Être keuponne, c’est forcément réinventer la féminité puisqu’il s’agit de traîner dehors,[…] vomir de la bière, sniffer de la colle jusqu’à rester les bras en croix, se faire embarquer, pogoter, tenir l’alcool, se mettre à la guitare, avoir le crâne rasé, rentrer fracassée à tous les soirs, sauter partout pendant les concerts, chanter à tue-tête en voiture les fenêtres ouvertes des hymnes hypermasculins.
– Virginie Despentes (King kong théorie: 115)
Le projet Femmes Ingouvernables n’aurait pas pu naître à un meilleur moment qu’au printemps 2016, où se tenaient, à Montréal et à Québec, plusieurs concerts de métal extrême. Inspirée par l’appel à collaboration, mais aussi par mes expériences personnelles, je me suis alors retrouvée à observer cette figure de femme ingouvernable dans l’univers du black metal. Aux termes de plusieurs recherches, j’en suis venue à l’évidence: bien peu d’études ont été faites sur la place des femmes et du féminin dans la culture du métal extrême. Or, étant située moi-même au premier plan de cette sous-culture, étant une spectatrice assidue depuis plusieurs années, une fervente métalleuse «patchée» qui alimente encore une collection impressionnante de disques compacts, de cassettes audio et de vinyles à l’ère du numérique, je ne peux faire autrement que remarquer qu’il y a lieu de se questionner sur les enjeux entourant la présence du féminin dans cette culture particulière. Mes réflexions ici sont donc le fruit des quelques lectures à ce propos, mais surtout de mes propres expériences de métalleuse.
Lorsqu’il est question de heavy metal ou de métal extrême, on pense généralement à des hommes aux cheveux longs, souvent barbus ou très tatoués, qui portent des jeans déchirés et des gilets à l’effigie de groupes de musique. On pense à des musiciens qui ont des allures agressives avec des bottes de style militaire et des ceintures particulières dites «ceintures de balles». L’imaginaire relié au monde du métal renvoie à des hommes forts qui travaillent leurs muscles en jouant de la batterie ou encore qui chantent avec leurs voix caverneuses. Par contre, quand on parle de musique extrême, il est rarement question de femmes. Si l’imaginaire du heavy metal renvoie principalement au genre masculin, c’est bien parce que cette culture est née à la manière des tavernes, soit comme des boys club où les femmes ne sont présentes qu’à travers des images, sur des couvertures d’albums ou encore dans des calendriers érotiques, telles de simples décorations. En définissant les enjeux de la place du féminin dans l’environnement hypermasculin du métal extrême, il est possible de montrer comment les femmes ingouvernables que sont les métalleuses réinventent la féminité pour emprunter l’idée de Despentes citée plus haut. D’ailleurs, Virginie Despentes souligne déjà à propos de la culture punk, cousine de la culture du métal extrême: «Le punk-rock est un exercice d’éclatement des codes établis, notamment concernant les genres. Ne serait-ce que parce qu’on s’éloigne, physiquement, des critères de beauté classique»(115).
Bien qu’elles soient présentes dans les concerts et qu’elles fassent partie de plusieurs groupes de musique, il n’y a encore qu’une minorité de femmes qui assiste à des spectacles ou qui s’implique activement dans les scènes de métal. Les critiques de concerts réfèrent systématiquement au public masculin ou aux «métalleux qui headbangent1». La majorité des groupes de métal sont formés de musiciens, alors que les femmes, leurs conjointes, leurs amies sont celles qui servent la clientèle aux tables de marchandise ou qui font simplement partie du public, occupant ainsi un rôle de second plan. De plus, comme le veut le cliché, on associe généralement la métalleuse à la groupie. L’auteur Ryan Moore dans son ouvrage Smells like teen spirit. Music youth and social crisis avance même:
While it is difficult to know exactly what kind of meaning and pleasures female audiences derived from these bands and their music, [en parlant des groupes de heavy metal] they can be situated in a longer history in which young women have made male musicians the objects of their sexual desire. (110)
Si on attribue encore aujourd’hui la culture métal au genre masculin, c’est notamment parce qu’il y a beaucoup moins de femmes qui s’intéressent à ce genre musical, mais aussi, et surtout, parce que certaines traditions liées à cette culture sont considérées comme étant violentes. On sait d’ailleurs qu’il est attendu des femmes à ce qu’elles restent calmes et qu’elles ne manifestent aucune d’émotion excessive. Les femmes ne peuvent donc pas être agressives ou violentes puisque la pensée générale «s’imagin[e], tranquill[e], que les filles naissent dans des sortes de roses virtuelles et qu’elles devraient devenir des créatures douces et paisibles» (Despentes: 129), pour emprunter les termes de Virginie Despentes. Le mosh-pit par exemple, est un lieu sacré dans un concert de métal où plusieurs spectateurs-trices se retrouvent pour se pousser, sauter, mosher. Étant donné le caractère extrêmement agressif de cette activité, il n’y a que quelques métalleuses qui osent s’aventurer en ce lieu saint. L’univers festif de la culture métal, où les drogues et alcools abondent dans les concerts et les fêtes, contribue aussi à la masculinisation de ce mouvement puisque la débauche et l’ivrognerie sont socialement convenues comme étant réservées aux hommes. Il est, semble-t-il, très peu «féminin» de se saouler ou de se droguer, autrement dit de perdre le contrôle de son corps et peut-être même de son esprit. D’ailleurs, l’imaginaire de la culture métal renvoie beaucoup à celle de la culture des motards, un autre univers hypermasculin où l’on retrouve des drogues, de l’alcool, un intérêt pour la musique agressive et les tatouages et surtout des vestes à écussons.
Tous ces différents facteurs ont contribué à repousser les femmes de ces communautés marginalisées et ce depuis les débuts du rock n’roll, mais plusieurs femmes sont parvenues à prendre une part active de ces mouvements culturels particuliers; on se rappelle la rockeuse Joan Jett et sa chanson, I love rock n’ roll, qui est quasiment devenue un hymne du rock au féminin. Dans la lignée de Joan Jett, les femmes se sont mises à participer plus activement aux mouvements de contre-culture musicale en s’impliquant dans des groupes de musique ou en formant leurs propres girlbands à la manière de sororités. Une des rares chercheuses s’intéressant à la place des femmes dans la sous-culture du métal extrême, Anna Sheree Rogers explique dans sa thèse, en s’appuyant sur une étude du sociologue Ross Haenfler:
While women are generally underrepresented in heavy metal, some successful metal bands have female members who “defy the stereotype of women as groupies, asserting their power in a male-dominated subculture”. (2015:28)
Il est important de distinguer le heavy metal des sous-genres issus du métal extrême puisqu’il s’agit de genres musicaux assez différents; les enjeux par rapport à la place du féminin ne sont donc pas les mêmes. Le heavy metal est le style plus le traditionnel de la musique métal, soit le plus populaire où on retrouve des groupes comme Black Sabbath ou encore Iron Maiden. Le métal extrême quant à lui comprend des sous-genres comme le death metal avec des formations comme Deicide ou encore le black metal avec des groupes fondateurs comme Dark Throne ou Mayhem. Ce qui distingue le black metal du métal traditionnel, c’est d’abord la distorsion et les notes plus aigües de la guitare, la rapidité de la batterie dont le son rappelle une mitrailleuse et les chants gutturaux évoquant des cris de mort. La qualité de l’enregistrement est également très différente. Alors que les groupes de heavy metal produisent désormais des enregistrements de qualité, les musiciens et musiciennes de black metal privilégient un son garage plus rudimentaire. L’esthétique visuelle du black metal diffère aussi du heavy metal. Tandis que l’imagerie du heavy renvoie généralement à l’agressivité, la violence ou même le gore, le black metal exploite une esthétique de l’occulte où les thèmes du paganisme, de la mélancolie et de la misanthropie sont développés dans les moindres détails.
On peut diviser les groupes de black metal en trois vastes catégories. Il y a les groupes fondateurs dits cultes – les groupes que n’importe quel-le adepte véritable doit connaître (un peu comme Duras ou Proust chez les littéraires); il y a aussi les groupes dits «commerciaux» qui sont devenus tellement populaires qu’ils sont même souvent discrédités par certain-e-s black métalleux et métalleuses. La troisième catégorie comprend les groupes très underground dont les pistes sont difficiles à télécharger ou littéralement introuvables en version numérique ou en format disque compact. D’ailleurs, plus un groupe est underground, plus il est considéré comme authentique et culte. Mine de rien, le caractère extrêmement marginal et la petitesse de la culture black metal font en sorte qu’il est encore plus difficile pour une femme de s’intégrer dans cette scène musicale encore très méconnue. Il existe une infinité de sous-genres de métal, mais mes observations se font spécifiquement sur la culture du métal extrême et du black metal, où les enjeux entourant la place du féminin me semblent particulièrement importants. Maintenant que le heavy metal est beaucoup moins marginalisé qu’à ses débuts, la place du féminin dans cette culture est moins problématique que dans la culture black metal.
Le heavy metal traditionnel féminin est marqué par exemple par la présence de quelques groupes très populaires comme Girlschool, composé exclusivement de musiciennes. Ce groupe datant des années quatre-vingt est une des rares formations féminines qui peut compter plus de trente ans de carrière. Il y a aussi plusieurs musiciennes qui se sont démarquées dans des groupes majoritairement composés de musiciens. Il y a par exemple, Liz Buckingham du groupe Eletric Wizard, Jo Bench de la formation Bolt Thrower et la chanteuse bien connue du groupe Arch Enemy, Angella Gossow. Le groupe Arkona a quant à lui construit sa popularité autour de la chanteuse et compositrice aux allures de guerrière, Maria Arkhipova dont le nom de scène «Masha Scream» rend hommage à son vocal très puissant trop souvent qualifié de «viril». Ici au Québec, on peut penser à Crook, la chanteuse de la formation Valfreya.
En revanche, la scène black metal compte beaucoup moins de groupes avec des membres féminins. On peut penser à la formation Sortilegia de Toronto, composée d’une chanteuse dont les chants gutturaux méprennent toutes celles et tous ceux qui croient recevoir les cris déchirants d’un homme. Ce groupe exploite au maximum le thème de l’occulte, la chanteuse agit à titre de prêtresse. Le groupe allemand Darkened Nocturn Slaughtercult est également reconnu pour sa chanteuse dont l’esthétique générale renvoie à la figure bien féministe de la Sorcière. En intégrant la scène black metal à titre de musicienne, les métalleuses se réapproprient le langage particulier de cette culture où la rage et la colère sont exprimées par des chants gutturaux, les crissements d’une guitare ou les sons fracassants d’une batterie. Comme on le sait déjà, la rage et la colère sont des sentiments qui, lorsqu’éprouvés par des femmes, sont jugés comme étant excessifs et inacceptables. Il est donc intéressant de voir des femmes se réapproprier ces sentiments à travers l’expression musicale. Il est important de souligner que l’apport des femmes à la culture métal ne se fait pas seulement sur le plan musical. Elles ne sont pas uniquement musiciennes, elles sont aussi critiques d’albums et de concert –ce qui leur permet encore une fois de prendre la parole et de formuler leurs propres opinions sur des groupes ou sur cette sous-culture en général– elles sont éditrices de magazines métal, productrices de musique, photographes de concerts, designers de flyers, DJ, etc.
Deux métalleuses montréalaises ont contribué significativement à l’épanouissement de la culture métal. En discutant avec elles, j’ai pu noter des similarités très particulières et révélatrices dans leurs discours. Je leur ai simplement demandé de me décrire leur intégration dans la culture métal et comment elles ont géré le fait d’être métalleuse dans cet univers hypermasculin. Une des musiciennes est une femme très active de la scène métal. Il s’agit d’Annick Giroux, la chanteuse et claviériste du groupe Cauchemar qui a fait des spectacles à l’international. En plus d’être DJ, elle a créé plusieurs fanzines de métal ainsi qu’un blogue, elle a organisé de nombreux concerts et festivals, elle est copropriétaire d’un label et elle est l’auteure du très populaire livre de recettes Hellbent for cooking. The heavy metal cookbook, qui s’est vendu à plus de dix mille copies partout dans le monde. Cette dernière m’a raconté:
Quand j’avais peut-être [vingt ans] dans le métro, j’avais ma veste à patchs et quelqu’un m’avai[t] demandé si c’était à mon grand frère ou quelque chose, haha! [Elle poursuit en parlant de son expérience avec Cauchemar] Je joue de la basse au début, mais je switche aux vocals plus tard. On dirait que les gens changent leur perception quand on est frontwoman. On m’a jugée sur mes looks (sur Internet surtout: des commentaires comme «son tattoo ne fait pas complètement le tour de son bras, car elle est trop grosse2»). Du coup, mes looks ont beaucoup compté2, tandis qu’un homme est beaucoup moins jugé2 à mon avis. Je n’étais pas une très bonne chanteuse au début, mais j’ai pris des cours et je me suis améliorée, j’ai beaucoup développé de confiance en moi et maintenant j’ai trouvé ma manière de chanter et de faire un show. On me surnomme quelques fois une King Diamond féminine2! Haha! C’est surtout pour l’énergie que je dégage en jouant live. On ne me juge plus vraiment de nos jours. On semble me respecter beaucoup.2
Une autre musicienne, Stéphanie Masson du groupe de métal féministe November Grief a su se faire connaître dans les années quatre-vingt-dix avec des chansons comme «Keep Your Rosaries, Off Our Ovaries», m’offre un discours similaire:
Pas de harcèlement, mais souvent une attitude de «bras croisés» [dans la foule] avec un look de prove us you can play2. Et [dans quatre-vingt-dix pourcent] des cas ils étaient convaincus que [nous] étions sincères [dans] notre démarche2. Les amateurs de métal en général sont intelligents et savent si les musiciennes devant eux sont sincères. Il n’y avait pas ou peu de filles [dans la scène métal] des années [quatre-vingt-dix]. […] Mes influences du temps étaient à [quatre-vingt-quinze pourcent] masculines, mais les deux filles qui m’épataient le [plus] étaient Dawn Crosby de Fear of God et la légendaire Jo Bench de Bolt Thrower. […] Une de nos guitaristes avait un problème de poids2 et il y avait des tatas qui riai[en]t d’elle. Mais elle ne se laissait pas faire et je l’ai vue vider un pichet de bière sur la tête d’un cave devant les gars de Brutal Death. […] Le plus beau compliment à mon égard fut quand on m’appelait la David Vincent féminine2.
Dans les deux cas, les musiciennes m’expliquent qu’elles ont dû prouver leur talent pour que leur musique soit acceptée au même titre qu’une œuvre présentée par des hommes. Bien que les musiciens doivent également prouver la qualité de leur musique, le public a beaucoup moins de réticence lorsqu’il s’agit d’un groupe exclusivement masculin. Les deux femmes soulignent également l’importance de l’apparence et donc du poids des musiciennes, problématique qui n’est pas du tout présente chez les musiciens. On ne soulignera jamais la corpulence d’un chanteur ou d’un guitariste pour le critiquer. Enfin, elles m’ont toutes les deux dit qu’elles avaient été complimentées par des comparaisons à des chanteurs populaires du milieu comme King Diamong ou David Vincent, au lieu d’être simplement complimentées pour leurs talents à elles. Les commentaires de ces musiciennes font la lumière sur de nombreuses problématiques qui expliquent la difficulté des femmes à se joindre à ces sous-cultures. Que ce soit à titre de musicienne ou simplement d’adepte, les métalleuses doivent faire face à de nombreuses situations lorsque vient le temps de s’intégrer à ces communautés. Anna Sheree Rogers explique d’ailleurs avec beaucoup de précision:
Women who join male-dominated cultural groups that are known for their hypermasculinity are often labeled as deviants. Both mainstream society and the males in a specific cultural group contribute to this phenomenon. These women are made very aware of their gender in settings where they are in the minority. This phenomenon has an impact on women’s behavior and many times they develop coping strategies that help them be accepted into the group and be able to have a functioning role in the group. The two dominant routes of “fitting in” or being accepted are adhering to traditional gender roles or trying to be like “one of the guys” by performing masculinity the same way the males in the group do [by adopting a specific style of dress and language]. Defensive othering towards other women in the group frequently occurs as well as a known hierarchy among the group members based on sex and gender. (2015:21)
Fans of heavy metal typically claim to be different from the rest of society and explicitly wish to be known as metalheads. The metal identity is made by style of dress, choice of music, and an overall attitude. When groups have clear boundaries between who is “in” and who is “out”, there are requirements to prove oneself in the group. When that group is also male-dominated, the task of belonging could become even more difficult for females, because they might have to “prove” themselves even more than the males do, strictly on the basis of their gender. (31)
This requirement on the part of female metalheads implies having a broad knowledge of the musical genre (44).
Le dernier point de Sheeree Rogers est problématique dans le cas du black metal. De quelle manière l’adepte de métal extrême peut-il ou elle acquérir une connaissance approfondie de la culture musicale si, comme il a été mentionné plus tôt, les options de téléchargement pour ce genre musical sont assez limitées? La majorité des adeptes téléchargent les discographies à l’aide de torrents ou de fichiers compressés (avant de se procurer les albums par commandes Internet ou dans les concerts –les fans de métal étant de fervent-es collectionneurs-euses). Cette méthode de téléchargement peut être difficile pour une personne qui n’a pas d’expérience avec la technologie informatique. On sait d’ailleurs que le milieu informatique est également un univers hypermasculin, ce qui pourrait expliquer la difficulté qu’éprouvent plusieurs métalleuses à télécharger leur propre musique alors qu’elles sont plutôt habituées au disque compact ou au téléchargement avec bandcamp. Les habiletés d’une adepte de black metal pour trouver et télécharger les albums définiront son niveau de connaissance et lui permettront de s’intégrer pleinement ou pas à cette culture. Il est donc crucial pour une black métalleuse de savoir comment dénicher la musique.
L’acquisition de compétences techniques pour télécharger ou enregistrer des pistes, les talents musicaux pour créer de la musique ainsi que toutes les autres compétences de rédaction, de graphisme ou d’organisation, collaborant de près ou de loin à l’épanouissement de la culture black metal ne sont pas les seules manières des métalleuses de se réapproprier cette culture. Étant donné que l’image y compte pour beaucoup, il est nécessaire de se pencher sur une caractéristique qui peut paraître superficielle: l’esthétique black metal. Comme l’a déjà démontré Anna Sheeree Rogers, les métalleuses ont besoin de symboles physiques pour montrer qu’elles sont fans du genre musical. Elle explique en référant aux entrevues qu’elle a faites avec des métalleux et des métalleuses:
This theme has relevance from a gender perspective because no males discussed buying things as part of their experience in the subculture. Based on the broader statements made in the interviews with females, this theme can be argued to imply that female metal fans feel a need for physical markers to show they are fans of the genre as another way of “proving themselves”. (46)
Les métalleuses accordent donc une grande importance à leur look. Elles peuvent donc arborer autant des gilets à l’effigie de groupes que des accessoires cloutés, des bijoux en forme de crânes ou même des couleurs de cheveux nontraditionnelles. Or, la marchandise à l’effigie de groupe de musique qui est proposée aux femmes soulève beaucoup de questions. Il faut savoir que les groupes créent des produits destinés généralement à leur public masculin; marchandise d’ailleurs beaucoup plus intéressante que celle offerte aux femmes. Alors que les gilets de coupe masculine sont imprimés avec des images de couvertures d’albums, les métalleuses se voient offrir un unique modèle de chandail dit girly sur lequel on trouve une impression très simpliste du logo du groupe. De plus, ces gilets girly sont souvent plus chers et de moins bonne qualité. Certains groupes de musique ont même tenté de charmer les métalleuses en offrant des culottes-ficelles à l’effigie de la formation. Nul besoin de développer sur l’absurdité de ce produit. À côté des t-shirts, des cotons ouatés et des écussons, un g-string taille unique dont le coût est équivalent à trois fois le prix du disque compact! Bien que les métalleuses soient évidemment libres de se vêtir du gilet de leur choix, certaines ont établi une mode relativement nouvelle. Ces dernières se procurent des gilets à coupe masculine pour les modifier elles-mêmes dans un style qui convient mieux à leurs formes. Elles modifient les cols des gilets, ajoutent de la dentelle, du ruban ou encore des clous communément appelés studs. Plusieurs designers féminines vendent des gilets déjà modifiés en camisole ou en robe par exemple. Il y a même une certaine haute couture black metal; la designer derrière la marque Toxic Vision crée des morceaux uniques se détaillant parfois à plus de trois cents ou même cinq cents dollars. Tous ces vêtements, modifiés ou non, sont généralement accompagnés de ceintures de balles ou de ceintures cloutées et de bottes à cap d’acier, imitant ainsi un style militaire. Les adeptes de viking metal iront jusqu’à adopter un style guerrier en portant des bracelets en cuir, des fourrures ou même des cottes de mailles. En se réappropriant l’esthétique vestimentaire de la culture métal, les métalleuses insistent d’une manière très physique sur l’espace qu’elles occupent dans ce milieu hypermasculin.
En étudiant la dynamique des genres dans le milieu du métal extrême, il m’a été possible de découvrir comment la métalleuse a pu, avec le temps, adopter à son tour le style militaire ou guerrier à sa façon. Cette dernière n’occupe plus un rôle d’arrière-plan de groupie ou de marchandiseuse, elle contribue à l’effervescence du métal extrême au féminin en headbangnant lors de concerts, en étant musicienne, organisatrice de concerts, critiques d’albums, etc. Du coup, ces femmes militaires, femmes guerrières se réapproprient le langage particulier de cette culture et donc, ses discours et ses images. Comme le dit si bien Catherine Malabou dans Changer de différence, «lorsqu’une femme réussit à imposer ses créations, dans quelque domaine que ce soit, elle contribue à faire progresser la cause de toutes les femmes» (107). On peut donc dire que la métalleuse ingouvernable est une figure féministe qui se réapproprie le droit de crier, de se faire voir et surtout entendre tout en collaborant à l’épanouissement d’une culture encore très marginale.
1. Headbanger est une pratique rituelle où on fait tourner la chevelure au rythme de la musique; pratique à laquelle s’adonnent les métalleux, mais aussi de plus en plus de métalleuses.
Despentes, Virginie, King Kong Théorie, Paris, Grasset et Fasquelles, coll.: «Le livre de poche», 2006, 151 p.
Malabou, Catherine, Changer de différence. Le féminin et la question philosophique, Paris, Galilée, 2009
Sheeree-Rogers, Anna, «Women in hypermasculine environments:an analysis of gender dynamics in the heavy metal subculture», mémoire de maîtrise, College of Arts and Science, University of South Carolina, 2015, 69 f
Moore, Ryan, Smells like teen spirit. Music youth and social crisis, New York, New York University Press, 286 p.
Giroux, Annick, Hellbent for cooking. The heavy metal cookbook, New York, Bazillion Points, 2009, 224 p.
Black Sabbath, Bolt Thrower, Brutal Death,Cauchemar, Darkened Nocturn Slaughtercult, Dark Throne, Deicide, Electric Wizard, Fear of God, Iron Maiden, Joan Jett, Mayhem, November Grief, Sortilegia, Valfreya.
Bertrand, Krystel (2017). « Femmes militaires, femmes guerrières ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/femmes-militaires-femmes-guerrieres-la-place-du-feminin-dans-la-culture-du-metal-extreme], consulté le 2024-10-11.