Au-delà des petites mythologies qui le configurent, Columbo se définit essentiellement par l’antagonisme qui l’oppose aux meurtriers, tandis que ceux-ci se constituent en étant tout ce qu’il n’est pas.
Comme le constate ironiquement Jeff Greenfield dès 1973 dans sa courte mais incisive analyse du succès et de la formule de la série pour le New York Times:
« The homicide files in Columbo’s office must contain the highest per‐capita income group of any criminals outside of antitrust law. (…) The killers in Columbo’s world are art collectors, surgeons, high‐priced lawyers, sports executives, a symphony conductor of Bernsteinian charisma‐even a world chess champion. They are rich and white (if Columbo ever does track down a black killer, it will surely be a famous writer or singer or athlete or politician, rather than a product of Watts). Columbo’s” villains are not simply’ rich; they are privileged. They live the lives that are for most of us hopeless daydreams (…), the envy and admiration of the Crowd [1]”.
C’est dans le cadre luxueux de leur life style que survient leur Némésis inattendue, extraite de cette foule dont ils s’extraient et qui les admire (Columbo témoigne souvent de l’admiration que leur porte sa femme, visiblement séduite par ces « Olympiens » au sens avancé par Edgar Morin) :
« Into the lives of these privileged rich stumbles Lieutenant Columbo—a dweller in another world. His suspects are Los Angeles paradigms: sleek, shiny, impeccably dressed, tanned by the omnipresent sun. Columbo, on the other hand, appears to have been plucked from Queens Boulevard by helicopter, and set down an instant later in Topanga Canyon. His hair is tousled, not styled and sprayed. (…) He has even forgotten to take off his raincoat, a garment thoroughly out of place in Los Angeles eight months of the year. Columbo is also unabashedly stunned by and envious of the life style of his quarry” [2].
D’où un décalage par rapport à la logique du roman à énigme edwardien : si celui-ci restait systématiquement cantonné dans un milieu huppé dont les crimes ne remettaient aucunement en question la légitimité (étant le fait d’individus « supérieurs » soumis aux codes du « fair play » qui régissent les loisirs aristocratiques), l’intrusion de Columbo (magnifiée par ses entrées en scène fracassantes dans les espaces des nantis où « tout n’est que luxe, calme et volupté ») fait figure de contestation implicite, à l’instar de celle des privés du roman noir. Cette « transplantation » à prime abord humoristique (L. Mathieu) [3] est en fait (c’est ce que ne comprennent pas les coupables) une véritable invasion : progressivement, l’enquêteur va s’accaparer l’espace des dominants que ceux-ci croyaient parfaitement contrôler (fait significatif, il finit par recevoir ses appels chez eux) jusqu’à les en chasser.
Le rôle de Los Angeles est dès lors ambivalent. D’un côté ce territoire privilégié du roman et du film noir est réinventé et irréalisé par les conventions du mystery novel :
“We would create a mythical Los Angeles and populate it with affluent men and women living in the stately homes of the British mystery novel; our stories would be much closer in spirit to Dorothy L. Sayers than to Joseph Wambaugh”, écrit William Link. “Besides, our rumpled cop would be much more amusing if he were always out of his element, playing his games of cat and mouse in the mansions and watering holes of the rich. We even decided never to show him at police headquarters or at home; it seemed to us much more effective if he drifted into our stories from limbo” [4].
Mais parallèlement, par une sorte de spectralité ou « hantologie » derridéenne, le mythe noir de Los Angeles subsiste sous la surface des espaces du luxe faussement fermés sur eux-mêmes, de la même façon que les plans de la ville arpentée par le héros et les criminels, bien que ne constituant pas l’essentiel de l’espace diégétique, situent inévitablement celui-ci dans un chronotope plus vaste. « Le mythe de Los Angeles, largement associé à l’immensité de la ville et à la présence en son sein d’Hollywood, est en grande partie une création du roman noir : cité sismique, Sodome moderne, la « Cité des anges » est souvent décrite comme un lieu violent, pulsionnel, où toute tentative de rachat individuel est rendue impossible par l’omniprésence de la corruption », écrit Frédéric Sounac [5].
Ce mythe est à lire sur fond d’inversion ou de perversion de celui, fondateur de la Frontière, comme le signale George Grella: « Les romans de Hammett, Chandler, et Macdonald sont tous situés en Californie, là où la Frontière a finalement disparu. Le détective privé a répondu à la poussée collective de la Nation ; il a achevé la marche vers l’Ouest. […] Il n’y trouve pas l’Éden de ses rêves, le Grand Lieu idéal [Great Good Place] de l’imagination américaine, mais le Grand Lieu mauvais [Great Bad Place]. (…) Là où il s’attendait à trouver l’innocence et l’amour, il trouve le fléau omniprésent du péché, une société déchue de la Grâce, une lutte permanente contre le Mal. […] Parti à la recherche de la Cité des Anges et du Bois sacré, il trouve, à leur place, Los Angeles et Hollywood » [6]. Et Hollywood, justement, sera omniprésent dans notre série, produite par Universal pour NBC.
Columbo hérite bel et bien de cette double configuration mythique, rejouant sans cesse à sa manière la scène fondatrice où Marlowe débarque dans la fastueuse villa du General Sternwood, qui, sous des dehors luxueux, est hantée par la duplicité, la manipulation, l’anomie et le crime [7]. Mais si, sous ses dehors cyniques, le privé reste à la solde de ceux qui pensent pouvoir instrumentaliser son enquête, Columbo est bel et bien le représentant de la Loi venu rétablir l’ordre social menacé par ses élites mêmes.
Le duel entre l’enquêteur et le criminel, dont on a vu le rôle central qu’il occupe dans la structure du roman policier à énigme inversé, devient par ailleurs le microcosme d’un antagonisme plus vaste.
« His aristocratic adversaries tolerate Columbo at first because they misjudge him”, écrit Greenfield. “They are amused by him, scornful of his manners, certain that while he possesses the legal authority to demand their cooperation, he has neither the grace nor wit to discover their misdeeds. (…) All of them are done in, in some measure, by their contempt for Columbo’s background, breeding, and income.» [8].
“Here was this scruffy cop—the son of immigrants, obviously raised on the streets of New York City—outmaneuvering the condescending snobs who looked down on him”, écrit Mark Dawidziak dans une des premières études de la série. “Let’s hear it for the uncommon common man. “By design,” said Hill Street Blues and L.A. Law co-creator/producer Steven Bochco, the author of several Columbo scripts, “the show exploited people’s basic mistrust of the rich. The villain was always enormously rich, successful and arrogant. The cat-and-mouse game that ensued was incredibly satisfying for the audience”. Some villains think they see through his technique. (…) But they think they’re too smart for him. Their arrogance proves their undoing » [9].
Comme l’écrit, avec des accents plus bourdieusiens, Lilian Mathieu, c’est « la domination qui caractérise les relations qui s’établissent progressivement entre les deux principaux protagonistes de chaque épisode. Les assassins de Columbo sont toujours des dominants sur un ensemble de plans qui, souvent, se cumulent: ils sont (très) riches, célèbres (vedettes du petit écran, stars du cinéma, artistes côtés, auteurs de best-sellers…), puissants (politiciens, dirigeants d’entreprise, officiers, scientifiques…), séduisants, élégants, raffinés, modernes… Qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, le meurtrier en impose à un policier dont l’attitude première est faire de déférence et d’admiration »[10]
Dès lors, « l’expression de la domination dans les interactions entre le criminel et le policier fait tout le sel du récit. Les dominants sont arrogants et sûrs de leur pouvoir, et font preuve de condescendance, voire de mépris, à l’égard du lieutenant qui leur apparaît à première vue intimidé et démuni. Mais les dominants sont piégés par leur domination (…) C’est ce renversement de la domination, attendu tout au long de l’épisode et qui en constitue l’achèvement, qui produit la jubilation du spectateur: le lieutenant brouillon et gaffeur se révèle finalement bien plus malin que les dominants dont la supériorité apparaît illégitime, puisqu’entachée par le crime. Ce renversement final de la domination a tous les traits d’une revanche de classe »[11].
Cette théorie n’a rien d’une nouveauté; elle accompagne en fait la série depuis son succès initial. Jeff Greenfield l’avait déjà formulé explicitement en 1973:
“There is something else which gives “Columbo” a special appeal —something almost never seen on commercial television. That something is strong, healthy dose of class antagonism. The one constant in “Columbo” is that, with every episode, a working class hero brings to justice a member of America’s social and economic elite”[12].
Qui plus est, il ajoutait un aspect tout aussi essentiel :
« Columbo knows about these people what the rest of us suspect: that they are on top not because they are smarter or work harder than we do, but because they are more amoral and devious. Time after time, the motive for murder in “Columbo” stems from the shakiness of the villain’s own status in high society. (…) This is, perhaps, the most thoroughgoing satisfaction “Columbo” offers us: the assurance that those who dwell in marble and satin, those whose clothes, food, cars, and mates are the very best, do not deserve it. They are, instead, driven by fear and compulsion to murder. And they are done in by a man of street wit (…) who pulls down $11,800 a year and never ate an anchovy in his life”[13].
La dialectique entre l’inspecteur et les criminels qu’il traque impitoyablement semble opérer dès lors une radicalisation de la célèbre réflexion désabusée de Vautrin dans Le Père Goriot : « Le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié, parce qu’il a été proprement fait »[14]. Ce que le théoricien marxiste Ernest Mandel reformulera justement dans son analyse du roman policier : « En définitive, l’essor du roman policier s’explique peut-être par le fait que la société bourgeoise, considérée dans son ensemble, est une société criminelle » (Mandel, 1986:171).
Peut-être comprend-on mieux alors pourquoi il a fallu attendre 1971 pour que la formule Columbo puisse fonctionner enfin à plein régime. C’est à l’ombre de Watergate et de son mastermind « Tricky Dick » (sobriquet de Nixon) que le portrait d’une élite corrompue, criminelle et cyniquement manipulatrice prend toute sa force. Il n’est pas dès lors anodin que l’article de Greenfield fasse directement allusion au scandale qui n’avait pas encore, en 1973, trouvé de résolution légale : « I wait only for the ultimate episode: Columbo knocks on the door of 1600 Pennsylvania Avenue one day. “Gee, Mr. President, I really hate to bother you again, but there’s just one thing….”
Toutefois, cette visée critique fut symptomatiquement déniée par les créateurs de la série dès ses premières manifestations:
“When the series went on the air, many critics found it an ever-so-slightly subversive attack on the American class system in which a proletarian hero triumphed over the effete and moneyed members of the Establishment. But the reason for this was dramatic rather than political. Given the persona of Falk as an actor, it would have been foolish to play him against a similar type, a Jack Klugman, for example, or a Martin Balsam. Much more fun could be had if he were confronted by someone like Noel Coward.”[15]
De fait, la tradition, inaugurée dans la pièce Prescription Murder, de faire jouer le meurtrier par une célèbre star hollywoodienne ajoute un autre niveau de signification à la mythologie columbienne. Ces « Olympiens » ultimes que sont les « stars », selon la célèbre analyse d’Edgar Morin[16], « descendent » pour ainsi dire dans le médium domestique de la télévision pour y incarner justement une élite foncièrement corrompue. Signe d’une dégradation certaine de l’aura cinématographique (l’ère des Grands Studios est désormais close et Universal se réinvente en faisant parader ses anciennes stars dans le médium rival du petit écran pour leur en tirer encore un peu de plus-value), ces figures d’un autre temps qui prennent refuge pendant un temps dans le petit écran marquent à la fois un étrange transfert (la célébrité se fera de plus en plus télévisuelle, ce dont témoigne justement le succès de Peter Falk) et une étrange revanche de ce médium singulièrement mal aimé par la critique depuis sa création.
Du coup, le triomphe de Columbo (perçu comme une création purement télévisuelle) sur ces « stars » du cinéma devient celle du spectacle démotique sur l’Olympe dégradé et fantasmatique, nourrie de toute la mythologie de « la face cachée d’Hollywood » alimentée par le roman et le film noir, comme l’expose Benoît Tadié[17]. Essentiellement moyen mais superbement opiniâtre, son triomphe sur les stars machiavéliques qu’il croise n’en est que plus jouissif pour les téléspectateurs implicites qui s’y reflètent. Le duel d’acteurs entre Falk et ses célèbres collègues acquiert ainsi une sorte de vertige métatextuel qui est aussi une des sources principales de la jouissance spectactorielle.
Falk lui-même, comme Link, conteste la portée politique du personnage auquel il devient indissolublement associé :
« People like to see the powerful brought down,” the actor conceded, “but Columbo had no argument against the rich. He’s regretful when he arrests the murderer. He would think, `Gee, here’s this guy with a wonderful home and wonderful clothes. He talks well. He has a good education. It’s a terrible thing he should have to do this.’ Once in a while, he actually disliked a murderer. Usually, I think, it made him sad”[18].
On peut interpréter ce déni comme de l’aveuglement de par la part des créateurs face à la logique intrinsèque de leur œuvre, voire comme de l’aliénation ou de la mauvaise foi (après tout, ce sont les principaux bénéficiaires d’une franchise extrêmement lucrative). Mais on peut toutefois y voir l’illustration de la logique essentiellement contradictoire de la culture pop qui doit, pour triompher, jouer d’une constante ambivalence. Sans l’antagonisme de classe qui préside au duel structurant entre le héros et les criminels, Columbo n’aurait pas connu une telle popularité en plein scandale Watergate. Mais il ne saurait s’agir d’une série à thèse, ce qui aliénerait ironiquement une grande partie de son public. Il faut donc jouer à la fois de la fantasmatique de cet affrontement et de son déni, faisant de Columbo non point l’agent de la négativité hégélienne chère au roman noir mais un vecteur de suture dans l’imaginaire social.
Contrairement à la guerre sociale prônée au même moment par le Weather Underground (dont le manifeste « Prairie Fire » paraîtra en 1974), Columbo (à la fois le personnage et la série) ramène la paix sociale à une Amérique divisée et meurtrie. Servant d’exutoire à un antagonisme croissant, à droite comme à gauche, envers l’Establishment, il permet de ramener le Mal à des figures localisées qui sont aussi, le plus souvent, comme le signalait Greenfield, dans une position instable marquée par une forme ou une autre d’ imposture ou de parasitage. Incarnation sympathique mais redoutablement efficace de la Loi et l’Ordre, le lieutenant pousse les techniques d’interrogatoire jusqu’à une sorte d’esthétique virtuose qui est aussi, essentiellement, celle des scénarios de la série. Qu’un policier devienne ainsi, en exaltant sous une forme quelque peu ludique les instruments les plus contestés de son métier, l’icône d’une Nation dont la jeunesse conspuait encore les « Pigs » (métaphore littéralisée, au même moment où Columbo triomphait sur les ondes cathodiques, par Robert Crumb dans les comic strips de Fritz the Cat) est symptomatique[19].
Ce n’est donc pas « le Système » qui est en cause, et encore moins l’ordre capitaliste dont Columbo est à sa manière le garant, que sa perversion. Or, a contrario du grand revival « néo-noir » porté en grande partie par l’esprit contestataire et cinéphile du Nouvel Hollywood, il n’y a pas (ou très rarement) de réflexion dans la série sur les circonstances sociohistoriques qui déterminent cette perversion. L’on peut tout au plus y voir implicitement une certaine critique de la nouvelle société hédoniste issue des Swinging Sixties, celle-là même qui pour Daniel Bell était en train de pousser les « contradictions culturelles du capitalisme » (titre de son célèbre ouvrage de 1976) jusqu’au point de rupture. La plupart des meurtriers (et meurtrières) de la série illustrent d’ailleurs la face sombre de la « Me Decade » baptisée par Tom Wolfe dans son essai éponyme de 1976 et théorisée par Christopher Lasch dans The Culture of Narcissism trois ans plus tard. Que ce soit le psychiatre adultère de Prescription Murder, l’avocate arriviste de « Ransom for a Dead Man »[20] ou le « playboy » parasite de « Murder by the Book », pour ne citer que les trois premières incarnations du Mal columbien, nous voyons à l’œuvre une perversion narcissiste et hédoniste du rêve de bonheur incarné par les « Olympiens » dans la société de consommation, et, partant, de l’American Dream[21].
Que ce soit le « petit homme » (qui reste, avant tout, un membre particulièrement retors de la Police[22]) qui réintroduit l’ordre moral dans l’immoralisme décomplexé des élites indiquerait alors, plutôt qu’une allégorie révolutionnaire de l’éveil du Peuple, un timide retour aux « bonnes vieilles valeurs » dont Reagan allait faire le vecteur de sa « révolution conservatrice ». Symptomatiquement c’est un phénomène que nous avons déjà étudié pour une autre saga immensément populaire qui va clore la décennie inaugurée par Columbo, Star Wars[23]. Plutôt qu’un compagnon de route de la révolution prolétarienne, devrait-on donc voir dans Columbo un (très) lointain cousin de Luke Skywalker?
Ni l’un ni l’autre, bien évidemment, mais plutôt une sorte d’entre-deux qui fait justement le succès de la série : antagonisme de classe et critique moralisatrice implicite se combinent dans un même idéologème ambivalent qui a pu fédérer un public massif autant aux États-Unis qu’à l’échelle planétaire. On peut ici invoquer autant la « common decency » orwellienne[24] que l’héritage de Frank Capra (le « Capricorn » honni par ses détracteurs) et sa position instable entre les deux veines du populisme américain, de droite et de gauche. Cela en fait-il une série foncièrement populiste au sens d’une « critique des élites capitalistes avancées » en un « combat pour la liberté et l’égalité mené au nom des vertus populaires » comme l’entend Christopher Lasch dans son ouvrage posthume La révolte des élites et la trahison de la démocratie (1996)?
C’est ce que semble indiquer la diffusion de la figure du petit lieutenant de police dans le discours social et l’imaginaire culturel, dont témoigne, récemment, un post d’Elizabeth Keyes intitulé “Conjuring the Spirit of Columbo Against the High-Functioning, Sociopathic 1%”[25] et qui rejoint, symptomatiquement, une réflexion similaire de L. Mathieu[26]. Mais quoiqu’il en soit, l’on ne saurait extraire la portée idéologique, aussi composite, voire confuse, soit-elle de la série de sa logique structurale et des petites mythologies qui en découlent.
[1] Jeff Greenfield, “Columbo Knows the Butler Didn’t Do It”, New York Times, 1 avril 1973: 19
[2] Ibidem. Parmi les exemples significatifs invoqués par Greenfield : “Geez, that is some car,” he tells the symphony conductor. “Ya know, I’ll bet that car costs more than I make in a year.” “Say, can I ask you something personal?” he says to a suspect wearing $50‐dollar shoes. “Ya know where I can buy a pair of shoes like that for $8.95?” “Boy, I bet this house musta cost—I dunno, hundred, what, hundred fifty thousand?” (ibidem)
[3] « Le ressort humoristique de Columbo repose sur la transplantation : le policier d’extraction modeste est envoyé dans un milieu qui n’est pas le sien, celui de la classe dominante, où son comportement gauche et décalé suscite moquerie ou consternation. L’inadaptation du personnage principal, sorti de son environnement familier pour un autre dont il ne maîtrise pas les codes, suscite donc l’amusement mais aussi la satire puisque chaque épisode s’achève sur le renversement du rapport de domination instauré au début de l’enquête » (L. Mathieu, 2019, Kindle)
[6] G. Grella, « The Hard-Boiled Detective Novel », in Robin E. Winks (ed.), Detective Fiction, Countryman Press, 1988: 112-3, 115
[7] Il s’agit, bien entendu, d’un des plus célèbres incipit du roman noir : « The main hallway of the Sternwood place was two stories high. Over the entrance doors, which would have let in a troop of Indian elephants, there was a broad stained-glass panel showing a knight in dark armor rescuing a lady who was tied to a tree and didn’t have any clothes on but some very long and convenient hair. The knight had pushed the vizor of his helmet back to be sociable, and he was fiddling with the knots on the ropes that tied the lady to the tree and not getting anywhere. I stood there and thought that if I lived in the house, I would sooner or later have to climb up there and help him. He didn’t seem to be really trying » (R. Chandler, The Big Sleep, NY, Black Lizard, 1992: 3 [1939]).
[8] Ibidem
[9] Cit in M. Dawidziak, 1989: 17
[10] L. Mathieu, 2019, Kindle
[11] Id, ibidem
[13] Greenfield, ibidem. L. Mathieu reprend aussi cette idée : « La réussite des personnages centraux de Columbo est dans bien des cas indue, ou entachée par une lourde faute. La figure, héroïsée dans la société américaine, du self-made man, de celui qui ne doit sa réussite qu’à ses propres talents et audaces, se trouve ainsi sérieusement écornée. La série semble de ce point de vue nous dire qu’un succès aussi éclatant et démesuré que celui de ses protagonistes n’est pas possible sans certaines compromissions ou écarts à la morale ou à la loi » (op. cit., éd. Kindle)
[14] La Comédie humaine, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976-1981, III: 151
[16] « L’incarnation du nouvel idéal du moi qu’ est le bonheur prive se trouve dans la figure de ce que Morin appelle les « olympiens >>. Il s’agit de personnes publiques a succès (stars, représentants monarchiques et dirigeants politiques, champions, mannequins, artistes) dont la vie publique et privée fait en permanence la une de la presse, sur le double registre d’un «idéal inimitable>> et d’un «modèle imitable>>, ( surhumains dans le rôle qu’ils incarnent, humains dans l’existence privée qu’ils vivent >> (L’esprit du temps: 145), ils « accomplissent les phantasmes que ne peuvent réaliser les mortels, mais appellent les mortels a réaliser l’imaginaire >> (p. 146). Figures du bonheur réalise, ils apparaissent comme des « modèles de vie >> dont « la surindividualisation est le ferment de l’individualité moderne >> (p. 148). Et c’est en cela qu’ils sont subversifs, en opposant aux anciennes normes du conformisme social la nouvelle normalité de l’ accomplissement de soi dans le bonheur, lorsque bénéficiant du « réalisme identificateur >> du «spectacle cinématographique >>, ils tendent à détrôner les anciens modèles (parents, éducateurs, héros nationaux >>’ p. 146). C’ est au fond cette ambivalence d’une nouvelle normalité subversive qui fait pour Morin la puissance de la culture de masse », E. Macé, “Éléments d’une sociologie contemporaine de la culture”, Hermès, 31, 2001: 244
[17] B. Tadié, Front criminel. Une histoire du polar américain de 1919 à nos jours, PUF, 2018, notamment ch. 3 : « Hollywood hard-boiled », pp. 85-114
[18] Cit in M. Dawidziak, 1989: 17
[19] Notre collègue et ami Sylvano Santini rappelait dans notre journée d’études « « Just one more thing » : les styles aberrants de Columbo », 13 nov. 2020 que Felix Guattari fait (pour le moins hâtivement) de « Colombo » (sic) une figure du micro-fascisme. « Deuxième cas : production d’un nouveau type d’équipement micro-répressif : le militant qui aime vraiment faire partie du service d’ordre de la Ligue communiste; le genre play-boy des nouveaux bureaucrates du PCF; ou encore le policier aux cheveux longs du quartier de la Huchette à Paris, ou le style “Colombo” [sic] de certains commissaires de police » (F. Guattari, Lignes de fuite. Pour un autre monde de possibles, Éditions de l’Aube, 2011: 145-146). Il s’agit là du prolongement philosophique du tropisme « anti-flic » dominant dans la culture de la contestation.
[20] Il y aurait, bien entendu, une étude à faire de cette figure de la « Women’s Lib » pathologisée (« Mrs. Williams, you have no conscience and that’s your weakness”, lui assène Columbo) et qui incarne, au guidon de son Model 36 Bonanza, une des mythologies les plus populaires de l’émancipation féminine qui ferait le succès, deux ans plus tard, du best-seller d’Erica Jong Fear of Flying. Symptomatiquement, c’est Columbo qui a ici peur de voler, dans une scène aux connotations explicitement sexuelles.
[21] La figure de l’adultère combien vieux moralisme et hantise de l’anomie sociale introduite par la Révolution Sexuelle. « Ce sont les adultères qui, de la manière la plus classique, sont à la source de bien des crimes. Le Dr Flemming (Inculpé de meurtre), le chef d’orchestre Alex Benedict (Symphonie en noir), l’entrepreneur Hayden Danziger (Eaux troubles, 1975)… sont conduits à assassiner qui leur épouse, qui leur maîtresse, pour préserver leur réputation et, souvent, leur fortune. Les femmes ne sont pas en reste : Kay Freestone tue son amant dans Meurtre parfait après qu’il lui a annoncé leur séparation, tout comme Lauren Stanton abat le sien dans Meurtre aux deux visages (1993) après avoir découvert qu’il la trompe avec sa propre fille », écrit L. Mathieu (op. cit, éd. Kindle) qui, néanmoins, n’évoque pas l’aspect moralisateur de cette critique des mœurs.
[22] Ironiquement, c’est l’aspect « sadique » du personnage qui est mis de l’avant dans le projet de « reboot » de la série par les réinventeurs de la figure de son rival aristocratique Sherlock Holmes : « But the one thing Columbo has to be is the most unprepossessing, seemingly unimpressive sadist you’ll ever meet. “All that ‘Oh, just one more thing’ stuff isn’t absent-mindedness. He’s such a sadist.” https://www.thesun.co.uk/tvandshowbiz/10384274/sherlock-creators-columbo-reboot-dark-sadist/. Outre le lien évident avec l’assombrissement (« darkification ») de la culture pop du nouveau millénaire, on voit bien que Columbo n’est pas une figure de la simple bonhommie.
[23] A. Domínguez Leiva, « Star Wars et la refondation du Space Opera (12) : De Skywalker à Reagan”, Popenstock, 15/08/2020
[24] Si Orwell ne définit jamais cette notion qui connait depuis quelque temps un retour en force, il souligne dans son Essai sur Dickens que « du point de vue marxiste ou fasciste, tout ce que défend Dickens peut être rejeté comme “mentalité bourgeoise”. Mais pour ce qui est de la morale, nul ne peut être plus “bourgeois” que les classes laborieuses britanniques. Les gens ordinaires dans les pays occidentaux ne sont jamais entrés, mentalement, dans le monde du “réalisme et de la politique du pouvoir”. Presque tout le monde, quelle que soit sa conduite effective, répond émotionnellement à l’idée de fraternité humaine, laquelle s’ancre dans la décence natale ou commune » (Essays, Londres, Penguin Books, 2000: 77).
[25] “I celebrate the late, great Peter Falk for his legendary “populist” characterization of Lt. Columbo, relentless nemesis to the Gucci’d “above the law” types who tried to use power and money to cavalierly escape responsibility for profound crimes against humankind” (E. Keyes, “Conjuring the Spirit of Columbo Against the High-Functioning, Sociopathic 1%”, Counterpunch, 11 juillet 2019)
[26] “Au risque de l’anachronisme, on peut poursuivre cette piste en affirmant que ces assassins appartiennent à ce 1 % de la population dont le mouvement Occupy Wall Street a récemment dénoncé l’accaparement illégitime de la richesse de la nation américaine. Le lieutenant Columbo, au train de vie modeste et aux moyens limités, apparaît bien comme le représentant de ces 99 % que son travail intègre ne met pas pour autant à l’abri du besoin” (L. Mathieu, op. cit., ibid)
S. Constant, Columbo ou la revanche du petit, Edilivre, 2017, éd. Kindle
M. Dawidziak, The Columbo Phile: A Casebook, Mysterious Press, 1989, Kindle
E. Mandel, Meurtres exquis, Montreuil, PEC-La Brèche, 1986
L. Mathieu, Columbo, la lutte des classes ce soir à la télé, Paris, Textuel, 2019, éd. Kindle
Leiva, Antonio (2020). « La formule Columbo (4) ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/la-formule-columbo-4-lideologeme-central], consulté le 2024-12-11.