«Je passais d’un show de téléréalité à un reportage sur la guerre quand les images se sont brouillées dans ma tête», affirme Suzanne Collins, évoquant l’origine de sa célèbre trilogie The Hunger Games. «J’ai vu des jeunes gens faire des choses inouïes pour de l’argent et d’autres en train de disputer une véritable guerre. Il y a un frisson de voyeurisme à voir des gens se faire humilier ou souffrir que je trouve très dérangeant. Cela désensibilise le public. Du coup, quand ils sont témoins d’une véritable tragédie -via les informations-, ça n’a pas l’impact que ça devrait avoir» (L’Express).
Outre l’effet de «suture» qu’opère ce montage mental, cette épiphanie heuristique se présente comme un pur moment critique de désaliénation par mise à distance du processus même de réception, le zapping, emblème et vecteur de l’iconosphère néobaroque. La collusion de la téléréalité (on peut aisément imaginer ici toute une lignée d’émissions qui annoncent les Jeux de la Faim, du Sasuke nippon à la franchise globalisée de Survivor) et de la guerre néo-impériale d’Irak [1] devient «l’eurêka» mythique de la création de l’univers de fiction.
Mais ce récit, aussi pertinent soit-il, permet aussi l’occultation des sources bien plus évidentes d’inspiration, qui remontent, outre Battle Royale (dont quantité de critiques sur le web et ailleurs considèrent que Hunger Games est un pur plagiat), à un topos bien connu de la SF moderne, celle des jeux mortels télévisés. Bien que Suzanne Collins dise ignorer tout de cette topique (!), il reste que ces fictions informent, volens nolens, l’univers des Jeux de la Faim, ne serait-ce que par la notion même de téléréalité, inventée un demi-siècle plus tôt par des satires dystopiques hantées par le spectre envahissant de la télévision. L’ouvrage qui consolida le trope (catalogué par TvTropes à l’enseigne du « Deadly Game » bien qu’il s’agisse ici d’une variante tout à fait spécifique, celle de la chasse à l’homme qui diffère de l’arène gladiatoriale classique) est la nouvelle de Robert Sheckley « Le prix du danger » (1958).
Dans cette satire féroce des jeux télévisés des fifties, le pauvre héros, figure du loser héritière du roman noir dont Sheckley n’est jamais éloigné, se voit conseillé par son ancien patron (qui voit en lui un « Américain moyen idéal ») de s’inscrire dans le jeu qui donne titre (comme les Hunger Games) à la nouvelle et qui exploite la légalisation de l’assistance au suicide. Il sera dès lors chassé impitoyablement dans la ville (véritable jungle urbaine aux accents hard-boiled) par le clan dégénéré des Thompson sous l’œil attentif des caméras. Monitorisé par un minuscule récepteur, il devra compter, pour survivre une semaine et toucher le « prix du danger », sur l’aide des « bons Samaritains » qui interviennent directement ou par le biais de la télé pour le guider. Mais il devra toutefois se méfier de leur antithèse, les délateurs qui signalent sa présence à ses chasseurs, rejouant le schéma actantiel greimasien des opposants et des adjuvants à la quête du héros [2].
Comme on a vu, « La septième victime » (Galaxy SF, avril 1953), présentait déjà un gigantesque jeu mortel dans une société où le meurtre est légalisé et soigneusement reglémenté. Si la chasse à l’homme, variation autour du thème sadien du « most dangerous game » introduit dans le film culte Les chasses du comte Zaroff [3], y est déjà érigée en principe unificateur et cathartique d’une société dystopique, le rôle des médias n’y est pas souligné.
Sheckley reprend cette vision dystopique cinq ans plus tard en lui ajoutant le motif décisif du jeu télévisuel qui parachevait la modernisation du paradigme cynégétique originaire. Entre temps, la paranoïa maccarthyste a finalement déclinée mais elle est depuis substituée par un autre malaise plus diffus dont témoigne la culture pop de l’époque.
« An action-packed suspense thriller… an acute satiric extrapolation of current trends in TV programing … a brief and bitter essay on man -Robert Sheckley has managed adroitly to write all three of these at once, in one of his most fot·ceful stories to date ”, lit-on dans l’exergue, soulignant les trois niveaux de sens auxquels le lecteur modèle devra être sensible (1953: 5) [4].
Le début in medias res nous confronte à une traque plus proche du roman noir que des incipit défamiliarisants dont la Science-fiction est coutumière: « Il y avait un tueur dans la ruelle et deux autres dans l’escalier. Il était pris au piège. Il était pratiquement mort » (1958 : 5). D’emblée le jeu onomastique fait de Jim Raeder un alter ego du Lecteur implicite, préfigurant son rôle d’Everyman emblématique (le Tout-Homme hérité des moralités allégoriques médiévales).
Contrairement à « La septième victime », l’introduction du « novum » défamiliarisant passe par une invention technologique. Mais au-delà de son aspect (pour l’époque) futuriste (la télé portative, dont le premier modèle sur le marché, le Panasonic IC TV MODEL TR-001, ne sortira sur le marché qu’en 1970), c’est le thème principal de la médiatisation intégrale de l’existence qui fait irruption :
« Il sortit de sa poche son minuscule poste de télévision. L’écran était brouillé, mais il ne s’attarda pas à mettre l’image au point. (…) Il écouta la voix bien modulée de Mike Terry qui s’adressait à son vaste public. «[…] Oui, mes amis, Jim Raeder se trouve dans une passe vraiment terrible. Il se cachait, vous vous en souvenez, dans un hôtel de troisième ordre de Broadway, sous un faux nom. Il semblait relativement en sécurité. Mais le groom l’a reconnu et a transmis le renseignement au gang Thompson (…) et maintenant il est pris au piège comme un rat ! Le gang Thompson défonce la porte ! (…) Notre équipe de cameramen, postée dans un immeuble voisin, vous donne un gros plan. Regardez, mes amis, regardez bien ! N’y a-t-il plus d’espoir pour Jim Raeder ? » (1958 : 6).
Ce commentaire « live » de la chasse à l’homme ajoute une dimension défamiliarisante à la situation angoissée du personnage principal. C’est justement là le sujet de l’illustration de la couverture du magazine, qui juxtapose visuellement la traque par les mystérieux « Men in Black » et les cameramen futuristes flottant au-dehors de la fenêtre.
À cela s’ajoute l’introduction d’un autre élément qui vient s’intégrer à notre « xéno-encyclopédie », celui des « Bons Samaritains », référent biblique inattendu dans ce contexte :
« Je reçois à l’instant un appel urgent d’un de nos spectateurs, un appel sur la ligne du Bon Samaritain ! Voici quelqu’un qui pense pouvoir vous aider, Jim. Allô, Jim Raeder, êtes-vous à l’écoute ? (…) Sauvez-vous ! hurlait Terry. Courez, Jim Raeder, courez. Fuyez maintenant, pendant que les tueurs sont aveuglés par la fumée. Et merci au Bon Samaritain Sarah Winters, du 3412 Edgar Street, Brockton, Massachussetts, pour avoir fait don de cinq bombes fumigènes et avoir engagé un homme pour les lancer ! (…) Vous avez sauvé une vie humaine, aujourd’hui, Mrs. Winters. Voulez-vous expliquer à nos spectateurs ce que…» (id : 6-7).
Cette étrange solidarité entièrement médiatisée transforme les coordonnés habituelles de la chasse à l’homme. Ce sera là un des thèmes de la nouvelle, le lien entre le « demos » et le nouveau médium télévisuel qui le spectacularise :
« C’était peut-être un piège. Mais Raeder savait, qu’il lui fallait faire confiance à la générosité et au bon cœur des gens, ses concitoyens. Il était leur représentant, une projection d’eux-mêmes, un citoyen moyen qui avait des ennuis. Sans eux, il était perdu. Avec eux, rien ne pouvait l’atteindre. « Fiez-vous aux braves gens, lui avait dit Mike Terry. Jamais le peuple ne vous abandonnera. » (id : 7).
Contrairement à la « Septième Victime », qui tirait sa force de la dépersonnalisation totale de Frelaine, dont le sadisme était d’autant plus inquiétant qu’il restait en tout point anodin, nous avons ici une amorce de « backstory », analepse explicative où l’on voit comment Raeder s’est rendu jusqu’à sa situation désespérée initiale. C’est donc son propre itinéraire, parodie du « cursus honorum » antique, et non l’origine de l’institution sociétale où il s’inscrit (comme c’était le cas pour la création du Bureau du Défoulement Émotionnel) qui tient lieu de récit explicatif.
L’analepse est introduite à la manière des romans et films noirs, dans un registre qui mêle onirisme, méditation mélancolique et remémoration [5]. Victime de sa médiocrité avant de l’être du programme télévisé lui-même, il est a priori beaucoup plus proche des « losers » du roman noir et de ses prolongements cinématographiques que ne l’était Frelaine :
« Pourquoi ne pas tenter ta chance dans un spectacle de télévision. Jim ? C’est ce que je ferais si j’avais ta figure. On aime les types sympathiques qui sont des hommes moyens sans grand-chose en poche. Comme participants. Tout le monde aime les gens comme ça. Pourquoi ne pas essayer ? » (id : 9).
Ce que confirme le propriétaire du magasin de télévision local, montrant le passage de ce qu’Edgar Morin appela « les Olympiens » dans son étude sur Les Stars (1957) à un autre type de célébrité, celle investie justement par le nouveau médium télévisuel [6] :
« Voyez-vous, Jim, le public est las des athlètes bien entraînés avec leurs réflexes parfaits et leur courage professionnel. Qui est-ce qui peut se faire de la bile pour des gars comme ça ? Qui peut s’identifier à eux ? Les gens veulent voir des spectacles sensationnels, bien sûr. Mais pas quand un type s’y taille un fromage de cinquante mille par an. Voilà pourquoi les sports organisés sont en discrédit. Voilà pourquoi les émissions à suspense ont la grande vogue (…). Vous n’avez rien de supérieur aux autres. Ce que vous pouvez faire, n’importe qui peut le faire à votre place. Vous êtes ordinaire. Je crois que les émissions à suspense vous engageraient » (id : 9)
Cette idée du « average American » est profondément associée au nouveau médium, aux antipodes de la glamourisation des stars du grand écran. C’est là un tournant qu’analysait au même moment Umberto Eco dans un texte savoureux de son Diario Minimo (1961) consacré à un célèbre présentateur télé italien, « Fenomenologia di Mike Bongiorno » :
« L’homme du circuit des médias de masse est, au fond, le plus respecté de tous ses semblables : on ne lui demande jamais de devenir autre chose que ce qu’il est déjà. En d’autres termes, il est provoqué par des désirs conçus en fonction de ses tendances. (…) La télévision ne propose pas, comme idéal auquel s’identifier, le surhomme mais l’homme ordinaire. La télévision présente l’homme absolument moyen comme l’idéal. (…) [L’idole y est] le présentateur, et parmi les présentateurs, le plus aimé et le plus célèbre sera précisément celui qui représente le mieux les personnages moyens : une beauté modeste, un sex-appeal limité, un goût discutable, une certaine inexpressivité casanière. (…). Le spectateur voit le portrait de ses propres limites glorifié et officiellement investi de l’autorité nationale » (éd. Kindle) [7].
D’où le caractère foncièrement populiste du spectacle dans la nouvelle : « Vous y arriverez, Jim. Rappelez-vous simplement ceci. Vous êtes le peuple, et le peuple peut tout faire », affirme Mr. Moulian, de la chaîne JBC. On reconnaît là le détournement du principe de la souveraineté populaire. Que celui-ci soit formulé par un membre de l’élite, provoquant même de la compassion de la part du loser (« La façon dont il dit ceci rendit pendant un instant Raeder plein de compassion pour Mr. Moulian, qui avait des cheveux noirs tout frisés et des yeux en boule de loto, et qui n’était manifestement pas le peuple ») ne peut être qu’ironique.
C’est que Mr. Moulian, et le texte avec lui, joue de l’ambivalence foncière du « peuple », tel que signalée par Agamben dans son court mais incisif texte « La double identité du peuple » : « un même mot recouvre aussi bien le sujet politique constitutif que la classe qui, de fait sinon de droit, est exclue de la politique ». Le « peuple » désigne, tant dans le langage courant que dans le vocabulaire politique, « aussi bien l’ensemble des citoyens en tant que corps politique unitaire (comme dans peuple italien ou dans juge populaire) que les membres des classes inférieures (comme dans homme du peuple, quartier populaire, front populaire) » (Libération, 11 février 1995). De là une « amphibologie inhérente à la nature et à la fonction du concept de peuple dans la politique occidentale » (ibid).
Le texte va être marqué par cette manipulation et, plus encore, par une ambivalence encore plus profonde au sein du « peuple », perverti par le sensationnalisme médiatique et une nouvelle forme de « biopolitique ». Celle-ci vient marquée par la légalisation du suicide, extension de l’éthos et de la rhétorique individualiste (et ironiquement, du « droit au bonheur » inscrit dans la Constitution des Founding Fathers). Ce « novum » de la nouvelle renvoie à un débat de société qui se posait déjà à l’époque : le 6 janvier 1949, l’Euthanasia Society of America avait présenté à l’assemblée législative de l’État de New York une pétition visant à légaliser l’euthanasie, vivement critiquée par les chefs religieux catholiques romains en ce qu’un tel projet de loi « légaliserait un pacte de suicide et d’assassinat », l’associant à l’eugénisme nazi [8].
Or, dans la logique perverse de la nouvelle, l’on passe aussitôt de l’euthanasie à une forme de suicide monétarisé (pendant du meurtre légalisé de « La septième victime »). La première étape est franchie par les sports violents :
« Il y a six ans, Jim, le Congrès a voté la loi sur le suicide librement consenti. Ces vieux sénateurs ont beaucoup parlé de libre arbitre et de déterminisme personnel à l’époque. Mais tout ça, c’est du bidon. Vous savez ce que signifiait cette loi, au fond ? Que les amateurs pouvaient risquer leur vie pour le gros lot, et plus seulement des professionnels. Autrefois, il fallait être boxeur, footballeur, joueur de hockey patenté si l’on voulait se faire assommer légalement [« if you wanted your brains beaten up legally » dans l’original] pour de l’argent. Mais maintenant c’est une chance qui est à la portée de n’importe qui, de gens comme vous, Jim » (id : 9).
Ironiquement, Raeder doit ainsi signer sa pleine acceptation de son éventuel « suicide » : « Puis Raeder signa un papier dégageant la JBC de toute responsabilité au cas où il perdrait sa vie, ses membres ou sa raison au cours de l’émission. Et il signa une autre formule, selon laquelle il exerçait ses droits reconnus par la loi sur le suicide librement consenti. C’était requis par la Constitution et ce n’était qu’une simple formalité » (id : 10).
Son « cursus honorum » dégradé et satirique commence par une variante des drag races, extrêmement populaires aux États-Unis depuis la formation par Wally Parks de la National Hot Rod Association (NHRA) en 1951 :
« Trois semaines plus tard, il parut dans Culbutes. Le programme adoptait la forme classique des courses d’automobiles. Des conducteurs inexpérimentés grimpaient dans de puissantes voitures de compétition de marque américaine et européenne et se lançaient sur un parcours meurtrier de trente kilomètres. (…) La course fut un cauchemar hurlant de pneus sur-chauffés. Raeder resta en arrière, laissant les coureurs de tête s’écraser dans les tournants en épingle à cheveux » (id : ibid).
L’on reconnaît là en germe les courses mortelles dont la science-fiction sera friande (avec notamment le film culte de Roger Corman Death Race 2000 sorti en 1975). Selon une progression continue dans le danger, on passe alors à une autre épreuve où la symbolique de l’identification au peuple (un peuple littéralement piégé) s’allie avec une sorte de métalepse brutale. En effet, l’on passe du régime de la représentation propre aux films d’aventures (où ce genre d’exploits sont routiniers) à celui de la participation (Raeder se trouvant projeté dans l’action):
« Au contraire des autres émissions, Crise n’avait pas un caractère compétitif. Son programme s’appuyait sur l’initiative individuelle. Raeder dut absorber un narcotique sans accoutumance. Il reprit ses esprits dans la carlingue d’un petit avion qui volait grâce à son pilote automatique à trois mille mètres d’altitude. (…) Il était censé faire atterrir l’avion. (…) Des milliers de téléspectateurs, fascinés, regardaient cet homme moyen, un homme comme eux, se débattre comme eux-mêmes se débattraient dans la même situation. Jim Raeder, c’était eux. Tout ce qu’il pouvait faire, eux pouvaient le faire. Il était l’incarnation du peuple. (…) Il sortit en chancelant de la carlingue avec deux côtes brisées, trois mille dollars et la chance, une fois guéri, de participer à Torero» (id : 11).
L’épreuve suivante marque la dégradation de l’exotisme de la « corrida » mise à la mode dans les pays anglophones par Hemingway dans Death in the Afternoon (1932) [9]. Le combat primordial chanté par le célèbre romancier devient un événement hypermédiatique grotesque[10]. De là on passe à une course au trésor qui parodie l’obsession des « animal attacks » popularisés par les « Men’s Adventure Magazines », alors au faîte de leur gloire. Des 180 numéros de Man’s Life parus entre 1952 et 1975, 27 couvertures présentent des attaques animales, la plupart ayant été publiées par Wil Hulsey entre 1955 et 1961. La plus connue reste celle qu’il fit pour l’édition de septembre 1956 avec l’illustration de “Weasels Ripped My Flesh”, titre devenu iconique du genre au complet depuis sa reprise par Frank Zappa et ses Mothers of Invention pour leur septième album (1970). Pour ce qui est des périls sous-marins évoqués dans la nouvelle, nous en trouvons une illustration particulièrement parlante dans le numéro de mai 1953, oeuvre de Leonard Steckler.
« Il parut donc dans Périls sous-marins, que patronnait le savon de la Belle Dame. Avec masque, réservoir d’oxygène, ceinture lestée, palmes et couteau, il plongea dans les eaux tièdes de la mer des Caraïbes avec quatre autres concurrents ; tous étaient suivis par une équipe de cameramen à l’intérieur d’une cage. (…) Les organisateurs avaient ajouté des fioritures pour l’agrément des spectateurs. La zone choisie était jonchée de palourdes géantes, de murènes, de requins de diverses espèces, de poulpes géants, de coraux empoisonnés et d’autres dangers des profondeurs » (id : 12).
Suit un combat qui pourrait préfigurer la célèbre bataille subaquatique de Thunderball (Terence Young, 1965), adaptée du roman éponyme (1961)[11]. Ici, toutefois, la scène est mi-burlesque mi-horrifique, multipliant les péripéties et les effets de « slapstick » macabre pour aboutir à un désenchantement radical de l’idée même du trésor, réduite à un simple savon (allusion aux multiples commanditaires producteurs de saponacés qui donnèrent même leur nom aux « soap operas » radiophoniques puis télévisuels) :
« Ce fut une compétition passionnante. Un Floridien découvrit le trésor dans une crevasse profonde, mais une murène le découvrit à son tour. Un autre plongeur prit le trésor, et un requin s’empara du plongeur. La belle eau bleu-vert fut obscurcie par un nuage de sang, qui rend très bien sur les écrans de télévision en couleurs. Le trésor coula au fond et Raeder plongea pour le rattraper, du même coup se crevant un tympan. (…) A dix mètres de la surface, il dut défendre le trésor contre un autre plongeur (…) et arracha le tube respiratoire de son adversaire. (…). [Il] présenta le trésor au bateau de surveillance. C’était un paquet de savon de la Belle Dame… « Le plus précieux trésor du monde » » (id : 12).
Le contraste entre la parole publicitaire et l’insignifiance de la marchandise à laquelle elle renvoie est d’autant plus absurde que trois hommes ont péri pour en faire la promotion. La nouvelle entre alors pleinement dans l’absurde. Suite à ce parcours du combattant télévisuel, Raeder se qualifie enfin pour « la plus importante des émissions à sensation, Le Prix du Danger ». Soit, la chasse à l’homme médiatisée :
« Si vous acceptez, Jim Raeder, vous serez un homme traqué pendant une semaine. Des tueurs vous suivront, Jim. Des professionnels, des hommes recherchés par la police pour d’autres crimes, à qui l’impunité a été accordée pour cet unique meurtre conformément à la loi sur le suicide librement consenti. Ils essaieront de vous tuer, Jim. Vous comprenez ? » (id : 16).
L’idée de faire de la télévision le vecteur d’une nouvelle barbarie médiatisée s’inscrivait clairement dans le discours social qui entourait ce mass média mal-aimé. Celui-ci avait, justement, réactivé le mythe du « panem et circenses » cher aux critiques de la culture populaire comme le montre Brantlinger dans son classique Bread and Circuses: Theories of Mass Culture as Social Decay (1983) :
“From its commercial beginnings in the late 1940s, television has been accused more often -and from more ideological perspectives- of causing cultural and political decadence than has any earlier communications medium. Whatever it broadcasts is apt to be interpreted as antithetical to high culture. It appears to be a sort of anticlassical apparatus for automatic barbarization; its characteristics of passive mass spectacle readily lend themselves to Roman analogizing. (…) Television, the most modern and apparently progressive piece of cultural equipment, seems also to be the most decadent. (…) Whether the blame falls on the cynicism and irresponsibility of the network managers or on the degraded cultural standards of the masses depends, of course, on the critic’ s ideological perspective”. (1983: 251-253).
Se référant au speech de Richard Nixon “Checkers” (1952), qui demandait aux téléspectateurs de voter s’ils voulaient qu’il reste à la tête du parti réublicain, Milton Shulman considéra qu’il s’agissait du “electronic equivalent of the mobs in the Roman Colosseum being asked to give a thumbs up or a thumbs down sign about the fate of an intended victim”, tandis que Sebastian de Grazia écrivait dans Of Time, Work, and Leisure (1962): “Easy Street might be something like ancient Rome at the time of the rise of the plebs urbana. The workers were a dedicated and skilled few-administrators, lawyers, artisans, merchants, inventors, and military officers. The plebs were those who had free time and the vote to insure their bread and circuses. The circuses, like TV, went on at all times of the day. We are the Romans of the modern world” (p. 330), unissant ainsi les deux hantises décadentes, celle du nouveau médium et de la Nation corrompue.
Les théories francfortiennes, obsédées par l’expérience du totalitarisme nazi, faisaient de la télévision le vecteur privilégié du modèle “hypodermique” du entertainment comme pure propagande…
« The Frankfurt Institute’ s analysis of the totalitarian tendencies of the “culture industry” seems especially relevant to television, partly because it is the mass medium that takes the abolition of the “aura” of older cultural forms to its farthest limits. Television like radio has also invaded that sanctuary of the potentially free individual, the home, monopolizing the communication channels even of privacy. And television has flooded its own channels with propaganda for consumerism, imperializing new psychic markets for the products of “late capitalism.” (…) This is of course the same pattern that Juvenal saw of past rights and responsibilities abandoned in favor of present appetites” (Brantlinger, 1983: 249).
C’est peut-être l’historien Erik Barnouw qui résume le mieux cette vision lorsqu’il écrit:
“The overwhelming absorption of tens of millions of mid-twentieth century Americans in football games and struggles against cattle rustlers [allusions aux nombreux westerns télévisés de l’époque] was a political achievement. Along with welfare legislation, it seemed an American equivalent of the Roman ‘bread and circuses.’ “(E. Barnouw, 1977: 367).
Or, parallèlement à ces critiques d’ensemble sur le médium de toutes les aliénations, émergeait un débat sur son contenu qui allait renforcer, si possible, les analogies avec le spectre honni (mais combien fascinant) du « panem et circenses » romain. Dans le sillage de la panique morale autour des comic books inaugurée par Fredric Wertham, le débat sur la violence télévisuelle agita les esprits dès le “First congressional hearings on violence in radio and television and its impact on children and youth”, tenu par le House Interstate and Foreign Commerce Subcommittee en juin 1952. Il fut suivi en 1954 par le Judiciary Subcommittee to Investigate Juvenile Delinquency on role of TV shows in youth crime, où intervient le Sénateur Estes Kefauver, qui avait déjà animé l’enquête du Sénat autour des comics…
Partant du vieux modèle mimétique de la violence (et à l’encontre de la théorie aristotélicienne de la catharsis), l’idée que la télévision installe une veritable pédagogie de la violence se fait jour, soulignant que celle-ci est présentée comme le moyen habituel de résoudre les conflits, jusque dans des shows aujourd’hui considérés bénins jusqu’à la plus totale platitude. Au moment où Sheckley publie sa nouvelle (1959), la National Association for Better Radio and Television (NAFBRAT) de Los Angeles commença à publier ses bulletins d’information trimestriels sur l’état de la télévision en tant que menace pour les enfants et la Nation : ils y dénoncent des séries télévisées tels que Lone Ranger (1949-1957)[12], Robin Hood (1955-1959) [13] , ou, comble de l’infamie, Superman (1952-1958)[14].
“Television was thus characterized as an electronic medium and purveyor of a “myth of a violent America,” by which children and teenagers learned violence and learned to appreciate violence for its efficiency in resolving social conflict”, résume Daniella Perry[15]. C’est dans ce paradigme que s’inscrit la satire sheckleyenne en imaginant le « prix du Danger », chasse à l’homme non seulement légalisée (comme c’était déjà le cas dans « La septième victime ») mais spectacularisée.
Hués par le public, les assassins sont à la fois des créatures d’abjection issues des romans et films noirs de l’époque et des vecteurs du nouvel entertainment :
« Jim Raeder, je vous présente vos futurs assassins ! » Le gang Thompson monta sur scène, hué par l’assistance. « Regardez-les, mes amis ! dit Mike Terry, avec un dégoût non dissimulé. Regardez-les ! Antisociaux, viciés jusqu’aux moelles, complètement amoraux. Ces hommes ne reconnaissent que les lois dénaturées des criminels, n’ont comme honneur que l’honneur du lâche tueur à gages. Ce sont des hommes condamnés, condamnés par notre société qui ne supportera pas longtemps leurs activités, des hommes voués à une mort prochaine et honteuse » (id : 16-17).
Là encore le présentateur fait preuve d’une totale hypocrisie. De fait, la défense des assassins renvoie à une nouvelle figure du Mal, qui n’est plus tant celle de l’altérité radicale mais plutôt, tel qu’Hannah Arendt allait le théoriser deux ans plus tard, celle de son absolue banalité :
« J’estime, déclara Claude Thompson d’une voix rauque, que nous ne sommes pas pires que les autres. Je veux dire, que les soldats dans une guerre ; eux aussi tuent. Et regardez toute la coule qu’il y a dans les syndicats et le gouvernement. Tout le monde tâche de faire son beurre. »
L’hypocrisie du présentateur s’étend bien entendu au populisme affiché par l’émission, qui, sous prétexte de mettre en scène une solidarité de classe, joue sur le voyeurisme et la pulsion de mort :
« Jim Raeder a combattu des taureaux sauvages… maintenant il lutte contre des chacals. C’est un homme moyen. Il incarne l’homme de la rue, le peuple qui triomphera à jamais de vous et des êtres de votre espèce. (…) Et une chose encore, reprit Terry d’un ton bas et prenant. Jim Raeder n’est pas seul. Tous les braves gens d’Amérique sont pour lui. Des Bons Samaritains aux quatre coins de notre grande nation sont prêts à l’aider. Sans armes, sans défense, Jim Raeder peut compter sur l’aide et le bon cœur du peuple, dont il est le représentant. Ne soyez donc pas si sûr de vous, Claude Thompson ! Les hommes de la rue sont pour Jim Raeder… et ils sont légion ! » (id : 17).
L’un des aspects les plus angoissants de la nouvelle, et de la catabase dégradée de Raeder, est justement l’a révélation de la banalité du mal qui s’étend au voyeurisme spectatorial:
« L’un des occupants de ces villas avait dû téléphoner au gang, car les tueurs n’étaient pas très loin derrière lui quand il atteignit le petit ravin tortueux. Ces braves gens tranquilles, bien élevés, respectueux des lois, ne voulaient pas qu’il s’en tirât, songea Raeder avec tristesse. Ils voulaient voir une mise à mort. Ou peut-être tenaient-ils simplement à le voir échapper de peu à la mort. Mais cela revenait au même » (id : 15).
De fait, la véritable identification du public s’opère non pas tant avec la survie de son prétendu représentant mais avec la pulsion de mort incarnée par les assassins :
« Tous ces braves gens bien normaux. N’avaient-ils pas dit qu’il était leur représentant ? N’avaient-ils pas juré de le protéger ? Mais non, ils le haïssaient. Pourquoi ne s’en était-il pas rendu compte ? Leur héros, c’était le tueur cynique au regard froid, Thompson, Al Capone, Billy le Kid, Lochinvar, le Cid, Cuchulain, l’homme sans craintes et sans espoirs humains. Ils le vénéraient, cet implacable tueur robot, et aspiraient à recevoir son coup de pied en pleine face » (id : 18).
On reconnait l’écho de la célèbre vaticination orwellienne : « Always there will be the intoxication of power, constantly increasing and constantly growing subtler. Always, at every moment, there will be the thrill of victory, the sensation of trampling on an enemy who is helpless. If you want a picture of the future, imagine a boot stamping on a human face— forever»[16]. Outre la dystopie ultime dont l’ombre plane sur toute la science-fiction d’après-guerre, Orwell avait réfléchi à la brutalisation des sociétés dans un essai moins connu mais tout aussi révélateur (dont l’influence se fait aussi sentir sur l’Océanie totalitaire du roman), « Raffles and Miss Blandish » (1944). Y revient justement, au détour d’une citation d’un roman de Hadley Chase, l’image de la botte :
« In another of Mr. Chase’s books, He Won’t Need It Now, the hero, who is intended to be a sympathetic and perhaps even noble character, is described as stamping on somebody’s face, and then, having crushed the man’s mouth in, grinding his heel round and round in it. Even when physical incidents of this kind are not occurring, the mental atmosphere of these books is always the same. Their whole theme is the struggle for power and the triumph of the strong over the weak. The big gangsters wipe out the little ones as mercilessly as a pike gobbling up the little fish in a pond; the police kill off the criminals as cruelly as the angler kills the pike. If ultimately one sides with the police against the gangsters, it is merely because they are better organized and more powerful, because, in fact, the law is a bigger racket than crime. Might is right: vae victis”[17]
Les joies sadiennes de la lecture de ces romans noirs sont magnifiées dans le spectacle du meurtre en direct imaginé par Sheckley. La frontière de la « mimesis » est franchie et l’on passe de la représentation (dont Orwell soulignait déjà les paradoxes, des soldats au front et des populations bombardées se prélassant de la lecture des massacres des gangsters) à la présentation de la violence documentée en temps réel.
La révélation existentialiste de la responsabilité du (anti)héros dans son « choix » vient de pair avec la critique explicite du système :
« Il avait choisi, se rappela-t-il. Lui seul était responsable. Le test psychologique l’avait prouvé. Mais, tout de même, quelle était la part de responsabilité des psychologues qui lui avaient fait subir le test ? Et de Mike Terry qui offrait tant d’argent à un homme pauvre ? La société avait tressé la corde et lui avait passé le nœud coulant, et lui se pendait avec en déclarant qu’il agissait librement. A qui la faute ? » (id : 17).
Comme dans « La Septième Victime », le seul rôle féminin d’importance évoque le spectre d’une Femme Fatale. En effet, alors qu’il croit avoir été sauvé in extremis par une séduisante « Bonne Samaritaine »[18], telle que le clame à tue-tête le présentateur[19], Janice Morraw est une agente de la chaîne qui ne songe qu’à faire grimper l’audimat :
« Je ne suis pas un Bon Samaritain. Je suis au service du réseau JBC. (…) Écoutez, Raeder, c’est une émission coûteuse. Il faut que nous donnions un bon spectacle. Si notre niveau baisse, nous nous retrouverons tous dans la rue à vendre des sucettes. Et vous ne nous êtes d’aucune aide (…) C’est vous qui avez choisi de risquer votre vie pour gagner de l’argent, mon vieux. Et une jolie somme ! Vous connaissiez le règlement. Ne jouez pas les pauvres petits garçons innocents qui se voient soudain aux prises avec le grand méchant loup. (…) Si vous êtes incapable de vivre, tâchez au moins de mourir en beauté » (id : 14-15).
L’ambiguïté sexuelle de la scène[20] montre, au-delà de l’emprise de la Femme Fatale, l’attirance envers les nouvelles célébrités cathodiques, soulignée ailleurs dans le texte[21]. Dans cet univers glacial, le recours à la prière est lui-même soumis aux impératifs du spectacle, dégradation ultime du sacré[22]. Significativement, l’enceinte de l’Église elle-même ne sert même plus de sanctuaire; c’est là qu’il est trahi par un enfant, comble de la perte de l’innocence qui est aussi celle de la Nation.
Mais c’est au moment où il perd tout espoir, symboliquement terré dans un tombeau (écho lointain de la taphophobie poesque?[23]), qu’il connaît une paradoxale délivrance. Alors que Thompson va enfin l’abattre, l’on apprend que le délai réglémentaire d’une semaine est passé et que Reader a gagné. C’est désormais la voix du présentateur qui prend le contrôle du récit et qui le mène jusqu’à sa chute finale :
« Il a gagné, mes amis ! Il a gagné ! criait Mike Terry. Regardez, regardez bien votre écran ! La police vient d’arriver. Ils emmènent les Thompson loin de leur victime… la victime qu’ils n’ont pas réussi à tuer. Et cela grâce à vous tous, Bons Samaritains d’Amérique. Voyez, mes amis, des mains attentives retirent Jim Raeder de la tombe creusée qui avait été son dernier refuge. Le Bon Samaritain Janice Morrow est là-bas. Serait-ce le début d’une idylle ? Jim paraît avoir perdu connaissance, mes amis, on lui administre un stimulant. Il a gagné deux cent mille dollars ! (…) JBC va faire appel aux meilleurs psychiatres et psychanalystes du pays. (…) Il doit guérir, mes amis. Car nous sommes tous solidaires de lui, n’est-ce pas ! »
Alors que la « Septième victime » reprenait la dialectique de la Femme Fatale et du « weak guy » chère aux films noirs, empreinte jusqu’à la chute finale du cynisme et du pessimisme propre au genre, ces éléments sont ici projetés sur le médium télévisuel lui-même, qui cumule lui aussi la fatalité et la séduction illusoire. Si Raeder a gagné le « prix du Danger » on devine qu’il a perdu définitivement sa santé mentale, tout comme le « peuple » sa « décence commune » (pour reprendre une autre notion orwellienne) et l’Amérique son humanité.
[1] Qui, contrairement à celle de Vietnam, n’a pas été télévisée, le «complexe militaro-médiatico-industriel» ayant compris que l’étalage des cadavres, nationaux ou ennemis, avait un pouvoir ingérable de démoralisation
[2] A.J. Greimas, « Éléments pour une théorie de l’interprétation du récit mythique », Communications, vol. 8, no 8, 1966
[3] V. dans ce même dossier « Le comte Zaroff, emblème sadien du pouvoir cynégétique », 30/03/2012 http://popenstock.ca/dossier/article/de-zaroff-panem-jalons-du-pouvoir-cynegetique-lecran
[4] Nous citons d’après les pages originales du Magazine of Fantasy & Science Fiction
[5] « Il se demanda rêveusement s’il échapperait à la mort. Ou bien était-il un cadavre astucieusement doté de mouvement, encore en circulation à cause de cette incompétence de la Mort ? (Mon cher, la mort est d’une lenteur, de nos jours ! Jim Raeder a marché pendant des heures après avoir succombé, et il a même répondu aux questions des gens avant d’être enterré décemment !) Les paupières de Raeder se soulevèrent brusquement. Il avait rêvé quelque chose… de désagréable. Il ne pouvait se rappeler ce que c’était. Il referma les yeux et se remémora, avec quelque surprise, une époque où il ne courait aucun danger. Cela remontait à deux ans. » (id, ibid)
[6] « À partir de 1955, certains caractères de la culture de masse changent ; on entre dans une troisième période. Le cinéma cesse d’être la clé de voûte de la culture de masse, qui perd son unité et devient polycentrique ». Parallèlement se produit ce qu’Edgar Morin nomme « la crise du bonheur » qui « commence à ronger la mythologie de la culture de masse autour des années soixante » : « La fonction intégratrice euphorisante de la culture de masse était essentiellement assurée par la mythologie de l’Olympe associée à celle du bonheur. La crise de l’Olympe et du bonheur perturbe cette fonction intégratrice, laquelle se transporte sur un plan nouveau : l’utopie concrète de masse remplace l’utopie olympienne » (E. Morin, art. « Culture de masse », Encyclopedia Universalis, éd. Électronique). La nouvelle de Sheckley transforme justement cette utopie en véritable dystopie.
[7] Eco voyait « le cas le plus frappant de réduction du surhomme à l’homme ordinaire » dans la figure du célèbre présentateur italien Mike Bongiorno : « Idolâtré par des millions de personnes, cet homme doit son succès au fait que dans chaque acte et chaque mot du personnage qu’il incarne devant les caméras de télévision transparaît une médiocrité absolue (c’est la seule vertu qu’il possède à un degré excédentaire) » (Diario Minimo [1961], éd. Kindle)
[8] « L’objectif ultime de la Société d’euthanasie repose sur le principe totalitaire selon lequel l’État est suprême et que l’individu n’a pas le droit de vivre si son maintien en vie constitue un fardeau ou une entrave pour l’État. Les nazis ont suivi ce principe et l’euthanasie obligatoire a été pratiquée dans le cadre de leur programme pendant la dernière guerre. Nous, citoyens américains de l’État de New York, devons nous poser cette question : “Allons-nous finir le travail d’Hitler ?” (Le révérend Robert E. McCormick, dans “Ministers Ask Mercy Killing”, The Moncton Transcript, 6 Janvier 1949)
[9] « Enfin une émission de premier ordre ! Torero donnait dix mille dollars. Tout ce qu’on avait à faire, c’était tuer un taureau noir de Miura avec une épée, comme un matador professionnel. La corrida eut lieu à Madrid, les courses de taureaux étant encore illégales aux États-Unis. Elle fut retransmise par tous les émetteurs de télévision du pays » (id : ibid).
[10]« Le dieu qui protège les fous et les enfants devait veiller, car l’épée s’enfonça comme une aiguille dans du beurre, et le taureau eut l’air surpris, le dévisagea avec ahurissement et s’effondra comme un ballon dégonflé » (id : 11-12).
[11] L’on sait comment la création d’Ian Fleming baignait justement dans ce même univers des « Men’s Adventure Magazines », qui s’empararèrent aussitôt du prototype bondien pour le décliner dans quantité de figures de « Danger Men ».
[12] “The masked man and his Indian companion always appear in the right spot to help the victimized fight the evil oppressors as plots involve much gunfire and fisticuffs” (NAFBRAT Quarterly, juin 1959)
[13] “Arrows are sent soaring and swords are unsheathed at the slightest provocation in defense of some poor person in danger… does not justify the morality of the outlaw’s actions, such as stealing, fighting with murderous weapons, kidnapping, etc.” (NAFBRAT QUarterly, été 1960=
[14] “The essence of Superman is that he is violent – to those whom he thinks deserve it. He is permitted to commit violence under the pretence [sic] of imposing punishment. He is immortal and has powers beyond any physical, natural, or religious law. Clark Kent as Superman shows up at just the right time and the right place to fight for “truth, justice, and the American Way”. There is no division between reality and fantasy. Crimes are solved because –and only because- a reporter can turn into a super-human investigator. Murder, kidnapping and other crimes make this an outstanding example of exploitation of children, serving them poison mental food, to make sales and money” (NAFBRAT Quarterly. Los Angeles, summer 1960, pp. 8-9
[15] D. Perry, “Television on Television Violence: Perspectives from the 70s and 90s”, publié en ligne sur Openvault https://openvault.wgbh.org/exhibits/television_violence/article
[16] G. Orwell, 1984, Harmondsworth: Penguin [1949] 1973: 214-5
[17] https://www.orwellfoundation.com/the-orwell-foundation/orwell/essays-and-other-works/raffles-and-miss-blandish/
[18] « La jeune femme avait une vingtaine d’années. Elle avait l’air intelligente, séduisante, inapprochable. Raeder remarqua qu’elle avait de jolis traits, un corps bien fait. Et il remarqua aussi qu’elle paraissait furieuse » (id : 14)
[19] « Le miracle s’est produit encore une fois ! s’écria Mike Terry d’une voix extatique. Jim Raeder vient d’être arraché à la mort, grâce au Bon Samaritain Janice Morrow, du 433 Lexington Avenue, New York City. Avez-vous jamais rien vu de pareil, mes amis ? De quelle façon magistrale Miss Morrow s’est lancée à travers une grêle de balles pour tirer Jim Raeder de ce pas mortel ! Nous interrogerons tout à l’heure Miss Morrow sur ses impressions » (id : 14)
[20] « Attendez. » Elle se pencha et l’embrassa sur la bouche. « Bonne chance, idiot. Téléphonez-moi si vous vous en tirez. » (id : 15)
[21] En effet, à chaque étape de son « cursus honorum », Raeder reçoit de plus en plus de lettres d’admiratrices et de propositions coquines (« Cela lui rapporta vingt-deux mille dollars en espèces et en nature, trois cent huit lettres d’admiratrices, et une proposition intéressante émanant d’une jeune fille de Macon [référence transformée par le traducteur français en Miami, ne trouvant sans doute pas la vénérable ville bourguignonne suffisamment excitante], qu’il ne trouva pas négligeable du tout », id : 12).
[22] « Il priait silencieusement, car le public n’aime pas l’ostentation religieuse. Mais ses lèvres remuaient. Cela, tout le monde en avait le droit. Et c’était une véritable prière. Une fois, un spectateur habitué à lire sur les lèvres avait découvert qu’un fugitif faisait semblant de prier, récitant en fait sa table de multiplication. Pas d’assistance à cet homme-là ! Raeder acheva sa prière » (id : 16).
[23] V. Salma Layouni, “Taphephobia in Edgar Allan Poe’s collection of gothic tales: a new historicist study of 19th century america’s most prevalent fear”, Master Université de Sousse 2013 en ligne
E. Barnouw, Tube of Plenty: The Evolution of American Television, London: Oxford University Press, 1977 [1975]
Patrick Brantlinger, Bread and Circuses: Theories of Mass Culture As Social Decay, Cornell University Press, 1983
Leiva, Antonio (2021). « La chasse à l’homme en prime time, généalogie d’un fantasme de l’âge électronique ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/la-chasse-a-lhomme-en-prime-time-genealogie-dun-fantasme-de-lage-electronique-1-le-prix-du-danger], consulté le 2024-12-11.