«Les musiciens n’ont pas le temps de faire la révolution.»1
Dans ses textes programmatiques, William Burroughs désigne la propriété comme l’une des armes du contrôle. Ce sujet lui tient d’autant plus à cœur que l’écrivain, dont le fonctionnement des techniques de cut-up et de fold-in «repose sur un pillage systématique du matériau imprimé»2 pose la question du «plagiat», un terme clairement négatif puisqu’il renvoie au «plagiaire» qui, rappelle le Dictionnaire de l’Académie Française, est celui «[q]ui s’approprie ce qu’il a pillé dans les ouvrages d’autrui»3.
Il est significatif que Gérard-Georges Lemaire ait choisi le substantif «plagiat» comme titre de l’un des chapitres qu’il consacre aux techniques scripturales de Burroughs dans son essai éponyme (pp. 159-161). Lemaire signale ainsi que le travail de Burroughs est éminemment problématique, et qu’il touche autant à des questions artistiques que légales… voire morales. Burroughs, souligne à juste titre Lemaire, rejette «la propriété des mots et des idées» 4 et l’idée, chère à Jack London, du plagiat assimilé au «noir péché»5. William Burroughs consacre le texte programmatique «Les Voleurs» au sujet du plagiat et du pillage textuel. Il y déclare, péremptoire: «Tout appartient au voleur inspiré et consciencieux. Tous les artistes de l’histoire, des peintres des cavernes à Picasso, tous les poètes et les écrivains, tous les musiciens sont là et les architectes offrent leur marchandise»6.
Cette déclaration trouve toutefois rapidement ses limites dans le travail de l’auteur. Fort d’avoir signé des contrats en bonne et due forme avec sa maison d’édition, l’écrivain peut toujours encourager ses lecteurs à «voler», à «piller» pour réaliser leurs propres œuvres, il n’en reste pas moins que le ou les copyright(s) imprimé(s) sur ses textes mettent en lumière un fait incontournable: les mots, contrairement aux vœux formulés par l’écrivain américain, n’appartiennent pas à tout le monde. Leur diffusion est restreinte, encadrée par un arsenal législatif, et sont soumis au «copyright».
Rappelons tout d’abord ce qu’est le «copyright». Ce rappel est d’autant plus utile qu’il va jouer un rôle tout à fait déterminant pour la suite de notre réflexion.
Comme le note Antoine Compagnon dans son cours sur la propriété intellectuelle, le droit d’auteur et la notion de propriété intellectuelle datent en France du XVIIIe siècle. Cet ensemble de lois, précise-t-il, «avantage et sacralise l’auteur»7. «Par opposition», le système typiquement anglo-saxon du «copyright» «privilégie le public»5. Il est capital de souligner cette différence que nous allons détailler immédiatement: elle signale «deux conceptions rivales de la culture»5.
La notion de propriété intellectuelle apparaît pour la première fois en France en 1725 dans un mémoire de l’avocat Louis d’Héricourt. Son objectif est de fixer «la propriété de l’œuvre intellectuelle par les auteurs, procédant d’un acte de création»5. L’œuvre d’art, comme le confirmait Louis XVI en personne en 1749 afin de régler un conflit entre le dramaturge français Crébillon et ses créanciers était une «émanation de la personnalité de l’écrivain»5. L’auteur, puis ses ayants droit priment désormais sur les libraires et les imprimeurs. Le monopole de ces derniers, vestige du régime des privilèges, s’éteint au profit du droit d’auteur en 1777.
Le système anglo-saxon duquel dépendent à la fois Burroughs et Orridge est sensiblement différent. Celui-ci repose sur la notion de «copyright» qui «privilégie les intérêts de la société, suivant une logique du marché, que les intérêts d’un seul auteur ne peuvent entraver». «Le public», ajoute Compagnon, «les consommateurs sont prioritaires, tandis que le lien entre l’œuvre [et l’auteur] est affaibli. L’auteur est vu comme un investisseur: le droit d’auteur comme une rémunération par investissement»5.
Remarquons dès lors la position difficile dans laquelle se trouvait William Burroughs. Son discours volontariste sur la diffusion des œuvres, mais aussi des mots ou séquences de mots, se heurtait au fait que le droit anglo-saxon n’avait que faire de desiderata potentiellement ruineux. En tant qu’artiste et homme de plume, le contrôle de ses œuvres et de leur diffusion revenait d’abord aux maisons d’édition qui l’employaient, et non à lui-même.
La question se pose désormais de savoir si les problèmes qui se posent aux maisons d’édition se posent également aux maisons de disques, et plus particulièrement à «Industrial Records» dont les principaux acteurs se réclament des théories de William Burroughs.
Non, à en croire Simon Dwyer dans Re/Search # 4/5. Dwyer soutient qu’au moment où Orridge est encore le chanteur de ThrobbingGristle, celui-ci encourage tous ceux qui viennent écouter ses concerts à faire leurs propres enregistrements pirates.
No matter where or when you’ve seen [ThrobbingGristle] play, you can get the gig on tape, beit good, bad or indifferent. Genesis even says that they encourage people to record the gigs themselves, there bytotally destroying the concept of bootlegs, and what Genesis describes as “the ridiculous professional industry of vinyl dreams and record junkie youth.” 8
Pour Dwyer, Orridge offre son travail au public sans se soucier d’en retirer la moindre récompense financière. Le propos est clair: il s’inscrit dans le parfait prolongement des théories burroughsiennes d’une liberté totale de l’information au sens large, du travail artistique, de l’œuvre. Le public peut «piller» le son grâce à des magnétophones aisément transportables lors des concerts. Les amateurs qui n’auront pas eu l’occasion d’y assister pourront quant à eux acheter la quasi-intégralité des concerts de ThrobbingGristle réunis dans le coffret de cassettes audios24 hours of TG.
Le tableau que brosse ici Dwyer est d’autant plus idyllique qu’il est biaisé. L’analyse d’Eric Duboys, plus critique, nous semble plus pertinente. En effet, Duboys n’hésite pas à modérer l’enthousiasme de Dwyer quant à la volonté de ThrobbingGristle de s’attaquer au principe même du «copyright». Certes, confirme Duboys, Orridge se montre critique quant aux politiques des grandes maisons de disques, mais la volonté du groupe de rendre disponible la quasi-intégralité de ses concerts sur cassettes, un «défi», il est vrai, et surtout une «entreprise inédite»9 à l’époque, est ambiguë. Duboys, et nous nous rangeons à son avis, y voit la volonté de «satisfaire les fans les plus fervents (et les plus riches)»10, ce qui a peu de rapport avec les textes programmatiques burroughsiens. Une fois de plus, Orridge apparaît comme un artiste paradoxal. Indiscutablement courageux et novateur dans ses démarches, comme ne manque pas de le noter Duboys, mais également calculateur.
Cette ambiguïté est levée lorsque Psychic TV lance fin 1987 le projet baptisé Live 23 qui prévoit d’éditer vingt-trois concerts du nouveau groupe de Orridge sous le label Temple, «concerts au format vinyle, pressés chacun à 5000 exemplaires et paraissant à la fréquence d’un chaque 23 du mois»5. Le cahier des charges ne sera qu’en partie respecté, précise Duboys qui ajoute: «La fréquence de parution prévue sera respectée durant les premiers mois, puis deviendra erratique, et le projet Live 23 ne sera pas mené à terme puisqu’il sera interrompu début 1992 par l’exil américain de P-Orridge. Dix-neuf enregistrements live verront tout de même le jour»5.
Le projet Live 23 n’a pas pour origine une quelconque volonté de diffuser l’information le plus largement possible, ni même de transmettre un discours contestataire. Orridge compte ainsi lutter contre «la prolifération des enregistrements pirates des performances live de Psychic TV», une «prolifération» qui devient véritablement «alarmante»5 et met en péril les finances du label Temple. Les disques de Psychic TV portent un «copyright» et ne sont pas libres de droit. Orridge ne compte pas se laisser «voler» par son public. Cette attitude est illogique par rapport à ses prises de position précédentes. Il est incontestable que Orridge adopte ici la même politique que cette industrie du disque «ridicule» qu’il dénonce avec véhémence. Le chanteur, rattrapé par la nécessité de gagner de l’argent combat concrètement la diffusion gratuite et sans limites de l’information; il se met ainsi en porte à faux avec son propre discours libertaire, comme avec celui de William Burroughs qui encourage le «voleur inspiré et consciencieux».
Examiné à l’aune d’un discours burroughsien, Live 23 est un échec sans appel. Il souligne combien les théories de William Burroughs, aussi fortes et séduisantes soient-elles pour tout un public, sont difficiles à concilier avec la réalité matérielle. Il souligne aussi l’aspect volontiers paradoxal du travail de Orridge, qui, dans un premier temps, prolonge les textes programmatiques de William Burroughs sur le thème de la propriété et du «copyright», et dans un deuxième temps, y renonce sans vergogne.
L’opportunité pour Orridge de s’opposer de façon concrète aux règles du «copyright» se matérialise à nouveau avec une série d’albums baptisés The Electric Newspaper édités entre 1994 et 1997. Les trois premiers chez «Dossier Records», le dernier, axé sur l’utilisation de la voix, chez «Invisible».
Ces albums occupent une place à part dans la discographie de Orridge. En effet, ils ne donnent pas à entendre de chansons à proprement parler, ni même de morceaux complets. Chaque volume rassemble une série de bruits, de sons ou de mélodies, à la manière d’unités sonores plus ou moins longues, et ce, sans aucune espèce de transition, d’ordre ou de classement. Ces compositions ne portent pas de titre qui permettrait de les différencier, et sont simplement numérotées.
Comme on peut s’y attendre, ces albums forcent l’auditeur à modifier sa façon d’écouter. Le disque est à peine installé sur la platine que Orridge l’oblige à faire un premier choix. Il doit d’emblée être actif plutôt que passif, une nouveauté par rapport aux disques traditionnels. Il lui faut en effet décider s’il veut suivre le disque en entier sachant qu’il n’a ni début ni fin, ou n’en sélectionner que quelques sons, sans ordre particulier, parce qu’il aime telle ébauche mélodique, telle atmosphère. Comme dans le cas de l’Erratum Musical de Marcel Duchamp (Sub Rosa), où l’artiste Dada invente une partition sonore pour des notes tirées au hasard, on peut arguer que, en dépit de l’apparent chaos de chaque volume, «l’oreille va chercher ses mélodies, ses subtilités, ses émotions»11 et que celle-ci, de la même manière que la paire de ciseaux aide à construire un texte inédit, ordonne le chaos et lui donne un sens absolument subjectif… ou encore va apprécier le chaos tel qu’il est, sans rien débrouiller, et apprécier ce que Orridge baptise des «audio-collisions»12 comme autant d’heureuses coïncidences sonores.
Le troisième choix d’écoute nous semble plus digne d’intérêt, et certainement plus novateur. Orridge a en tête de mettre ces télescopages à la disposition du public en les laissant entièrement libres de droit. Chacun peut, en conséquence, les utiliser afin de créer ses propres morceaux, et ce, sans encourir de poursuites judiciaires. Le livret de Electric Newspaper Issue One se termine sur les mots «”It’syours, becauseit’s free!”», attribués au musicien américain EmmettGrogan, en insistant une fois encore sur le caractère central d’un rejet du «copyright» assimilé à un obstacle à la création. Sans jamais occulter la complexité de la question, Daphne Keller souligne ainsi l’ambivalence du «copyright» dans son article «The Musician as Thief» et cite le cas d’artistes comme le musicien canadien John Oswald, ou les membres du collectif Negativland qui sont aujourd’hui effectivement empêchés de travailler avec le matériau sonore qu’ils avaient choisi pour des raisons purement légales13.
Le but avoué de Orridge est de «rendre accessible au plus grand nombre»14une gamme de sons ou, comme le note Eric Duboys, des «catalogues d’archives sonores collectées au fil des années mises à la disposition de quiconque voudrait s’en servir à ses propres fins de composition, et cela, comme le spécifie l’éditorial de P-Orridge qui tient lieu de justification à cette entreprise, tout à fait gratuitement, Psychic TV n’ayant cessé soi-même depuis sa création de piocher dans des matériaux sonores existants, sans que personne d’ailleurs n’ait jamais réclamé de droits d’auteurs»15. Ce faisant, Orridge se positionne contre les grandes maisons de disques et les studios de cinéma dont le lobbying est aujourd’hui très actif16; il se positionne en outre contre la loi, et les forces de contrôle, loi qui a tendance à assimiler l’échantillonnage musical au vol et à un acte contraire à la «morale» comme en témoigne de façon caractéristique le juge Kevin Duffy lors du premier procès touchant à l’échantillonnage musical aux États-Unis:
The cultural practice of sampling meshes very poorly with copyright, the body of law which turns creative expression into private property. The first U.S. sampling case held rapper BizMarkie liable for infringing Gilberg O’Sullivan’s copyright in the song “Alone Again (Naturally).” Judge Kevin Duffy began his opinion with scripture -“thou shalt not steal”- and ended it with a referral for criminal prosecution. The law has changed very little in intervening years, despite the burgeoning of sample-based music. As a result, much of today’s most innovative cultural production takes place in the shadow of the law.17
Le public de Orridge n’est plus seulement invité à modifier sa façon d’écouter le disque, mais à prendre pleinement sa place dans le processus artistique. Les Electric Newspaper sont bien plus qu’une simple succession d’échantillons sonores. Orridge insiste d’ailleurs nettement sur ce point («This is NOT a formularised “Sampling CD”»18). En proposant à l’auditeur de ne plus se contenter de l’attitude passive que l’industrie du disque fait passer pour la seule raisonnable, c’est une véritable communauté que le chanteur aide à créer. Une communauté que rassemble les sons enregistrés sur les quatre volumes des Electric Newspaper, et qui place Orridge, à son tour, dans le rôle d’éducateur et de pédagogue. Pour preuve, le livret qui accompagne chaque volume et qui invite l’auditeur à tenter ses propres expériences, à considérer chaque piste du disque individuellement comme un matériau brut qui peut être utilisé, réapproprié et détourné à loisir:
The raw materials, loops, sonicmaps and trance routines included maybe listened to as (…) a resource to be sampled, reworked, adjusted and processed by other individuals for their own personal works and their own ends.5
Qu’importe le résultat à vrai dire: c’est le processus créatif sur lequel Orridge insiste, et la volonté d’aider son public à ne plus se contenter de la musique qu’on lui donne à entendre tous les jours.
Souvenons-nous du mot d’ordre de William Burroughs qui, dès 1960, écrivait à propos de la technique du cut-up «N’y pensez pas. Ne faites pas de théorie. Essayez» («Don’t think about it. Don’t theorize. Try it»19). La démarche de Orridge est parallèle. Le mot, la phrase coupée puis manipulée est remplacée par la phrase musicale et les sons. Aussi, comme Burroughs incitait ses contemporains à écrire, Orridge incite son public à composer et à faire de la musique. En d’autres termes à s’exprimer sans se soucier de questions légales ou judiciaires, du moins en théorie, car le catalogue mis à la disposition de l’auditeur ne pioche pas uniquement dans ses propres compositions, mais dans celles d’artistes comme Suicide, Cabaret Voltaire, Ravi Shankar et les Masters Musicians of Jajouka. D’un point de vue strictement légal ces artistes, dont les noms n’apparaissent pas sur les pochettes20, ont toute liberté pour attaquer en justice ceux qui voudraient se réapproprier leurs morceaux, et ce quelles que soient les déclarations péremptoires de Orridge. S’il s’agit là incontestablement d’une nouvelle ambiguïté dans le discours de Orridge qui «vole» des morceaux à d’autres artistes en les rendant «quasi méconnaissables»21, n’oublions pas que Burroughs invitait lui-même à se réapproprier des mots, des phrases tirées de ses textes qu’il avait lui-même volés ou empruntés à d’autres sans toujours en donner les sources. En prolongeant les textes programmatiques de William Burroughs, Orridge reprend donc à la fois les idées les plus novatrices de l’écrivain américain, mais également son ambivalence.
Une fois de plus, l’ombre de Burroughs plane sur le projet de Orridge, jusqu’à la désormais célèbre phrase de Hassan I Sabbah détournée sur la pochette de Electric Newspaper. Issue Two: «All is true, sampling is permitted», qui indique clairement la filiation entre ces albums et les travaux de William Burroughs et Brion Gysin.
La question de la propriété intellectuelle et du «copyright» est évidemment d’actualité. Elle amène le législateur à proposer des solutions pour assurer un meilleur contrôle de la diffusion d’œuvres sur le réseau, et permettre une rémunération des artistes «pillés».
En France, en 2009, la création de la haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (ou «Hadopi») a pour objectif de lutter contre le téléchargement illégal et l’utilisation par les internautes de programmes dits «peer-to-peer», un système de téléchargement décentralisé pour partager des fichiers.
Après les débats à l’Assemblée Nationale, où la loi est d’abord rejetée le 9 avril 2009, après le recadrage du Conseil Constitutionnel le 10 juin 200922, la loi, revue, corrigée, et désormais baptisée «Hadopi 2», est adoptée le 22 octobre 2009. Celle-ci permet au juge d’ordonner des coupures d’abonnement aux internautes identifiés par leur adresse IP23 qui auront été convaincus de téléchargement illégal.
Or, la loi Hadopi ne résout en aucune manière la question du téléchargement illégal, ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est possible, voire relativement facile, pour un internaute d’employer des «mesures de cryptage ou de brouillage»24 qui le rendent indétectable sur le réseau. Ensuite, «Hadopi n’est pas en mesure d’identifier les internautes qui regardent des films ou des séries sur des sites de streaming, c’est-à-dire diffusés directement sur Internet»5, ces faiblesses de la loi sont d’autant plus importantes que ces mêmes sites de «streaming» se développent rapidement. Enfin, on peut imaginer la difficulté pour un juge de condamner un individu parce que son ordinateur s’est retrouvé connecté à un site de téléchargement illégal sans pouvoir fournir la preuve de l’identité de la personne installée derrière son écran.
À peine la loi est-elle adoptée qu’elle se montre difficilement applicable. Elle souligne toutefois la difficulté qu’éprouve la classe dirigeante à comprendre et anticiper des technologies que les jeunes générations s’approprient et qu’elles font rapidement évoluer.
La riposte à la loi Hadopi s’organise dès lors. Aujourd’hui «fleurissent sur le Net des textes, des pages Web et même des sites Internet complets essayant d’expliquer aux internautes peu férus de technologie des moyens simples de contourner les dispositifs de lutte contre le piratage imaginés par le gouvernement»25. Autant de signes que le téléchargement illégal ne connaît pas ici de véritable point d’arrêt, mais plutôt que les internautes sauront, sans doute, changer leurs habitudes et se tourner vers de nouvelles technologies que la loi ne prend pas en compte – à tel point que, les gouvernements passants, la loi soit finalement dénoncée comme coûteuse et inefficace26.
La question du téléchargement illégal et du partage de fichiers sur le réseau soulève selon nous des questions qui débordent celles de la propriété intellectuelle et du «copyright», celles de la démocratisation de la culture par exemple, ou d’une critique de la politique menée par les grands distributeurs ou multinationales qui promeuvent les artistes les plus populaires, les plus «vendeurs», ainsi qu’une homogénéisation de l’offre culturelle au détriment d’une offre réellement pluraliste. Mais la réflexion qui s’amorce ici est plus vaste encore puisqu’elle ne s’arrête pas au cadre du divertissement. Ainsi apparaissent des partis politiques comme le «Piratpartiet» suédois né en 2006, un parti structuré, fort de revendications qui dépassent celles de simples groupes de pression ou lobbies. Le «Piratpartiet» propose ainsi une réforme de la loi du «copyright», l’abandon des brevets avec le risque de monopole qu’ils font courir, en particulier dans le domaine de la santé et des médicaments, et s’oppose à la dérive des États qui prennent prétexte de menaces terroristes potentielles pour empiéter sur les droits du citoyen27.
Le «Piratpartiet» a des représentants élus au Parlement européen depuis 2009 (Christian Engström et Amelia Andersdotter), et a impulsé la naissance d’autres partis aux revendications similaires (le «Pirate Party of the United States», le «PiratenparteiDeutschland» en Allemagne, le «Piraattipuolue» finlandais, etc.).
L’émergence de ces partis, comme leur rôle de moins en moins négligeable sur la scène politique internationale, est pour nous le signe d’une réalité que le législateur peine à prendre en compte. Le réseau informatique crée davantage que des groupes seulement motivés par une consommation plus ou moins gratuite28 de biens culturels échangeables rapidement; il aide à construire des communautés, des groupes sociaux, avec des revendications politiques identifiables et une conception de la marchandisation originale. Ces partis ont du moins un effet bénéfique dans l’espace public en créant un débat démocratique, et en remettant en cause des cadres économiques et sociaux considérés, à tort, comme immuables.
Remerciements: Noëlle Batt, Nathalie Montoya.
1. Modulations, Une histoire de la musique électronique, traduit de l’anglais par Pauline Bruchet et Benjamin Fau, Paris, Editions Allia, 2004, p. 33.
2. Gérard-George LEMAIRE, Burroughs, Paris, éditions Artefact, 1986, p. 160.
3. Dictionnaire de l’Académie française, entrée disponible à l’adresse http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/generic/cherche.exe?22;s=1387100805
4. Gérard-George LEMAIRE, «Plagiat», Burroughs, op. cit., p. 160.
5. a. b. c. d. e. f. g. h. i. j. k. Ibid.
6. Ibid. On peut trouver le texte original sous le titre «Les Voleurs» dans William BURROUGHS, The Adding Machine / SelectedEssays, New York, Arcade Publishing, 1985, pp. 19-21.
7. Antoine COMPAGNON, «Qu’est-ce qu’un Auteur?», université de Paris IV-Sorbonne, UFR de Littérature française et comparée. Cours de licence LLM 316 F2, donné entre le 7 février et le 23 mai (année non précisée). Cours disponible en ligne à l’adresse http://www.fabula.org/compagnon/auteur.php
8. RE/Search #4/5: William S. Burroughs/Brion Gysin/ThrobbingGristle, San Francisco, RE/Search Publications, 1982, p. 65.
9. Eric DUBOYS, Industrial Music for Industrial People, Rosières en Haye, Camion Blanc, 2007, p. 230.
10. Ibid., p. 231.
11. Marcel DUCHAMP, Musical Erratum, LTM Publications, 2007.
12. PSYCHIC TV, Electric Newspaper Issue 2, Dossier, 1995.
13. «The law, by creating a background regime of absolute entitlements for copyright holders, creates a very bad bargaining situation for the well-meaning DJ who actually tries to comply with the law and clear her samples. And it creates an impossible situation for actslike John Oswald or Negativland, who (1) sample lots of artists who are very hard to track down, making transaction costs of licensing impossibily high; (2) tend to irritate the artists they sample, making refusal of permission quite likely; and (3) aren’t making much money», Daphne KELLER, «The Musician as Thief: Digital Culture and Copyright Law», in Sound Unbound, Sampling Digital Music and Culture, edited by Paul D. Miller aka DJ Spooky that Subliminal Kid, Cambridge, The MIT Press, 2008, p. 144.
14. («[to] make accessible to the maximum number of participating travelers», livret de Splinter Test, Electric Newspaper: Issue Four, Invisible Records, 1997.
15. Eric DUBOYS, Industrial Music for Industrial People, op. cit., p. 265.
16. «[The expansion of author’s property rights] is also driven by intensive lobbying from major copyright holders, a group which currently prominently includes record companies and movie studios.», Daphne KELLER, «The Musician as Thief: Digital Culture and Copyright Law», in Sound Unbound, Sampling Digital Music and Culture, op. cit., p. 140.
17. Ibid., p. 136.
18. PSYCHIC TV, Electric Newspaper Issue 1, Dossier, 1995, notes du livret.
19. William BURROUGHS et Allen GINSBERG, The YageLettersRedux, introduction de Oliver Harris, San Francisco, City Lights Books, 2006, p. 70. Lettre de William Burroughs à Allen Ginsberg datée du 21 juin 1960.
20. Eric DUBOYS, Industrial Music for Industrial People, op. cit., pp. 266-267.
21. Ibid., p. 265.
22. «Le Conseil constitutionnel avait censuré en juin dernier les articles du projet de loi qui mettaient en place la coupure automatique de l’accès à Internet, estimant que cette décision ne pouvait être prise que par un juge. Le gouvernement avait alors décidé de promulguer les articles non censurés, appelés “Hadopi 1”, et de présenter un texte complémentaire, dit “Hadopi 2”, qui prévoit une procédure simplifiée de saisie du juge pour décider d’une coupure d’accès à Internet: l’ordonnance légale.», «Hadopi 2 définitivement adopté», article consultable sur lemonde.fr
23. Un numéro qui identifie chaque ordinateur connecté sur le réseau.
24. «Le débat sur Hadopi a profité aux sites de streaming illégaux», article consultable sur lemonde.fr (2 février 2009).
25. «La “résistance” s’organise pour l’après-Hadopi», article consultable sur lemonde.fr (12 mai 2009).
26. Voir les propos très critiques de la Ministre de la Culture Aurélie Filippetti retranscrits dans la presse, dans le journal Le Monde (le 2 août 2012) ou sur le site du Nouvel Observateur le jour précédent. Entretien disponible à l’adresse: http://obsession.nouvelobs.com/high-tech/20120801.OBS8587/aurelie-filipp…
27. Tous ces points sont détaillés sur le site officiel du parti: http://www.piratpartiet.se/international/english
28. Cette consommation n’est jamais gratuite puisque l’internaute paie un abonnement pour accéder à Internet.
William BURROUGHS, The Soft Machine, Paris, Olympia Press, 1960.
—.The Ticket thatExploded, Paris, Olympia Press, 1961.
—. Nova Express, New York, Grove Press, 1964.
—.The Adding Machine / SelectedEssays, New York, Arcade Publishing, 1985.
—.The Job (avec Daniel ODIER), London, Penguin, 1989.
—.Last Words: The Final Journals of William S. Burroughs, James Grauerholz Editor, New York, Grove Press, 2001.
—.Burroughs Live, the Collected Interviews of William S. Burroughs, 1960-1997, Los Angeles, Semiotext(e) Double Agents Series, 2001.
William BURROUGHS et Allen GINSBERG, The YageLettersRedux, introduction de Oliver Harris, San Francisco, City Lights Books, 2006.
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