Vendue à 65 millions de copies dans le monde, la trilogie de E. L. James autour des amours tortueuses de la naïve universitaire Anastasia Steele et le jeune magnat Christian Grey constitue l’oeuvre la plus rapidement et viralement consommée de l’Histoire de l’édition. Émergeant de la fan fiction qui prolifère autour de la série Twilight, il s’agissait de transformer la pornographie de l’abstinence qui unit le couple principal en un récit d’initiation sadomasochiste, ce qui fut perçu par la communauté twihard comme une profonde entorse au mythe initial, provoquant l’exil de l’œuvre des sites officiels d’expansion de la franchise et par là son affranchissement du canon vampirique. Triomphant dans les nouveaux réseaux de la cyberlecture (du web au e-book), la trilogie imprimée devint vite l’oeuvre la plus vendue sur Amazon.
Baptisée par J. Goudreau comme l’émergence d’un nouveau sous-genre, le «mommy porn» destiné aux mamans trentenaires nostalgiques d’une sexualité à laquelle elles auraient en grande partie renoncé, honnie pour ses phrases «asiniennes» et sa trame «déprimante» (J. Reeves), l’œuvre intrigue avant tout par les conditions de son succès. Ce nouveau jalon dans la blockbustérisation marchande de la littérature de masses a été ironiquement considéré comme le symptôme d’une nouvelle (et ultime) décadence par le New York Daily («Fin de la civilisation: E. L. James choisie Personnalité de l’Année par le Publishers Weekly»), réveillant des vieilles craintes autour de l’abêtissement (“dumbing down”) des masses américaines et, désormais, planétaires.
Le débat attise bien entendu les réflexions autour du post-féminisme. Alors que l’on peut se demander avec K. Roiphe si le libre arbitre est devenu pour les femmes un fardeau dont elles voudraient se délivrer par des fantasmes de soumission, d’autres penseuses y voient au contraire un signe inévitable et positif de l’égalité d’opportunités, les femmes étant libres enfin d’accéder sans complexes à leur propre pornographie. Or qu’il soit le signe de l’échec ou du triomphe du féminisme, ce qui frappe dans ce prétendu érotisme c’est à quel point il est dominé par le modèle de la littérature sentimentale la plus traditionnelle, au moment même où les productions Harlequin sont entrées dans une ère de sexualisation explicite de leurs produits (la catégorie Blaze/Désir), déjà annoncée par le succès de leurs rivales (Silhouettes, Candlelight Ecstasy) dans les années Reagan. La sentimentalisation du BDSM aux bras du Prince youppie serait-elle alors le signe d’un autre retour du refoulé, au-delà de la régression vers des consolations archaïques d’une féminité en déréliction?
Alors que la trilogie d’Erika Leonard James, dont Cinquante Nuances de Grey est le premier volet, a battu des records de vente dès sa publication, d’aucuns se demandent la source d’un si grand succès; certains allant même jusqu’à octroyer à Anastasia Steele le titre de la pire narratrice de l’histoire de la littérature.
L’innocence de la vierge et la décadence sublime de la soumission du personnage d’Anastasia Steele envers un homme dominant dans le roman 50 nuances de Grey d’E.L. James.
Twilight, de Stephanie Meyer, est une série de quatre romans racontant l’histoire d’amour de la jeune Bella Swan et du vampire Edward Cullen. Dès leurs publications, les romans remportent un succès international.
S’il a connu une réception désastreuse à sa parution en 1954, entre autres à cause de son éditeur Jean-Paul Pauvert qui venait, à l’époque, de publier les œuvres complètes de Sade, et du pouvoir censorial que l’Église détenait encore sur le contenu des produits culturels, le roman Histoire d’O de Dominique Aury (alias Pauline Réage) aura dû attendre la révolution sexuelle…
Vendu à plus de 65 millions d’exemplaires, 50 nuances de Grey est une fanfiction inspirée par Twilight. Comme beaucoup de ces récits écrits par des fans pour prolonger l’atmosphère d’un livre ou d’un film, le texte de James est une version gentiment pornographique de l’original…
Alors que les sexologues, psychologues, parents et autres spécialistes déplorent l’hyper sexualisation de la jeunesse, le débat sur les influences des divers médias sur leur comportement se relance, comme au XIXe siècle, où la littérature érotique était condamnée par l’opinion publique…