Les vêtements de Sex and the City sont partie prenante de la série, devenant presque un personnage à part entière. Ils sont réellement une extension de chacun des quatre personnages principaux et, par le fait même, une affirmation d’elles. La costumière Patricia Fiel a fait de son travail un jeu et un plaisir, faisant des vêtements un des symboles de la série, comme en témoignent l’album Kiss and Tell ainsi que les extras de l’intégral de la série. Selon E. Morin, la mode, en occurrence celle des femmes, possède deux moteurs: «Le premier moteur de la mode est évidemment le besoin de changement à l’état pur (…) Le second moteur de la mode est le désir d’originalité personnelle (…) La mode se renouvelle aristocratiquement tandis qu’elle se diffuse démocratiquement1». Carrie et ses amies s’approprient la mode et en font un objet de pouvoir et de séduction. Elles s’expriment également à travers leurs vêtements et les laissent parfois parler à leur place. Certaines de leurs tenues sont complètement extravagantes, notamment dans le cas de Carrie et de Samantha. Leur style tombe parfois dans le carnavalesque, tant il paraît peu probable de s’habiller ainsi au quotidien. C’est notamment le cas avec les mélanges de tissus, de couleurs et de morceaux généralement pas portés ensemble.
Miranda, en tant qu’avocate, arbore un style plus sobre et sérieux quoiqu’élégant et Charlotte un style plus classique, laissant parfois transparaître l’allure d’une «fille parfaite». Il n’en reste pas moins que, tout au long des quatre-vingt-quatorze épisodes, aucune de ces femmes ne porte le même ensemble plus d’une fois. Un néophyte y verrait une marque de snobisme, alors qu’il s’agit d’un choix délibéré de la costumière. Les choix vestimentaires de Patricia Field sont donc esthétiques en premier lieu, pratiques et réalistes ensuite. Comme il est mentionné dans le DVD des extras, Fiel a souvent été accusé de donner une allure irréaliste aux protagonistes, puisqu’elles s’habillent souvent avec des morceaux signés et donc très dispendieux, trop pour le budget de Carrie, entre autres. Field répond qu’il n’est pas important de savoir comment les filles se procurent leurs vêtements, mais qu’il faut plutôt profiter du coup d’œil magistral qui est ainsi créé, une sorte de pornographie du vêtement, en somme. Fiel a donc réellement élevé son métier au niveau de l’art et son travail est désormais acclamé, bien que son style ne reflète pas toujours la réalité féminine.
Carrie aime profondément les vêtements. À de nombreuses reprises et ce, dans toutes les saisons, on la voie en train de magasiner, en vue d’une rencontre amoureuse, suite à une rupture, pour le plaisir, etc. Son style est imaginatif, très coloré et original. L’écrivaine ne s’impose aucune limite. Par exemple, dans «Unoriginal Sin», elle est désignée par Miranda comme marraine de son fils Brady. Carrie se présente à l’église avec une petite robe noire, mais l’attrait de son ensemble est une grosse fleur rose attachée à un bandeau noir qu’elle porte sur le devant de la tête. Dans l’épisode suivant, lors de son arrivée au casino d’Atlantic City, elle porte un chandail brillant avec des franges. Par ailleurs, son goût pour la mode se répercute également dans son domicile, alors que son espace est organisé en fonction de sa passion: «La penderie est un couloir pour se rendre à la salle de bain, parce que la chose la plus importante pour Carrie est ce qu’elle porte2». Carrie philosophe sur l’art du prêt-à-porter et elle est d’ailleurs une fine connaisseuse, puisque, dans la saison 4, elle est embauchée par le magazine Vogue.
Dans l’épisode «Cover Girl», le vêtement est particulièrement un thème important. En effet, Carrie se cherche un look pour la couverture de son livre (une compilation de ses chroniques dans le New York Star). Donc, ici, il y a un parallèle très important entre la personnalité de la protagoniste et ses vêtements. La couverture d’un livre étant souvent scrutée par les consommateurs, Carrie est consciente qu’elle doit choisir minutieusement l’image qu’elle veut afficher et qui parlera pour elle. Elle angoisse à cette idée et la maison d’édition qui publie son livre ne semble pas comprendre sa personnalité. Pour l’aider dans sa tâche, Samantha lui offre ses services gratuitement. Cependant, celle-ci traverse des moments difficiles et son jugement critique n’est pas le même qu’à l’ordinaire. Samantha propose un ensemble de plumes roses qui ne laisse pas beaucoup de place à l’imagination, ce qui déplaît à Carrie. Celle-ci est consciente de son âge (la trentaine avancée) et ne souhaite pas envoyer un mauvais message à ses lecteurs potentiels. Dans ce cas précis, mais aussi plus généralement, le vêtement doit donc être une source de confort et de bien-être, mais aussi être en mesure de séduire. Ce sont des valeurs féminines propres à la praxis culturelle de la femme moderne3, ce qu’incarnent les quatre personnages.
Même si le style de Charlotte est habituellement classique, elle aussi s’exprime par eux. Dans «Luck Be an Old Lady», c’est par le vêtement qu’elle choisit de changer sa vision des choses, de changer sa vie. Comme il a été montré plus haut, le divorce de Charlotte la laisse désabusée. Au début de l’épisode, elle est habillée à l’ancienne, comme une vieille fille: couleurs sombres, haut collet, souliers noirs fermés. Tout comme Carrie, elle n’ose plus aller de l’avant en amour, jusqu’à ce qu’elle se «reprenne en main». Contre toute attente, Charlotte se procure des vêtements à la boutique de l’hôtel du casino d’Atlantic City. Elle apparaît à ses amies avec une robe très suggestive que Miranda apparente à celle d’une travailleuse du sexe. Charlotte, par le biais de sa tenue, passe d’un trait de personnalité à un autre; par elle s’opère un changement drastique du point de vue du psychologique, qui la mènera vers une autre étape de sa vie. Il ne faut donc pas minimiser l’importance de la tenue vestimentaire des personnages, ceci en est un autre bon exemple. La série dépeint donc la réalité d’un monde où l’apparence, bien souvent, fait loi, surtout en ce qui concerne la gent féminine.
Toujours dans cet épisode, nous constatons comment Carrie, en spécialiste de la mode, fait un parallèle entre temps et vêtements. Pour ce personnage, les vêtements et les accessoires peuvent servir de marqueur de temporalité, tant elle s’y connaît dans le domaine. On le constate avec ses connaissances dans les chaussures, plus précisément celles du créateur Manolo Blahnik, dans d’autres épisodes, véritable héros de l’auteure. Aussi, un des éléments déclencheurs du voyage à Atlantic City est lorsque Carrie se rend compte que la dernière photo de ses trois amies prise ensemble est obsolète. En effet, elle peut en attester, puisque Miranda «porte un veston avec des épaulettes4». Ce détail démontre à quel point Carrie est attentive à la mode et qu’elle en connaît les ramifications sur le bout des doigts.
Bien que moins à l’affût de la mode que sa copine, les vêtements de Miranda ne sont pas désintéressants et moins significatifs pour autant. Dans la saison 5, elle vient d’accoucher et son code vestimentaire est donc altéré. Pendant son congé de maternité, seule époque depuis l’université où elle ne travaille pas, elle a clairement pris du poids. En tant que travailleuse compulsive, le refuge de Miranda, qui n’a pas l’habitude de ne pas travailler, est la nourriture. Dans les premiers épisodes de la saison, on la voit alors manger anormalement plus que dans les autres épisodes de la série. Forcément, donc, ses vêtements n’ont plus la même allure. Miranda est aussi moins bien apprêtée, moins coquette. Cependant, c’est rendre justice à la diversité des figures féminines que de ne pas seulement présenter des femmes minces et sans défaut. En présentant un personnage avec un surplus de poids, les créateurs de la série se sont montrés honnêtes envers la réalité. Par ailleurs, ils n’en font pas l’apologie non plus, puisque Miranda entame un régime chez Weight Watchers dans la saison 5.
Les créateurs de la série ont réellement tenu à ne pas montrer la femme uniquement sous son plus beau jour. Après Miranda, c’est aussi le cas avec Samantha. Dans «Cover Girl», on rit à couvert de la chirurgie esthétique. En effet, l’imposante Samantha reçoit régulièrement des injections de botox, contrairement à ses amies qui semblent ne pas utiliser ce genre de soin. L’homme que Samantha consulte (un médecin?) lui propose une nouvelle sorte de traitement pour rajeunir l’aspect de son visage: lui enlever une couche de peau, ce qui «la fera paraître de dix à vingt ans plus jeune5», selon les dires du médecin. Samantha accepte, puisque «comme la plupart des femmes de haut pouvoir, Samantha pouvait supporter le stress de son emploi, mais pas les lignes de stress6». Elle doit donc se présenter au lancement du livre de Carrie la peau complètement brûlée, ce qui lui confère une allure effrayante. Le scénario de l’épisode fait aussi référence à la trop grande consommation de botox de certaines personnes qui est susceptible d’empêcher le visage des montrer des émotions. C’est ici une critique humoristique vis-à-vis le très lucratif milieu de la chirurgie esthétique, surtout auprès des femmes.
La très populaire série Sex and the City scrute donc sous plusieurs aspects la condition de vie des femmes occidentales. Pour Edgar Morin, la femme est un personnage-clé dans la culture de masse dans laquelle «[l]a féminité succède au féminisme7». Il fait d’ailleurs référence aux magazines féminins après avoir calculé la place qu’occupent les centres d’intérêt principaux des femmes dans ceux-ci, les «ingrédients de la féminité moderne»:
– 25 à 40% pour le cœur– 22 à 30% pour la mode et la beauté– 13 à 30% pour les conseils pratiques– 6 à 8% pour les recettes de cuisine– 12 à 20% pour la culture8
Comme nous le voyons, la plupart de ces éléments sont présents dans Sex and the City, à la différence que les quatre femmes, sauf peut-être Charlotte, ne cuisinent pas vraiment beaucoup. En effet, tout comme le qualifie un des personnages gravitant autour de Carrie, la chronique hebdomadaire de l’auteure est en fait un «guide de survie» pour les femmes en général (et quelques hommes, bien sûr). Il en va de même avec la série, en adéquation parfaite avec les écrits de la New-Yorkaise.
Au début de la série, les quatre femmes sont sur le marché du travail, jusqu’à ce que Charlotte démissionne durant son premier mariage pour se consacrer à la maternité, alors qu’elle n’est pas encore enceinte. La carrière de Carrie, à cause du propos de l’émission, est certainement celle qui retient le plus l’attention. En effet, tout le scénario se base sur ses chroniques publiées dans le New York Star. L’auteure écrit la plupart de ses textes depuis son appartement ce qui, pour Lane, est significatif: «La chambre est un élément extrêmement polyvalent dans les écrits de femmes et semble être la pierre angulaire dans les discours féministes en général. Malgré tout, l’image de la chambre est aussi ambiguë. En tant qu’endroit clos, elle enferme et libère9». Dans chacune des chroniques de Carrie, l’auteure interroge les relations amoureuses et parle de son entourage avec, en premier plan, ses trois meilleures amies. Nous sommes donc en présence d’une mise en abyme habile, puisque chaque épisode est relié à une question à laquelle il tente de répondre pendant sa durée. Ainsi, du premier au cinquième épisode de la saison 5, les questions sont:
1. Lorsqu’il est question d’insouciance, avons-nous manqué le bateau?2. Y a-t-il du mal à croire?3. Si nous savons que la maison gagne toujours, pourquoi jouer?4. Devrions-nous juger un livre par sa couverture?5. Pourquoi est-ce que un moins un plus un fait sentir comme un zéro? 10
La carrière de Carrie est probablement la moins payante parmi les quatre femmes, et ce, malgré ses revenus supplémentaires en tant que pigiste pour le magazine Vogue. Jusqu’à la saison 4, Charlotte était gérante dans une galerie d’art, Miranda est partenaire dans une firme d’avocats et Samantha possède sa propre compagnie de relation publique.
Dans les épisodes «Cover Girl» et «Plus un est le chiffre le plus triste», c’est le succès dans la carrière de Carrie qui est en avant-plan et qui est célébré. Ses chroniques ayant beaucoup de succès, une maison d’édition s’y est intéressée afin d’en faire un livre. Dans un premier temps, dans «Un péché peu original», l’éditeur du New York Star tentait de parler à l’auteure pour lui annoncer la bonne nouvelle. Carrie, pensant qu’elle allait être virée, ne retournait pas ses appels. Dans cet épisode, elle semble désespérée, car elle croit avoir atteint le fond du baril et ne plus rien avoir à raconter. Ici, nous constatons à quel point Carrie a peu confiance en elle et ses écrits. Elle croit, en fait, être sur le point de tout perdre. Toujours dans cet épisode, après avoir été informée de la future publication, elle doit aussi écrire une introduction à son livre, à savoir si elle est optimiste face à l’amour ou non. Après réflexion et avec l’aide de son amie Charlotte, elle constate que oui, elle est toujours optimiste en amour. La carrière de Carrie est donc à la fois une passion, mais aussi, un fardeau. Cela sera d’autant plus visible à la toute fin de la série. Ainsi, dans les deux épisodes «Une Américaine à Paris», Carrie choisit de laisser tomber ses chroniques pour suivre Alexander Petrowski, son amant russe. Hasard ou non, c’est en laissant derrière elle son travail qu’elle parvient à trouver l’amour en la personne de Big qui vient la chercher. Les créateurs de la série laissent ainsi entendre que les textes de l’auteure dans les journaux et l’amour ne peuvent pas être conciliables. Autrement dit, une femme a souvent à choisir entre sa carrière et sa vie intime, à faire des compromis; tel est aussi le portrait de la femme moderne. D’ailleurs, la dernière question de ses chroniques est: «Est-il temps d’arrêter de se poser des questions? 11»
Pour en revenir aux épisodes de la saison 5, Carrie doit choisir une couverture, dans l’épisode «Cover Girl». Une fois encore, il y a méprise sur les textes de Carrie et sa personne: les deux femmes chargées du projet lui proposent une couverture où l’écrivaine court toute nue dans la ville. Cette anecdote met en lumière toute l’ambiguïté du personnage, sans cesse tiraillée en ce que les gens pensent d’elle et ce qu’elle est réellement. L’héroïne trouve finalement une couverture qui lui va, à la fin de l’épisode. Nous pouvons donc dire de Carrie qu’elle fait preuve d’une certaine dose de courage pour oser et écrire sur des thèmes souvent considérés comme choquants. Pour Edgar Morin, les femmes modernes prennent en charge plus de responsabilités qu’auparavant, ce qui dénote d’un comportement d’affirmation de soi: «L’autodétermination sociologique qu’acquiert la femme devient autodétermination psychologique. Sous les apparences féminines émergent des comportements autonomes et volontaires12».
Dans l’épisode suivant, c’est le lancement du livre. Samantha s’occupe d’organiser l’évènement sans frais pour son amie qui n’a pas les moyens de l’engager. La réception a tout d’une soirée chic et, aux dires de l’organisatrice, tout le gratin new-yorkais est présent. La carrière de Carrie atteint des sommets et, si on en croit la présence journalistique de la soirée, elle est devenue une figure hautement médiatisée. D’ailleurs, au cours de la série, de nombreuses personnes la reconnaissent grâce à la photographie qui accompagne chacune de ses chroniques. Cependant, lors du lancement, Carrie ne parvient pas à être tout à fait heureuse, car elle n’est pas accompagnée d’un amoureux. Lorsqu’elle part de la soirée, une voiture l’attend. La chauffeuse lui demande ce qui était célébré. En entendant les explications, elle se réjouit d’avoir à conduire une auteure et la narratrice se demande: «C’était extraordinaire. Pourquoi est-ce que j’avais besoin qu’une étrangère me le rappelle? 13». La conductrice l’emmène manger un hot-dog et le cuisinier la félicite à son tour et ne leur fait rien payer. Comme d’habitude, Carrie se montre extrêmement modeste face à son succès pourtant hors-norme. Il semble que le vide dans sa vie amoureuse lui pèse.
Malgré tout le succès de Carrie, Miranda est la plus carriériste: elle a terminé première lors de ses études de droit à Harvard. Elle tente avec de nombreux ratés de concilier le travail et la famille, malgré son emploi du temps chargé. Elle ne voulait d’abord pas d’enfant, mais elle s’est résiliée à cette réalité ce qui, d’ailleurs, a fait d’elle une femme plus heureuse. Cependant, son enfant ne lui suffit pas et il lui faut plus pour s’accomplir, ce qu’elle fait à travers son emploi, sa passion. À son retour au travail après son congé de maternité, la voix de la narratrice commente: «Miranda était de retour au travail et politiquement incorrectement contente d’être là6». La jeune femme a gagné durement sa liberté et son succès, qui est parfois difficilement conciliable avec l’amour, notamment avec Steve. Sa carrière d’avocate prospère est cependant encore parfois mal perçue. Ainsi, lorsque Miranda achète son luxueux appartement, «elle est immédiatement face à face avec des stéréotypes qu’elle doit outrepasser afin de fonctionner. (…) C’est le personnage de Miranda qui est le plus réticent à partager son espace14». Cette réticence pourrait être perçue comme de l’égoïsme, mais, en regardant attentivement la série, on comprend que l’avocate blindée qu’est Miranda est en fait sensible et son comportement doit plutôt être interprété comme un signe de protection.
Généralement malgré elles, les quatre femmes de Sex and the City font, à certains égards, la promotion du féminisme, mais pas dans le sens des décennies précédentes. Les luttes passées des féministes leur ont toutefois certainement permis d’occuper des postes où elles s’épanouissent. Cependant, de nos jours, il faut envisager le féminisme différemment:
À la différence des féministes qui sont passés avant eux, les partisans de la troisième vague n’ont jamais vécu dans un monde sans le mouvement des femmes. Au lieu de rejeter le féminisme non nécessaire et dépassé, comme plusieurs de leurs pairs, ce groupe de femmes a commencé à redéfinir le féminisme à partir des perspectives générationnelles. (…) Sex and the City propose que la représentation du féminisme a encore une fois servi à faire le portrait d’une société nouvelle et d’une réalité politique. Grandir avec les gains du mouvement féministe a décidément donné à une génération une perspective différente dans leur vie et dans leurs choix et, conséquemment, sur le féminisme qu’elles ont choisi de défendre.15
À travers leurs relations amoureuses, leur choix d’apparence physique et leur carrière, nous observons que Carrie et ses amies ne sont pas entièrement heureuses. Seule leur amitié les retient de tomber dans la tristesse et l’amertume. La série met donc en scène des femmes libérées et autonomes qui sont parvenues à se procurer une vie confortable par elles-mêmes, mais elles sont toujours à la recherche du bonheur. Quoi qu’il en soit de la psychologie des personnages, Sex and the City a, en tous les cas, visé dans le mile en faisant la promotion des valeurs féminines, comme tend à le faire la culture de masse en général. La série parvient à dépeindre les trois impératifs d’Edgar Morin du modèle de la femme moderne, c’est-à-dire séduire, aimer et vivre confortablement16. La série demeurera très informative quant à la condition féminine du début des années 2000 à New York et, par extension, en Occident en général. Plusieurs éléments dénotent de l’application des créateurs de la série de ne pas montrer qu’une réalité aseptisée: la série aurait pu être un hymne à la gloire des femmes riches et blanches, mais, ici, on va heureusement beaucoup plus loin. Si les relations amoureuses, les vêtements et le travail occupent une place importante dans ces créations, c’est surtout l’amitié qui est mise de l’avant. Entre leur pouvoir de séduction et leur pouvoir monétaire, les quatre personnages jonglent visiblement avec difficulté. On en sait très peu sur leurs familles respectives; leur mère respective, semble-t-il, n’a pu leur offrir qu’un modèle partiel, ce qui explique en partie la psychologie des personnages.
Les quatre femmes de la série Sex and the City, comme nous avons pu le voir, surfent sur une vague de féminisme, mais un féminisme qui se remet en question, tout comme les personnages eux-mêmes. Les militantes des années 60 ou les suffragettes ont pu penser que la liberté pour laquelle elles œuvraient serait des plus bénéfique, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Katryn Lane résume ainsi le phénomène: «La “troisième vague” du féminisme est prise entre les idéaux et la réalité. (…) La troisième vague féministe ne se bat pas pour les mêmes choses que sa sœur la deuxième vague l’a fait, mais les batailles auxquelles elle est confrontée font à la fois partie de la deuxième vague et de la sienne17». Bien sûr, Carrie et ses trois comparses se sentent souvent perdues par rapport aux choix qu’elles doivent faire, mais le plus complexe est sans doute la pression extérieure, les diktats patriarcaux du passé, pas si passés que ça, qui les poussent dans de mauvaises directions ou leur compliquent la vie. En fait, une femme éclairée ressent les pressions à la fois de l’intérieur d’elle-même et de l’extérieur, parfois, même, de ses amies intimes ou de ses proches. Pressions internes il y a, puisque se connaître n’est pas une chose aisée et qu’agir pour le mieux se complexifie alors. Se définir dans un monde qui file à folle allure, alors que les femmes ont été brimées si longtemps, est un défi sans cesse renouvelé. Dans ces circonstances, il est difficile de ne pas éprouver de la sympathie pour les protagonistes de Sex and the City, d’autant plus qu’elles usent de l’humour pour «faire passer la pilule». C’est par celui-ci que de nombreux éléments parmi les plus intéressants d’un point de vue sociologique ont pu être présentés au grand public.
1. Morin, op. cit., p. 166.
2. Kiss and tell, op. cit., p. 60
3. Morin, op. cit., p. 164.
4. Sex and the City. The Complete Series, épisode «Luck be an Old Lady», op. cit.
5. Sex and the City. The Complete Series, épisode «Cover Girl», op. cit.
7. Morin, ibid., p. 165.
8. Idem.
9. Lane, op. cit., p. 58.
10. 1. When it comes to be carefree girls, have we missed the boat? 2. What is the harm in believing? 3. If we know the house always win, why gamble? 4. Should you judge a book by its cover? 5. Why does one minus a plus one fell like it adds to zero?
11. Sex and the City. The Complete Series, épisode «Splat!», op. cit.
12. Morin, op. cit., p. 171.
13. Sex and the City. The Complete Series, épisode «Plus one is the loneliest number», op. cit.
14. Lane, op. cit., p. 92.
15. Ibid., p. 177.
16. Morin, op. cit., p. 170.
17. Lane, op. cit., p. 10.
LANE, Kathryn. More than Girl Talk: Situating Sex and the City in Feminist Conversation, thèse de doctorat, Université de Lafayette, Louisiane, 2009.
MORIN, Edgar. L’esprit du temps, Paris, Grasset, Le Livre de Poche, coll. Essais, 1975.
Sex and the City Transcripts. En ligne, consulté le 1er décembre 2012. [www.satctranscripts.com]
Sex and the City. The Complete Series (2005) (DVD) New York: HBO Videos. 20 DVD.
SOHN, Amy. Sex and the City. Kiss and Tell, New York, Pocket Book, 2002.
Grenon-Morin, Julie (2013). « La condition féminine dans «Sex and the City» (2) ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/la-condition-feminine-dans-sex-and-the-city-2], consulté le 2024-12-21.