Cet article repose sur un questionnement général sur la représentation des femmes en arts. En effet, au gré de mon parcours en études féministes, il devint évident que la réappropriation d’attributs traditionnellement masculins par les femmes comme stratégie de révolte contre l’asservissement patriarcal devenait, à mes yeux, problématique. Je propose que la violence soit l’un de ces attributs soulevant le plus de questions. En effet, qu’est-ce que cela implique pour une femme d’utiliser la violence? Dans les films de Tarantino, le spectateur se retrouve devant des femmes violentes, des femmes armées qui ont le droit et la volonté de blesser, de tuer. Pourtant, de grandes féministes contemporaines telles que Virginie Despentes affirment que:
[Le] régime des armes et du droit à tuer reste ce qui définit la masculinité. (…) les hommes nous rappellent qui commande, et comment. Avec la force, dans la terreur, et la souveraineté qui leur serait essentiellement conférée. Puisqu’ils n’enfantent pas, ils tuent. C’est ce qu’ils nous disent, à nous les femmes, quand ils veulent faire de nous des mères avant tout: vous accouchez et nous tuons1.
Si la violence est le propre du masculin, de se la réapproprier met-il le féminin en péril? Est-ce que cette stratégie ne serait, au final, que de la poudre aux yeux? Si c’est le cas, la violence, même réappropriée, continuerais d’être un moyen de contrôle du mâle sur les femmes dans la mesure où elle consiste «chaque fois, à les remettre à leur place. Une place qui, encore aujourd’hui, est subordonnée à celle de l’homme». Et cela passe par le corps, car «c’est par le corps que l’on assujettit quelqu’un, qu’on lui fait mal aussi2». Je vais tenter de répondre à ces questions et d’évaluer les enjeux de la violence de la femme armée dans l’œuvre de Tarantino en gardant en tête que, si c’est par le corps que la femme est assujettie, c’est aussi par un corps en révolte, un corps violent et armé qu’elle sort de sa soumission. Plus précisément, je m’attarderai à trois films correspondant au modèle du rape and revenge movie3: Kill Bill Vol. 1, Kill Bill Vol. 2 et Death Proof. Premièrement, j’étudierai les différentes formes significatives que prend la femme armée dans ces films en me concentrant sur les figures de la mère et celle de la blonde. Cette dernière étant fatalement érotisée, j’exposerai ensuite l’enjeu du corps qui se retrouve utilisé comme une arme.
D’entrée de jeu, on peut se demander comment celle qui donne la vie peut se consacrer à l’enlever? C’est pourtant l’identité première du personnage qui nous suit pendant les deux volets de Kill Bill, soit Beatrix Kiddo. La fameuse scène d’ouverture nous présente ce personnage avant tout comme étant une mère, une mère en détresse qui annonce sa grossesse à son tueur en série de mari. D’ailleurs, non seulement le nom du personnage restera censuré (et j’insiste sur ce mot) tout au long du premier volet, mais le premier film situe rapidement le spectateur devant une mère en détresse qui apprendra ensuite avoir perdu son enfant. Cette situation constitue le motif de sa vengeance, mais la dépossède aussi de son identité à un second plan. Or, dans Kill Bill la maternité semble constituer les fondements de l’identité féminine. Son enfant et son utérus lui étant arrachés, on comprend la transformation drastique du personnage de la jeune mariée-mère-blonde-en-détresse en tueuse au sabre, arme substituant clairement le phallus. Le fait de tuer devenant aussi l’occasion d’être le pénétrant et non le pénétré.
Dans la première scène de vengeance, lorsque la mariée va rejoindre Vernita Green, qui est d’ailleurs celle qui a droit à un nom puisqu’elle est mère de famille dans une banlieue épurée, on constate une autre fois la suprématie de la maternité en tant que valeur. Rapidement au cours du duel, les deux femmes démolissent la maison familiale, les armes devenant celles du foyer: le tisonnier, les meubles avec les assiettes décoratives, la poêle à frire, une tasse à café, pour en finir avec une arme toute phallique, un fusil dissimulé dans une boite de céréales de marque KABOOM. Cependant, à un certain moment, la bataille est interrompue par la fille de Vernita Green qui revient de l’école, les deux femmes convenant alors silencieusement de cesser de se battre pour protéger la jeune fille. Le fait de privilégier le sens de la maternité dans une situation de vie ou de mort place définitivement la suprématie de l’identité maternelle comme s’il s’agissait d’une instance supérieure inhérente au féminin. D’autant plus que le personnage de Béatrix est départi de son anatomie de mère, mais établit tout de même ce lien de complicité féminine avec son adversaire. Tout se passe comme si, entre femmes, on comprend nécessairement comment agir en tant que mère.
Si le film situe d’emblée l’identité féminine dans ses fondements les plus profonds, il n’en demeure pas moins qu’il insiste aussi sur sa dimension anatomique. En effet, je l’ai mentionné, Béatrix se fait retirer son enfant et son utérus ne fonctionne plus. C’est ce qu’elle apprend lorsqu’elle se réveille d’un coma d’une durée de quatre ans. Il lui revient alors des souvenirs de son coma qui lui apprennent qu’elle a été violée à répétition avec un infirmier en guise de proxénète. Tout se passe comme si, dépossédée du contrôle de son corps, elle se retrouve à la merci des hommes, même de ceux qui devraient normalement prendre soin d’elle. Notons au passage que le viol est un motif récurrent dans l’ensemble de l’œuvre de Tarantino. Le corps de la femme est constamment en danger, ce qui en fait le siège de son asservissement. Pour ne pas m’égarer, je m’intéresserai plus précisément à certaines parties du corps dans la prochaine partie de l’article. Il faut avant tout se concentrer sur le cas de la blondeur. Il s’agit de l’argument de vente numéro un de Dick, l’infirmier proxénète, concernant le corps de Béatrix, les blondes étant en soi des personnages chez Tarantino. Toujours surérotisées, elles sont celles qui sont les plus mises en danger, celles qui sont perçues comme des proies.
Dans le cas de Béatrix, sa blondeur est toujours évoquée lorsqu’elle se trouve dans des positions de soumission et étroitement liée à l’idée du viol (à l’hôpital, lorsque l’on trouve son corps mutilé à l’église, lors de son enterrement mexicain etc.), ou bien lorsque l’on tente de ridiculiser sa position de pouvoir (lors des combats, par exemple). Lorsque Béatrix se rend au Japon, elle utilise sa blondeur pour avoir l’air inoffensif en jouant à la jeune fille-américaine. Ainsi, le personnage est bien conscient de sa blondeur qui devient à la fois une cible, une marque de faiblesse, mais aussi un outil.
Cette notion de la blondeur comme outil, voir comme arme, est beaucoup plus évidente chez le personnage d’Elle Driver. Blonde aux cheveux longs, bien coiffée et hypersexuée, cet ethos que l’on pourrait comprendre comme celui d’une cible propose pourtant des codes qui la posent comme une mascarade. En effet, nous rencontrons pour la première fois le personnage d’Elle alors que celle-ci est déguisée en infirmière érotisée. N’ayant rien à voir avec les habits d’une vraie infirmière, Tarantino pose l’accoutrement comme nul autre qu’un déguisement pour ce personnage qui s’apprête à commettre un meurtre en sifflant très fort. On assiste donc à une mascarade du passé inaperçu, une tension entre les clichés féminins puisqu’Elle veut tuer Béatrix avec un poison, arme traditionnelle des femmes tueuses puisqu’elle ne requiert aucune violence. Pourtant, on connaîtra plus tard dans le film la propension au sadisme qu’entretient ce personnage ainsi que ses qualités de samurai. Elle est la blonde trop blonde, la Marilyn de Tarantino. En fait, ce personnage est tellement genré à l’extrême, qu’il porte le nom d’une ”elle”. Elle est celle qui cache tout autre chose. D’ailleurs, ce personnage porte un cache œil, comme si son stratagème était à demi révélé, comme si elle ne pouvait être qu’une demi-blonde aux yeux bleus. J’étudierai un peu plus tard l’importance des yeux et du regard lorsque je parlerai du corps armé, mais il est évident qu’il réside dans le personnage d’Elle toute une problématique du genre féminin liée à la mascarade.
On pourrait aussi se demander si, chez Tarantino, cette dimension offensive du genre ne s’établirait pas en réaction à la domination patriarcale basée sur la biologie. En effet, Béatrix et Elle sont asservies par Bill. Elles sont toutes deux à la fois femmes et filles de cette entité masculine suprême, omniprésente mais échappant au regard du spectateur dans le premier volet ce qui, et j’y reviendrai, en fait d’autant plus une figure dominante. Sans oublier bien sûr le titre du film: Kill Bill. Tuer Bill. Tuer le père avec des armes d’hommes, de manière masculine, dans le sang et la violence, en retournant les armes contre l’agresseur. Dans cette perspective, l’intrigue de Kill Bill constitue une façon de jouer sur la structure hétéronormative des identités sexuelles, la masculinité statique et suprême étant remise en question. Pourtant, si l’homme peut se faire déposséder de son phallus, on rappelle sans cesse aux femmes, dans les œuvres de Tarantino en général, qu’elles sont des femmes dans leur corps avant tout; ce que ne manque pas de faire le frère de Bill en tirant Béatrix dans les seins, scène où on la croit vaincue.
Avant de me concentrer sur les enjeux du corps féminin armé, je m’attarderai un peu sur le cas de la blondeur en m’intéressant cette fois au film Death Proof. En effet, c’est le personnage de Pam, la première victime de Stuntman Mike, qui semble faire le pont entre le corps violenté et la violence sexuelle, voir l’agression phallique. Celle-ci joue la première victime idéale, la blonde écervelée destinée à être sacrifiée, d’autant plus qu’elle a affaire à un homme incarnant une masculinité volontairement illustrée par Tarantino comme en pleine possession du phallus. D’ailleurs, l’enjeu principal de Death Proof semble être la relation de pouvoir dans la mesure où Tarantino démontre qu’avoir le pénis n’implique pas nécessairement, anatomiquement parlant, de détenir le phallus. En effet, le film pose, malgré le fait que ce soit Stuntman Mike qui possède un pénis, les femmes comme celles qui détiennent le phallus par leur obsession et leur contrôle du danger, des armes et des voitures. Notons que les armes et les voitures sont des emblèmes phalliques couramment utilisés, mais mis de l’avant de manière ostentatoire par Tarantino dans Death Proof. Par exemple, les tueuses de Kill Bill détiennent le phallus par leur obsession des sabres. Pour en revenir au personnage de Pam, son assassinat est posé en parallèle avec sa scène de viol. Suite à l’érotisation de la voiture sur laquelle insiste Tarantino et les allusions évidentes à l’événement sexuel à venir entre les personnages, Pam se retrouve contrainte dans ses mouvements lors de l’agression. Son corps enfermé, pris au piège, se fait violenter par Stuntman Mike, mais aussi par la voiture qui la roue de coup auxquels elle ne peut répliquer, projetée telle une vulgaire poupée de chiffon. Une situation similaire se produit à la fin de la première partie du film, lors du meurtre du premier groupe de filles. Insouciantes dans leur conduite automobile, ce qui évoque une manipulation maladroite de la machine, et érotisées au maximum par la présence de gros plans sur leurs fesses, leurs cuisses, leurs lèvres et leurs seins, ces femmes se retrouvent démembrées, défigurées, pour ne pas dire castrées de leur pouvoir par Mike.
On comprend que le corps des femmes chez Tarantino constitue un véritable point critique. Constamment en danger, il est le siège de l’oppression par le contrôle et la violence. Cependant, le réalisateur ne laisse pas les femmes pantoises dans cette situation d’oppressée, ce qui constitue le point de départ des rape and revenge movie. En effet, les femmes sont violentées, mais elles peuvent aussi être violentes. Le corps reprend sa revanche, devient une arme dans la mesure où il a repris contrôle sur lui-même et est utilisé pour tuer. Voyons comment se passe cette revanche suite aux viols, avortements, aux balles dans la tête, aux tortures et à l’exploitation sexuelle.
Dans les Kill Bill, la femme n’est définie que dans son rapport à l’homme: elle est «l’épouse de» et «la mère de tel enfant». Clouée au sol, privée de sa mobilité et un fusil sur la tempe, elle est présentée en introduction comme étant le jouet d’une force masculine suprême. D’ailleurs, on remarquera que Bill prend plaisir à appeler Beatrix par son nom de famille «Kiddo», qui rappelle «kid», clin d’œil à la relation de pouvoir installée dans le scénario. Ainsi, de la féminité mutilée, humiliée et souillée, renaît un être vengeur presque surhumain, le personnage de Bill parlera même à la fin du film de super-héros. Ce nouveau personnage, assiégé par une virilité dangereuse, est porté par l’androgynie du personnage d’Uma Thurman, que l’on peut contempler en costume de Bruce Lee, tachée de sang, de sueur et de terre. Notons que si ce personnage dérange notre confort en tant que spectateur occidental, la figure de femme guerrière est pourtant présente dans le cinéma d’action asiatique, autre genre cinématographique évoqué par le pastiche stylistique polymorphe de Tarantino. L’androgynie guerrière est aussi incarnée par la cascadeuse dans Death Proof. Réellement cascadeuse dans la vie, l’actrice a d’ailleurs, croyez-le ou non, été la doublure d’Uma thurman dans Kill Bill. Bref, la femme armée est virilisée par son arme, mais aussi par la violence extrême des combats et le contrôle parfait de son corps exigé par les arts martiaux et le métier de cascadeur. Ces femmes se révèlent, au final, être des corps armés totalement en contrôle de leur espace, ce qui contraste avec les introductions qui proposent le corps du personnage de Pam enfermé et malmené, ou celui d’une Béatrix plongée dans le coma. Il persiste évidemment dans cette transition la notion de vengeance et de reprise de contrôle du corps violenté. J’exposerai maintenant comment ce corps devient une arme chez Tarantino par les pieds, les yeux, le langage et le sexe. Notons au passage que cette piste de réflexion pourrait très bien être étendue à d’autres films du même réalisateur tels que Pulp Fiction (1994), From Dusk Til Dawn (1996) ou Jackie Brown (1997).
Dans Kill Bill, dès le départ, le langage est posé comme un enjeu crucial dans l’encrage du corps et de l’identité. En effet, si Béatrix ne possède d’abord pas de nom, les premières scènes du film sont centrées sur des joutes verbales. Par exemple, la scène d’ouverture de Kill Bill nous présente une Béatrix soumise à un discours de Bill précis, maîtrisé, voir philosophique, tandis que sa seule et unique phrase se retrouve interrompue par une balle dans la tête. Assommée par les mots et la dominance du phallus-fusil, c’est aussi par la reprise du langage que Béatrix réussit à reprendre le contrôle de son corps en se répétant wiggle your toe. Même la marque de céréales KABOOM laisse présager l’importance du langage dans le réel et l’usage de la violence. Un peu plus loin dans le film, cette impression nous sera confirmée lors de l’excès sadique de la reine de la mafia Tokoïte, Oren Ishii. Il se passe un phénomène similaire dans Death Proof. En effet, la première partie du film est volontairement marquée par le bégaiement. Par un tour de force stylistique, Tarantino confère un effet pellicule à son film en y insérant des anomalies techniques, ce qui a pour effet de faire bégayer les personnages féminins du début, ceux que nous savons destinés à une fin terrible. Ce fait devient d’autant plus significatif que le bégaiement fait appel aux anomalies identitaires: «Must be… Must be…» et aux anomalies de compréhension «if, if, if, if».
Ainsi, Béatrix prend le contrôle de son corps par l’impératif du langage, mais il est important de noter que c’est par les pieds que passe ce contrôle. En effet, au-delà du fétichisme avoué de Tarantino, le pied constitue l’un des sièges du corps des personnages, et ce dans plusieurs de ses films. Puisque ces personnages sont extrêmement nombreux, il est impossible de faire l’analyse complète de cette partie du corps dans le cadre de notre article, mais évoquons tout de même qu’il est significatif que la reprise du corps de Béatrix débute avant tout par ses pieds et, quand on y pense, il serait impossible pour le personnage d’être en pleine possession de son espace sans l’usage de ses pieds. Problème d’ailleurs évoqué quelques plans auparavant, lorsque Béatrix se retrouve en fauteuil roulant. Dans Death Proof, le film s’ouvre sur des pieds nus, hyper érotisés puisque mis en relation avec le phallus suggéré par l’ornement de la voiture du tueur, un serpent. S’ensuivra la mort du premier groupe de filles dont la leader, Jungle Julia, aura les jambes arrachées. On comprend que le pied est un enjeu fondamental lié à la prise de pouvoir dans les films de Tarantino lorsque, entre autre, il passe d’un membre passif –érotisé, regardé, blessé– à un membre actif. C’est le cas par exemple à la fin de Death Proof où le méchant meurt finalement le crâne défoncé par un coup de pied.
Le regard et les yeux sont des enjeux primordiaux des films de Tarantino, mais si on s’y intéresse en tant qu’arme, il faut avant tout revenir à la scène d’ouverture de Kill Bill. En effet, dans cette première scène, Béatrix, en position de soumission, est celle qui «est regardée». Dans Death Proof, les filles sont aussi celles qui sont «regardées» puisque Stuntman Mike les espionne avant de les tuer. Ainsi, lorsque les films entrent dans la phase revenge du scénario, on constate que le regard des femmes devient actif. Encore mieux, il devient évident que les yeux constituent une arme en soi. En effet, aucun duel de Béatrix n’échappe à une joute de regards et chacune de ses revanches commencent par une traque. Or, au même titre que les épées, langage et yeux constituent une partie intégrante des batailles. Elle étant d’ailleurs défaite en se faisant arracher son dernier œil plutôt que la vie.
Au final, la symbolique des armes chez Tarantino prend encrage dans le corps, lieu convenu comme étant celui du danger pour les femmes. En même temps, il se passe quelque chose de fort spirituel dans la relation qu’entretient la femme avec son corps. Lieu de la violence, il devient aussi lieu de la revanche par lequel le contrôle et la dominance féminine peut s’exercer. Quand on y pense, les hommes de Tarantino aussi, incorrigibles violeurs et sadiques, sont confinés dans leur anatomie. La supériorité de ses personnages féminins réside peut-être dans le contrôle qu’elles savent exercer sur leur corps.
Convenons d’abord que le féminisme des films de Tarantino a été applaudi tout autant que démenti. Cependant, notre analyse permet assurément d’imposer le réalisateur comme étant capable de subvertir les codes du film mâle au profit d’une relecture féminine. En effet, là où Virginie Despentes y verrait une tentative mâle d’auto projection quant à la réaction à la violence (soit, qu’au final, les personnages féminins de Tarantino sont des hommes déguisés puisque ce n’est pas ainsi qu’une femme réagirait dans la réalité face aux viols et diverses violences), je ne peux m’empêcher d’y voir une conception toute féminine de la violence. En ce sens, on apprend, à la fin de Kill Bill, que même si Béatrix voulait venger sa maternité et sa fille, elle avoue sous l’effet du sérum de vérité qu’elle a aimé tuer tous ces gens. On pourrait alors comprendre que Tarantino fait dérailler le monopole masculin de la violence. Il semble aussi évident que l’on retrouve dans ses films l’idée d’une violence toute féminine puisque celle-ci est cyclique, trope féminine par excellence. On peut penser, par exemple, à la transmission de la vendetta à la fille de Vernita Green lorsqu’elle assiste au meurtre de sa mère, à la succession de filles violentées dans Death Proof, à la transformation en samurai sadique de la jeune Oren-Ishii témoin du meurtre de ses parents, et même à l’arme inhabituelle de Gogo, la jeune écolière sadique, propulsée, techniquement parlant, par un cycle. En regard de ce fondement violent au féminin, ce qui rapproche la violence d’un attribut humain plutôt que d’une caractéristique masculine, on pourrait même se demander si la maternité n’est pas subversive, bien que fatale, et que les femmes de Tarantino ne sont pas que des femmes fortes, mais bien simplement des personnages forts.
Bref, si certaines jeunes féministes, comme ce fut mon cas, prennent autant de plaisir à regarder des films mettant en scène des femmes victimes du patriarcat qui volent, pour se venger de leurs agresseurs, des attributs masculins tels que la violence, c’est peut-être parce que la prise de pouvoir au féminin est sous représentée en arts. D’autant plus que les films se concluent par des succès et non des défaites, la femme armée dans l’œuvre de Tarantino me permet de penser les outils du maître comme pouvant être maîtrisés. Ce qui ne fait pas nécessairement de la cinématographie de Tarantino une œuvre féministe, mais assurément une œuvre qui en dit long sur le féminin.
1. Commentaires de Virginie Despentes suite aux attentats de Charlie Hebdo: http://www.lesinrocks.com/2015/01/17/actualite/virginie-despentes-les-hommes-nous-rappellent-qui-commande-et-comment-11547225/ . Consulté le 17 Juin 2015.
2. Entrevue avec Martine Delvaux: http://www.actualites.uqam.ca/2015/corps-feminin-enjeux-sociaux-politiques. Consulté le 17 Juin 2015.
3. Rape and revenge films (rape/revenge) are a subgenre of exploitation film that was particularly popular in the 1970s. Rape/revenge movies generally follow the same three act structure: Act I: A woman is raped/gang raped, tortured, and left for dead. Act II: The woman survives and rehabilitates herself. Act III: The woman takes revenge and kills all of her rapists. most of rape and revenge films are more controversial than any other genre. En ligne. http://www.imdb.com/list/ls000023819/ , consulté le 17 Juin 2015.
DELVAUX, Martine. 2013. Les filles en série, Remue-ménage.
DESPENTES, Virginie. 2006. King Kong théorie, Grasset.
Fedderman, Marc R., «Let’s get into character: Gender depictions in the films of Quentin Tarantino», Mémoire de maîtrise, Florida Atlantic University, 2009.
MOLINIER, Pascale. 2008. «Pénis de tête. Ou comment la masculinité devient sublime aux filles», Cahiers du genre, no 45, www.cairn.info.
MILLELIRI, Carole et Vincent Avenel. «L’homme qui aimait les femmes? Quentin Tarantino et les femmes», Dossier, http://www.critikat.com/panorama/dossier/quentin-tarantino-et-les-femmes.html.
RIGOUSTE, Paul. «Deathproof (2007) & Django Unchained (2012): Tarantino, ou le Boulevard du mépris», http://www.lecinemaestpolitique.fr/deathproof-2007-django-unchained-2012-tarantino-ou-le-boulevard-du-mepris/.
Commentaires de Virginie Despentes suite aux attentats de Charlie Hebdo: http://www.lesinrocks.com/2015/01/17/actualite/virginie-despentes-les-hommes-nous-rappellent-qui-commande-et-comment-11547225/ . Consulté le 17 Juin 2015.versity of California, 2008.
Entrevue avec Martine Delvaux: http://www.actualites.uqam.ca/2015/corps-feminin-enjeux-sociaux politiques. Consulté le 17 Juin 2015.
Baker, Joyce (2015). « Questions autour de la femme armée dans l’œuvre de Quentin Tarantino ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/questions-autour-de-la-femme-armee-dans-loeuvre-de-quentin-tarantino], consulté le 2024-12-21.