L’histoire commence avec l’image d’un château bien connu, mais différent. Il est suivi d’une ombre humanoïde, mais anguleuse et cornue. Dans la foule, les cornes se déplacent pour laisser apparaître la sorcière, souriante, parfaitement en contrôle de la situation alors que tout le monde la fixe, incrédule et effrayé, alors qu’elle fixe le roi, toujours tout sourire, s’exclamant «Well, well!» C’est alors que la voix éthérée s’immisce: «I know you, I walked with you once upon a dream». La chanson donne des frissons, nous la connaissons, pourtant, elle a changé, et tout comme le film, elle est devenue Maléfique.
La chanson-thème de la bande-annonce du film de Disney racontant l’histoire inédite de la sorcière de Sleeping Beauty, Maleficent est interprétée par Lana Del Rey. Le choix d’avoir Del Rey comme interprète n’aurait pu être plus efficace, parce que tout comme le film de Disney, celle qui est habituellement auteur-compositeur-interprète reprend ce qui est nous est connu, mais en expose le côté sombre, inexploré, pour ne pas dire unheimlich. Souvent critiquée pour ses chansons traitant de sujets difficiles, comme Ultraviolence, une pièce apparaissant sur son dernier album du même nom, dans laquelle certains ont vu une glorification de la violence conjugale et plus particulièrement de la violence envers les femmes, Del Rey n’est toutefois pas une artiste qui vise la provocation pure et simple. Son œuvre et son personnage sont typiquement américains, mais à travers la valorisation de symboles made in the USA (voire le plus caricatural made in America), tels que le Mountain Dew, les jeans, ou le American Dream lui-même, on voit apparaître une dimension critique, qui se rapproche de la contre-culture, dont la sensibilité et l’esthétique rappellent, à de nombreux égards, le romantisme. Nous étudierons les trois albums de Lana Del Rey, en mettant de côté ses nombreuses collaborations et productions précédentes faites sous d’autres noms d’artiste, afin de nous concentrer sur les traces du romantisme dans les chansons de cette artiste aux multiples personnalités.
Comme pour la plupart des courants littéraires, sinon tous, le romantisme, lorsqu’on s’y intéresse d’assez près pour aller lire des ouvrages à son sujet, est marqué par deux écoles de pensées majeures. D’un côté, on retrouve les critiques adeptes d’un point de vue cartésien de la littérature, qui confinent ce mouvement à «ses espoirs déçus, ses amours trompées, ses inquiétudes renouvelées» (Gonthier, 2001: 7), bref à une étude thématique d’un genre dont la classification première se ferait selon l’époque. Naturellement, d’autres critiques s’opposent formellement à cette classification, qu’ils jugent arbitraire, et revendiquent un romantisme qui serait global et qui perdurerait jusqu’à notre époque.
Sans vouloir trancher entre les deux types de propositions, nous sommes d’accord pour dire que le romantisme a été tellement majeur et influençant pendant le XIXe siècle qu’il est difficile d’en faire une définition complète et totale, surtout qu’il est lui-même grandement influencé par des courants le précédant, comme le roman courtois médiéval. Nous penchons plutôt pour dire que l’idée générale du romantisme a beaucoup changé avec le temps, en s’adaptant selon les époques, puisqu’il ne peut y avoir d’art sans contribution de l’âme humaine. Le romantisme est total et partout: il suffit de regarder aux nombreux ouvrages sur les romantismes (allemand, français, anglais, la liste est longue) qui clament tous avoir leurs propres spécificités. Nous pensons qu’il est toutefois nécessaire de rappeler différentes propositions qui ont été faites sur le romantisme à travers le temps, question de mieux les démolir plus tard. La définition proposée par le Robert va comme suit: «Mouvement de libération du moi, de l’art, qui, en France, s’est développé sous la Restauration et la Monarchie de juillet, par réaction contre la régularité classique et le rationalisme philosophique des siècles précédents» (2012: 2265). Cette définition, bien qu’assez précise quant à la naissance du mouvement, ne donne malheureusement pas de précision sur comment repérer une œuvre romantique, puisque tout ce qui est dit, c’est que ce mouvement s’opposerait à d’autres. D’un autre côté, nous avons retrouvé de nombreuses listes de critères de ce qui fait une œuvre romantique, exigeant que l’on y retrouve «le changement, la croissance, la diversité, l’imagination créatrice et l’inconscient» (Peckham, 1992: 11). Ces facteurs sont très larges, mais bien que l’on retienne généralement de nos recherches sur ce genre des artistes comme Victor Hugo, Honoré de Balzac et Caspar David Friedrich, nous remarquons qu’il est loin de se limiter uniquement au XIXe siècle. Nous voyons toutefois que le «romantisme représente une critique de la modernité, c’est-à-dire de la civilisation capitaliste moderne, au nom de valeurs et d’idéaux du passé» (Löwy et Sayre, 1992: 30), le romantisme serait donc fondamentalement nostalgique d’un «bon vieux temps» idéalisé, non corrompu, inatteignable et à la limite de l’irréel, tout en étant constamment habité par un certain «sentiment d’inquiétude né de la fuite du temps ou de son inégale intensité […] combattu par le désir de vivre pleinement par l’action ou par la jouissance» (Gengembre, 1995: 15). De plus, il mettrait au cœur de ses considérations les sensations éprouvées par le soi, et c’est l’individu même qui est la cause de son mal et de son désenchantement, puisque «l’on sent avec intensité l’exaspération du sentiment et de la sensation par cette contemplation cérébrale de soi» (Peyre, 1971: 124), causant une roue sans fin, où l’analyse de nos propres sentiments est nécessaire, mais cause fatalement notre perte. Le romantisme serait la recherche tragique et vaine d’un idéal perdu à jamais dans un monde dont les valeurs ont été contaminées, et quel meilleur endroit où trouver du romantisme contemporain qu’aux États-Unis, lieu de la fierté nationale universelle, voire totalitaire?
Si l’on se base sur le fait que le romantisme est avant tout un refus de la modernité, nous pouvons étendre cette définition à un refus de la contemporanéité. À la première écoute des chansons de Lana Del Rey, on remarque rapidement que celles-ci tournent presque toujours autour de la culture de masse américaine, particulièrement sur son premier album. Toutefois, bien que les textes de ces chansons puissent être vus comme des célébrations de cette culture, nous croyons que plusieurs éléments, à cause de leur accumulation, en ressortent pervertis et non pas consacrés. C’est le cas pour la figure de la «little red party dress», à laquelle Del Rey fait souvent référence tout au long de sa carrière. Alors que ce trope joue sur celui de la femme fatale, plus la chronologie avance, plus la personne portant la «red party dress» est déchue et en perte de contrôle. Sur l’album Born to Die, cette robe fait son apparition à trois reprises, soit dans les chansons «Off to the Races», «Carmen» et «Summertime Sadness». La première de ces chansons relate l’histoire d’une jeune femme ayant un passé sombre, mais qui est en quelque sorte entretenue par un homme plus âgé qu’elle ayant beaucoup d’argent. Cette femme utilise ses charmes pour lui soutirer de l’argent pour ensuite aller faire la fête loin de lui, jusqu’à ce qu’il revienne la chercher, aveuglé par son amour pour elle. Cette manipulatrice est parfaitement consciente du rôle qu’elle joue, puisqu’elle décrit son amant comme quelqu’un qui «Likes to watch me in the glass room bathroom, Chateau Marmont/Slippin’ on my red dress, puttin’ on my makeup/Glass film, perfume, cognac, lilac/Fumes, says it feels like heaven to him.» (Del Rey, 2012: «Off the Races») La robe rouge fait donc partie du subterfuge, du personnage que joue la narratrice lorsqu’elle souhaite charmer et soumettre son «old man» (Del Rey, 2012: «Off the Races») à sa volonté, terme ambigu puisqu’il est d’habitude utilisé pour parler d’un père plutôt qu’un conjoint. La robe est aussi un symbole de pouvoir, bien que la narratrice doive se soumettre à un jeu pour avoir de l’argent, puisqu’à la fin, le personnage masculin est totalement corrompu par elle et adopte son mode de vie. Dans «Summertime Sadness» et «Carmen», la robe rouge est également un symbole de pouvoir et de confiance, puisqu’elle est au cœur des rituels de beauté des personnages, faisant presque partie intégrante de leur personnalité: «I got my red dress on tonight/Dancing in the dark in the pale moonlight/Done my hair up real big beauty queen style/High heels off, I’m feeling alive» (Del Rey, 2012) annonce la narratrice de «Summertime Sadness». Dans «Carmen», la relation avec la robe est un peu différente, puisque d’un côté la chanson raconte l’histoire d’une jeune femme de 17 ans ayant un mode de vie destructif, qui répète à qui veut l’entendre «You don’t want to be like me/Looking for fun, getting high for free.”/I’m dying, I’m dying/She says, “You don’t want to get this way/Street walk at night, and a star by day.”/It’s tiring, tiring» (Del Rey, 2012).
D’un autre côté, lorsque Carmen est au plus bas de sa forme, lorsqu’elle réalise et accepte sa déchéance, c’est la robe qui la remet au centre des regards et lui redonne confiance en elle, même si c’est encore au cœur d’une situation potentiellement destructrice: «Relying on the kindness of strangers/Tying cherry knots, smiling, doing party favors/Put your red dress on, put your lipstick on/[…] And you’re alive again» (Del Rey, 2012: «Carmen»). Del Rey revient souvent, par la suite, sur l’archétype de la femme fatale dans sa robe rouge, mais plus la situation avance, plus les personnages donnent l’impression d’être déchus, condamnés à une situation médiocre. On ne retrouve même plus la maigre consolation dans l’illusion comme sur Born to Die, il ne reste que la décadence, comme le montre la chanson «Cruel World» sur l’album Ultraviolence, qui raconte l’histoire d’une rupture et du recours à différents artifices pour se convaincre que c’était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. La narratrice commence d’une façon plus positive lorsqu’elle dit «With my little red party dress on/Everybody knows that I’m the best, I’m crazy.» (Del Rey, 2014), mais rapidement, la situation se désagrège et la narratrice en vient à dire «With my little red party dress on/Everybody knows that I’m a mess, I’m crazy, yeah.» (Del Rey, 2014: «Cruel World») En ce sens, la chanson joue sur le double sens accordé à la folie, passagère ou permanente, et même sur la notion d’amour fou, puisqu’elle se termine sur le vers «Oh, oh, you’re crazy for me» (Del Rey, 2014: «Cruel World»). Dans «Cruel World», la robe rouge est portée comme dans les autres chansons, pour apporter force et réconfort, mais elle est inefficace devant la réalité qui doit être acceptée. Le trope de la femme fatale portant une robe rouge, totalement à l’opposé de la femme discrète de la petite robe noire européenne façon Chanel, est adopté par différents personnages, mais chacun se retrouve dans une prison qu’il a lui-même construite, partiellement à cause de cette fameuse robe. En quelque sorte, la robe rouge devient un catalyseur de la misère, puisqu’elle fait replonger Carmen dans son mode de vie de prostituée, la narratrice de «Off to the Races» dans un mode de vie nomade qu’on sent qu’il ne pourra pas durer et, dans le cas de «Summertime Sadness», un réconfort illusoire dans une dépression qui n’en finit plus.
Les personnages des chansons de Del Rey accordent des rôles spirituels à des aspects de la vie matérielle, et cette situation est vouée à l’échec puisque bien qu’en apparence ils apportent le succès immédiat, ils se désagrègent sur le long terme puisqu’ultimement, ils n’ont pas de valeur réelle, seulement une valeur passagère lorsqu’on y croit. C’est d’ailleurs ce qui arrive dans une chanson comme «Radio», où la narratrice trouve finalement l’amour juste parce qu’elle est célèbre, phrase qu’elle répète comme un mantra «Now my life is sweet like cinnamon/Like a fucking dream I’m living in/Baby love me ‘cause I’m playing on the radio/How do you like me now?» (Del Rey, 2012). Étrangement, bien qu’elle admet que la vie a toujours été dure envers elle, elle a finalement obtenu ce qu’elle voulait, soit la facilité et l’amour, mais répète tellement souvent «Baby love me ‘cause I’m playing on the radio» (Del Rey, 2012: «Radio») que l’on en vient à ne penser qu’à ce qui arrivera lorsque, fatalement, sa chanson ne jouera plus à la radio, et lorsqu’elle dit «I swore I’d chase until I was dead» (Del Rey, 2012: «Radio»), on imagine le pire. Le fait qu’elle soit finalement diffusée à la radio donne soudainement un sens à toute son existence précédent ce moment, comme si tous les sacrifices en avaient valu la peine et qu’ils étaient nécessaires. On ne sait toutefois pas tout ce qu’elle a fait pour arriver jusque-là, mais elle-même qualifie d’irréel ce qui lui arrive («like a fucking dream I’m living in» [Del Rey, 2012: «Radio»]). La radio apparaît donc comme un pouvoir salvateur et justificateur, puisque le simple fait de jouer à la radio donne le sens complet à une vie, même si on ne sait pas pour combien de temps ce rêve (américain) va durer. Elle ne veut pas être aimée pour qui elle est, mais pour la représentation d’elle-même. Il n’y a toutefois pas que les objets qui sont utilisés pour justifier l’existence, puisque Del Rey fait souvent référence à des figures importantes et autres personnalités ayant marqué l’imaginaire américain et entretenu le American Dream pendant de nombreuses années.
Cependant, ces figures, bien que cruciales dans la construction d’une identité américaine et faisant partie intégrante de l’Histoire, sont devenues tellement idéalisées que leur véritable histoire est occultée et remplacée par une idéalisation qui rend leur vie fatalement inatteignable. Dans la chanson «Body Electric», dans laquelle Del Rey répète le titre du poème bien connu de Walt Whitman, «I Sing the Body Electric», Del Rey fait un parallèle avec le poème original, où est célébré le rapport non seulement entre le corps et l’âme, mais aussi le pouvoir du corps pour relier les individus ensemble dans une célébration de la vie. Dans «Body Electric», l’ambiance est toutefois différente, et bien qu’il y ait célébration, la profonde nostalgie habitant chaque strophe contamine le côté positif et modifie l’impact général du texte. La première strophe est particulièrement éloquente à ce sujet: «Elvis is my daddy, Marilyn’s my mother/Jesus is my bestest friend/We don’t need nobody ’cause we got each other/Or at least I pretend.» (Del Rey, 2012) La narratrice se présente comme une sorte d’enfant prodige, fruit de l’union entre deux des plus grandes figures américaines, de plus, elle a la protection de l’ultime source de légitimité, la religion. Même si elle mène une existence en apparence parfaite (comment pourrait-il ne pas être le cas quand on a un bagage héréditaire tel que le sien?), la narratrice connaît la vérité, le vide, qui se cache derrière sa façade: «Mary prays the rosary for my broken mind/So don’t worry about» (Del Rey, 2012: «Body Electric») et rapidement la situation se désagrège, le portrait tombe. Elle admet son regret et sa solitude lorsqu’elle dit «My clothes still smell like you/And all the photographs say, that we’re still young/I pretend I’m not hurt/I go about the world like I’m havin’ fun.» (Del Rey, 2012: «Body Electric»). Encore une fois, c’est l’image qui domine l’essence de l’âme, et bien qu’elle essaie de se convaincre que la proximité avec les autres individus lui plaît, l’être avec qui elle a de vraies affinités est absent. L’héritage culturel n’est pas assez puisqu’elle n’est pas de la même essence, et à la fin, lorsque «Mary’s swayin’ softly, to her heart’s delight» (Del Rey, 2012: «Body Electric», plus personne n’est là pour sauver son âme sauf elle-même, alors elle continue répéter «I sing the body electric» (Del Rey, 2012: «Body Electric»), pour se convaincre de ce mensonge.
Les archétypes de la culture américaine, qu’ils soient des objets comme des vêtements ou la radio, ou encore des personnes marquantes comme Elvis et Marilyn Monroe forment un immense ensemble casse-tête de ce qu’est l’identité américaine, mais les personnages des chansons de Del Rey réalisent rapidement que le mode de vie de ces figures marquantes est idéalisé, loin de ce qui est possible d’atteindre dans le vrai monde, puisqu’ils appartiennent davantage au rêve. Une personne ne peut se limiter à ces idées qui lui ont pourtant été inculquées pendant toute son existence, parce que ce passé parfait est désormais révolu, la vie n’est plus aussi belle.
Nous avons mentionné dans notre approche du romantisme que celui-ci tournait autour de ce qui pourrait ressembler à un cercle vicieux, c’est-à-dire que l’analyse du sentiment du Soi est au cœur de la pensée romantique, mais que celle-ci pouvait nous plonger dans une nostalgie qui, finalement, aurait plutôt pour résultat de causer un mal du siècle, comme on l’appelait à l’époque, bref, un mal-être, une «nostalgie ontologique, désir de retrouver le domaine perdu de l’innocence, de se réintégrer» (Gengembre, 1995: 13) sans toutefois qu’un tel accomplissement soit possible. Cette quête, qui part d’une nostalgie innocente et se transforme insidieusement en mélancolie, est au cœur du rêve américain, puisque celui-ci est sensé donner des valeurs intemporelles qui, lorsqu’elles sont suivies, doivent naturellement fonctionner et apporter succès, comme dans l’idée du self-made-man, qui, bien qu’elle soit tout à fait légitime, devient malheureusement trop souvent le American way of life, une société de consommation vide, sans bases spirituelles concrètes, puisque même l’Église est contaminée par le processus.
Dans certaines chansons de Del Rey, les valeurs américaines typiques d’accomplissement dû au travail acharné ou encore de liberté par-dessus tout passent sous la douche froide de l’épreuve du temps. Del Rey explore ces valeurs en exposant leur deuxième côté, celui dont tout le monde se doute, mais qui est habituellement jalousement caché. Dans la chanson «American», on observe la rencontre amoureuse entre la narratrice et un jeune homme, auquel elle répète dans le refrain «Your skin so golden brown/Be young, be dope, be proud/Like an American» (Del Rey, 2012), célébrant sa beauté en l’associant au patriotisme. Toutefois, la relation est à double-face, puisque les deux personnages n’arrivent pas à se parler directement et ont besoin de façades, comme la drogue et les symboles culturels américains, pour arriver à communiquer, comme s’ils n’avaient pas d’identité propre. C’est le cas depuis le début de leur relation, alors que la chanson commence en disant «[…] Get down, get your crystal meth fit on/You were like, tall, tan, drivin’ around the city/Flirtin’ with the girls like, “You’re so pretty.”/”Springsteen is the king, don’t you think?”/I was like, “Hell yeah, that guy can sing.”» (Del Rey, 2012: «American»). Rapidement, la narratrice dévoile qu’elle s’intéresse à l’homme davantage à cause de sa réputation que pour lui-même, elle aime l’idée que cet homme représente, pas son identité. L’amour suscité par l’image du succès est une idée récurrente dans les chansons de Del Rey et on la retrouve aussi dans la chanson «National Anthem» où la façade devient carrément l’argent, American way of life par excellence: «Money is the anthem/Of success/So before we go out/What’s your address?/I’m your National Anthem/God, you’re so handsome/Take me to the Hamptons/Bugatti Veyron» (Del Rey, 2012). L’argent, qui devait, à la base, être un signe d’accomplissement et de finalité, devient plutôt un obstacle aux relations humaines qui sont à la base de la société, comme l’amour. En un sens, l’argent est une cause de destruction du soi.
Dans le processus de déconstruction de la fascination de l’argent et du mythe du self-made-man, Del Rey a aussi des chansons qui parlent du façonnement du succès, où, contrairement aux narratrices des deux dernières chansons, les personnages souhaitent désormais non pas profiter de quelqu’un qui a du succès, mais bien tout garder pour elles. C’est le cas, entre autres, des chansons «Money, Power, Glory» et «Fucked My Way Up to the Top» sur l’album Ultraviolence. Dans la première, la narratrice fait plusieurs affirmations qui confirment qu’elle est prête à tout sacrifier, même l’amour véritable, dans le but d’atteindre son rêve, qui donne son titre à la chanson. Alors que le succès fait partie intégrante de l’American Dream, Del Rey expose la lacune principale de ce rêve individuel, en utilisant comme prétexte la liberté, une autre valeur au cœur de la culture américaine pour légitimer ses actes, et s’affranchit de la religion au profit d’une vie matérielle: «You talk lots about God/Freedom comes from the call/But that’s not what this bitch wants/Not what I want at all/I want money, power and glory» (Del Rey, 2014: «Money, Power, Glory»). Contrairement à la chanson «National Anthem», où l’homme avait accumulé cette nouvelle trinité, l’homme religieux auquel s’adresse la narratrice de «Money, Power, Glory» ne peut intéresser totalement cette femme qui ne désire que «Dope and diamonds» (Del Rey, 2014). La narratrice s’expose donc comme véritable vampire, femme fatale qui ne souhaite que profiter des autres pour ses propres fins, qui sont les seules qui comptent. Dans la deuxième chanson, Del Rey utilise un motif qui est souvent vu pour parler des femmes qui arrivent à devenir célèbres, révélé par son titre «Fucked my Way Up to the Top». Le refrain de la chanson est assez éloquent avec son «I fucked my way up to the top/This is my show» (Del Rey, 2014). La narratrice juge sa méthode légitime, mais tente de rabaisser toutes celles autour d’elle qui tentent de faire la même chose, décriant leur pathétisme. Ainsi, la chanson est autour de «ce retour du moi, chargé d’être la mesure de toute chose» (Gengembre, 1995: 20), mais reste profondément ironique et sans issue, puisque «le moi se déchire, […] en proie à ses doutes, à ses angoisses, à ses désirs contradictoires» (Gengembre, 1995: 21). Autrement dit, cette méthode était bonne, mais seulement pour elle-même: les autres, s’ils sont jaloux ou mécontents, n’ont pas leur mot à dire. Cette chanson expose bien en quoi le rêve typiquement américain du succès, qui rend tous les moyens acceptables, déshumanise, voire change en monstre, quiconque tenterait de l’appliquer aveuglément. Elle dénonce aussi la fabrication de la célébrité, qui s’avère souvent vide de sens et qui n’est pas proportionnelle au talent.
Le mythe du self-made-man a conduit le rêve américain à celui de la frontière, concrétisé à l’époque de la conquête de l’Ouest. Ce mythe est au cœur de la culture américaine même aujourd’hui alors que le pays est depuis longtemps peuplé d’un océan à l’autre, et a été revisité de nombreuses façons, notamment avec la nostalgie des films de style western, qui ont rapidement migré, dans les années 1960, vers l’espace, «the final frontier», comme on pouvait l’entendre dans la populaire série Star Trek, dans laquelle le nom du vaisseau, le USS Enterprise fait aussi référence au navire marin américain du XVIIIe siècle. La frontière peut aussi être interprétée d’une façon plus personnelle que nationale, et c’est pourquoi le voyage, en particulier celui fait en automobile, est particulièrement populaire aux États-Unis, comme le prouvent des mouvements comme celui des hippies, dans leur fidèle Westfalia, ou encore celui des Beats, avec des œuvres marquantes comme celle de Jack Kerouac, On the Road. La frontière n’est plus seulement physique, elle est aussi à franchir au cœur de nous-mêmes. Le voyage comme quête d’une identité propre et d’une découverte de soi est, en ce sens, typiquement romantique, puisqu’il s’agit d’une «soif insatiable de ce qui est au-delà» (Peyre, 1971: 144), la recherche d’explorer tout ce qui est inconnu, mais qui mène, une fois terminée, au désenchantement: où aller, qu’explorer, une fois que tout a été exploré? Le voyage s’expose donc comme une fin en soi, un moment de recueillement, puisqu’il «procède tant d’un désir d’échapper à soi-même et à la société que de l’attrait pour l’exotisme et pour l’ailleurs. La découverte de paysages, de décors ou de types humains est dynamisée par […] le souhait d’être un autre» (Gengembre, 1995: 25), il est au cœur de la volonté de contrer la fuite du temps.
Le voyage, dans le cas qui nous intéresse, est surtout traité comme un élément permettant de saisir le moment présent, de profiter de la vie. Il devient, dans des chansons comme «Summertime Sadness», la source d’un plaisir divin et une raison d’être, puisqu’il apporte, l’espace d’un instant, une impression de liberté («Cruising down the coast goin’ ’bout 99/[…]I know if I go, I’ll die happy tonight» [Del Rey, 2012]). C’est aussi ce que l’on retrouve dans la célèbre chanson «Ride», qui parle du voyage à la fois comme épreuve, puisque le personnage incarné par Del Rey dans le vidéoclip, qui a été sur la route pendant longtemps, dit «I was in the winter of my life, and the men I met along the road were my only summer».
Le voyage est à la fois source d’ennui et de vide, mais les rencontres faites sur ce long chemin de solitude en valent la peine. La narratrice troque le voyage pour la simple route, pour le trajet lui-même pour fuir son existence de poète manquée n’ayant de place nulle part, associant son «I’ve been travelin’ too long» à un «I’ve been trying too hard». Lorsqu’elle part finalement, sa vie a soudain un sens: «I hear the birds on the summer breeze,/I drive fast, I am alone in midnight/[…]But I, I’ve got a war in my mind/So, I just ride, just ride». Rapidement, la situation, comme souvent dans les chansons de Del Rey, se désagrège. La narratrice devient obligée de faire de la route pour donner un sens à sa vie, disant «I’m tired of feeling like I’m fucking crazy/I’m tired of driving ’til I see stars in my eyes/It’s all I’ve got to keep myself sane, baby/So I just ride, I just ride», exposant le problème d’une telle situation: si le seul sens qu’elle a trouvé à son existence était à travers le voyage, ou plutôt la route, elle est dans l’impossibilité de s’arrêter, de se fixer quelque part. Elle est, en quelque sorte, emprisonnée par les grands espaces. Cette situation est toutefois perçue de manière assez positive, comme un destin qu’on embrasserait, comme le fait la narratrice à la fin du vidéoclip:
Every night I used to pray that I’d find my people, and finally I did on the open road. We had nothing to lose, nothing to gain, nothing we desired anymore, except to make our lives into a work of art. Live fast. Die young. Be wild. And have fun. I believe in the country America used to be. I believe in the person I want to become. I believe in the freedom of the open road. And my motto is the same as ever: “I believe in the kindness of strangers. And when I’m at war with myself I ride, I just ride.” (Del Rey, 2012: Vidéoclip «Ride»)
Mais cet apparent rapport positif contient une insidieuse idée, celle du «n’importe où sauf ici», comme si le voyage était avant tout une fuite de la réalité plutôt qu’une manière de la saisir. La route que la narratrice fait dans «Ride» n’apporte pas de solution à son problème, puisqu’elle a toujours les mêmes problèmes sur la route qu’avant. La seule différence est qu’elle n’a plus l’impression d’être seule, puisqu’elle a rencontré des gens qui avaient les mêmes problèmes qu’elle. Le mode de vie nomade qu’elle adopte est potentiellement dangereux, puisqu’elle ne connaît toujours pas ce que c’est d’avoir un foyer, et que la mélancolie a encore le dessus sur elle. De plus, l’auditoire ne peut s’empêcher de penser que, fatalement, elle ne pourra pas toujours vivre de cette manière, qu’un jour, elle n’aura plus nulle part où aller. En ce sens, la route sans fin est une aspiration inatteignable, une solution irréelle qui n’a d’autre choix que de décevoir, mais, qui, dans son réconfort momentané, demeure la meilleure solution. Le voyage sert, d’une certaine manière, à tenter de retrouver un foyer manquant, et lorsque Del Rey dit qu’elle croit au pays que les États-Unis étaient, elle confirme la quête romantique du paradis perdu, puisque «l’on désire ardemment retrouver son foyer, retourner dans la patrie, au sens spirituel […] Ce qui manque au présent existait auparavant» (Löwy et Sayre, 1992: 36). Le passé idéalisé devient une période sainte, où l’aliénation du présent n’avait pas encore fait des ravages. Dans la chanson «Yayo», Del Rey fait aussi l’apologie du voyage comme étant la seule solution possible, tout en confrontant l’auditeur à un certain malaise. La narratrice commence son discours sur la nécessité de la fuite en disant «You have to take me right now/From this dark trailer park life now» (Del Rey, 2012). Convaincue qu’elle n’a pas sa place dans cette vie qui ne va nulle part, ironiquement suggérée par le parc de maisons mobiles, qui, comme nous le savons, n’ont de mobile que le nom, elle tente de convaincre une figure masculine, qu’elle surnomme «daddy» (Del Rey, 2012), de l’emmener très loin et de refaire leur vie: «Put me onto your black motorcycle/50’s baby doll dress for my “I do”/It only takes two hours to Nevada/I wear your sparkle, you call me your mama» (Del Rey, 2012). Tout comme dans «Ride», elle propose un mode de vie nomade, puisque le paradis est «a tunnel lined/With yellow lights on a dark night» (Del Rey, 2012). Cette chanson devient un hymne à la quête d’un éternel recommencement, à celle d’une recherche d’une version sacrée du Soi dans l’atteinte d’une nouvelle frontière, dans «la dialectique de la contemplation et de l’évasion, qui vise l’unité perdue d’un mode primitif, glorieusement jeune et pur» (Gengembre, 1995: 25). Le mode de vie préconisé par les personnages de Del Rey est à la fois typique du mythe puritain de construction de l’Amérique, celui de quitter une situation sans issue dans l’espoir de trouver mieux, parce qu’on mérite mieux, mais aussi de l’idéologie romantique.
Ces mythes typiques de la culture américaine créent, dans leur sillon, des idées qui, si elles ne sont pas typiquement américaines dans leur essence, sont toutefois généralement abordées grâce à l’Americana, ressource ultime d’imaginaire dans l’œuvre de Del Rey. L’une de ces idées est celle de l’amour véritable, l’amour sacré qui devrait transcender l’existence humaine, mais qui, à cause de la corruption des temps présents, est voué à ne pas pouvoir s’accomplir. On se retrouve donc, dans les chansons de Del Rey, devant une représentation accablante de l’amour impossible qui reste toutefois glorifié par les personnages, qui, comme ils sont emprisonnés dans leur idéalisation de l’existence, sont incapables de passer à autre chose.
Dans la chanson «Video Games», on joue sur le double sens des vers «Open up a beer/And you say, “Get over here/And play a video game.”» (Del Rey, 2012) en ne sachant pas s’ils jouent réellement à un jeu vidéo ou s’il s’agit là d’une référence à leur relation, qui serait illusoire. Dans la chanson «Million Dollar Man», la narratrice se heurte à des rêves brisés quand elle réalise que la personne qu’elle aime est en fait un être vide: «One for the money, two for the show/I love you honey, I’m ready, I’m ready to go/How did you get that way? I don’t know/You’re screwed up and brilliant,/Look like a million dollar man/So why is my heart broke?» (Del Rey, 2012). La chanson fait évidemment référence à celle de Carl Perkins et popularisée par Elvis, «Blue Suede Shoes», où, finalement, la destinataire peut causer tous les préjudices imaginables au narrateur, mais elle ne doit pas abîmer les fameux souliers. Cela pourrait vouloir dire que la narratrice de la chanson de Del Rey est prête à accepter les mêmes conditions, ou encore qu’elle est prête à subir les sévices dont parle Perkins dans sa chanson. De plus, le rythme de la chanson de Del Rey est beaucoup plus lent que celui retrouvé dans la chanson rockabilly, portant à croire qu’il s’agit d’un pastiche, qui, à cause du temps, aurait perdu son âme.
L’emprisonnement d’un amour empoisonné est un trope récurrent. Outre les manifestations précédemment nommées, des chansons comme «Ultraviolence», «Dark Paradise» et «The Other Woman» traitent aussi de situations amoureuses difficiles, toutes différentes. Dans la première, la narratrice vit une situation de violence conjugale dans laquelle elle se complaît: «Jim told me that/He hit me and it felt like a kiss/Jim brought me back/Reminded me of when we were kids» (Del Rey, 2014: «Ultraviolence»). Ce passage fait écho à la chanson «He Hit Me (It Felt Like a Kiss)» du groupe des années 1960 The Crystals, où la situation est assez semblable: la femme avoue à sa fréquentation qu’elle a eu une aventure avec un autre homme, et se fait frapper, mais elle interprète cet acte de violence comme une réelle preuve d’amour et décide de rester dans cette relation. Le passage «reminded me of when we were kids» suggère que, soit la narratrice subi ce traitement depuis longtemps de la part de celui qu’elle aime, mais pourrait aussi sous-entendre que la narratrice vivait de la violence chez ses parents, puisque plus loin elle dit: «Jim raised me up/He hurt me but it felt like true love/Jim taught me that/Loving him was never enough» (Del Rey, 2014: «Ultraviolence»). En agissant comme ce qu’elle associe à une figure paternelle, Jim emprisonne la narratrice dans cette relation, mais c’est ce qu’elle choisit. Comme elle n’a jamais connu de véritable amour, un amour qui ne ferait pas mal, cette ultraviolence est, pour elle, l’amour ultime, même si ce n’est qu’illusion. La chanson «Dark Paradise», quant à elle, représente une autre sorte d’amour sans issue, mais parle plutôt que l’impossibilité de faire le deuil de la personne aimée, parce que «Loving you forever, can’t be wrong» (Del Rey, 2012). La narratrice réagit aux incitations de son entourage à passer à autre chose, faire son deuil et arrêter d’aimer une cause perdue en répondant «All my friends ask me why I stay strong/Tell ’em when you find true love it lives on/Ahhh, that’s why I stay here» (Del Rey, 2012: «Dark Paradise»), insistant sur l’idée que l’amour véritable ne peut mourir, que ce serait en quelque sorte une insulte à la personne aimée de l’oublier une fois qu’elle décède. La narratrice, incapable d’oublier la personne qui hante ses pensées et ses rêves, répète à de nombreuses reprises qu’elle a peur que l’autre ne l’attende pas «on the other side» (Del Rey, 2012: «Dark Paradise»), et qu’elle souhaite aller le rejoindre: «I don’t wanna wake up from this tonight» (Del Rey, 2012: «Dark Paradise»). L’amour vrai, dans cette situation, était la seule raison de vivre de la narratrice, et, cet amour disparu, la vie elle-même devient impossible, contre nature. La vie sans l’être aimé est aussi une réalité pour le personnage féminin de la chanson «The Other Woman», qui, bien qu’elle soit extrêmement belle, et que tous les aspects de sa vie lui réussissent, est dans l’impossibilité de conquérir totalement le cœur de celui dont elle est la maîtresse, la condamnant à «[…] always cry herself to sleep/The other woman will never have his love to keep/And as the years go by the other woman will spend her life alone, alone» (Del Rey, 2014). L’amour, même s’il est presque condamné à être sans issue, est la raison de vivre de ces personnages, qui ne peuvent se résoudre à l’abandonner, puisqu’il est la seule source de réconfort dans une vie autrement dépourvue de sens. La glorification d’un amour damné est une échappatoire typiquement romantique, puisqu’étant constamment à sa recherche, les personnages se négligent au point d’oublier de vivre, ou encore de souhaiter la mort.
La vie s’avère donc être une longue épreuve qui, si on lui enlève l’amour et ses mythes, est en quelque sorte dépourvue de sens. Vivre dans leur constante nostalgie, bien que potentiellement dangereux, devient la raison d’être des personnages de Lana Del Rey, qui courraient sans doute à leur perte s’ils n’avaient pas un regard particulier sur leur réalité, un regard qui donne un sens à une vie fondamentalement incomplète, mais dans laquelle ils arrivent à trouver une certaine réponse. En un sens, c’est l’âme qui triomphe de la réalité, la vie tragique devient une fin en soi et légitime l’existence des protagonistes. Ainsi, une chanson comme «Old Money», où la narratrice s’ennuie des «Blue hydrangea, cold cash, divine/Cashmere, cologne and white sunshine/Red racing cars, Sunset and Vine/The kids were young and pretty» (Del Rey, 2014), peut allier nostalgie et légitimation de la vie au présent, pourvu qu’elle se reconnaisse dans les valeurs consacrées. La narratrice tente de convaincre celui qu’elle aime de l’appeler à lui, comme si d’être ensemble était la seule solution à la fuite du temps. Elle dit «The power of youth is on my mind/Sunsets, small town, I’m out of time/Will you still love me when I shine/From words but not from beauty?» (Del Rey, 2014: «Old Money»). Cette fuite du temps, dont nous avons parlé plus tôt, est dans l’esprit, dans la communion de deux âmes qui, à travers une certaine forme d’art, dans ce cas-ci les mots, accéder à une existence pleine, grâce à l’esthétique.
Légitimer l’existence grâce à l’art revient dans d’autres chansons, dont dans les célèbres vers de «Gods and Monsters» où Del Rey clame que «Life imitates art» (Del Rey, 2012), et où elle fait des parallèles entre son existence et celle de l’icône Jim Morrison, en disant «Me and God, we don’t get along so now I sing/No one’s gonna take my soul away/I’m living like Jim Morrison» (Del Rey, 2012: «Gods and Monsters»). Dans ce passage, Del Rey souligne l’importance de ne pas se plier aux conventions, même si elles viennent d’une grande source de pouvoir, et que l’ultime réussite réside dans l’accomplissement de soi, dans la concrétisation de nos désirs afin de faire de notre vie une œuvre d’art, même si pour y parvenir il faut parfois accepter notre propre destruction. C’est par l’art que la vie prend son sens et que l’immortalité peut être atteinte.
Bien qu’il puisse sembler étrange d’associer Lana Del Rey à un courant artistique qui la précède théoriquement de plusieurs siècles, la mélancolie et la fascination pour le passé que l’on retrouve dans ses chansons, doublées par l’utilisation pervertie des mythes américains afin d’essayer de trouver un nouvel idéal où l’âme serait davantage mise en valeur, où la pureté des formes et des sentiments parviendrait à vaincre la corruption et le vide de son époque, traduit bien le fait que ce qu’on appelait le «mal du siècle» n’était pas uniquement propre à l’époque particulière qu’était le XIXe siècle, mais est plutôt un trait que l’on retrouve partout, et en particulier à notre époque. Ce qui aurait pu être, dans les chansons de Del Rey, une glorification banale de produits américains s’avère être davantage l’expression d’un malaise quant à l’identité personnelle et nationale, à la place qu’occupe l’individu dans une adversité montée de toutes pièces, où ce que l’on croyait être immuable et fiable devient source de désillusions et déception. Les chansons de Del Rey sont tragiquement belles, et conduisent dans une impasse alors qu’on se laisse doucement duper par cette voix enchanteresse jusque dans les tréfonds du vide de notre existence. Tout comme les personnages de ses chansons, celui qui les écoute se sait perdu, désespérément à la recherche d’un Ailleurs qui ne peut être atteint que par l’art.
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