes montrent l’évolution et les différentes phases par lesquelles Alison est passée.
In Fun Home, Behcdel narrates in words and images the story of her own development as a reader and the struggles it entailed.[18]
De plus, le jeu de calligraphie souligne l’importance de certains passages, qui sont lisibles, alors que d’autres sont totalement abstraits. Cela rappelle que l’autrice décide de ce qu’elle met en avant ou non dans son œuvre. Par exemple, lorsqu’Alison parle de son homosexualité à ses parents, sa mère refuse d’abord de lui parler et lui envoie une lettre en réponse.[19] Cette lettre est reproduite par l’autrice seulement, la façon dont elle figure dans la case ne permet pas d’avoir accès à tout le contenu de la lettre. Ainsi, le lecteur peut lire un paragraphe en entier et quelques autres bribes coupées par la case. L’impression de proximité et de vérité s’en trouve renforcée pour le lecteur, bien qu’en réalité, il s’agisse d’une emphase fictionnalisée par l’autrice. Cette façon artisanale de procéder veut souligner le caractère authentique de ses échanges avec ses parents. Pourtant, cela démontre également la subjectivité à laquelle est soumis le récit. L’authenticité re-présentée montre aussi la sélection faite par l’autrice du réel, qui résulte d’un choix réfléchit. Il y a de nouveau une tension entre le réel et la fiction. Ils se recoupent constamment afin de compléter le récit mémoriel de l’autrice. Elle se permet de poser ses mots sur une histoire qui la dépasse afin de s’en dérober, de s’en déterritorialiser. La fiction est au service du réel comme acte de sublimation et, à l’inverse, le réel puise dans la fiction pour permettre une sortie de la famille dans la vie de l’autrice.
Toutefois, cette sortie n’est jamais complètement possible. Comme le montre l’autrice dans sa démarche et ses réflexions plus jeune, il n’est pas totalement possible d’écrire le réel. Une fois écrit, celui-ci ne se résulte qu’en une partie subjective d’un réel passé, contenu à présent dans des mots sans vie. La tension créée entre la matérialité des mots et la vie qu’ils représentent renforce le besoin d’écrire pour Alison. La vie étant déjà abstraite et donc difficile à saisir.
Bechdel simultaneously embraces and resists her father’s passions, especially his relationship to books reading.[20]
Cette impossibilité du réel à rentrer dans la fiction, Alison l’a déjà connu lorsqu’elle était enfant et le relate comme un doute épistémologique profond.[21] En effet, déjà très consciente des limites de l’écriture, Alison se met à écrire “I think” après chaque phrase énoncée dans son journal. Par la suite, elle invente même un signe pour représenter ce doute. Peu à peu, le signe prendra plus de place que le texte, il le couvrira. Ces ratures sont intéressantes dans le cheminement de l’autrice vers sa propre réalité. Grâce aux passages représentés de son journal, elle émet la possibilité de sortir de la représentation donnée du monde pour s’approprier la sienne. Dans ce doute épistémologique réside le déclic vers une vérité qui lui est propre. La présence du journal d’Alison jeune appuie ici l’acte de création de l’autrice et, en même temps, souligne le combat constant entre ses frontières et celle de la réalité de ses parents. L’impossibilité d’enfermer la famille dans un livre, donnera lieu à un second livre centré davantage sur la mère de l’autrice quelques années plus tard. Il y a un sentiment d’impuissance qui donne constamment l’envie de continuer d’écrire sur le même sujet malgré la faille entre le signifiant et le signifié. C’est pourquoi il fallait parler de cette faille même. La famille se trouvant au creux de celle-ci.
Conclusion
La bande dessinée Fun Home joue aux frontières entre le réel et la fiction. Ce récit est une autobiographie autant qu’un manifeste de l’écriture d’un nouveau « Je » pour l’autrice. Après l’écriture de ce récit, sa famille inconsistante tient en un livre, en un objet. La mise en lien de l’écriture et du dessin permet d’enfermer dans les mots, dans la fiction, le traumatisme familial et de sortir du cadre en le posant. Le sujet vient se définir par ce qu’il n’est pas : les « Autres ». L’étranger c’est son père et il fallait la fiction pour qu’Alison existe en dehors de lui. Il est alors possible de circonscrire les identités au sein de la famille. En fictionnalisant sa famille, en lui donnant une image et une voix, l’autrice en appelle à une déterritorialisation de son identité. Elle sort du territoire de sa famille. Elle tente l’inscription de sa propre identité, seule, circonscrite par cette tension entre le réel et la fiction. Ainsi, les photos, les lettres et la culture partagée avec son père deviennent des moyens de raconter l’envers du décor. Avec ces souvenirs, elle crée des archétypes de sa famille qu’il est plus facile de se réapproprier et de mettre à distance. La réalité du père se trouve dans sa bibliothèque, dans sa maison, dans ses photos. C’est une matérialisation de sa sexualité, fictionnalisation de sa vie pour y échapper, s’enfuir dans le texte. Le père et la fille sont en vase communiquant et entretiennent une relation particulière qu’il est difficile de nommer. Cette tension détermine le processus de création de l’autrice et se perçoit tout au long de la lecture. Dans ce processus, il est question de vérité, de rétablir sa vérité derrière la fiction de sa famille et ce, malgré l’impossibilité d’inscrire toute la réalité.
[1] Lydenberg Robin, “Reading Lessons in Alison Bechdel’s “Fun Home: a family tragicomic”, College Literature, Vol. 44, n. 2 (spring 2017), p. 133-165 in The Johns Hopkins University Press. P.133. https://www.jstor.org/stable/44507177 consulté le 4 juin 2024.
[2] Bechdel Alison, « Fun Home », Denoël Graphic, Paris, 2013 (2006). P.71.
[3] Lydenberg Robin, “Reading Lessons in Alison Bechdel’s “Fun Home: a family tragicomic”, College Literature, Vol. 44, n. 2 (spring 2017), p. 133-165 in The Johns Hopkins University Press. P.139. https://www.jstor.org/stable/44507177 consulté le 4 juin 2024.
[4] Ansay Pierre, « 36 outils conceptuels de Gilles Deleuze. Pour mieux comprendre le monde et agir en lui », Couleur livres, Mons, 2015. P.371
[5] Ibid. p.372.
[6] Bechdel Alison, « Fun Home », Denoël Graphic, Paris, 2013 (2006). P.224-225.
[7] Lydenberg Robin, “Reading Lessons in Alison Bechdel’s “Fun Home: a family tragicomic”, College Literature, Vol. 44, n. 2 (spring 2017), p. 133-165 in The Johns Hopkins University Press. P.134.
[8] Bechdel Alison, « Fun Home », Denoël Graphic, Paris, 2013 (2006). P.84.
[9] Lydenberg Robin, “Reading Lessons in Alison Bechdel’s “Fun Home: a family tragicomic”, College Literature, Vol. 44, n. 2 (spring 2017), p. 133-165 in The Johns Hopkins University Press. P.137.
[10] Ibid. p. 150.
[11]A nsay Pierre, « 36 outils conceptuels de Gilles Deleuze. Pour mieux comprendre le monde et agir en lui », Couleur livres, Mons, 2015. P.369.
[12] Bechdel Alison, « Fun Home », Denoël Graphic, Paris, 2013 (2006). P.6.
[13] Cherbuliez Juliette, « There’s No Place like (Fun) Home », Transatlantica en ligne, 1 | 2007, mis en ligne le 23 mai 2007. http://journals.openedition.org/transatlantica/1227 consulté le 2 juin 2024. P.2.
[14] Idem.
[15] Bechdel Alison, « Fun Home », Denoël Graphic, Paris, 2013 (2006). P.104-105.
[16] Tison Helen, “Loss, revision, translation: re-membering the father’s fragmented self in Alison Bechdel’s graphic memoir “Fun Home”: a family tragicomic”, The Johns Hopkins University Press, In Studies in the Novel, fall 2015, Vol. 47, No. 3, Special Issue: The graphic novel, p.346-364. https://www.jstor.org/stable/26365349 connsulté le 2 juin 2024. P.347-349.
[17] Bechdel Alison, « Fun Home », Denoël Graphic, Paris, 2013 (2006). P.144-145.
[18] Lydenberg Robin, “Reading Lessons in Alison Bechdel’s “Fun Home: a family tragicomic”, College Literature, Vol. 44, n. 2 (spring 2017), p. 133-165 in The Johns Hopkins University Press. P.160.
[19] Bechdel Alison, « Fun Home », Denoël Graphic, Paris, 2013 (2006). P.81.
[20] Lydenberg Robin, “Reading Lessons in Alison Bechdel’s “Fun Home: a family tragicomic”, College Literature, Vol. 44, n. 2 (spring 2017), p. 133-165 in The Johns Hopkins University Press. P.139.
[21] Bechdel Alison, « Fun Home », Denoël Graphic, Paris, 2013 (2006). P.146-147.
< https://www.cairn.info/revue-research-in-psychoanalysis-2020-1-page-84.htm> consulté le 13 mai 2024
Bastyns, Margaux (2024). « Fun Home, une déterritorialisation familiale ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/fun-home-une-deterritorialisation-familiale], consulté le 2024-12-11.