Invisible, le coronavirus engage une mobilisation scopique totale, précédée là aussi par des multiples simulations et aboutissant à un dispositif tout à fait sidérant: la perspective de l’«Apocalypse Live».
Rendre visible la menace invisible du virus demeure un des motifs principaux du « récit épidémique » tels que dégagés par Priscilla Wald:
Typically, outbreak stories convey that expertise as the ability to make the unseen world appear. Visual technologies, from electron microscopes to epidemiological maps and charts, are an important part of the outbreak narrative. Maps of geographical areas, often dotted with pins or, in films, with colored lights, represent epidemiological work in progress, associating even maps that were not so marked with expertise and with the global surveillance the infectious disease accounts called for—and, of course, with infection. (2018, p. 37)
Cette cartographie est ambivalente, provoquant à la fois la crainte et un certain réconfort :
Dots or lines signal a spreading infection, often following the routes of trains, planes, buses, cars-, and trucks as they transport carriers and their viruses rapidly around the globe. But the maps also help the epidemiologists solve the puzzle of the disease and thus represent evidence of experts on the case, a materialization of the epidemiological work that generally gets the threat under control. (id, ibid)
La transformation graphique du virus à la fois en spectacle et en énigme circule entre quantité de films pandémiques, qu’ils restent dans le domaine de la simulation « vraisemblable « (Wald cite Outbreak, 1995 et Carriers, 2009, ce à quoi il faut ajouter Contagion, 2011) ou la projettent sur des scénarios purement imaginaires, leur conférant une inquiétante cohérence (Rise of the Planet of the Apes, 2011, et, dans le versant zombiesque, World War Z, 2013). Mais elle a aussi « contaminé » les jeux de table (Pandemic, 2008) et les jeux vidéo (l’exemple le plus éclatant étant Plague Inc, 2012), voire les vidéoclips (Franz Ferdinand, « This Fire », 2004). Son expansion est telle que l’encyclopédie popologique TV TROPES lui consacre une catégorie dans sa tropologie, le « Main spreading disaster Map Graphic »:
Pictures can be worth a thousand words, and graphics depicting the spread of a threat across the landscape can often convey its scope more effectively than Storyboarding the Apocalypse. Whether it’s a Zombie Apocalypse, The Plague, an advancing natural or man-made catastrophe, a World-Wrecking Wave or something more conventional like a military invasion, there’s no quicker way to show one’s audience that an entire region is being overwhelmed than to display a map with rapidly-growing colored blotches or arrows (nearly always red) spreading across it.
La fascination pour la propagation graphique du virus dont témoigne la longue liste d’exemples compilée par TV TROPES [1] rejoint plusieurs vecteurs de notre sémiosphère. D’un côté elle est la preuve tangible de l’accélération où nous vivons, mise à jour, à la suite de Virilio, par Hartmut Rosa. Faisant de l’accélération « un principe de développement essentiel de la dimension temporelle de la modernité » (2013, p.61), Rosa considère qu’elle a atteint un seuil critique dans la modernité tardive où nous sommes, devenant potentiellement pathogène (id, p. 20). Les graphiques angoissants de la progression du virus (et le plaisir que les spectateurs en extraient) semblent à ce titre une amplification exponentielle de notre accélération spatio-temporelle, marquée par une continuelle « augmentation de la quantité par unité de temps » (id, p. 65). La lutte contre le virus semble dès lors refléter celle de tout un chacun contre les nouveaux impératifs sociétaux, par lesquels, “in order to maintain one’s position, to avoid lost opportunities, and to meet the requirements of synchronization, one has to constantly monitor and keep pace with changes in the social environment” (id, p.306). Qui, du virus ou des « microbe hunters », sera l’ultime « speed winner »?
En se propageant à toute allure sur les graphiques (souvent à l’échelle planétaire), le virus devient aussi un formidable « révélateur » de la globalisation (dont Rosa a aussi montré le lien dialectique avec l’accélération). “While the experts are busy tracking the microbes, the disease does its own work of revelation, making visible the social interactions of the imagined community”, écrit P. Wald. “The human contact materialized by the spread of a communicable disease reveals an interactive and interconnected world” (op. cit., p.37-8). En cela la translation graphique renforce le telos viral, résumé par Laurie Garrett : ‘‘Rapid globalization of human niches requires that human beings everywhere on the planet go beyond viewing their neighborhoods, provinces, countries, or hemispheres as the sum total of their personal ecospheres. Microbes, and their vectors, recognize none of the artificial boundaries erected by human beings.’’ [2]
La confluence de la vitesse et de la propagation constitue de fait un ancien motif du récit épidémique qui a partie liée avec l’évolution même de la modernité. Pour preuve, le documentaire éducatif des Nations Unies The Eternal Flight (1948), largement articulé autour de cette confluence. L’on y passe ainsi de la vision au microscope (Leeuwenhoek donnant à voir « l’ennemi caché ») à une mappemonde (1’48), puis à une série de cartes, devenues un territoire de chasse –pour les virus comme pour leurs chasseurs (“the hunt was on for contagious diseases and their causes, wherever they existed“). Puis les roues d’un train mettent en branle une nouvelle configuration spatiale : “New means of transportation brought the world tight and close together, making it one tremendous and congested city” (vision plutôt dystopique de ce que McLuhan nommera deux décennies plus tard le Village Global). Survient une tête de mort surplombant une ville d’où part, en animation, un train qui traverse des montagnes tandis qu’une clepsydre marque le temps qui passe (4’27) : « From a disease-infected zone, the traveler now became, unwittingly, a carrier of deadly germs. Wherever he went, the germs stayed and spread”, proclame la voix menaçante du narrateur, alors que le train arrive dans une ville sur laquelle surgit une croix tombale qui va s’agrandissant, et sur laquelle se surimpose en majuscule : « CHOLERA! » [3].
Un bateau traverse ensuite un océan, propageant le virus sur l’autre rive, aussitôt recouverte de pointillés à la manière de bacilles (“Country to country, continent to continent, the deadly cargo of microbes is transported, menacing on a vast scale the very existence of humanity” (5′). Alors que des grands titulaires se succèdent à la Citizen Kane (1941), la voix off continue: “Mass infection and epidemics are a threat to every city, to every nation”. L’avion prend le relais, comprimant l’espace planétaire et le livrant au pouvoir propagateur du virus : “Today there are no distances . Today the aeroplane links continents as trains link cities. The people of the world are one people joined by wings over the globe . Today people of all races, of every level, move from country to country in a matter of hours”. Suit l’image du globe terrestre, contourné par un avion tandis que réapparaît la clepsydre menaçante (“From one continent to another, only a few hours flying time”, 14′). La paranoïa se généralise, alors que des images anodines de divers passagers prennent une connotation sinistre de par le discours du narrateur: “Some passengers may be germ carriers, perhaps already in the incubation stage. That little girl, when she got the doll, did she receive germs as well?”.
Les graphiques suivent alors les migrations des différents virus entre les pays, jusqu’à ce que la totalité du globe soit recouverte de pointillés blancs et que s’y surimpose une gigantesque tête de mort (reprise du motif de la Mort trônant sur le Monde cher aux Vanités baroques évoquées dans notre premier article). « Modern transport poses new dangers of complete, universal contagion. The struggle against epidemics is a global one, for the danger of death is worldwide”, conclut la voix.
La continuité de ces motifs visuels et narratifs jusqu’à nos jours est frappante; outre les exemples filmiques analysés dans le détail par Kirsten Ostherr dans Cinematic prophylaxis: globalization and contagion in the discourse of world health (2005) l’on peut voir la nette filiation entre Eternal Flight et, par exemple, le vidéoclip de Franz Ferdinand « This Fire » (Stylewar, 2004). Prolongeant l’esthétique constructiviste affichée dans la couverture de l’album, la vidéo s’inscrit délibérément dans le vaste courant de « Rétromanie » étudié par Simon Reynolds dans son ouvrage éponyme (2010) [4]. Elle reprend donc le «récit épidémique » à partir de différents stylèmes et motifs; ainsi elle invoque initialement l’imaginaire bondien : les membres du groupe, engoncés dans leurs uniformes kraftwerkiens, siègent dans un repaire secret, entourant une table où se déploie la carte du monde avant de lancer, à travers des enveloppes animées, une pandémie d’hypnose sur le monde (motif lui-même rétro qui renvoie au cinéma expressionniste, repris dans les allures « mabuséennes » du chanteur).
Les plans d’avions survolant des mappemondes et les cartes épidémiologiques se succèdent alors que progresse le “feu” indéterminé qui donne son titre à la chanson, jusqu’à recouvrir entièrement d’une teinte orangée la carte du monde (1’33), tandis que pleuvent des sortes de microbes. Des titulaires de nouvelles apparaissent aux nouvelles, nous informant de la progression de l’épidémie : l’hypnose collective déclenche une « global sex mania », dans le droit fil des parodies coquines des codes james-bondiens du style de The Man from SADISTO [5]. Les codes visuels du récit pandémique s’inscrivent donc dans un « patchwork » de styles et de thèmes pour en faire une transposition « méta-pop » de la viralité du groupe lui-même, se jouant de l’imaginaire des groupies se pâmant devant les boy bands. Mais, noyé dans une pure accumulation de signes, selon les codes de l’esthétique du vidéo-clip, ce récit n’est plus qu’un simulacre au milieu de tant d’autres [6].
Mais c’est dans un autre média que l’on va trouver le déploiement le plus spectaculaire de la viralité graphique : les jeux vidéo. Plus concrètement, dans un jeu entièrement dominé par cette dernière, le célèbre PLAGUE INC (2012). Fleuron d’un micro-genre pandémique (dont Wikipedia catalogue 26 références), ce jeu de simulation et de stratégie en temps réel invite le joueur à développer une épidémie qu’il doit faire évoluer et répandre globalement dans le but d’éradiquer l’espèce humaine (‘Welcome to Plague Inc.! You are a new Bacterium. To win, you must evolve and spread across the world – wiping out all humans in the ultimate Plague!’, nous dit le texte de presentation).
Gameplay takes place on a two-dimensional world map: First, players select a country of origin for their disease and then watch as it slowly spreads across that country and into new regions, either crossing land borders or being carried on ships and planes”, résument Mitchell et Hamilton, ‘DNA points’ accumulate as the number of infections increases (…), which are then used to adapt and customize the disease. A player can alter the pathogen to thrive in cold or hot climates; evolve new disease vectors such as mosquitoes, birds, or livestock; and add symptoms that help transmit the disease more easily (e.g. coughing, sneezing, or bursting pustules). (2017, p. 4)
La propagation globale et la visibilisation graphique du virus (à la fois dans les cartes épidémiologiques qui tracent sa progression et dans les modélisations du pathogène que l’on manipule à la façon d’une « customisation » de jeu de rôle) sont devenues le moteur même d’une simulation totalement baudrillardienne. Si l’on a surtout cerné dans les précédents articles la « précession des simulacres » à partir des matrices traditionnelles des fictions, ce sont les jeux vidéo qui incarnent le mieux le phénomène, l’intégrant au cœur de leur fonctionnement. Pendant ludique d’une culture de la simulation, devenue la « voie symbolique principale par laquelle notre civilisation s’approprie le réel » [7], les jeux sont des sortes d’incarnation (désincarnée) des théories du philosophe rémois, contemporaines de leur éclosion (rappelons que Simulacres et simulation paraît un an après Pac-Man et l’année même de Donkey Kong). Au point que, comme le signale Eva Kingsepp, « décrire le monde virtuel des jeux vidéo comme simulacre hyperréel est devenu presque un cliché » [8].
Synthétisant les diverses étapes du récit épidémique (le patient zéro, la dissémination transnationale à travers une série de porteurs, la lutte contre la montre à la recherche de mesures pour la contrer –qui ici doivent être déjouées- et la cure –qui signerait le « game over »), le jeu les transpose intégralement en signes graphiques, combinant cartographie (selon le modèle des cartes épidémiologiques) et statistiques, tandis que la prime à la vitesse introduit une accélération temporelle de la viralisation et du jeu :
The date is prominently displayed on-screen and constantly moving forward day by day (a higher score is achieved the faster the human race is wiped out), along with the total number of both infections and deaths. A ‘news ticker’ scrolls across the top of the screen, presenting updates about the progress of the player’s disease, information that may impact gameplay, and satirical news items. Players can also access pages of information and data about which countries are infected, the numbers of people infected and killed in each country, and regional features that impact disease spread. (id, p. 5)
Pour Lorenzo Servitje, tout ce dispositif incarnerait une épistémé biopolitique :
The simplicity of the interface’s graphics erodes the possibility of spectacle in favor of directing players’ attention to the biopolitical/pathogenic calculus. In the interactive world map screen, players select a country and are given statistical, almanatic information with respect to disease: for instance, a piechart of morbidity and mortality percentages; biogovernmental responses to the disease such as research funding, military action, quarantines, and elimination of animal vectors; environmental conditions and demographics such as population density. These are the statistical frames of reference for the biopolitical calculus that structures Plague Inc.’s game mechanics. (2016, p.88)
L’on peut voir là l’évolution ultime du dispositif statistique introduit autour de la variole et sa vaccination, tel qu’étudié par Foucault dans son cours au Collège de France intitulé « Sécurité, territoire et population » (1978) [9]. La « raison statistique » sur laquelle s’appuie le biopouvoir moderne[10] rejoint le fonctionnement algorithmique qui articule la vidéoludie. Plongeant ses racines dans la technologie militaire (l’on pourrait remonter au projet Igloo White activé au cœur de la guerre du Vietnam), le jeu vidéo est solidaire de la colossale transformation du monde en information qui régit la bio-gouvernance moderne, l’extrémisant.
Toutefois, une certaine ambivalence découle de la transcription graphique: “Maps help track disease, but they also vividly reflect how vulnerable humans are to certain infectious diseases despite, and in some ways because of, modern technology” (id, p. 87). La carte épidémiologique de Plague Inc., dès lors, nous montrerait «that it is impossible to contain disease, that nations are porous and traditional hierarchies no longer prophylactic, and that we are vulnerable to contagion at a species level due to our voracious desires for trade and leisure. The game’s maps thus (re)produce a logic where mobility is a disease vector and the globalized world is always already contaminated” (Mitchell et Hamilton, 2017, p. 4)
Qui plus est, le fait que le jeu opère une “altérisation” totale, invitant à prendre le point de vue (ou tout du moins l’agentivité) du pathogène et non celle de l’humanité inverse non seulement l’axiologie habituelle du « récit épidémique » mais vient troubler les prétentions du discours biopolitique hégémonique, le mettant en échec. Cependant, s’y opère selon Servitje une normalisation, voire une intériorisation du récit épidémique et, partant, de la bio-gouvernance des sociétés de contrôle :
This normalization performs a disciplinary function in two capacities: it normalizes the threat so as not to cause panic—people are used to the idea, yet they remain afraid—and normalizes the enhanced governance used in response to the threat, including martially enforced quarantine and “aggressive counterproliferation technologies” (…). Players, along with their mobile devices, reinscribe these biopolitical strategies that are trusted in a perpetual future/present state of preemption: it becomes perpetually urgent that we be afraid of emergent disease and trust biosecurity measures. (id, p. 100)
En simulant une pandémie qu’il ludifie, le jeu finirait donc par incorporer le joueur à un dispositif de contrôle (enchâssement tout à fait néobaroque du pouvoir). Symptomatiquement, la CDC (Center for Disease Control and Prevention) invita le développeur, James Vaughan, à donner une conférence sur sa modélisation de l’épidémie : au-delà de la légitimation culturelle du jeu vidéo comme outil didactique perce là, une nouvelle fois, la théorie baudrillardienne de la simulation. Comme pour illustrer davantage celle-ci, l’application mobile du jeu devint la plus populaire en Chine pendant l’éclosion de la pandémie, avant d’être bannie par les autorités. Il existe par ailleurs, sur Youtube, une simulation coronavirale, dite « Wuhan Scenario » : ironiquement, le joueur/commentateur évoque de façon assez condescendante ce « bit of an epidemic » qui semble se passer à l’autre bout du monde… On est le 28 janvier 2020.
Comble d’ironie, l’engouement pour le jeu est devenu tel que la compagnie (Ndemic) a du publier un communiqué pour rappeler qu’il ne s’agit en aucun cas d’un modèle scientifique « réel » : “Please remember that Plague Inc. is a game, not a scientific model and that the currentcoronavirus outbreak is a very real situation which is impacting a huge number of people (…). We would always recommend that players get their information directly from local and global health authorities”. Outre l’intérêt de ce texte pour les théoriciens de la fiction, ce déni du simulacre montre à quel point, tel que théorisé par Baudrillard, la stratégie du réel reste consubstantielle à la simulation.
De fait, plusieurs mèmes se sont emparés du graphisme aisément reconnaissable de Plague Inc. pour évoquer ironiquement le coronavirus, le plus connu étant « Escaping to Greenland » (allusion au fait qu’il s’agit souvent du dernier pays à survivre la pandémie dans le jeu, de par son isolement). Ironiquement, la politique erratique de Trump semble en passe de littéraliser ce mème.
Mais peut-être faut-il voir son impact le plus éclatant dans un des dispositifs les plus troublants de la mémésphère coronavirale…
Depuis le début de la pandémie l’obsession « infodémique » s’est symptomatiquement axée sur une immense circulation de graphiques, dans le droit fil de la « précession de simulacres » que l’on vient d’évoquer. Quantité de sites ont proposé un décompte détaillé, en temps réel, du nombre de victimes, illustré par des cartes épidémiologiques interactives, attirant un flux incroyable de visites (et induisant certains utilisateurs à des utilisations obsessionnelles compulsives, « rafraîchissant » les pages plusieurs fois par jour). S’interrogeant sur cette singulière compulsion, Jennifer Rohn écrit :
Numbers are seductive: they impose order onto events which feel chaotic in isolation. When we corral them into neat graphs, we take comfort in their inherent precision – especially during this global pandemic, when our lives have become distressing and unstable (…). Gazing at the graphs can give us a glimpse into that murky crystal ball. As scary as the future might look, it’s preferable to being completely in the dark. (“Why We Are Dangerously Obsessed With The Coronavirus Death Toll”)
Ironiquement, comme pour illustrer les “stratégies fatales” chères à Baudrillard, ces statistiques sont souvent aléatoires, la disparité dans la collecte et la diffusion des données entre pays (et à l’intérieur même des pays) étant parfaitement établie.
Cette obsession « info-graphique » culmine dans un étrange live stream devenu viral où se combinent de façon indissociable visibilisation des données et invisibilisation de la maladie : Coronavirus Pandemic : Real Time Counter. Agrégat algorithmique de 45 sites (dont l’également viral Worldometers) ce site présente une apocalypse en temps réel au pouvoir étrangement hypnotique (pour preuve le flux continu de visionnages et de commentaires venus des quatre coins de la planète).
Les cartes épidémiologiques y alternent avec toutes sorte de courbes graphiques tandis que se déroule une constante mise à jour des données statistiques par pays (nombre d’infectés, de morts et de récupérations). Bien qu’il ne reprenne pas directement le graphisme et le layout visuel de Plague Inc, les parallélismes entre le jeu de simulation et cette surveillance (« monitoring ») des données de la crise pandémique en cours restent troublants.
L’esthétique de la carte, également austère dans les deux cas, semble traversée par la même aporie, signalée par Servitje: “Spatial epidemiology, specifically the epidemiological map, presents an aporia in relation to biosecurity. On the one hand, these maps do propose complete surveillance, as little information is hidden from the user—disease transmission, mortality/infection rates, human public health policies enacted, cure progression, governmental research budgets and capacities. (…) On the other hand, epidemiological maps demonstrate the porousness of borders and the impossibility of total regulation (…) Here, the epidemiological map discredits biogovernance in the face of a pandemic biosecurity breach” (2016, p. 93).
Alors que le joueur se glisse dans cette brèche et se doit de mener à sa perte le système de contrôle bio-sécuritaire, le spectateur du live stream ne peut qu’assister, impuissant, à la progression semble-t-il inéluctable de la pandémie. Ainsi le même dispositif visuel entraîne deux configurations antithétiques : une vision au caractère purement spectatoriel face à celle, « engagée » dans l’action intéractive, du joueur. Toutefois, une certaine ambigüité les rapproche. « The game is ambiguous as to who or what a player is supposed to be. That is, Plague Inc. does not present a clear deixis indicating who the player “is” vis-à-vis the pathogen”, écrit Servitje (2016, p. 96). Si le jeu semble vouloir faire du virus une sorte d’avatar désincarné du joueur, rien ne nous dit que sa subjectivité puisse s’y réduire; au contraire, la vision olympienne surplombant la progression planétaire de la pandémie en fait une sorte de Deus absconditus, voire un avatar du « game designer » lui-même, selon la célèbre formule flaubertienne (« L’auteur, dans son oeuvre, doit-être comme Dieu dans l’univers, présent partout, et visible nulle part », Corr. 2, 177).
Ce Dieu est, on le sait, leibnizien, puisqu’il fait le monde en le calculant, l’agençant pour que les « programmes individuels se composent au mieux avec l’ensemble des autres »: « les jeux vidéo réalisent en effet, sans le savoir, des univers à la manière de la philosophie de Leibniz », écrit Mathieu Triclot (2017, p. 69). D’où le paradoxe d’un « monde leibnizien, engendré par le calcul, où chaque entité possède ses lignes de code, mais dans lequel on dépose un objet non leibnizien, le joueur », paradoxe qui ne peut se résorber que par celui d’ « un sujet libre, mais dont la liberté consiste à accomplir les desseins de Dieu », soit le programme (id, p. 71-2).
Alors que sa vision est également surplombante, la posture de l’internaute devant le Live stream ressemble plutôt à celle de la créature contemplant la Création. Tandis que l’un doit s’assurer du bon fonctionnement de son œuvre, l’autre n’a qu’y à acquiescer, tâchant de lui donner un sens. Il y a là, au-delà de l’opposition apparente, une secrète complémentarité.
Pourquoi vouloir jouer à Plague Inc. pendant le coronavirus? Et pourquoi vouloir rester scotché devant « Coronavirus Pandemic »? Dans un cas on peut imaginer une tentative de contrôle (sur le modèle du Fort-Da freudien) en jouant au démiurge, tandis que l’on est physiquement limité au confinement par la menace bien réelle d’attraper le virus que l’on s’amuse à « booster » dans le système de jeu jusqu’à en rendre inéluctable le triomphe sur l’espèce humaine. On feint de s’identifier à ce qui nous menace pour nous en jouer, selon une structure psychanalytique bien connue.
Dans l’autre, on est aussi dans un certain fantasme de contrôle, tel qu’évoqué par Jennifer Rohn, et que l’on pourrait rapprocher du projet occidental d’ « arraisonnement » technique de la Nature[11]. Mais c’est un contrôle là aussi paradoxal, puisqu’il nous confronte à notre impuissance de spectateur tandis que les chiffres des victimes ne cessent de s’accumuler. Cette impuissance même doit alors se transformer en plaisir : on retrouve par là une ancienne topique, celle du « naufrage avec spectateur ».
Étudiée par Hans Blumemberg dans un essai célèbre de « métaphorologie », cette configuration aura connu cinq grandes étapes dans son évolution, à commencer par les vers du De rerum natura de Lucrèce qui lui donnent naissance (II, v.1-4) : “Suave, mari magno turbantibus aequora ventis, / e terra magnum alterius spectare laborem; / non quia vexari quemquamst jucunda voluptas,/ sed quibus ipse malis careas quia cernere suavest ». Soit « quand les vents font tourbillonner les plaines de la mer immense, il est doux de regarder de la terre ferme le grand effort d’autrui; non parce que le tourment de quelqu’un soit un plaisir agréable mais parce qu’il est doux de discerner les maux auxquels on échappe soi-même », ou, en traduction voltairienne : “On voit avec plaisir, dans le sein du repos, / Des mortels malheureux lutter contre les flots (…) Non que le mal d’autrui soit un plaisir si doux; / Mais son danger nous plaît quand il est loin de nous”.
Le spectateur se réjouit d’être sur un terrain solide (l’on comprendra quelques vers plus tard qu’il s’agit de la philosophie) d’où regarder le devenir chaotique du monde. Le spectateur du Live Stream jouirait devant son écran du plaisir d’être protégé (momentanément du moins) de tous les drames qui se cachent derrière la valse chaotique des chiffres.
A contrario, Montaigne feint d’ignorer l’explication lucrétienne et fait des deux premiers vers l’expression même de ce que l’on appellera plus tard, à l’ombre de l’œuvre sadéenne, le sadisme :
« Notre être est cimenté de qualités maladives : l’ambition, la jalousie, l’envie, la vengeance, la superstition, le désespoir, logent en nous d’une si naturelle possession, que l’image s’en reconnaît aussi aux bêtes : Voire et la cruauté, vice si dénaturé : car au milieu de la compassion, nous sentons au-dedans, je ne sais quelle aigre-douce pointe de volupté maligne, à voir souffrir autrui : et les enfants le sentent :
Suaue, mari magno turbantibus aequora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem »[12]
Le plaisir du Live Stream oscillerait ici entre Schadenfreude et pure cruauté (posture qui n’est par ailleurs pas exclue dans le plaisir de s’identifier au Ça pathogène dans Plague Inc.). À l’inverse, l’hypothèse compassionnelle illustrée par Chateaubriand[13] semble mise à mal par le dispositif délibérément aseptisé (voire robotisé) du Live Stream, autant que par l’adhésion au « mal » (au sens classique d’affliction) de Plague Inc.
Si la réflexion sur le sublime convoque au XVIIIe siècle le spectacle de la tempête, celle-ci ne peut l’être (sublime) qu’en l’absence de danger réel, dans la simulation sur laquelle repose l’art. Ce sera là la base de la légitimation de toutes les terreurs « gothiques » qui vont suivre. Schopenhauer transforme cette équation en une interprétation métaphysique où le naufrage sublime dévoile la double nature de l’homme :
« C’est devant un pareil spectacle qu’un témoin intrépide constate le plus nettement la double nature de sa conscience : tandis qu’il se perçoit comme individu, comme phénomène éphémère de la volonté susceptible de périr à la moindre violence des éléments, dépourvu de ressources contre la nature furieuse, sujet à toutes les dépendances, à tous les caprices du hasard, semblable à un néant fugitif devant des forces insurmontables, il a en même temps conscience de lui-même à titre de sujet connaissant, éternel et serein ; il sent qu’il est la condition de l’objet et par suite le support de ce monde tout entier, que le combat redoutable de la nature ne constitue que sa propre représentation et que lui-même demeure absorbé dans la conception des idées libre et indépendant de tout vouloir et de toute misère. Telle est à son comble l’impression du sublime »[14]
Le spectateur du Live Stream jouirait alors de cette double posture : se voir ramené à sa vulnérabilité foncière (son « Sein-zum-Tode », pour reprendre le célèbre terme heidéggerien) et en triompher par une ataraxie plus radicale (et bouddhique) que celle vantée par le poète épicurien.
« Dopo Hegel e Schopenhauer la sicurezza contemplativa dello spettatore viene definitivamente abbandonata (forse perché la sua precedente rendita di posizione era diventata insostenibile, non legittimabile?). Il naufrago non si distingue più dallo spettatore », résume Remo Bodei dans son introduction à la traduction allemande de Blumenberg[15]. « D’ora in avanti, a partire da una comune scelta di fondo (…), si assumono sostanzialmente due tipi di atteggiamento: uno tragico, che insiste sugli effetti di spaesamento, di fallimento, di insensatezza di ogni esistenza umana; l’altro di accettazione, almeno apparentemente gioiosa, dello stato di incertezza e di instabilità. La prima soluzione dà luogo alle filosofie catastrofiche della storia e alle varianti complesse degli “esistenzialismi” del nostro secolo”. La deuxième est celle de la “modernité liquide”: « La fluidità si presenta come l’insegna stessa del progetto che orienta la tarda «modernità». Ad essa si collega, non senza un’intima coerenza, il primato della prassi, del mutamento, dell’impegno coinvolgente all’interno di un mondo privo di certezze e di consolazioni”.
Notre spectateur, comme peut-être notre joueur (qui nous dit d’ailleurs qu’ils ne sont pas une même personne?), oscillerait ainsi entre la contemplation angoissée de la catastrophe absurde (qui, après un XXe siècle hanté par sa variante humaine[16], redevient ici « naturelle ») et le plaisir de ce que l’on pourrait appeler, en pastichant Deleuze et Guattari, le « devenir-virus »…
Si l’on s’est plu à dénombrer ces étapes dans l’évolution de la métaphore lucrétienne comme autant de postures possibles de notre « spectateur devant Coronavirus Pandemic », c’est que, poussant jusqu’au bout la composante néobaroque de Youtube (Domínguez Leiva, 2014), le spectacle audiovisuel se double ici du flux ininterrompu des commentaires « live » des divers internautes. Tout aussi sidérante que les images et les chiffres qui défilent à l’intérieur du cadre de la capsule, cette sorte de « stream of consciousness » du Village Global semble illustrer chacune des postures évoquées.
Schadenfreude, mélancolie, résignation, indignation, angoisse et « trollisme » potache se succèdent dans ce dépotoir continu, à mi-chemin entre chœur tragique, commentaire sportif, graffiti stercoraire, brève de comptoir, bavardage beckettien et logorrhée psychiatrique, amplifiant de leur colossale cacophonie l’impression de désastre global.
La transcription en étant difficile, de par la célérité avec laquelle les messages se succèdent et disparaissent, nous ne pouvons en donner qu’un bref aperçu. Qu’il suffise de signaler, sur un petit échantillon aléatoire de quelques minutes, la frénétique alternance des modes : apocalyptique (“all people will dead” [sic]), élégiaque (“Ri.p civilisacion…”, « Rip economy »), cynique (« The end ok »), sadique (“I hope Corona gets even more bigger”), informationnel (“en peru incineran a los fallecidos por el covid-19”), accusatoire (“Blame ccp not china”, “don’t blame China entirely, blame the Chinese government”), contestataire (“surrender/obey”), ironique (“En Ecuador las cifras suben y bajan y los muertos resucitan.. más perdidos que marco buscando a su mamá”), indigné (“Germany has Opened the damn schools”), belligerent (“send nukes to China”, “send nukes to poojray”), complotiste (“coronavirus started from india”, ““This numbers are what governments report…if not refleting the reality it is their fault”), compassionnel (“Russia pass Turkey, Germany and Frach Pooor guys”), liturgique (“pray for world”, “pray for pakistan from india”), solidaire (« we shall overcome”, “luchemos entre todos”) ou encore grossier (“Teu cu”). Ainsi progresse une autre épidémie, celle du discours social devenu pure métastase verbale.
Une dernière composante s’ajoute à cette Gesamtkunstwerk : le fil audio en continu. Plus variée que la musique modérément stressante qui accompagne le joueur dans Plague Inc., la bande son de l’Apocalypse en live stream semble hésiter entre frénésie techno (que l’on imagine en accord avec le rythme des contagions), morceaux plus ou moins connus de musique classique (que l’on peut associer à un détachement ataraxique face aux malheurs de ce monde) alternant avec des musiques de film (registre épique du combat contre le virus, selon la rhétorique martiale déjà évoquée) et planage chill out (qui permet, en la surplombant de façon olympienne, de se détacher de la « prison du monde »). L’on peut là aussi retrouver les diverses postures du « naufrage avec spectateur » : l’agitation frénétique du moi « embarqué » (Pascal), la sérénité de l’ataraxie lucrétienne, la combativité des critiques de celle-ci (Agrippa d’Aubigné, Camus)[17] et, enfin, la tentation bouddhique de Schopenhauer.
Mais aucun de ces éléments (cartographie, statistiques, commentaires, musique) ne permet de comprendre entièrement l’effet de sidération que provoque cet étrange dispositif. Plus encore que Plague Inc. dont à plusieurs titres il est le pendant (simulacre d’un simulacre), le « Coronavirus Pandemic : Time Counter » semble être le parfait parachèvement de la « culture pandémique » (Gerlach et Hamilton, 2014) où nous sommes désormais tous « embarqués », et qui s’est matérialisée dans la propagation coronavirale. Et le malaise diffus qu’il provoque vient du fait qu’il distille à la perfection cette « forme d’anxiété qui est propre à la culture pandémique » : la « maladivité » ou
“diseaseability”. “Diseaseability is an affective state resulting from living in conditions of constant vulnerability to infection, or feeling as though one is”, écrivent Gerlach et Hamilton (ibid.). “ [It] is simultaneously a profoundly anxious and ambivalent affective state, both terrifying and tiresome. Within pandemic culture, we are invited to self-manage our anxiety, rather than significantly address our risk, as the risk of viral disease is constituted in global economic practices that are outside of our control” (ibid.).
Son ambivalence constitutive est elle aussi présente dans le dispositif de l’Apocalypse youtubéenne : “In addition to producing our body selves as already pathologized, diseaseability is productive of social borders. (…) Yet at the same time, diseasability – unlike previous coping mechanisms such as quarantines or vaccines – reflects the sick realization that the quest for borders (and thus safe havens) is always, already a false and futile project” (ibid.). La fausse sécurité de l’écran, qui nous place en spectateurs du naufrage, est ainsi minée par l’intime conviction de la futilité de cette mise à distance.
Dès lors, l’on peut concevoir que ce Live Stream soit aussi une paradoxale Vanité néobaroque, nous confrontant à cette manière nouvelle d’être-pour-la-mort :
“This sense of our own diseaseability is produced and reinforced in a wide range of cultural locations – from public health campaigns to our evening’s television fare, from memes circulating in our social media feeds to the latest Hollywood blockbuster. We are (told we are) vulnerable to contamination at an individual and species level. Yet, while we face predictions of widespread disease devastation across the spectrum of our information consumption, as in a climate of nuclear fear, day-to-day life continues. The difference is this: Our context is now constituted in assurances that our world is irreparably diseased, that traditional defense mechanisms are likely to fail, and that we face living with disease, rather than returning (ever) to a disease-free state” (Mitchell et Hamilton, 2017, p.3).
[1] Allant du manga High School of the Dead (2006-13) à la série animée South Park (notamment l’épisode « Two Days Before the Day After Tomorrow”, S09e08, où Randy explique sur une carte l’imminence catastrophique du changement climatique et finit par y dessiner un pénis, inversion carnavalesque et potache du sérieux attaché à l’expertise biomédicale dans les films et dans le discours social).
[2] L. Garrett, The Coming Plague: Newly Emerging Diseases in a World Out of Balance, New York: Penguin Books, 1995, p. 618
[3] À rapprocher de la célèbre scène dans Jezebel (1939, William Wyler) où, sur la toile de fond de la ville livrée au chaos, se superpose en majuscules le nom de l’épidémie (“YELLOW FEVER”), comme si elle venait envahir l’écran lui-même.
[4] Curieusement, le groupe de Glasgow n’y est pas évoqué, mais c’est à la fin de son livre antérieur, Rip It Up and Start Again: Post-Punk 1978-1984 (2005), que Reynolds le citait en tant que représentant de la relative vacuité du « neopostpunk » coupé de ses racines contestataires ( p. 527). C’est en réaction à ces séduisants exercices de pastiche qu’il écrira son analyse de la « rétromanie » propre à la musique pop du nouveau millénaire.
[5] L’on trouve différentes « armes d’excitation massive » dans la série, de la Lust Bomb du criminel nazi Wolfgang von Krieghund dans The Lost Bomb (1966) au Sex Ray de la perfide colonelle Yamahata dans le roman éponyme (1966). Le succès inspirait visiblement l’auteur, puisqu’il y revenait dans un roman hors-série, Sexperiment (1966): « … Dr. Whitman’s experiments in sex had cost him one job but gained him another. He now worked for a secret organization which was founded on depravity and dedicated to lust. His past journeys into shame were mere gropings, for now he was using KSLA-14, a chemical that reduced women to tireless machines of lust. Once the women were under the sin-chemical’s influence… helpless victims of—…SIN FEVER!” (4e de couverture).
[6] On peut y voir là aussi un effet de l’incohérence qui vient du pastiche généralisé alors que la logique profonde qui articulait les codes pastichés (musique post-punk, constructivisme, expressionnisme, camp, pop art) est détruite au profit du simple « look ».
[7] A. et F. Le Diberder, Qui a peur des jeux vidéo?, La Découverte, 1993, p. 56
[8] E. Kingsepp, “Fighting Hyperreality With Hyperreality History and Death in World War II Digital Games”, Games and Culture, Volume 2 Number 4 October 2007, p. 366
[9] «C’est un jeu incessant entre les techniques de pouvoir et leur objet qui a petit à petit découpé dans le réel et comme champ de réalité la population et ses phénomènes spécifiques. Et c’est à partir de la constitution de la population comme corrélatif des techniques de pouvoir que l’on a pu voir s’ouvrir toute une série de domaines d’objets pour des savoirs possibles. Et en retour, c’est parce que ces savoirs découpaient sans cesse de nouveaux objets que la population a pu se constituer, se continuer, se maintenir comme corrélatif privilégié des mécanismes modernes de pouvoir ». (M. Foucault, Sécurité, territoire et population, Gallimard, 2004, p. 80-1)
[10] A. Desrosières, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, La Découverte, 1993
[11] « La science met la nature en demeure de se montrer comme un complexe calculable et prévisible de forces à expérimenter, interroger. Elle a précédé la technique moderne de deux siècles, elle a préparé les chemins à son essence. La physique moderne est le précurseur de l’arraisonnement. Elle n’a jamais renoncé à ce que la nature réponde à son appel » (Martin Heidegger, Essais et Conférences, Gallimard, 1958, p. 27)
[12] Montaigne, Essais, III, 1 « De l’utile et de l’honnête », éd. Jean Céard, « Le Livre de poche classique », 2002, p. 9
[13] « Je n’ai jamais pu comprendre le sentiment exprimé par Lucrèce (…). Loin d’aimer à contempler du rivage le naufrage des autres, je souffre quand je vois souffrir des hommes : les Muses n’ont alors sur moi aucun pouvoir, si ce n’est celle qui attire la pitié sur le malheur (Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Œuvres romanesques et voyages, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1969, p. 902)
[14] rthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, III, §39, trad. A. Burdeau, Paris, P.U.F., 1966, p. 265.
[15] Introduction à H. Blumemberg, Naufragio con spettatore. Paradigma di una metafora dell’esistenza, Bologne, Il Mulino, 1985
[16] “Once upon a time, encounters with the power or size of nature defeated the imagination and moved us to terror and awe. After Auschwitz, however, we have had to recognize such sublime effects among our own responses to this demonstrated human potential for systematic and unbounded violence. After this history, human-inflicted disaster will remain more threatening, more sublime, than any natural disaster” (Gene Ray, “Reading the Lisbon Earthquake: Adorno, Lyotard and the Contemporary Sublime”, The Yale Journal of Criticism, 17(1), mars 2004, p. 1)
[17] v. S. Ballestra-Puech, “Déclinaisons du Suaue mari magno”, Loxias, 55 (déc.2016)
Domínguez Leiva, Youtube théorie, Montréal, TaMère , 2014
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