L’analyse suivante tente de mettre en perspective deux films du mouvement cinématographique néo-noir: Memento de Christopher Nolan (2001) et Shutter Island de Martin Scorsese (2010). Outre leur association au courant noir, les deux longs métrages se font aussi coller une étiquette de film à mystère, où le spectateur se voit délégué la tâche de reconstituer les évènements à l’intérieur d’une construction visuelle et narrative éclatée.
Le premier film met en vedette Guy Pearce (Leonard Shelby), Carie-Ann Moss (Natalie) et Joe Pantoliano (Teddy). Le réalisateur, d’origine anglaise, est connu pour ses adaptations des aventures du héros de bande-dessinée Batman: The Beginning (2005) et The Dark Knight (2012), mais aussi pour Inception (2010). L’histoire de Memento est celle d’un homme qui souffre d’une perte de la mémoire à court terme depuis une attaque subie lors d’une invasion à domicile, où sa femme fût violée et tuée. Il décide de retrouver un des coupables toujours en fuite pour se venger.
La deuxième œuvre cinématographique met en scène l’un des acteurs fétiches du réalisateur italo-américain: Leonardo DiCaprio, qui a aussi tenu les rôles principaux dans The Aviator (2004), The Departed (2006) et The Wolf of Wall Street (2013). Shutter Island nous propose de suivre l’intrigue d’un marshal américain et vétéran de la Seconde Guerre mondiale (Teddy Daniels) qui se rend sur une île, où se trouve un hôpital psychiatrique pour patients dangereux, afin d’enquêter sur la disparition d’une patiente (Rachel Solando).
Quoique le développement de leurs récits et l’élaboration de leur forme cosmétique prennent souvent des tangentes différentes, il n’en reste pas moins qu’il existe des similitudes quant aux thèmes abordés, aux processus narratifs et au rendu photographique de Memento et de Shutter Island, et que ces liens sont associés aux éléments du corpus noir contemporain. Le film noir classique sera identifié comme un genre en France aux environs de 1946. Bien que le groupe d’artistes participant au mouvement à l’époque ne revendiquait aucun titre, la récurrence d’une certaine esthétique et de certains thèmes a permis d’établir un corpus où gravitent plusieurs films, parfois très éloignés les uns des autres, dont certaines particularités les amèneront à être qualifiés de «noirs».
De son origine jusqu’aux deux œuvres à l’étude, certains aspects du noir se sont développés, puis se sont transformés pour prendre une forme plus contemporaine, le néo-noir. Le traumatisme comme facteur de désorientation et le brouillage des frontières entre la réalité et la fiction (chez les personnages autant que chez les spectateurs) sont des problématiques liées à l’utilisation du retour en arrière. L’archétype du détective privé est amené à résoudre une quête introspective dans les dédales du souvenir. Il y a de toute évidence échec dans les rapports humains, et la condition de l’étranger (aux autres et à soi-même) en découle. Le processus d’écriture apparent, les questions liées à la réception de l’œuvre chez le spectateur, ainsi que les références et les clins d’œil disséminés dans l’œuvre sont mis en relief par l’intertextualité présente dans les productions à l’étude.
Quoiqu’il soit certain que les personnages de Memento et de Shutter Island ne soient pas des figures héroïques et qu’ils reprennent plutôt l’imaginaire peu glorieux du perdant, ils empruntent aussi la personnalité type du détective privé, bien connu du roman noir. La détection se joue ici d’un point de vue plus intérieur, puisque l’énigme à résoudre est celle d’un passé qui échappe aux enquêteurs, perdu dans les méandres des faux-semblants d’évènements qui ont peut-être eu lieu, le tout sans adjuvant pour les aider dans leur quête autre que leur mémoire défaillante et déformée.
Cette double personnification se traduit autant dans Memento autant que chez Shutter Island. Des deux côtés, le personnage principal revêt la figure du perdant parce qu’il a un passé peu enviable, qu’il n’a pas de poigne sur son présent et qu’il n’a pas d’avenir. Soit on se moque de sa condition (en le faisant cracher puis boire dans son propre verre, comme dans Memento), soit on l’étudie à des fins scientifiques ou patriotiques (en le médicamentant puis en étudiant son comportement dans une réflexion sur le bien commun à priori de l’individu, comme dans Shutter Island).
Les protagonistes revêtent aussi une figure archétypale du film noir, celle de l’enquêteur. Contrairement à l’image que l’on s’en faisait dans la période classique, le détective du néo-noir mène une investigation plus intérieure dans le but de se réapproprier une identité perdue qui doit être reconstruite. Une enquête qui, dans un cas comme dans l’autre, s’avère vaine parce que la vérité est parfois pire que cet état d’errance, que de ne pas savoir.
On voit clairement que la recherche de l’évidence, chez Leonard Shelby, ne le mène que vers l’idée que l’on vit mieux dans le réconfort du mensonge. Il préfère revivre ad nauseam les évènements de son passé plutôt que d’admettre qu’il n’a pas assouvi sa pulsion de mort en tuant l’un des (présumés) assaillants de son épouse. À la fin du film, on constate en même temps que lui qu’il a déjà assassiné le deuxième attaquant de sa femme, mais qu’il refuse de s’en rappeler, préférant inscrire sous la photo polaroïd attribuée à Teddy: «Don’t believe his lies».
Ce que nous aurons tenu pour véridique tout au long du visionnement, ces prises pour acquis du personnage de Teddy, automatiquement relégué dans le registre des méchants, devront être revisitées suite à cette perspective nouvelle: les apparences sont peut-être trompeuses. Celui que l’on croyait innocent ne l’est peut-être pas complètement et celui que l’on voyait comme l’escroc est peut-être plus près de l’authenticité du discours. Il y a aussi cette phrase lancée par Teddy à Leonard qui nous transmet bien cette idée de la causalité d’une vérité qui vient à être rejetée parce que jugée décevante, comme quoi on se fabrique littéralement notre vision du bonheur: «You don’t want the truth, you make up your own truth».
Dans Shutter Island, la détection sert d’outil au meneur qu’est Edward Daniels. Par le maintien de son rôle de marshal, il se dissocie des actes qu’il a lui-même commis, il se détache des commotions qu’il a lui-même vécues et il remonte ainsi le fil de l’histoire sans se faire bousculer par les effets du choc post-traumatique, sans rompre définitivement l’équilibre maintenu par l’illusion de vivre en dehors de l’horreur de son existence. Il est d’ailleurs écrit, vers la fin du roman de Dennis Lehane, lors d’un entretien entre Chuck et Teddy, «qu’il existe peut-être des choses qu’on est appelé à ne pas connaître» (Shutter Island, Dennis Lehane: 393).
La désorientation due au traumatisme est un autre des éléments qui peut être associé au corpus noir. L’altération de la mémoire agit comme un monde clos sur lui-même, sans avenir, où circulent les personnages qui tentent de se réapproprier le présent par la restructuration de leur passé, en vain. Ce trouble de la temporalité est représenté par le biais du retour en arrière et par une rupture dans la narrativité. Cette désarticulation de l’espace-temps brouille les frontières entre la réalité et la fiction.
Les idées préconçues peuvent être détruites à n’importe quel moment, nous forçant à constamment réévaluer notre point de vue sur notre quête d’authenticité. L’horizon d’attente est brisé. Les auteurs utilisent la perspective des personnages principaux pour que nous puissions nous identifier à eux, être aussi confus qu’eux et devoir réassembler nous-mêmes les évènements.
Leonard Shelby veut venger le meurtre de sa femme. L’ultime but de la vengeance vise à punir la personne qui nous a fait du tort. La première question à se poser est à qui cela profite-t-il, sinon à la personne qui pratique le châtiment. De plus, il serait légitime de se demander à quel point la douleur face au sentiment de la perte est amoindrie par le passage à l’acte. Est-il vrai de dire que ce n’est que l’usure du temps qui permet aux personnages d’oublier, d’atténuer ce passé qui ne passe pas? Nous pouvons émettre l’hypothèse que dans les deux films à l’étude, tout comme dans le film noir plus classique, il n’y a pas de fin aux répercussions du traumatisme sur les personnages, que ceux-ci se retrouvent pris dans le tourbillon d’évènements si marquants qu’ils évacuent toute possibilité quant à l’éventualité d’un futur heureux et qu’ils écrasent le temps présent sous le constant rappel du passé.
L’amnésie à court terme qui afflige Leonard Shelby le replonge de manière continue dans les derniers moments liés aux circonstances lésionnelles qui l’ont mené à sa perte, ce qui l’empêche de former de nouveaux souvenirs. Comme lui-même l’a remis en question lors d’un passage de Memento: «How am I supposed to heal if I can’t feel time?». Il va même jusqu’à dire: «Do I lie to myself to be happy?». Le protagoniste est condamné à se répéter ad vitam aeternam la mort violente de la personne qu’il aime, à en revivre la disparition sans pouvoir s’affranchir de ce deuil toujours à vif.
Cette fatalité du destin, commune au film noir, se transmet aussi avec Edward Daniels, quoique chez lui, on sent vraiment le crescendo dans l’accumulation des manifestations traumatisantes, comme la participation aux horreurs de la guerre, au meurtre de ses enfants par la femme qu’il adulait et l’assassinat de sa propre femme, qui mènent vers le déni jusqu’à l’aliénation alors que chez Leonard Shelby, on perçoit qu’il choisit d’une manière plus consciente de passer outre cette vérité dérangeante pour se réfugier dans la fiction. Nous avons pu constater que l’importance n’est pas accordée à l’omniprésence d’UNE vérité mais plutôt d’en démontrer les multiples facettes.
Nous sommes sur un pied d’égalité avec Leonard Shelby, car nous apprenons en même temps que lui avec l’aide du retour en arrière les circonstances qui l’ont amené à devenir ce qu’il est. Ce procédé met l’accent sur la désorientation du personnage face à ses propres souvenirs, tout en nous y donnant l’accès direct. Cela agit comme une ellipse qui nous permet d’atteindre sa mémoire, frelatée ou non, et ainsi de mieux comprendre son passé (ou ce qu’il croit être son passé). L’approche de la rétrospective est à la fois quelque chose qui aide et quelque chose qui nuit à l’interprétation de l’œuvre. Cela est utilisé dans le but de rendre une certaine chronologie aux actions qui se présentent comme éclatées dans le temps, mais qui doivent être constamment réinvesties puisque nous doutons à chaque instant, ne sachant pas si nous sommes dans le rêve ou dans le souvenir réel ou fabriqué.
Dans Shutter Island, le premier retour en arrière lié au souvenir de la guerre est évoqué grâce à un morceau de musique. Pierre Nora mentionnait que «L’histoire est la reconstitution toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus. La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l’histoire, une représentation du passé» (Les lieux de mémoire, Pierre Nora: 24-25). Le souvenir de Teddy Daniels, associé aux domaines de l’affect et de l’émotion plutôt que la précision de ce moment, est soulevé par la mélodie, dans l’instant présent. Chez Leonard Shelby, la désorientation est due à un facteur physique, car elle trouve son origine à l’extérieur, alors que chez Edward Daniels elle est d’origine psychique, car elle vient de l’intériorité du personnage. Peut-être que cela nous prédispose à nous investir de façon plus émotive dans le parcours du personnage de Memento, qui subit les embûches a fortiori, alors que le marshal de Shutter Island est plus responsable de son histoire, même s’il n’a pas d’emprise sur elle.
Les personnages qui entourent les premiers rôles sont presque tous là pour les exploiter, hommes autant que femmes s’avérant fatals. La société individualiste contemporaine qui nous entoure aliène les rapports humains et nous amène à douter de tout. Nous sommes dans l’ère du soupçon. Les deux œuvres présentées marquent bien cette méfiance des hommes entre eux et envers leur propre jugement, mais aussi l’incrédulité que doit entretenir l’auditeur vis-à-vis les propos de l’œuvre cinématographique à laquelle il assiste.
L’incrédulité, la distanciation du spectateur face à l’image et à ses implications, est plus marquée chez Shutter Island vu l’époque de sa sortie puisque, depuis Memento (paru 10 dix ans plus tôt), l’horizon d’attente du spectateur est encore plus habitué à être dans un contexte de remise en question perpétuelle des intentions des personnages, de leurs activités et du monde dans lequel ils évoluent.
La sempiternelle remise en question des desseins des personnages et de leurs préméditations les uns envers les autres est relevée dans Memento lorsque Natalie siffle à Léonard: «I will use you and I will enjoy it even more knowing that you couldn’t do anything to stop me». L’image à l’ombre de la femme fatale du film noir peut venir cracher son venin au visage de celui qui, malgré lui, devient son allié puisqu’elle le convainc qu’il agit pour son propre bien.
L’impression d’être étranger, aux autres comme à soi-même est aussi un aspect qui est mis de l’avant dans Memento et dans Shutter Island. La perte des repères vient corroborer cette méconnaissance de soi et ce manque de recognition chez ses semblables qui mène, sinon à une métamorphose, souvent au repliement complet sur soi, à la folie.
Chez Leonard Shelby, la revendication d’une constance dans la véracité des évènements qu’il doit se remémorer chaque jour se trouve en partie dans les tatouages qu’il porte sur tout le corps, dans les photos polaroïds et dans les mémentos, ces notes destinées à se rappeler une tâche, un souvenir. Exogène à lui-même dans les actions qu’il a peut-être posées, le personnage doit se créer un système qui lui permettra de se situer dans une quasi-réalité, puisqu’il n’a pas le souvenir de ce qui s’est réellement produit. En effet, les notes semblent corroborer sans prouver totalement, puisque sans le souvenir du contexte dans lequel elles ont étés écrites, personne ne peut attester de leur objectivité. De toute façon, comme Leonard Shelby l’admet lui même: «I have to believe in a world outside my own mind». Cela sème la piste sur cette idée du mensonge qui, peu à peu, devient la bouée de sauvetage dans la quête du protagoniste.
Les personnages des deux films sont pris dans les cales sans fond des images répétées d’un passé qui a pris d’assaut leur mémoire et cela les empêche d’accéder à la sociabilité. Cette impression d’être étranger non seulement aux autres mais à soi-même se traduit dans Shutter Island par l’incompréhensibilité du personnage interprété par Leonardo DiCaprio vis-à-vis les actes qu’il a posés durant la Seconde Guerre mondiale, notamment lors d’un souvenir où plusieurs soldats allemands sont acculés sur une clôture, désarmés. Alors qu’un seul d’entre eux tente de fuir, les officiers américains se mettent à tirer sur tous les individus en rang, jusqu’à ce qu’il ne reste plus âme germanique qui vive. Edward Daniels se remémore cette scène comme celle d’un meurtre gratuit auquel il a participé sans trop savoir pourquoi, étranger aux motivations qui ont pu le mener à poser de tels gestes horrifiques en de telles circonstances.
Mis à part une critique sur l’implication de l’armée américaine durant la guerre, le film noir classique trouvait dans son sillage un public de vétérans de la Deuxième Guerre et c’est peut-être aussi ce que Scorsese a voulu pasticher par l’adaptation à l’écran du roman de Lehane. L’intertextualité mise à profit dans les œuvres adaptées se traduit par les renvois aux codes du genre noir classique, mais aussi à des questions soulevées et posées directement au spectateur, comme si sa présence était percée à jour d’une façon équivoque.
La narrativité n’a plus besoin d’être linéaire et même qu’elle se doit d’être aussi éclatée que le monde insensé dans lequel nous vivons. Par exemple, lorsque dans Memento, lors d’un retour en arrière, Leonard Shelby dit à sa femme qui est en train de lire un roman qu’elle a vraisemblablement feuilleté plus d’une fois: «I thought the pleasure of reading a book was not to know what will happen next», on fait référence aux attentes liées au roman de détection typique. Les traces écrites que le personnage laisse un peu partout, comme des repères, alors que nous savons qu’il s’agit d’un mélange de vrai et de faux, rappellent par un fil ténu que le langage peut être construit, défait et interprété, mais que la vérité elle-même se trouve davantage dans le processus d’écriture que dans la présentation exacte des faits.
La filiation avec le corpus noir est représentée par l’intériorité des personnages, ou des intentions de l’auteur par rapport à la conceptualisation de leur analogie avec des phénomènes extérieurs. Cela est explicité par Shutter Island. Dès l’une des premières scènes, nous voyons apparaitre au loin l’île dans toute sa largeur. Alors que nous avançons vers elle, elle semble foisonnante et presqu’indéfrichée, comme la psyché de Teddy Daniels au début du film. Cette association se produit aussi lorsque le personnage principal a ses migraines et que l’amorce du retour en arrière est caractérisée par les flashs d’une lumière blanche et éclatante, propre aux éclairs qui strient le ciel au moment même dans l’action. Lors du visionnement, Teddy Daniels interviewe une patiente de l’hôpital. Cette dernière demande un verre d’eau. Dans un plan, nous voyons qu’elle mime le geste de boire une gorgée mais qu’il n’y a aucun contenant dans sa main alors que pourtant, au plan suivant, le verre est bien posé sur la table. Déjà là est mise en place la subversion de la vérité par l’image qui prévaudra tout au long du film. De plus, à la suite de sa rencontre avec la «vraie» Rachel Solando, le personnage joué par Leonardo DiCaprio escalade les rochers, parmi des centaines de rats, alors que lui-même personnifie ce rat de laboratoire. Encore une fois, Scorsese s’appuie sur la représentation textuelle dans la confusion des souvenirs de la guerre et de ceux liés à la mort de Dolores Chanal, l’épouse de Teddy Daniels, par la similitude synchronisée dans le miroitement des cendres qui virevoltent autour de la défunte et des documents qui flottent, épars, dans la pièce où il regarde mourir un officier nazi.
C’est en superposant et en venant retravailler les images déjà montrées que Christopher Nolan joue sur la métaphore de la représentation de la vérité à l’écran (mental pour Leonard Shelby et cinématographique pour le public). Cela est visible lorsque se superposent les souvenirs d’un moment passé avec sa femme et d’autres qui, jusque là, étaient plutôt attribuées à Sammy Jankis, ce qui force l’auditoire à réévaluer, sinon les procédés d’énonciation, la teneur même du langage des pictogrammes qui défilent devant ses yeux.
Si le Memento de Christopher Nolan et le Shutter Island de Martin Scorsese font partie du mouvement néo-noir, c’est qu’ils reprennent les caractéristiques propres à la période noire classique dans une perspective contemporaine. D’un côté comme de l’autre, la figure du détective privé a évolué pour en venir à résoudre des énigmes liées à son intériorité, dans une quête plus existentielle. Il possède une double représentation puisqu’il fait à la fois figure d’enquêteur et de perdant. Le retour en arrière est la représentation de ce parcours hachuré dans l’imaginaire trouble des personnages, dans la fragmentation de leurs souvenirs. Les réalisateurs ont repris les thèmes du tumulte et de cette bataille du vrai et du faux qui finissent par ne former qu’un, laissant le spectateur coi devant l’irrésolu, devant l’ouverture béante des propos amorcés. La condition de l’étranger propre au film noir est aussi présente dans Memento et dans Shutter Island, car s’ils étaient marginalisés par leur condition respective, les personnages de Leonard Shelby et d’Edward Daniels sont aussi étrangers à eux-mêmes. Quelques allusions intertextuelles propres au néo-noir sont faites d’un côté comme de l’autre. Les caractéristiques d’éléments esthétiques liés au corpus sont exprimées dans les deux œuvres. Si Memento est plus travaillé sur le plan de la construction narrative avec ses différentes trames qui entremêlent présent et passé, souvenirs et mémoire fabriquée, Shutter Island mise davantage sur des images léchées, sur des motifs récurrents et sur une mise en scène dont l’orchestration quasi-parfaite nous laisse un peu de côté, comme s’il était prévu que nous assistions à un spectacle à grand déploiement plutôt que d’y participer. À l’instar du film noir, le film néo-noir vise un spectre beaucoup plus large. Dans cette perspective de la plus grande échelle, il est intéressant d’évaluer l’utilisation des références destinées à l’auditoire, des points de vues de l’intertextualité, de la métatextualité et de l’intermédialité, mais aussi de l’utilisation de thèmes et de figures d’énonciation qui sauront être porteurs d’une réflexion qui se pose au-delà de savoir qui est Sammy Jankis.
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