En France, de 1970 à 2010, le marché de l’édition en histoire, théoriquement investi en majorité par le public universitaire, a été plus que divisé par deux. Un tel constat est à la fois inattendu – puisque l’histoire se présentait comme le secteur le plus vaillant des sciences humaines et sociales – et surprenant – car l’histoire fut longtemps emblématique du succès de l’édition des sciences sociales (Barluet: 81-89). Paradoxalement, l’histoire n’a jamais été aussi visible, protéiforme, et polyglotte qu’aujourd’hui. Qu’elle soit l’objet d’une fiction, réappropriée par des vidéastes sur YouTube ou instrumentalisée par des politiques, force est de constater que celle-ci n’est pas souvent le fruit de l’historien, relativement peu présent et donc, peu visible dans l’espace public.
C’est dans ce contexte, dès 2013, que naît au sein des éditions La Découverte et de La Revue Dessinée le projet d’une collection de bandes dessinées, l’Histoire dessinée de la France. Si l’initiative historienne de s’essayer à l’écriture dessinée n’est pas nouvelle – Victor Duruy, François Guizot, Henri Martin ou encore Ernest Lavisse ont proposé des livres d’histoire illustrés (Ory: 90-95; Venayre, 2021: 174-187; Lesage, 2019: 47-65) – l’ambition de cette nouvelle collection est de séduire un large public grâce à un projet de vulgarisation de grande ampleur, et d’expérimenter par l’image l’écriture historienne pour interroger la construction des imaginaires historiques. C’est cette écriture historienne confrontée à la médiagénie [1] de la bande dessinée que nous souhaitons analyser ici, pour montrer l’originalité de la démarche et les potentialités qu’elle offre. L’article qui suit n’a pas pour but d’être exhaustif mais de présenter quelques pistes de réflexion à partir d’une enquête en cours [2].
Les historiens en ont conscience, les débats épistémologiques et historiographiques actuels nous confrontent à de multiples formes d’appropriation et d’écriture de l’histoire dans l’espace public. Celles-ci privilégient le plus souvent les médiums visuels et audiovisuels, et peuvent conditionner bon nombre de nos perceptions sur le passé.
Toutefois, l’image n’a pas valeur de preuve, et la plupart des images représentant le passé découlent de différentes cultures visuelles. Leurs usages et leurs multiples itérations peuvent alors impacter l’imaginaire du regardeur, créant ainsi la visualité d’une période et participant à une écriture visuelle du temps. Tel est le constat des historiens, qui se dresse comme un point de rupture avec leur pratique de l’histoire et des images. Walter Benjamin ne s’y trompe pas:
La véritable image du passé se faufile devant nous. Le passé peut seulement être retenu comme une image qui brille tel un éclair, pour ne plus jamais revenir, à l’instant précis où elle devient reconnaissable. (…) Car c’est une image irrattrapable du passé qui menace de disparaître avec chaque présent qui ne s’est pas reconnu comme désigné par elle. (Benjamin: 59).
Du point de vue de l’historien, les images re-mettant en scène un passé qui n’est plus sont des sources pour appréhender les cultures visuelles du passé. Elles ne sont pas employées pour montrer l’histoire dans le cadre d’une économie générale de l’image-illustration. La «bonne» image doit être authentifiée en tant qu’image-document, et temporalisée – c’est-à-dire replacée dans son mouvement généalogique – pour faire apparaître sa lisibilité historique (Didi-Huberman, 2000: 13).
Pourtant, quelques initiatives sont à noter, notamment l’appel d’Ivan Jablonka en 2014 à moderniser les sciences sociales en réconciliant recherche et création. Il invite à une expérimentation sur la forme pour renouveler les sciences sociales (Jablonka, 2014a: 278). Avec ce renouveau qu’il appelle de ses vœux, il encourage l’historien à s’essayer à l’histoire en bande dessinée dans un article dédié (Jablonka, 2014b). Conscient que les images dessinées possèdent un ressort narratif et mémoriel, il en reconnaît les possibilités pédagogiques. Ivan Jablonka présente une série d’initiatives «d’enquêtes en bande dessinée» (Jablonka, 2014b) aussi bien dans le roman graphique From Hell d’Eddie Campbell et Alan Moore, dont il loue l’appareil critique présenté en fin de volume, ou encore dans les œuvres de Tardi et Art Spiegelman s’inspirant du témoignage de leur père respectif pour mettre en scène l’histoire, avant d’ajouter:
Un historien ou un sociologue qui voudrait incarner son raisonnement dans d’autres formes qu’un article de revue pourrait se rapprocher de ces dessinateurs-enquêteurs, ces chercheurs partis sur les traces de ce qu’ils ont perdu, de ce qui est méconnu ou de ce qui a sombré corps et biens. (…) Il en naîtrait une bande dessinée véritablement historique (ou sociologique, ou anthropologique), c’est-à-dire une enquête dessinée ou des sciences sociales graphiques. (Jablonka, 2014b)
La conception de l’Histoire dessinée de la France découle directement d’une démarche engagée: répondre à la «nécessité de lutter contre l’instrumentalisation de l’histoire et le roman national » (Venayre, 2022) et ses multiples performances [3], tout en visant à «séduire le public dès le lycée» (Bartholeyns et Golsenne: 18).
C’est dès 2013 que les éditions La Découverte (LD) et La Revue Dessinée (LRD) font part du projet à l’historien Sylvain Venayre et l’invitent à diriger la collection Histoire dessinée de la France, pensée comme une expérimentation épistémologique et une réponse aux partisans du roman national. Sylvain Venayre est tout indiqué car il vient de publier la même année Les origines de la France, quand les historiens racontaient la nation (2013). De plus, il a une certaine expérience de l’image et de la bande dessinée. Il a notamment participé à une édition illustrée et commentée d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad en 2006, et a contribué à l’Art de la bande dessiné en 2012. La tâche n’est pas simple et l’originalité de la démarche représente un défi de taille. Un dispositif se met en place, fait de duos où un historien est invité à travailler avec un dessinateur professionnel de la bande dessinée.
Le projet met une année à se concrétiser, puis Sylvain Venayre «découpe l’histoire en tranches» (Venayre, 2022), chacune d’entre elles faisant l’objet d’un volume. Pour concrétiser la collection Histoire dessinée de la France, les historiens sont contactés en fonction de leurs travaux, que les éditeurs leur proposent d’adapter en bande dessinée. Certains dessinateurs comme Étienne Davodeau et Jeff Pourquié sont contactés dans la continuité de leurs précédents travaux pour La Revue Dessinée (Davodeau et Pourquié, 2022). Sylvain Venayre exhorte alors historiens et dessinateurs à «ouvrir leur esprit» et à «faire preuve d’humilité» (Davodeau et Pourquié, 2022). Il déclare notamment: «Le défi était que nous demandions aux historiens de lâcher un peu de lest et de collaborer avec les dessinateurs à l’élaboration du récit pour apprendre, ensemble, à dessiner l’histoire» (Venayre, 2022).
L’attention est portée sur la dynamique de la narration et sa pertinence, dans le but de renouveler l’écriture visuelle de l’histoire afin de transmettre non seulement des savoirs, mais leur intelligibilité: l’évolution des représentations du passé et des pratiques des sciences historiques.
La collaboration entre historiens et dessinateurs est fructueuse et le processus d’écriture est un véritable apprentissage pour tous, chacun ayant sa propre méthode de travail [4] et étant encouragé à prendre des initiatives (Venayre, 2022). Lors des premières réunions entre les éditeurs, chaque volume est d’abord pensé sur le modèle de La Revue Dessinée, soit un récit en bande dessinée d’environ une centaine de pages divisé en parties, chacune entrecoupée d’un texte explicatif complémentaire, d’une soixantaine de pages. Puis, à force d’expérimentation, la plupart des bédéistes privilégient le développement d’un récit long. À l’exception de L’enquête gauloise (Brunaux et Nicoby, 2017), chaque volume reporte l’appareillage (textuel) théorique et la critique à la fin.
Déjà expérimenté dans la narration de la bande dessinée, l’historien Sylvain Venayre collabore avec le dessinateur Etienne Davodeau. Bien que le premier laisse le second effectuer le découpage complet, c’est ensemble qu’ils établissent le scénario. A contrario, la production du 3ème tome, Pax Romana! (Pichon et Pourquié, 2018) voit l’historien Blaise Pichon envoyer au dessinateur Jeff Pourquié «un texte plus ou moins long sur l’époque, le contexte et les croyances» (Pichon, 2022), à partir duquel il effectue lui-même «d’autres recherches historiques et iconographiques» (Pourquié, 2022). Ce dernier déclare notamment: «J’ai reçu un texte à mille lieux d’un scénario. (…) J’ai eu l’idée du Dieu Taranis, puis de mettre en scène Blaise; bref j’ai écrit le scénario» (Pourquié, 2022).
Toutefois, bien que parfois déséquilibrés, les duos établis fonctionnent [5]. De plus, le travail n’est jamais strictement divisé et la production de chaque volume est le fruit de nombreux échanges au sein de chaque binôme et avec l’éditeur (Venayre, 2022). De nombreuses discussions ont notamment lieu à propos du découpage, de la narration, de l’esthétique. Celle-ci est rapidement établie comme «non réaliste» pour pallier les «contraintes» de représentations de l’histoire et du médium bande dessinée (Venayre, 2022). Comme le rappelle Sylvain Lesage, spécialiste de la bande dessinée qui encourage l’initiative:
Contraint à la brièveté, l’historien élague, simplifie – c’est le cœur même de la vulgarisation historique. Pourtant, dans cet espace doublement contraint où il doit s’exprimer en images autant qu’en mots, il trouve aussi une liberté nouvelle par rapport aux contraintes de l’écriture académique classique, justement par la part qu’occupe l’image. (Lesage: 54)
Les duos historien-dessinateur exploitent ainsi les ressources didactiques du dessin pour interroger les performances des images et inscrire celles-ci dans un discours sur leurs usages successifs.
De ce fait, dans le tome 3, Pax Romana! le dessinateur Jeff Pourquié introduit l’historien Blaise Pichon en tant que personnage intégré au récit et le fait jouer avec des figurines très stylisées pour illustrer l’armée romaine et les raids alamans (Pichon et Pourquié, 2018: 87-90). Il souligne ainsi l’artificialité de la représentation (Pourquié, 2022).
Le personnage Blaise Pichon, lors d’un voyage dans le temps, se retrouve également face au sanctuaire des Trois Gaules à Lugdunum (Lyon) qui, du point de vue du dessin, dénote complètement avec le reste et est représenté volontairement dans un style rudimentaire proche de l’esquisse (Pichon et Pourquié, 2018: 24). Jeff Pourquié fait alors référence à la seule source iconographique qui nous soit parvenue, une pièce de monnaie, que commente le personnage Blaise Pichon: «Tout ce qu’il reste du sanctuaire des Trois Gaules, c’est une représentation sur une pièce de monnaie (…) il y a bien eu des tentatives de restitutions. Dans ce genre-là… Mais était-ce vraiment comme ça?» (Pichon et Pourquié, 2018: 28).
Le duo historien-dessinateur propose une écriture visuelle de l’histoire, critique envers les représentations partagées, où l’image est employée en tant que ressource didactique. C’est là un procédé commun à la majorité des volumes de la collection Histoire dessinée de la France. Il apparait dans le 1er tome, La balade nationale, dans lequel le personnage Jeanne d’Arc se regarde dans une glace et interroge sa propre représentation à travers une mise en abîme, «Tout de même… je ne ressemblais pas vraiment à ça» (Venayre et Davodeau, 2017: 9), tandis que Vercingétorix refuse tout simplement de se montrer, laissant le personnage Jules Michelet perplexe, et rappelant au passage que les représentations partagées du chef arverne lui prêtent les traits de Napoléon III (Venayre et Davodeau, 2017: 103). Le dispositif va parfois plus loin et met en scène directement les personnages, échangeant sur la manière dont les images peuvent conditionner notre perception du passé (Venayre et Davodeau, 2017: 33).
Dans la collection Histoire dessinée de la France où, de par la nature du médium bande dessinée, la narration est figurative, l’écriture historienne présente un récit en images et sur les images.
La balade nationale (Venayre et Davodeau, 2017: 9, 103 et 33) |
Par ailleurs, dans le but de séduire un large public, et en accord avec le choix d’un dessin «non réaliste», l’humour est aussi souvent employé par les différents duos historien-dessinateur. «Ce n’était pas une exigence éditoriale, mais c’est le meilleur moyen de mettre de la distance» (Venayre, 2022). Une distance qui permet d’assoir une réflexivité de l’histoire sous la forme d’une fiction: pour chaque volume, des personnages parcourent des lieux, commentent des œuvres d’art, des représentations de l’histoire ou des événements historiques, le plus souvent avec humour.
Pour le 1er tome, La balade nationale (Venayre et Davodeau, 2017), Sylvain Venayre développe notamment très vite l’idée d’un «tour de France» opéré par plusieurs personnages historiques catapultés dans notre présent:
Je choisissais mes personnages. Théoricien de la résurrection du passé intégral, Michelet serait du voyage; il tiendrait notamment le rôle du professeur. Jeanne d’Arc, icône disputée de la patrie, et Molière, figure tutélaire de la langue française, pourraient être utiles au récit. Le général Dumas, père d’Alexandre, permettrait des développements sur la Révolution, le premier empire colonial et les regrettables débats liés à la couleur de peau. Marie Curie serait l’occasion de parler des étrangers devenus français et de leur place dans l’histoire. (Venayre, 2021: 180)
Sylvain Venayre et Etienne Davodeau se rendent, le plus possible, dans les lieux qu’ils mettent en scène dans leur récit, afin de trouver l’inspiration. C’est à cette occasion qu’Etienne Davodeau propose l’idée d’intégrer le Maréchal Pétain à l’équipe:
Je voulais un moteur au récit (…) c’est pourquoi les personnages déterrent le cercueil du maréchal Pétain sur l’île d’Yeu. Ça permet d’introduire des tensions et des dynamiques. (Davodeau, 2022)
Ces mêmes dynamiques entre les personnages sont au service d’un «choc des époques» auquel le duo tenait particulièrement – ils échangeaient notamment sur la « pertinence et la qualité des blagues » – mais aussi, et surtout, d’une mise en récit de l’enquête historique et de la généalogie du questionnaire des historiens: «Nous voulions faire de l’historiographie en bande dessinée» (Davodeau, 2022).
Un exemple pertinent concerne le 3e tome, Pax Romana! (Pichon et Pourquié, 2018) dans lequel le ressort fictionnel du voyage dans le temps permet un bref échange entre les deux personnages et historiens Blaise Pichon et Camille Jullian (1859-1933) [6].
C. JULLIAN: «L’histoire doit être nationale sinon la France serait restée l’éternelle proie de l’impérialisme germanique!»
B. PICHON: «Depuis un siècle, les historiens se sont efforcés d’écrire une histoire la plus objective possible, et de ne plus composer un «roman national» à finalité politique. Nous regardons donc autrement et sans passion irrationnelle, les populations des provinces romaines des Gaules!» (Pichon et Pourquié, 2018: 33)
L’échange fonctionne comme un procédé narratif pour mettre en avant le débat historiographique sur la notion de « gallo-romain », l’évolution des sciences historiques et leurs fonctions sociales, y compris la lutte contre leurs instrumentalisations.
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On peut noter un ressort fictionnel similaire dans le 2e tome, L’enquête gauloise! (Brunaux et Nicoby, 2017). Cette fois, ce sont Poséidonios d’Apamée et Jules César – deux auteurs ayant rapporté leur voyage dans les Gaules à un demi-siècle d’écart – qui se rencontrent et expriment leurs désaccords sur les peuples des Gaules. Il ne s’agit plus seulement de personnages historiens qui débattent, mais d’une personnification des sources historiques elles-mêmes.
L’enquête Gauloise, (Brunaux et Nicoby, 2017: 13, 31 et 37) | ||
Ainsi, les historiens et dessinateurs collaborent et tentent de renouveler l’écriture de l’histoire en bande dessinée, en mettant au point ce que nous pourrions appeler, à la manière d’Ivan Jablonka, des «fictions de méthode»:
Constitutives du raisonnement, les fictions de méthode sont à la fois plus fictionnelles, plus conceptuelles et plus indispensables que l’imagination. Elles diffèrent de la fiction romanesque sur trois points: elles se présentent comme telles, c’est-à-dire qu’elles se dénoncent elles-mêmes; elles ne s’éloignent du réel que pour y retourner avec force; elles ne sont ni ludiques ni arbitraires, mais commandées par le raisonnement. (Jablonka 2014a: 196)
Ces fictions de méthode ne sont pas mobilisées dans le cadre d’une reconfiguration mimétique plus ou moins libre de la réalité, mais pour leur potentialité cognitive. Elles servent à problématiser des hypothèses et invoquer des concepts. Activées au sein des sciences historiques graphiques, elles deviennent un mode de connaissance:
Replacée au sein d’un raisonnement historique, fécondée au contact d’un problème, encadrée par une enquête, la fictionnalisation du monde devient un écart productif, une prise de distance qui a pour but de comprendre. Si les fictions de méthode contribuent à élargir les énoncés de vérité, on peut dire réciproquement que l’histoire est une forme de littérature qui, à l’aide d’une méthode, active la fiction pour produire de la connaissance. (Jablonka 2014a: 210)
La fiction et les personnages sont invoqués comme procédé narratif et contribuent ainsi à une mise en récit et en image de l’historiographie, qui s’articule autour d’une personnification des chroniqueurs de l’histoire.
Prenant acte du fait que la manière de faire de l’histoire, de l’écrire et de la raconter, conditionne un grand nombre de nos perceptions du passé, le projet éditorial de l’Histoire dessinée de la France se présente comme une réponse aux formes d’instrumentalisation de l’histoire. Il affiche ainsi une volonté d’éduquer à l’image et aux sources historiques le public le plus large possible, à travers une narration vulgarisatrice et légère. Ces quelques exemples donnent à penser les potentialités offertes par le langage scriptovisuel de la bande dessinée et la manière dont il peut être saisi par l’historien pour rendre visible l’histoire et inviter à «ouvrir les yeux» sur celle-ci. Comme le rappelle Georges Didi-Huberman:
Ouvrir les yeux sur un événement historique, ce n’est pas plus saisir un aspect visible qui le résumerait comme un photogramme – still, frozen picture, comme on dirait en anglais – que choisir une signification qui le schématiserait une fois pour toutes. Ouvrir les yeux sur l’histoire, c’est commencer par temporaliser les images qui nous en restent. (Didi-Huberman, 2010: 27)
Les contraintes de représentation et de véracité obligent alors les historiens à revoir leur questionnaire et, en collaboration avec les dessinateurs, à le convertir en outil. Ensemble, ils mobilisent des fictions de méthode, à partir desquelles ils mettent en récit une autre enquête – la question de l’écriture de l’histoire elle-même – pour interroger, par la bande dessinée, les lacunes des sources iconographiques et historiques. Les duos historien-dessinateur tentent ainsi de restituer la généalogie des images et leurs transformations, mais aussi l’évolution des sciences historiques et les interactions sociales qui en sont à la fois l’objet et l’enjeu.
[1] Pour reprendre le concept développé par Philippe Marion: «Toute forme de représentation implique une négociation avec la force d’inertie propre au système d’expression choisi. Cette opacité du matériau expressif constitue une contrainte pour que s’épanouisse la transparence relative de la représentation. (…) Le récit s’épanouit au diapason de l’interaction de la médiativité et de la narrativité. Mais il est des rencontres plus intenses que d’autres. Chaque projet narratif peut donc être considéré dans sa médiagénie» (Marion: 86).
[2] Tout le matériel visuel (planches de Bandes Dessinées) est reproduit avec l’aimable permission des auteurs, à des fins de documentation et d’analyse
[3] Pour reprendre le concept développé par Gil Bartholeyns et Thomas Golsenne: «Quant à la représentation, nous avons pris conscience, et il y a plusieurs raisons à cela, que les images ne se contentent pas de représenter passivement des faits, des idées, des personnes. Les images circulent, jouent, trompent, choquent, plaisent ou convainquent: en un mot elles “performent”» (Bartholeyns et Golsenne: 18).
[4] Le Storyboard est par exemple quasi inexistant chez Étienne Davodeau, alors qu’il est très présent chez Jeff Pourquié.
[5] Tous n’ont pas l’expérience de Sylvain Venayre en matière de bande dessinée qui, malgré cela, a laissé le dessinateur Étienne Davodeau se charger du découpage complet. On peut noter le 3e tome qui a connu une refonte conséquente et a vu son binôme remplacé par un autre (Venayre, 2022).
[6] C’est Jeff Pourquié qui propose l’idée d’intégrer directement au récit Blaise Pichon, et de lui faire rencontrer Camille Jullian, un historien du début du 20ème siècle (Pichon et Pourquié, 2022).
BARLUET, Sophie. 2005. «L’édition en histoire: anatomie d’une crise.» Vingtième Siècle. Revue d’histoire. Vol. 86, no 2, p. 81-89.
BARTHOLEYNS, Gil et Thomas Golsenne. 2010. «Une théorie des actes en images» In Problème d’Histoire des religions. Vol. 19. Bruxelles: Éditions de l’Université de Bruxelles.
BENJAMIN, Walter. 2017. Sur le concept d’histoire. Paris: Payot.
BRUNAUX, Jean-Louis et Nicoby. 2017. L’Enquête gauloise: De Massilia à Jules César. Paris, La Découverte et La Revue dessinée.
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DAVODEAU, Étienne et Jeff Pourquié. 2022. Entretien, mars.
DIDI-HUBERMAN, George. 2000. Devant le temps, histoire de l’art et anachronisme des images. Paris: Les éditions de minuit.
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Parny, Arthur (2022). « L’écriture historienne et la médiagénie de la bande dessinée ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/lecriture-historienne-et-la-mediagenie-de-la-bande-dessinee], consulté le 2024-11-21.