Je propose de partir d’un article tout récent, justificatif de son éthique et de ses méthodes, paru dans le Monde: «Intox bête, réponse courte : comment nous adaptons notre réponse aux fausses informations. Face à la multiplication des petits et gros bobards, nous mettons à jour nos outils.» Le Monde, 10.07.2017 relève systématiquement et dément des informations dites «virales» qui circulent exponentiellement sur le web:
1. De la viande humaine a été trouvée dans des McDonald’s, les amateurs de big mac sont des anthropophages inconscients, victimes du Grand capital et de la mal-bouffe
et 2. la police nationale française s’apprête à autoriser ses agentes à porter un hijab intégral
Ce sont des «infos» qui circulent bel et bien sur les réseaux sociaux, et «massivement» dit le journal.
3. Accusée par des sites complotistes, la NASA se voit obligée de nier qu’elle ait établi des colonies d’enfants-esclaves sur Mars. Un « expert» interrogé par les complotistes d’Infowars a affirmé avec conviction que selon ses «sources» des enfants étaient enlevés pour devenir esclaves sur Mars. Ce qui suppose que la Nasa y entretient depuis longtemps des bases secrètes … La NASA a publié un démenti sur son site officiel. Voir Le Monde, 03. 07. 2017. — Question pour vous: Pourquoi ses avocats ont-ils conseillé à la NASA de ne pas passer outre ?
Ces vagues de bobards sont censées faire à la fois rire sur le coup et faire se désoler à la réflexion. La question en effet est que ces bobards dont la presse écrite «sérieuse», tant qu’elle subsiste, croit jour après jour démontrer aux lecteurs l’invraisemblance et le ridicule trop «évidents» — sont répandus et crus massivement par des ignares «déplorables» qui ont pour axiome: On nous ment de toute façon… mais aussi crus par de prétendus esprits critiques — voir un peu plus bas.
Ici, je recommanderais de faire un retour réflexif sur une histoire qui n’est qu’ébauchée des expressions et des avatars modernes de la croyance – un retour à la sociologie de la croyance. À la Belle époque, Vilfredo Pareto, Gustave Le Bon, Gabriel Tarde et Scipio Sighele… il y a des choses à re-lire chez eux même si on vous a dit qu’ils sont «dépassés». Le sentiment de supériorité de happy few formés à l’ascèse de la méthode positive, rationnels et sceptiques, éclate dans cette psycho-sociologie qui carbure de fait au mépris des «foules». Leurs réponses, sont un peu binaires et simples soit, mais ils posaient de bonnes questions y compris des questions refoulées par la suite. Gustave Le Bon, connu jadis mondialement comme «psychologue des foules», publie son ouvrage théorique clé, Les opinions et les croyances en 1911. Les explications des sociologues de la Belle époque destinées à expliquer le «besoin» de croire font remonter la croyance qu’ils opposent à la sobre «connaissance» propre aux esprits rationalistes, i.e. eux…, à une psychologie humaine fondamentale, à une genèse psychique «profonde» de l’adhésion fidéiste et crédule, adhésion étrangère à l’expérience et à la raison démonstrative: son origine se trouve dans l’affectif le plus instinctuel et primitif: le plaisir, la sécurité (et sa recherche), la douleur (la volonté de l’éviter), les passions — dans les pulsions élémentaires de la vie organique et affective. En quoi lesdites croyances-besoins gouvernent les hommes depuis toujours «autant que la faim et la soif». La sobre et difficile connaissance, réservée aux happy few, et la croyance sont alors deux ordres cognitifs opposés, antinomiques. — Ce qu’invente Le Bon, c’est la sociologie illusionniste et holiste qui survivra plus tard chez … un Pierre Bourdieu: les agents sont agis par des forces qui les dépassent et se donnent pour ce faire des raisons fictives, des rationalisations de croyances que la raison critique et positive peut ignorer et écarter pour expliquer par les conditions objectives qu’ils occupent, ou par leurs mises en condition leurs idées épiphénoménales.
Abondance des cas signalés en 2017 où de petits et de censément grands esprits se trouvent bernés de nos jours parce que portés à la jobardise, idéologiquement agréable pour eux, face à des faits allégués qui renforcent leurs croyances. Deux exemples de plus:
1. La fausse addition à « 82 000 euros » du dîner entre Emmanuel Macron et Donald Trump: Le site lagauchematuer.fr, relayé par l’ultra-gauche mélanchoniste s’indigne cet été du montant du repas organisé entre les deux présidents à la tour Eiffel. La somme qu’il évoque avait été inventée par le site satirique belge nordpresse.be. — Il arrive souvent que le point de départ d’une rumeur haineuse soit une joke qui tourne mal.
2. «Un navire viking retrouvé près du Mississippi» ? Michel Onfray est berné par un autre site satirique. Dans son livre Décadence, le philosophe reprend au premier degré un canular d’un site parodique américain. Le philosophe y écrit que «Christophe Colomb n’a pas découvert l’Amérique» car les Vikings y ont mis les pieds bien avant lui. Il narre alors un prétendu fait précis, sans en donner la source …retrouvée par un correspondant du Monde, 28.07.2017, elle apparaît comme une mystification facile à détecter.
Dans la foulée de ces phénomènes récurrents, les essais voulus sobres mais alarmistes s’accumulent qui prétendent caractériser l’esprit d’un temps, désolant – avec référence obligée à George Orwell. Lequel est réédité continûment aux USA depuis six mois. Je pourrais en mentionner des dizaines. — Ex. Le Figaro: Georges Bensussan : «Nous entrons dans un univers orwellien où la vérité c’est le mensonge», entrevue par Alexandre Devecchio, 07/07/2017. En 2002, Georges Bensoussan publiait Les Territoires perdus de la République, un recueil de témoignages d’enseignants de banlieue qui fait apparaître l’antisémitisme, la francophobie et le calvaire des femmes dans les quartiers dits sensibles, c’est à dire peuplés de musulmans. La crédulité envers des sources douteuses et alarmantes est à mon sens inséparable, à titre réactif, de l’esprit de censure lobbyiste et de la rectitude politique, des litotes et dissimulations des médias et des «porte-parole» officiels qui en voilant et dénaturant vertueusement (et parfois pour de bonnes raisons) des faits «réels» que le public soupçonne en sont à tout le moins cause partielle.
Le mot ou l’idée de «post-vérité» n’est pas récent. Tout le 20e s.: Ce qui est bon pour la race supérieure des Nazis ou pour la Classe élue par l’histoire des bolcheviks est le vrai. Le mensonge est une arme légitime dans la lutte des classes et dans le Rassenkampf. Mais la réalité qu’il désigne aujourd’hui est nouvelle. L’irruption de cette notion l’an dernier lui a ouvert une carrière qui ne va pas s’arrêter de sitôt. Au point que l’Oxford Dictionary l’a consacrée en 2016 mot de l’année. Voir Le Figaro 1. 8. 2017. Ran Halévi : «La post-vérité de Trump, ennemie et complice du politiquement correct.»
Le bobard post-véridique n’est pas le/du mensonge – lequel supposait naguère une perception de ce qui serait la vérité intentionnellement déniée; il est le produit d’une indifférence de principe à la ringarde et encombrante distinction du vrai et du faux1.– Quant au rapport de ces progrès des bobards partisans et des faussetés diffusées et appuyées par le pouvoir d’État avec l’ainsi nommé «populisme» contemporain en plein progrès, de la Hongrie aux USA, c’est une trop vaste question que je ne puis aborder ici2.
Dans l’histoire culturelle et doxique, toujours en une synchronie donnée, les arbres vous cachent la forêt. D’où : règle de base, prendre du recul et rassembler les pièces du puzzle sans se fixer sur les fragments les plus frappants. Le travail fondamental de l’historien des idées consiste à opérer un travelling arrière souvent sur un demi-siècle et plus. Ne pas avoir, comme les gens de médias, le nez collé sur le seul présent et ses engouements contingents et passagers — vouloir repérer et observer des tendances asymptotiques de moyenne durée, avec des actions et réactions.
Mes croyances, et justement celles que je juge les moins douteuses, résultent en dernière analyse d’arguments d’autorité — au sens de vérités acceptées par médiation et par crédibilité attribuée à une source: l’armistice de la Première Guerre mondiale a été signé le 11 novembre 1918, les Japonais ont attaqué Pearl Harbour le 7 décembre 1941, les mois d’hiver en Tasmanie sont juin, juillet et août, la Terre est ronde et elle tourne autour du soleil, — certitude de base acquise à l’école et qui contredit l’expérience quotidienne!
En passant, ce dernier point se discute apparemment. La Flat Earth Society U. S. vient de se rallier à Donald Trump. Elle considère que les Fake News des incrédules libéraux de CNN commence … avec Copernic et Galilée. La Flat Earth Society est une organisation fondée en 1956 par l’Anglais Samuel Shenton puis dirigée ensuite par l’Américain Charles K. Johnson. Son siège était basé à Lancaster en Californie.
Je crois, c’est à dire que l’homme-en-société croit, beaucoup plus de choses utiles ou indispensables, – ou agréables à connaître et inutiles3 – sans preuve directe aucune, plus que de choses qu’il-elle a éprouvées personnellement ou qui sont appuyées au moins par quelques données corroboratrices d’origine personnelle. Si je refusais toutes les croyances que j’entretiens non par expérience mais sur la foi de sources qui savent pour moi, je vivrais dans un monde obscur et invérifiable. — Citons à l’appui … une autorité : «Il n’y a pas de si grand philosophe dans le monde qui ne croie un million de choses sur la foi d’autrui, et ne suppose beaucoup plus de vérités qu’il n’en établit.» Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique.
La succession de Régimes de confiance et la variation des sources de la confiance
Je propose, pour précisément prendre un recul explicatif, de construire ou ici, simplement esquisser une catégorie historico-sociologique, celle de régimes de confiance et d’autorité, – régimes variables dans le temps et l’espace, régimes successifs et inopinés, dont je tends à faire un trait significatif, un paramètre fondamental en vue de décrire un état de société et d’en saisir l’«essence».
Il ne s’agit pas assurément de louer le bon temps passé, car les idées et leurs dynamiques changent, muent, mais ne progressent pas ; l’objet de l’histoire des idées, c’est l’étude des idées qui ont été crues, qui ont servi à légitimer des institutions et des actions collectives, à «encadrer» l’expérience du monde, à procurer des projets et incité à agir dans un sens déterminé.
La fin du 20e s a été marquée par la chute finale et dévaluation des certitudes et espérances politiques totales qui remontaient aux années romantiques. Fin des religions séculières, fin des grandes orthodoxies politiques, dissolution des croyances totalitaires qui ont dominé le 20e siècle. Mort notamment du marxisme accompagné par la nécrologie ironique de Francis Fukuyama vers 1990: Il pourra certes demeurer quelques croyants isolés «dans des lieux comme Managua, Pyongyang – ou Cambridge Mass.» — Fin concomitante de l’autorité des grands intellectuels, celle de l’intellectuel-oracle de ma jeunesse qui – on le répète à ceux qui ambitionneraient la succession de Sartre, – a «fait son temps», ainsi que le disait Pierre Nora dans Le Débat, #1 en 1980. C’est le constat de dévaluation irréversible d’un «rôle» social que fait aussi le plus perspicace de ses analystes, Régis Debray dans son livre ultime sur les intellectuels français, I. F. suite et fin.
L’ancien régime était tourné vers le passé, la modernité, vers l’avenir… Les années 1990 ont vu apparaître un type humain nouveau: l’homme-présent. Le Dernier homme de l’«Ère hyperfestive», celui que l’atrabilaire Philippe Muray avait nommé Homo festivus festivus, est condamné à vivre euphoriquement dans le présent … à savoir condamné à vivre dans un présent qui sera toujours «pressé de n’arriver nulle part», n’ayant de l’avenir que l’image de ce présent persistant dans son être et ses «valeurs» ou le cauchemar de quelque hiver nucléaire et n’ayant plus, concurremment, du passé qu’une représentation tronquée comme ayant eu le tort notamment de n’être pas encore ce présent qui est devenu son seul horizon. Si quelque chose demeure entrevu, par la doxa actuelle, du futur prochain, ce quelque chose est à tout le moins beaucoup plus menaçant que prometteur. plus de fallacieux «lendemains qui chantent»… Effacement de l’avenir et effacement concomitant de l’histoire et de son Sens au profit d’une prétendue «mémoire» moralisée de passés qui scandalisent: l’homme nouveau est entré dans la danse, c’est le Sacre du présent. Il court à perdre haleine et ne va nulle part comme le Lapin de Lewis Carroll. Il n’a retenu de L’Internationale qu’un vers: «Du passé, faisons table rase…» Voir Pierre-André Taguieff, L’effacement de l’avenir. Paris, Galilée, 2000. — Effacement de l’avenir, car l’avenir est devenu inimaginable «autrement que sous la figure d’une poursuite indéfinie du processus techno-informatique actuellement observable». Y aurait-il un avenir après le progrès? Ce que Taguieff caractérise comme le «bougisme» est montré comme l’ultime phase de la chie-en-lit euphorisante, finissant en vaudeville le drame historiciste, comme une esthétique du changement pour le changement sans signification ni finalité. Les publicistes et sociologues ont publié, depuis quelque 50 ans encore, une bibliothèque d’essais souvent assez crépusculaires là dessus – depuis Edgar Morin. La transitoire, volage et vaine célébrité «médiatique» se substitue à la durable renommée, au prestige, à l’autorité du savoir, du talent comme celle de la tradition. Évidence de changement de mentalité mais toujours à creuser. Je n’ai pas le temps de développer l’idée que ce présentisme conjoint à une dissolution des liens civiques a à voir avec la progression concomitante de la crédulité et de la suspicion face à un monde dont jadis le passé dépassé comme l’avenir entrevu venaient éclairer censément le Sens – un sens transcendant au fugace présent.
La démocratie est une forme de société sans assises fermes ni hiérarchies fixes ni respect de traditions immuables, où le pouvoir est diffus, instable et conditionnel, où l’autorité se «conteste» sans encourir grand blâme, où tous réclament des droits et ne se reconnaissent guère de devoirs, où le mot même de respect est devenu ridicule, mais où les moyens de manipulation de l’opinion ont progressé en sournoiserie efficace depuis les temps révolus des sommaires et brutales propagandes totalitaires4.
L’homme du 21e siècle est, dans ce contexte, à la fois plus sceptique et plus jobard que jamais, — à savoir moins respectueux, plus méfiant à l’égard de ce qui est donné pour «officiel», sceptique par principe à l’égard de ce que les pouvoirs et les autorités en place donnent pour vrai, mais, par compensation, excessivement crédule à l’égard des explications suspicieuses, alternatives, paranoïaques et notamment «complotistes».
L’explication la plus simple serait que les fabulateurs, les parano, les fanatiques manquaient naguère de canaux d’expression à portée. L’internet leur fournit avec facebook, twitter, avec les blogues et les sites d’information douteuse les moyens nécessaires alors que naguère ils étaient réduits à fabuler dans la haine et le ressentiment à la taverne ou dans des groupuscules ignorés du public. — Sans doute mais ceci n’explique pas leur succès et leur re-diffusion massive, qualifiée de «virale» par la niaise phraséologie du moment. Le problème doit s’inscrire dans un objet sociologique de longue durée: celui de la rumeur. La puissance fantaisiste et contestataire de la rumeur, vieille comme le monde, est décuplée par Internet, par les blogues et les réseaux sociaux, alors même que croît dans le public la capacité de douter obstinément de toutes les «versions officielles» et de se méfier par principe de toute «vérité scientifique» alléguée par le monde académique. La rumeur est un phénomène antique, récurrent, incontrôlable et puissant dans la malfaisance que les relais nouveaux, – facebook, twitter et autres médias dits sociaux – n’ont fait qu’amplifier et accélérer. La rumeur pose à la sociologie de l’opinion et de la croyance comme à la rhétorique de la persuasion un défi parce qu’elle contredit les règles élémentaires de rationalité qui guident ces disciplines. Une rumeur est la diffusion persistante par des canaux multiples provenant de sources plus qu’indécises d’une information, généralement hostile à l’égard de quelqu’un ou d’un groupe, information dont la véracité est douteuse, mais que la malveillance publique colporte et amplifie – et qu’aucun démenti n’éteint jamais, pas plus que la sobre démonstration de son improbabilité. C’est en quoi la rumeur relève de la logique suspicieuse et «pathologique» de la pensée conspiratoire où les démentis les mieux fondés renforcent une sorte de conviction têtue inexpugnable – voir plus loin. Les thèses conspiratoires ont précisément pour vecteur et caisse de résonance la rumeur publique — non moins que les simples «légendes urbaines» qui se transmettent de bouche à oreille5. La rumeur se caractérise par sa capacité de résistance illimitée à la sobre objection comme aux règles élémentaires de la preuve. Capacité paradoxale puisque l’absence de toute source crédible et identifiée, et l’absurdité des faits allégués ne font aucun tort mais contribuent à la diffusion de la rumeur et à son succès6. Incertaine quant à la source («un ami de mes amis m’a raconté que…»), elle est par contre quelque chose de très documenté en apparence et quelque chose qui grandit et fait boule de neige en accumulant les petits faits probants dont les colporteurs de légendes retiennent les détails censé convaincre et qu’ils ressassent. Le récit est enjolivé au passage selon les croyances et les émotions des milieux qu’il traverse.
Gérald Bronner dans La démocratie des crédules, consacre un chapitre de sa recherche sur les vecteurs de croyances à explorer le secteur de la diffusion de bobards par l’internet: «Pourquoi Internet s’allie-t-il surtout avec les idées douteuses et fausses?» La sorte de croyance vague du surfeur de l’internet relève souvent d’un raisonnement latent: «Tout ceci ne saurait être faux, il doit bien y avoir là-dedans un noyau de vérité» — par exemple face aux centaines de sites signalés par Google qui accumulent des «preuves» et des «faits» en faveur de l’astrologie — et à la poignée seulement de sites sceptiques qui en réfutent les prétentions. Ces centaines de promoteurs de savoirs occultes ne sauraient être tous des imposteurs, des jobards, et des charlatans, pense vaguement celui qui navigue avec un intérêt flottant d’un site à l’autre. Le surfeur se trouverait arrogant, méprisant, peu «démocrate» même et «intolérant» de les écarter en bloc.
La catégorie du «mythe» englobe rumeurs, légendes urbaines et de «faits» enrobés dans de l’idéologie. Un mythe, c’est une fiction qui est donnée pour un fait, mis en preuve au service d’une passion collective, d’une identité ou d’une doctrine partisane, d’une idéologie. Les mythes sont présentés comme des faits établis. Partant d’eux, des argumentations circulaires viennent montrer, dans un cadre idéologique ou un milieu culturel donnés, que ces faits sont révélateurs, hautement vraisemblables et d’ailleurs prévus en ce qu’ils confirment ce que l’idéologie savait toujours-déjà. Le mythe est le produit dérivé, sous forme de faits et récits fictifs, du système de convictions qui l’entretient et l’enrobe. Le mythe de la Conspiration des Sages de Sion prouve l’idéologie conspiratoire antisémite et celle-ci montre les «faits» qu’elle monte en épingle comme venant confirmer la justesse de la doctrine et sa force prédictive. On tourne en rond et c’est cette pétition de principe qui constitue la factualité irréfutable du mythe à l’intérieur d’un «système de pensée» donné. Les politologues de tous bords qui en ont fait leur objet ont dès lors jugé les mythes politiques, avec leur pouvoir de certitude collective et leur résistance à toute réfutation. Les mythes sont pour Ernst Cassirer, à appréhender comme hors de la raison: «A myth is in a sense invulnerable. It is impervious to rational argument, it cannot be refuted by syllogisms7». C’est la circularité de la doctrine prouvée par des événements qui sont prouvés par la doctrine qui produit cette «invulnérabilité».
La décomposition des sources traditionnelles de la confiance et de l’autorité engendre une société jobarde, méfiante vis-à-vis des sources «officielles» mais dans la foulée aussi une société prompte à croire à des rumeurs transmises par le net, aux origines très incertaines, suspectes8, prête à suivre sur parole des imposteurs, des charlatans, des thaumaturges et des gourous alors que néanmoins la fluidité des adhésions, en dépit de la tendance totalitaire et autistique de plusieurs sectes, semble aussi de règle. La Méditation transcendantale, prêchée par le gourou Maharashi Mahesh Yogi qui fut étonnamment populaire dans les années 1970, est retournée au néant d’où elle était issue. Les mouvements New Age et les religiosités «orientales» pullulent encore sur le web mais se concrétisent, si l’on peut utiliser ce verbe, en des communautés virtuelles fugaces et changeantes. Astrologie, yi-king et autres «traditions» divinatoires, crédulités télépathiques, cultes de l’énergie cosmique, attente des soucoupes volantes et des extra-terrestres messianiques, UFO Religions, pratiques d’envoûtement et autres moyens de magies noires, doctrines de la Near Dead Experience, ce marché digital foisonnant obéit à l’inconstance de la mode. Avec le recul, on assiste surtout à mon sens à un éclatement individualiste, une privatisation du métaphysique que les chercheurs qualifient par des formules perplexes: «religion à la carte», «religion en miette»… Le religieux parle encore à certains esprits, mais de façon éclatée et plus selon des dogmes, ni au milieu de communautés ecclésiales et à travers des liturgies et des rites collectifs. On peut parler de dé-communautarisation du fait religieux. C’est alors le sens même du mot, l’essence de la chose qui changent: la religion aujourd’hui se règle sur les «besoins individuels» de fidèles peu fidèles, libres de magasiner, de zapper, d’en prendre et d’en laisser. Danielle Hervieu-Léger emprunte, pour dire ceci, le terme à la mode de «dé-régulation»… La religion servait séculairement à créer et maintenir des communions; une religiosité privatisée, une foi qui doit permettre de s’individualiser, c’est – du point de vue historique – le monde à l’envers. Des grandes surfaces virtuelles offrent au badaud des crédulités au rabais qui forment l’étape ultime de la déréliction … Une religiosité liquide et mobile pour l’ère de la Liquid Modernity, fameux titre de Zygmunt Bauman, ceci se conçoit pourtant aisément. Un super-marché de religiosités bariolées, une religiosité pour consommateurs blasés et changeants s’inscrivent dans le triomphe du marketing et de la consommation, – le renversement des fonctions du religieux en longue durée n’est pas moins frappant. Quand l’histoire, envisagée sur la longue durée, accouche, et ceci est bien rare, d’un cas de figure absolument paradoxal, il convient de s’arrêter et de s’interroger …
C’est cette suspicion, qui est observée croissante en moyenne durée, à l’égard des autorités officielles et traditionnelles qui doit servir d’explication prima facie – valide quoique partielle : elle émerge la première et elle est cause logique, concomitante et indissociable, de la crédulité de masse qui se trouve transférée à l’égard de sources plus que douteuses mais censées «alternatives» aux sophismes officiels. Crise de l’autorité. «L’autorité, diagnostiquait Hannah Arendt, il y a une fois encore un bon demi-siècle, a disparu du monde moderne.» Between Past and Future. The Viking Press, 1961. Trad. La crise de la culture. Paris: Gallimard, 1972. Elle est la première à faire ce constat qui se déclinera ensuite de cent façons. Le concept d’autorité est envisagé par la philosophe dans un sens large qui englobe la confiance investie dans une «source» fiable, le crédit et le prestige philosophiques et savants, le respect dû aux personnes revêtues d’un pouvoir légitime, l’obéissance socialement exigée et l’aura sacrale qui entoure ou entourait certaines valeurs politiques et patriotiques et certaines institutions comme les tribunaux. La fin de l’autorité d’Alain Renaut se situe par ex. dans la foulée pessimiste de la vision du monde moderne de Hannah Arendt. Le philosophe français fait apercevoir à son tour une mutation des attitudes collectives, il confronte des discours opposés, – laxistes et permissifs à gauche, ou bien perplexes, réticents et «réactionnaires». Ceux-ci convergent néanmoins en décrivant l’irrespect croissant envers toute autorité de jadis, pédagogique, civique, morale.
Composante éminente de la Suspicion générale, la méfiance croissante attestée par les sondages depuis une génération envers la classe politique: «La défiance des Français envers la politique atteint un niveau record». Cent sites censés «contestataires» le répètent : les politiciens de tous bords n’ont qu’un objectif: continuer le plus longtemps à cacher les choses, dissimuler et agir dans la plus grande opacité possible.
Méfiance croissante et simultanée à l’égard des médias dits «traditionnels» avec leurs prudences, complicités et connivences. les journalistes ne semblent pas comprendre: ils expriment leur désarroi à l’égard de quidams suspicieux qui les insultent et les agressent constamment. J’ai trouvé cet article sur Libération : «Haine des médias : Les politiques libèrent la parole des esprits agressifs et violents9». On nous ment, on nous ment on nous cache tout10…
Les progrès irrépressibles de la pensée conspiratoire qui fleurit sur l’internet et dans les réseaux sociaux apparaissent comme la conséquence paradoxale de la méfiance extrême à l’égard des versions «officielles» des faits, qui se transmue en crédulité «paranoïaque» à l’égard d’une explication insoupçonnée mais voulue totale, vigoureusement déniée par les autorités en place – et d’autant plus crédible!
De la méfiance excessive, complémentaire de la jobardise manipulée, la pensée conspiratoire est en effet le débouché «pathologique». Tout militant situé aux «extrêmes» de la doxa voit dans les experts de ce monde, les universitaires et leurs «consensus»suspect sur les solutions économiques et sociales, non de neutres techniciens répondant avec une certaine harmonie à une question qui n’a pas cent solutions, mais des instruments corrompus, téléguidés au service de l’ordre établi et de la «Pensée unique» qui prévaut. «L’imaginaire complotiste» qui a une longue histoire moderne, a dès lors de beaux jours devant lui.
La fiction populaire et les best-sellers s’en nourrissent avec leurs Da Vinci Code et les X-Files. Pierre André Taguieff vient de publier un Court traité de complotologie. Il y constate que les théories du complot semblent devenues socialement «normales» et culturellement ordinaires. Elles s’inscrivent aisément dans le Zeitgeist. Le complotiste pratique le recours intimidant envers qui objecte à son système au sophisme ad ignorantiam: prouvez-moi que la coalition secrète dont on vous parle n’existe pas, — tâche impossible, car on peut montrer que quelque chose existe, mais il est impossible de montrer définitivement que quelque chose n’existe pas.
Je renvoie à mon essai «La pensée conspiratoire: pour une histoire dialectique et rhétorique» In Emmanuelle Danblon & Loïc Nicolas, dir. Les rhétoriques de la conspiration. Paris : CNRS Éditions, 2010. De la conspiration illuministe découverte (inventée) dans l’Émigration par l’Abbé Barruel pour expliquer de bout en bout la Révolution française, à la conspiration jésuitique, honnie des libéraux au temps de la Restauration, puis à la conspiration judéo-maçonnique de la fin du siècle, puis enfin à la conspiration des seuls «Sages de Sion», l’explication conspiratoire du cours des choses qui anime en longue durée des idéologies contradictoires doit être examinée diachroniquement et globalement dans la confrontation de ces idéologies et la récurrence de certaines manières de raisonner.
Les théories du complot semblent sceller la convergence droite-gauce des populismes. La logique conspiratoire qui jusque dans les années 1970 était l’apanage d’une extrême droite déstabilisée par le cours du monde fleurit dans la «gauche» altermondialiste. À droite, rien de plus «logique» depuis deux siècles: ceux qui pensent que les traditions sont sacro-saintes et qui les voit s’éroder sous les coups inexorables de la modernisation peuvent penser que cette érosion est orchestrée par des Méchants. Le raisonnement conspiratoire part de quelque chose de logique: une série d’événements déplaisants étant identifiés, cherchons-en les causes ou, ce serait mieux, plus simple et plus clair, la Cause. Et pour ce faire, écartons les «rideaux de fumée». Le Complot découvert permettra de «faire entrer dans le rationnel» et l’explicable ce qui apparaît d’abord comme désolant et inexplicable: il est à ce titre, cela ne se saurait nier, le produit d’un effort de rationalité, il a une «fonction cognitive», fût-elle dévoyée.
Or, la «diabolisation» (autre notion-clef de notre temps) de l’adversaire, la création d’un adversaire diabolique qu’il importe d’anéantir, sont des phénomènes en progrès tous azimuts de nos jours comme l’illustre l’étude récente d’O’Rourke, Demons by Definition: Social Idealism, Religious Nationalism and the Demonizing of Dissent. Ce n’est pas par hasard que les mots de diabolisation/demonisation sont passés dans le vocabulaire des médias — et dans la bouche de tout le monde. Récemment encore, en vue de discréditer certains «radicaux» des mouvements écologistes suractifs sur le web qui semblent emprunter leurs thèmes à la droite complotiste xénophobe, on a créé le composé «vert-brun» – et pour discréditer, par le soupçon de semblables convergences, le Front de gauche, on rencontre la formule «rouge-brun», — rouge-brun désignant une mouvance politique qui prône des valeurs hybrides, un mélange entre celles de l’extrême-droite nationaliste (le brun des nazis) et de l’extrême-gauche ci-devant communiste (le rouge).
Les lobbies identitaires qui prolifèrent et qui alimentent à la fois l’esprit de censure et la privatisation identitaire des croyances sont, par nature et fonction assumée, inconditionnels d’une Cause exclusive, cause qu’ils se sont donné mandat de protéger par tous les moyens contre la discussion, contre toute objection et examen – du lobby sioniste au lobby gay, les mieux organisés et les plus résolus à ne rien concéder, en passant par tous les autres lobbies identitaires, ethniques, religieux ou autres. Tous fonctionnent à l’intimidation, à la dénonciation, au refus de débattre, à la mise au pilori des gêneurs et des réticents. C’est la nature du médium «chaud» des blogues et des réseaux sociaux et les sentiments d’invulnérabilité et d’irresponsabilité qu’ils inspirent qui oblitèrent et refoulent peu à peu l’argumentation rationnelle, la discussion tempérée et de bonne foi, qui étouffent et pervertissent tout débat public raisonnable et serein. La «liberté d’expression» invoquée sur le web par les esprits tolérants, est précisément la cible même à abattre pour les vigilants de tous bords lesquels précisément n’ont nul besoin de conspirer ensemble. Beaucoup de publicistes américains constate que l’Université, jadis citadelle de la liberté, est devenue un lieu où des groupes qui ont pignon sur rue s’en prennent et menacent systématiquement la liberté académique et s’acharnent à justifier la censure d’idées qui leur déplaisent. Chacun de ces groupes voit midi à sa porte. Ceci suffit. Ainsi la crédulité à l’égard de données fallacieuses sapant des vérités dites officielles est inséparable de la montée dans les médias et le web d’un esprit de censure et d’autocensure qui contraste de façon frappante avec la rhétorique libertaire («Il est interdit d’interdire») qui s’était diffusée dans les années soixante et soixante-dix du siècle passé. Esprit de censure, c’est à dire justification «vertueuse» et civique, et légitimation insidieuse de l’interdit porté sur certaines idées, sur certaines formes d’expression, — suspicion, restrictions mentales et blâme à l’égard de l’ancienne exigence de liberté d’expression pleine et sans réserve, réclamée depuis l’aube des temps modernes par l’artiste, l’écrivain, le savant … naguère indigné par la fatwa qui en 1989 a condamné à mort le romancier Salman Rushdie pour les «blasphèmes» à l’égard de l’Islam contenus dans The Satanic Verses, le monde développé n’en est pas moins le lieu de débats récurrents depuis vingt ans où s’exprime violemment à tout coup un camp puissant et intimidateur de partisans de la censure, de la répression d’idées (et d’images) et de l’interdit vertueux.
L’esprit de censure étendu ne peut se séparer de l’analyse de ces faits d’orwellisation du langage, de Newspeak, interdiction de mots suspects d’«insensibilité» et imposition de vocables et périphrases correctes. L’esprit de censure qui prédomine et auquel nul n’échappe sans danger revient à immerger le malheur du monde dans les eaux miraculeusement rédemptrices de la périphrase, de la litote et de l’euphémisme, terrorisme permanent, — terrorisme inséparable aux USA d’un terrorisme complémentaire d’une droite américaine en expansion, elle aussi nourrie de formules creuses et de mythes, elle aussi avide de censurer, droite à qui la gauche de la rectitude politique a fait la partie belle.
La classe régnante et ses médias diffusent entre-temps le langage du «consensus», jargon de conformation aux valeurs prédominantes dont la prolifération cherche à assurer une intériorisation générale de ces «valeurs». Langues de bois ou langages de vent, les mots imposés ne sont pas chose superficielle: une sclérose de la pensée s’impose à qui ne se rebiffe pas. Jamais autant qu’aujourd’hui ce langage de consensus n’a été mieux orchestré – sans qu’il y ait un Chef d’orchestre invisible mais dans un effort commun pour l’adaptation des esprits au Marché pérenne et dans le vide démagogique des discours ostentatoires d’opposition à cette dynamique. Mots vaseux et confus, néologismes de sens aux connotations euphémistiques qui semblent recéler les linéaments d’une idéologie qui passe en fraude: performant, préemptif, décideurs, expertise, gouvernance, synergie, privatisation, refinancement et autres par centaines qui pullulent sur les ruines des Grandes espérances et sont les «manteaux de Noé» qui dissimulent, mal, la misère du monde, l’exploitation et l’injustice. À quoi se joignent, des jargons de métier métaphorisés, codés et dénégateurs, venus des milieux militaires, policiers, financiers, ou énarchiques, et du showbiz, euphémismes de connivences professionnelles que les gens de médias, bêtes et soumis, ont adopté et diffusent passivement: «bavures», «retombées», «dommages collatéraux», «restructurations», «cohésion sociale» – il se mélange encore à ce bouillon lexicologique la doucereuse récupération, à titre d’ostentation vertueuse minimale, de certains mots du «politiquement correct», ceux de la «diversité», de la «discrimination positive», du «multiculturel» et du «métissage». Tous ces moyens manipulateurs qui sont activés non plus par des fanatiques obscurs, des imposteurs et des blagueurs anonymes du web mais par des «spécialistes» fort bien payés de la com’, nourrissent, concurremment avec la rectitude militante, la suspicion du «populo» qui se sent manipulé de toutes parts et est tenté pour échapper à ces manipulations convergentes et omniprésentes et à cette opacité accrue du cours des choses de fuir dans la crédulité alternative.
1. Voir «Why bullshit is no laughing matter» sur https://aeon.co/ideas/why-bullshit-is-no-laughing-matter?utm_source=Aeon…
2. Voir Marc Angenot, «Fascisme, populisme: les utilisations contemporaines de deux catégories politiques dans les médias et dans les travaux savants.» À paraître. Au début, il y a quinze ans, le catégorème est sorti de l’oubli pour désigner des mouvements anti-parlementaires et volontiers xénophobes comme le Parti de la liberté d’Autriche (Autriche), le Parti populaire danois (Danemark), le Parti pour la liberté (Pays-Bas), les Vrais Finlandais (Finlande). Droit et justice (Pologne), Jobbik (Hongrie), Liberté et Solidarité (Slovaquie), Parti démocratique civique (République tchèque), Parti des citoyens libres (République tchèque), Alternative für Deutschland (Allemagne)…
3. Avant 1930, «on croyait» qu’il y avait neuf planètes, aujourd’hui je crois qu’il faut en compter en compter huit mais, selon les Journaux et le web, peut-être devrais-je passer à dix ou revenir à neuf.
4. Puisque le titre de cette journée d’étude évoque la Pravda, i.e. la vérité… C’est un des thèmes clefs de la propagande du Socialisme scientifique lequel prétendait dire seule le vrai sur la société – le journal des bolcheviks s’intitulait en conséquence Pravda, – le discours bourgeois était, délibérément et à grand frais, manipulé pour dissimuler les choses, pour falsifier les faits, pour entretenir les préjugés, pour tromper le peuple, pour l’«abrutir» et pour l’«empoisonner». Rappelons alors contre tout regret du passé le fait du Mensonge général qui a caractérisé le «socialisme réel» et en constituait en quelque sorte l’essence. L’Utopie communiste était constamment mise en scène pour masquer la réalité terne, sordide ou sanglante. L’énergie de l’État soviétique est mobilisée à tout moment pour donner à croire, au dedans et au dehors, à l’utopie au pouvoir et à l’unanimité de masses enthousiastes et comblées, pour créer un décor alors que règne la terreur. Nous vivons dans l’ombre portée de ces totalitarismes disparus .
5. Voir Véronique Campion-Vincent, Jean-Bruno Renard, Légendes urbaines : rumeurs d’aujourd’hui, Payot, 1998. & Véronique Campion-Vincent, Jean-Bruno Renard, De source sûre: nouvelles rumeurs d’aujourd’hui, Payot, 2003. Rééd. Payot, 2005, Jan Harold Brunvand est un professeur à l’Université d’Utah connu pour avoir contribué à la dissémination du concept de «légende urbaine»: Too Good to Be True: The Colossal Book of Urban Legends. New York : Norton, 1999.
6. Les accusations de meurtre rituel, Ritualmord, relancées contre les Juifs à la fin du 19e s., la légende de l’enfant chrétien enlevé par des Juifs et sacrifié, saigné à blanc pour la Pâque, avatar de la thèse du «Peuple déicide», est un exemple fameux d’une rumeur atroce qui s’est transmise obstinément dans la chrétienté tout au cours des siècles (elle a pour redoutable relais la légende catholique de Saint Simon de Trente, «als Kind hingeopfert»), pour se déverser dans la marmite éclectique de l’idéologie antisémite moderne.
7. The Myth of the State. New Haven CT, Yale UP, 1946, p. 296.
8. La première étude sociologique qui a désormais valeur historique d’une «légende urbaine» haineuse est due à Edgar Morin avec La rumeur d’Orléans. La dite «rumeur d’Orléans» qui a enflammé la population de cette ville de la Loire, particulièrement les adolescentes et les jeunes filles, en avril 1969, assurait que les cabines d’essayage de plusieurs magasins de lingerie féminine, censés tenus par «des juifs», sont en fait des pièges pour les clientes, qui y seraient endormies avec des seringues hypodermiques et livrées à un réseau de prostitution. Aucun démenti – notamment ceux de la police assurant qu’aucune disparition suspecte n’avait été signalée – n’a réussi à éteindre cette rumeur, qui a finalement perdu d’elle-même de la virulence pour tomber peu à peu dans l’oubli, mais pour renaître indéfiniment dans d’autres villes de France. Les jeunes filles enlevées par «les Juifs» étaient prises en charge par un sous-marin remontant la Loire! Cette «donnée» a été retenue comme attestée et probante dans presque toutes les versions recueillies à l’époque.
9. www.liberation.fr/debats/2017/07/14/ haine-des-medias-les-politiques-liberent-la-parole-des-esprits-agressifs-et-violents_1583935
10. Des dizaines de sites exposent non sans arguments, qu’On nous ment sur le terrorisme. Ce n’est guère discutable…
Angenot, Marc (2017). « Pourquoi l’Internet est-il le vecteur d’idées douteuses et fausses? ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/pourquoi-linternet-est-il-le-vecteur-didees-douteuses-et-fausses], consulté le 2024-12-09.