Le film d’horreur découlerait du cinéma fantastique et se serait longtemps parqué derrière lui dans un souci de légitimité et de notoriété. En cela, la frontière est poreuse puisque le fantastique comme l’horreur font émerger le surnaturel (monstres, fantômes, possession, féérie noire, etc.) mais sa particularité résulte dans le fait que le cinéma horrifique conduit à un état de crispation, provoquant choc et désarmement comme l’affirme Martine Roberge [1] tandis que le film fantastique ne conduit aucunement à ces états. Il y aurait donc une volonté de la part des cinéastes à vouloir créer une forme d’effroi allant parfois jusqu’au dégoût par la projection d’images dérangeantes, haletantes mais captivantes. De ce fait, le cinéma horrifique n’aurait donc plus à se cacher ni à craindre de se voir bafouer puisqu’il connait d’ores et déjà un vif engouement. Sans le savoir, il s’est frayé un chemin avec parcimonie pour devenir un genre indépendant qui se suffit et s’alimente quotidiennement par un public impatient de retrouver des histoires rocambolesques dont les schémas restent les mêmes. Il conviendrait donc finalement de réfuter le fait que le cinéma d’horreur n’a peu voire rien en commun avec le fantastique mais plutôt qu’il s’est constitué derrière un type qui fonctionnait pour pouvoir être connu et reconnu. Ainsi Martine Roberge confirme ce cinéma comme à part, un cinéma unique par son caractère horrible et des images déroutantes :
En somme, malgré ce que certains affirment, l’identité générique du cinéma d’horreur n’est plus à prouver ni à justifier. Son statut n’est ni bâtard, ni mineur, il est un genre à part entière qui se définit dans le champ sémantique des images qu’il projette sur grand écran.
La peur est une chose désirable et ce depuis l’enfance. Qui n’a pas eu peur en lisant les fameux Contes de ce cher Charles Perrault mettant en scène un loup qui a dévoré la grand-mère d’une pauvre petite fille blonde sans défense ? Qui n’a pas eu peur dans les Contes de Grimm lorsque les pauvres Hansel et Gretel se sont retrouvés nez à nez avec la sorcière ? Qui plus est, notre enfance a été rythmée par la peur sans que nous nous en rendions forcément compte. Enfant, nombre sont parmi nous à avoir regardé sous son lit de peur d’y trouver un monstre capable de nous dévorer. Provenant de toute une tradition orale mais aussi écrite, ces histoires ont révélé nos peurs les plus intimes forgeant parfois de nouveaux mythes ou de nouvelles perceptions.
Cette « parole conteuse » [2], ainsi est-elle nommée par Martine Roberge dans son ouvrage, prouve une fois encore que la tradition orale a forgé nos mentalités et que le média n’est autre qu’un moyen de mettre en images les frayeurs de la population. Elle devient donc un langage universel puisque tout le monde peut s’identifier et comprendre le message véhiculé. Mais c’est aussi le fait que notre imagination favorisait la représentation de nos peurs. S’imaginer un monstre, c’est mettre en image nos peurs les plus sombres pour tenter de trouver en une seule créature le paroxysme de la peur. Dès lors, les films d’horreur ne sont alors peut-être pas si éloignés des histoires pour enfants qui ont rythmé notre jeune âge. Entre plaisir et hantise, lecteurs et spectateurs s’amusent à se faire peur, à se mettre dans des situations qui n’ont certainement qu’un but, celui de l’expérimentation et de l’apprentissage. Finalement, « l’homme, d’où qu’il soit, est engagé dans un dialogue permanent et perpétuel avec la peur. » [3]. La saga Cloverfield est un exemple concret de cette peur viscérale qui transparait à l’écran : le monstre prêt à surgir et qui nous traumatisait étant petit, que l’on attend et qui cependant n’apparait qu’à la toute fin ou partiellement, les cris et les courses haletantes des personnages, les espaces clos rendant la mort certaine.
Si aujourd’hui la saga Cloverfield a eu un impact considérable, cela est notamment dû au fait de sa campagne promotionnelle qui avait entrainé les cinéphiles et geeks à faire de nombreuses recherches : les extraits passés sur le grand écran ne mentionnaient aucunement le nom du film qui allait sortir créant ainsi une volonté chez le spectateur de connaitre ce qui les attendait. Dès lors, ils se sont mis à essayer de trouver la moindre information possible sur la toile créant le coup de pub phénoménal pour ce film et engendrant des recettes à plus de 170 millions de dollars par la suite. De plus, le principe du found-footage, la caméra retrouvée contenant des vidéos d’amateurs, est devenu un genre populaire grâce notamment au film à petit budget The Blair Witch Project réalisé par Eduardo Sanchez et Daniel Myrick peu avant le début du millénaire. Si ce genre est aussi prenant, c’est sans doute dû au fait qu’il réussit à projeter le spectateur à la place de celui qui filme, augmentant ainsi le processus de la peur et de l’angoisse. Les sensations sont décuplées et le spectateur à tendance à s’immerger rapidement dans le scenario, se prenant parfois lui-même pour un membre à part entière du script. Là où le spectateur joue un rôle primordial dans cette trilogie, c’est qu’il devient lui aussi le témoin de la revanche de la Nature sur notre civilisation. Les monstres présents dans celle-ci ne sont autres que des interprétations physiques et concrètes venues pour rétablir l’ordre dans une société corrompue à l’image de la fête organisée pour le départ de Rob dans The Cloverfield ou encore d’Howard le psychopathe qui aime les jeunes filles ou bien de Michelle quittant son mari au début de 10 Cloverfield Lane. Mais ces monstres cherchent également à stopper les avancées humaines qui sont allées bien trop loin comme la recherche énergétique dans The Cloverfield Paradox, qui a provoqué sur Terre l’apparition d’une bête extraordinaire ou encore la modification de dimensions venant se heurter et modifier le cours du temps. Certes, cette confrontation entre la Nature et l’Homme reste une des plus stéréotypée mais elle provoque un effet miroir sur le spectateur qui se projette, stricto sensu, dans le monde qui pourrait l’attendre s’il ne modifie pas son comportement. Volonté de véritablement éveiller les consciences, la saga Cloverfield provoque davantage une peur psychologique nous amenant à réfléchir sur notre condition humaine et les désastres que l’être humain provoque sur Terre.
Si le genre du found-footage s’était essoufflé pendant un temps, le progrès des effets spéciaux lui a permis de se renouveler malgré une histoire qui tourne en rond et où nous en connaissons déjà les ficelles. Cela étant, ces disaster movie, corroborés d’un tenant horrifique, continuent de produire une peur grandissante au fur et à mesure que l’histoire avance, créant confusions, questionnements, angoisse et anxiété tant chez les protagonistes que chez le spectateur. Quel rôle prend donc la peur dans le processus horrifique autour du Cloverfield Universe ? La peur est donc multiple et se manifeste sous diverses formes : le monstre et l’inconnu, la fuite comme symptomatique du sentiment horrifique, les espaces clos, la mort planant au-dessus des personnages. Elle est également interne et externe et engendre des sentiments parfois contradictoires chez les protagonistes.
Premièrement, ce sentiment de peur et d’effroi se traduit par l’omniprésence d’une menace qui reste toutefois insaisissable pendant une bonne partie des films. Que ce soit dans le premier, le deuxième ou le troisième opus, les monstres qui sèment la terreur n’apparaissent que partiellement pour finir par se montrer totalement. Dès le début du film Cloverfield, les convives présents lors de la soirée organisée pour le départ de Rob se divisent à la suite du tremblement de terre qu’ils ont ressenti : certains sont curieux et veulent monter sur le toit voir ce qu’il se passe tandis que d’autres se résignent et ne veulent pas savoir ce qui les attend. Le doute est semé parcimonieusement autour de la question du monstre que ce soit entre deux buildings laissant entrevoir ce qui semble être quelque chose de grand ou encore au travers des médias qui relayent sans cesse l’information en continue laissant apparaitre la bête incomplète. De facto, le spectateur a cette liberté de pouvoir s’imaginer cette monstruosité tout en se souvenant subrepticement de toute la culture nippone et notamment du Kaijū, plus communément connu sous le nom de Godzilla, qui pourrait être un indice de ce à quoi ressemble le monstre. De plus la queue gigantesque de celui-ci, venant frapper le pont reliant Manhattan à Brooklyn conforte l’hypothèse d’un Godzilla moderne ou plutôt d’un retour de la bête venue frapper de plein fouet l’hégémonie américaine. La peur chez le spectateur augmente donc par son imagination fleurissante qui lui permet de donner vie à son propre monstre puisque le visage ne nous sera révélé que plus tard. Qui plus est, les multiples interrogations et affirmations des personnages « It was eating people. It was eating everyone. » [4]ou encore « We don’t know what we saw » [5] entrainent une hâte à connaitre l’identité de ce qui est en train de bouleverser le pays. À cela s’ajoute le fait que le spectateur est inséré totalement dans le scénario puisque ces questions lui donnent envie de répondre par lui-même – moi aussi j’ai cru voir quelque chose – et ainsi de tenter de résoudre le problème. Cependant, personne n’est capable de répondre à ces questions soit par peur soit parce qu’ils n’osent pas croire ce qu’ils sont en train de voir, laissant planer le doute et le mystère sur cette attaque. Mais qu’ont-ils donc bien pu voir ? Ce questionnement favorise la peur car nous pouvons tout imaginer. Par ce biais, la bête pourrait être l’interprétation de nos plus sombres peurs : insectes, animaux voraces, métamorphes, etc. Même si les médias finissent par dévoiler après une trentaine minute le visage du monstre, les spectateurs ont eu le temps de se cristalliser une image de peur et de la ruminer créant tout un univers d’angoisse. On retrouve ce même système dans The Cloverfield Paradox. Le spectateur suit majoritairement l’histoire d’Ava Hamilton qui est dans l’espace et qui se bat pour revenir vivre sur Terre alors que son équipage et elle se sont retrouvés dans une autre dimension. Jusqu’à la dernière minute du film, nous ne savons pas ce qu’il se passe sur Terre – tout au plus nous savons que le mari d’Ava s’est confiné dans un bunker avec une petite fille qu’il a retrouvé parmi les débris d’une station. L’apparition du monstre en fin de film devient donc une surprise puisque le spectateur ne s’attendait pas à le voir si immense et que la focalisation sur ce qui se passait dans le vaisseau spatial lui a fait occulter tout l’aspect effroyable de ce que la Terre vivait. Ainsi, The Coverfield Paradox laisse un sentiment amer d’inachèvement où nous avons l’impression d’être passé à côté de quelque chose lors de sa projection tout en nous laissant croire jusqu’au dernier moment que le film ne va pas s’arrêter. Alors que l’angoisse que nous pouvions ressentir au travers de la claustration par la station spatiale redescendait dans l’espoir de voir Ava revenir sur Terre, le spectateur se sent désabusé et espère savoir ce qu’il adviendra des protagonistes. L’enjeu était donc de laisser une fois encore l’imagination prendre le pas sur l’image : le cauchemar n’est pas fini, à vous de réfléchir sur ce qu’il va se passer. Mais cette peur de la bête est en fait corrélée par la peur de l’inconnu puisque ce que nous ne connaissons pas tend à créer un sentiment de peur et d’angoisse. Dans la saga Cloverfield, cette peur de l’inconnu se traduit par les nombreux chemins empruntés par les protagonistes dans le premier opus – tantôt les rues d’un New-York plongé dans le noir et dévasté, tantôt dans des tunnels sinueux où la seule lumière provient du caméscope servant à filmer leurs aventures — tandis que l’inconnu dans 10 Cloverfield Lane prend deux formes : celle du personnage d’Howard, un rustre bon-vivant à tendance impulsif qui cache quelque chose à Emmet et Michelle mais aussi celle du dehors où l’air semblerait être devenu irrespirable. Dans The Cloverfield Paradox, la peur de l’inconnu se manifeste quant à elle au travers de l’espace qui reste un lieu insaisissable, immensément grand et où la possibilité d’autres dimensions n’est pas à écarter comme le rappelle le professeur Mark Stambler lorsqu’il énonce le fait que leurs expériences vont engendrer une faille dans le système planétaire provoquant un mélange des dimensions et une modification de l’espace-temps. Ce passage du vaisseau dans une autre dimension crée alors peur et angoisse tant chez les protagonistes que chez le spectateur soulevant nombre de questions : où sont-ils passés ? Qu’ont-ils modifié chez eux ? Vont-ils pouvoir s’échapper ? Cet inconnu laisse encore une fois libre court à l’imagination du spectateur qui intériorise les menaces entourant les héros de la trilogie. De facto, les mondes dans lesquels ils progressent deviennent des espaces stériles par leur destruction mais aussi stériles par la peur de ne pas pouvoir y échapper et surtout ne pas pouvoir les saisir, les reconnaitre. Ainsi ces deux formes de la peur se complètent et s’alimentent continuellement poussant les personnages à fuir la bête, fuir l’inconnu, fuir leur vie, fuir les espaces clos.
Deuxièmement, ce sont également tous les espaces clos qui enferment et étouffent nos protagonistes – et qui pourtant devront être franchis [6] – laissant place à des peurs obscures telles que les histoires rocambolesques de Hud où des sans-abris auraient été brulés vifs par un homme qui favorisent l’augmentation du stress et de l’angoisse. Que ce soit donc dans des bunkers, dans des vaisseaux ou encore dans des espaces réduits et sombres, l’objectif est de créer un manque d’air chez le spectateur tout comme chez les héros afin de déstabiliser mais aussi de créer un état de malaise généralisé où la pression laisse sous-entendre qu’un happy end est inenvisageable et que la fuite est impossible. Dans 10 Cloverfield Lane, cette sensation d’étouffement est omniprésente dès que Michelle se retrouve attachée dans une cave et où elle ne peut pas passer d’appel. Assimilée à une bête en cage, la claustration montre l’horreur que vit notre héroïne dans les premiers instants puisqu’elle n’a plus nulle part où aller. Condamnée au bunker, la pression s’intensifie lorsque le filtre à air tombe en panne et qu’elle doit s’infiltrer dans les conduits pour le changer. Il y a donc un resserrement de l’étouffement au travers de cette scène où l’espace viable se réduit petit à petit et dans lequel, finalement, il ne faut pas rester coincer. On comprend donc à cet instant que la solution la plus plausible sera celle de sortir afin de ne pas manquer d’air. Cette prison dorée devient alors le lieu de toutes les angoisses par sa petitesse, les cachoteries, le meurtre, l’enlèvement, etc. Au travers du troisième opus, les protagonistes sont à l’écart de tout, loin de tout et également enfermés depuis 694 jours les uns avec les autres. Entre tensions et désaccords, il est logique que la claustration joue sur leurs nerfs « This dimension is eating us alive. » [7] annonce le capitaine Kiel. Les passagers se retrouvent embrouillés ne sachant plus à qui faire confiance, augmentant leur incertitude et leur peur vis-à-vis de leurs partenaires de voyage. Nos personnages cherchent donc à fuir systématiquement ces lieux qui les condamnent à une mort certaine. La fuite montre véritablement tout l’enjeu du sentiment de peur chez l’être humain. Faisant partie des quatre sentiments fondamentaux, la peur mais aussi l’angoisse conduisent à une rupture : celle de l’acceptation d’une fin de vie pour passer à la survie. C’est de cela dont il est question dans ces trois opus : l’instinct de survie mis en place en tentant de fuir l’horreur. On pourrait donc croire que la fuite ne serait donc qu’un moyen d’effacer un problème comme le rappelle au début de 10 Cloverfield Lane le mari de Michelle « Running away isn’t gonna help it any ! » [8]. Dès le début du deuxième film, le spectateur comprend que cet instinct primal finit toujours par nous rattraper – en l’occurrence ici, Michelle se retrouve projetée de l’écran dans un accident de voiture – rappelant ainsi qu’un problème que l’on tente d’occulter nous ramène à un autre problème : ici celui du bunker. Cette fuite est alors source d’angoisse et de peur chez les protagonistes où ils n’ont qu’une seule envie : partir loin et sortir de l’horreur des évènements. Pour Rob, Hud, Jason et leur groupe d’amis ce sont les nombreuses courses haletantes qu’ils opèrent tout au long du film qui provoquent essoufflement, panique et effroi. En effet, le found-footage reste un vecteur indéniable de tous ces procédés horrifiques puisque le spectateur – positionné derrière la caméra et a fortiori derrière son écran – parvient lui aussi à ressentir ce besoin d’échapper à la réalité. Entre vision brouillée, cris stridents et souffles haletants voire coupés, la peur augmente à la fois dans le film mais aussi dans le corps de l’homme qui assiste impuissant au désastre. Ce processus de filmage permet d’orienter notre point de vue et surtout de faire partie intégrante de l’histoire favorisant la réception et l’évacuation des émotions : horreur, peur, stress, angoisse, inquiétude. Si la fuite semble être la solution, les fins des trois opus nous rappellent que finalement, on ne peut pas en sortir indemne. Alors que l’espoir gagne Rob, Hud, Beth et Lily en embarquant dans un hélicoptère chargé de les éloigner du monstre et de les mettre en sécurité, celui-ci finit par ressortir de la fumée et des gravats – tandis que l’on pensait à un happy end avec la victoire de l’Homme sur la Nature – pour saisir l’objet volant et le propulser au sol. L’horreur et la peur n’ont donc pas de fin et Rob et Beth savent désormais qu’ils n’en sortiront pas vivants. The Cloverfield Paradox s’inscrit également dans cette lignée, la fuite semble impossible puisque la Terre est en train d’être détruite par un monstre alors qu’Ava– qui était dans l’espace depuis le début du film – pense rentrer paisiblement auprès de son mari. Elle fuit donc l’univers stellaire qui était un lieu menaçant pour elle, pour finalement se retrouver sur l’univers terrestre où la menace est peut-être encore plus terrifiante. Dans le cheminement, c’est une boucle sans fin où les personnages semblent pris au piège d’une spirale infernale qui ne veut pas leur accorder un moment de répit. On le constate également dans le deuxième opus où Michelle rêve de remettre son nez dehors. Après de multiples tentatives, notre final girl se retrouve seule au beau milieu de nulle part et confrontée à des extraterrestres qui redeviennent une menace pour elle. Pensant que la situation effroyable qu’elle avait vécue dans le bunker se finissait, elle prend conscience que l’horreur est à la fois sous terre et sur terre. Cette fois-ci, notre personnage principal ne fait pas le choix de la sécurité mais choisit de continuer à se battre lorsqu’elle se retrouve face à deux directions. En faisant ce choix, elle s’oppose à la première décision qu’elle avait prise en quittant son mari : fuir le problème pour enfin montrer son cheminement, affronter le problème. Ainsi, cette envie de partir, de courir à en perdre haleine prouve qu’il existe deux pôles de la peur : l’une extérieure et l’autre intérieure.
Troisièmement, le sentiment d’horreur et d’angoisse que créent les atmosphères des trois films participe au développement de deux peurs : l’extérieur et l’intérieur. Tout d’abord, les peurs relevant de l’externalité de la situation sont marquées par la lecture contemporaine des peurs du siècle : le terrorisme qui est apparu au début du millénaire avec les attaques perpétrées à l’encontre des États-Unis le 11 septembre 2001 : « think it’s an other terrorist attack? » dans le premier opus ou encore comme l’énonce Howard dans 10 Cloverfield Lane : « Al Qaïda, the Russians, aliens, maybe the South Koreans » [9] qui sont des peurs contemporaines et notamment des attaques qui sont susceptibles de leur faire perdre leur hégémonie venant rompre le continuum logique et implacable. Ainsi lorsque la tête de la statue de la liberté se retrouve projetée au beau milieu des rues de Manhattan – et devient un moyen de cristalliser la peur mais aussi de la diffuser au travers de la prise de photos via le smartphone des New-Yorkais – c’est l’effondrement d’un symbole et donc tout un système qui vacille[10]. Qui plus est, même les grandes institutions se révèlent être dépassées : des urgences de fortune sont installés un peu n’importe où comme dans le centre commercial sous-terrain, le gouvernement et notamment les militaires chargés d’assurer la sécurité des citoyens s’effondrent et admettent leur impuissance «Whatever it is, it’s winning…»[11] confesse un militaire qui extraie les protagonistes toujours à la recherche de Beth. Ainsi en assumant leur faiblesse, il montre tout le désarroi, la peur et l’horreur qui se sont emparés de New-York jusqu’au fondement même des institutions qui régissent et protègent les citoyens américains. L’extérieur est donc sujet à effrayer et à freiner l’évolution des personnages. Dans les deux derniers films, il devient un danger encore plus psychologique et plus profond. Michelle apprend dans le bunker que l’air est contaminé à l’extérieur et que personne ne peut sortir sous peine de mourir. Confinée, elle se retrouve avec une seule envie, celle de sortir et qui sera toujours omniprésente tout au long du film même si lorsqu’elle a voulu s’échapper, elle a pu observer sur une jeune femme les dégâts que pouvaient causer le contact de l’air avec l’être humain. Ainsi le dehors est source de peur, d’horreur et d’effroi puisqu’il cause la mort. Dans le vaisseau spatial, l’extérieur est impénétrable puisque les chances de survie n’existent pas, qu’il est fort possible qu’ils découvrent une autre forme de vie – finalement Mina Jensen pourrait être la représentation de vie supérieure qui nous ressemble et qui nous effraie – mais c’est aussi le fait que les protagonistes sont tenus au courant de la situation de la Terre qui se dégrade où les Russes restent une menace grandissante pour les Américains notamment autour de la question du pétrole. Dans ce troisième volet, la peur s’intensifie au fur et à mesure que les problèmes arrivent à l’extérieur du vaisseau nous faisant pénétrer dans un espace que l’on ne connait pas – derrière le Soleil – tout en gardant un œil sur l’effondrement de la civilisation dans l’autre dimension, c’est-à-dire sur Terre. La menace se renforce en devenant double et en intégrant directement les espaces personnels des personnages. 10 Cloverfield Lane est peut-être l’exemple le plus parlant. Si l’extérieur effraie nos trois héros, il se trouve que l’horreur se cache dans un lieu clos. Tout d’abord, le trio est toujours source d’instabilité : jalousie, possession, rivalité, etc. Le déséquilibre est donc déjà présent par le nombre de personnes confinées ensemble. Qui plus est, le personnage d’Howard pose question et nous tend à l’apprécier comme à en avoir peur à l’image de ses sautes d’humeur qui laisse planer un sentiment de gêne et de malaise tant chez Emmet et Michelle que pour nous spectateurs. Il se révèle être une menace imposante et permanente nous faisant nous demander : quand va-t-il extérioriser son instabilité. Après la découverte de la mort de Britany (petite-amie forcée d’Howard) et surtout le meurtre d’Emmet par notre psychopathe masculin, le doute n’est plus possible et la peur réside dans le fait que l’on pense Michelle condamnée à vivre avec lui. Dès lors, l’horreur opère un mouvement intérieur, provoquant insécurité, mal être et angoisse. Finalement, personne n’est en sécurité — ni dehors, ni dedans – et tout le monde semble voué à une mort certaine.
Quatrièmement, il est paradoxal de croire que « And it’s already a good day »,[12] comme l’énonce la cassette vidéo que Rob est en train de tourner, alors même que l’inimaginable se prépare pour le soir même. Tandis que les spectateurs pensent qu’effectivement la journée va bien se passer, l’enchainement de situations fait que l’on comprend que quelque chose se trame : entre le départ de Rob et la fête qui tourne au vinaigre car Beth apparait au bras d’un jeune homme qui n’est autre que son petit-ami, tout laisse penser qu’un drame est sur le point de se produire. En effet, le tremblement de terre provoqué par le monstre vient perturber festivités et bonne humeur. En filmant ces évènements, les personnages prennent peu à peu conscience qu’ils ne passeront pas la nuit comme lorsque Hud explique pourquoi il continue à filmer « people are gonna want to know »[13]. Au travers de cette courte phrase, le doute n’est plus possible et nous comprenons que le groupe d’amis est destiné à mourir. Dans les tunnels par ailleurs, nos héros ont conscience que la mort les guette « die here, die in the tunnels, or die in the streets »[14] c’est pourquoi il n’y a plus d’espoir possible. La peur chemine petit à petit vers la question de survie et marque le tournant de ce film poussant la question à combien de temps leur restent t-ils avant de rendre l’âme. Ainsi sauver Beth n’est plus considéré comme une folie amoureuse perçue au départ par les amis de Rob mais plus comme un moyen de faire ses adieux et d’avouer ses sentiments. Quelques secondes avant le tremblement de terre, Jason, le beau-frère de Rob, lui expliquait qu’il fallait qu’il s’accroche aux gens qui comptaient le plus pour lui et c’est en ce sens qu’il dépasse ses peurs que sont le monstre et la mort car le plus important désormais n’est autre que l’amour. Mourir n’est pas une option dans ce film mais une fatalité qui va s’abattre et qu’ils essayent de repousser le plus longtemps possible afin d’accomplir leur dernière volonté. De plus, la morsure qu’a subi Marlena – au style très zombiesque[15] – montre également que le danger est partout et que la mort – qui est suggérée par ce qu’on doute être la pulvérisation de son corps caché par un rideau blanc immaculé de sang – se propage. Beth et Rob finissent par être les deux derniers survivants de l’attaque et reprennent la caméra. Rob qui garde la tête froide aux cotés de sa dulcinée en larmes fait un point sur la situation. Il annonce clairement qu’ils vont mourir car Manhattan va être rasé de la carte. La bombe qui va être déclenchée va détruire tout sur son passage, purgation par le feu qui sous-entend qu’il n’y aura pas de possibilité de reconstruction, laissant les terres stériles et inexploitables. Cette extermination par le feu renvoie également au deuxième opus, où Michelle met le feu au bunker une sorte de catharsis où elle détruit toutes les horreurs qu’elle a vécu à l’intérieur et fermant l’espace clos à jamais. Ainsi, pour en revenir à Cloverfield, Rob présente à la fois Beth et lui-même afin de passer à la postérité par le biais de cette caméra. Pourtant les dernières images qu’offrent le caméscope sont déroutantes : après l’apocalypse et l’horreur qu’ils ont vécue, le mot de la fin est donné à Beth sur une partie de la vidéo qui avait été filmée un mois auparavant « I had a good day »[16] qui se révèle être contradictoire avec la nuit qu’ils viennent de passer. Cependant cette phrase fait écho notamment à la première phrase du film où Rob parlait d’une belle journée. La boucle semble donc être bouclée au travers de ces propos donnant une impression de retour en arrière qui inviterait le spectateur à regarder à nouveau l’enregistrement, à se remémorer les derniers instants d’un groupe d’amis.
In fine, la peur a un rôle primordial puisqu’elle favorise les interprétations du spectateur notamment sur le monstre et l’inconnu en se manifestant à différentes échelles : l’intérieur et l’extérieur, la fuite comme une réaction au sentiment de peur mais aussi les espaces clos créant angoisse et étouffement tout en provoquant la mort certaine des personnages. La fuite qui semblait donc être la seule solution possible ne devient autre qu’une option avant la chute des trois opus. Les monstres sont des êtres qui fascinent, qui effraient, qui sont insaisissables mais qui sont le produit de notre imagination. Toutefois, et on l’oublie trop souvent, le monstre qui nous fait si peur est peut-être tout simplement déjà parmi nous comme le mentionne Howard à Michelle et Emmet « L’Homme est une drôle de créature ». Tout se bouleverse dans l’univers Cloverfield car ce qui semble acquis ne l’est finalement jamais et tout ce qui semble sûr ne le reste que peu de temps. Entre peur et horreur, la fuite maritale de Michelle la conduit à survivre aux côtés d’une sphère familiale instable et inquiétante, Ava oscille entre une dimension nouvelle et inconnue et une dimension connue mais effrayante et la belle journée annoncée par Rob devient un cauchemar éveillé.
[1] Martine Roberge, L’Art de faire peur : mythes et récits légendaires, Laval, Presse de l’université Laval, p.58.
[2] Ibid., p.5.
[3] Ibid., p.8.
[4] Je traduis : « Je l’ai vu manger des gens, il mangeait tout le monde »
[5] Je traduis : « Nous ne savons pas ce que nous avons vu »
[6] Fridli, Juliette. 2021. « Cloverfield, du franchissement de l’espace au franchissement de la dimension ». Dans le cadre de Nom de code: Cloverfield. Journée d’étude organisée par Figura, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. En ligne, 2 avril 2021. Document audio. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain. <http://oic.uqam.ca/fr/communications/cloverfield-du-franchissement-de-lespace-au-franchissement-de-la-dimension>. Consulté le 16 avril 2021.
[7] Je traduis : « Cette dimension est en train de nous dévorer vivant »
[8] Je traduis : « Fuir, c’est pas une solution ! »
[9] Je traduis : « Al Qaïda, les Russes, les aliens, peut-être les Sud-Coréens. »
[10] Sébastien Hubier, « Cloverfield. L’événement, est-ce possible? ». Dans le cadre de Nom de code: Cloverfield. Journée d’étude organisée par Figura, le Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire. En ligne, 2 avril 2021. Document audio. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain.<http://oic.uqam.ca/fr/communications/cloverfield-levenement-est-ce-possible>. Consulté le 17 avril 2021.
[11] Je traduis : « Peu importe ce que c’est, c’est plus fort que nous… »
[12] Je traduis : « Et c’est déjà une belle journée »
[13] Je traduis : « Les gens voudront savoir »
[14] Je traduis : « Mourir ici, mourir dans les tunnels, mourir dans les rues »
[15] On pense notamment à toute la vaine de films et séries de zombies de The Night of the Living Dead à The Walking Dead où une simple morsure vous transforme ou vous pulvérise.
[16] Je traduis : « C’était une belle journée »
Trémerel, Lorène (2021). « «C’était une belle journée» ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/cloverfield-entre-peur-et-horreur-cetait-une-belle-journee], consulté le 2024-12-11.