J’errais entre les milliers de titres du Salon du livre de Montréal, à la recherche d’un sujet pour pop-en-stock. Complètement dépassé par le cauchemar climatisé ambiant, je ne trouvais rien de croustillant, ou peut-être j’en trouvais trop, je ne sais plus. Mes yeux se desséchaient à une vitesse inquiétante. Et je ne pouvais tout de même pas faire une entrevue avec Samuel Archibald! L’autoréférentialité a une limite, me disais-je. Quoique pas toujours, notamment pour les séries télévisées.
Voilà comment j’en suis arrivé à affiner ma recherche. J’enquêtais sur les récentes publications portant sur les séries télévisées quand je suis tombé par un hasard qui s’explique sur une table ronde intitulée «Pourquoi les séries télé nous fascinent tant?» Synchronicité jungienne ou coup de théâtre? Peu importe, mon sujet m’avait trouvé avant que je le trouve.
En fait, il s’agissait d’une discussion avec l’écrivain-essayiste-médecin-sériephile Martin Winckler animé par nul autre que Jean-Batiste Jeangène Vimer, entre autres codirecteur de la nouvelle collection «Les séries ont maintenant leur série» publiée aux PUF (Presses universitaires de France).
Avec une approche plus historiciste et sociocritique, combinée à une passion pour le conte, Winckler a expliqué la fascination naturelle de l’Homme pour le sériel. En reprenant la réponse qu’avancent les psychologues et critiques littéraires «évolutionnistes» (darwiniens), Winckler soutient que les premières séries sont apparues avec le langage. Du langage imagé de l’art pariétal au langage filmique; des fresques de chasse de la grotte de Lascaux aux scènes de barbarie de Game of Thrones, l’Homme a toujours raconté. D’abord dans une optique de transmission du savoir, puis dans une volonté de divertir, les histoires sérielles peuplent et expliquent (à échelle variable) nos expériences de la vie. Autour d’un feu ou devant l’écran, nous regardons et «accompagnons» des personnages sur une période tellement longue qu’ils finissent par habiter notre quotidien. C’est précisément ce qui différencie les fictions non sérielles dont l’univers se clôt à la fin de l’œuvre, livre ou film. Dans la série, tout reste ouvert.
Winckler a aussi parlé de la mémoire. Les Grecs de l’Antiquité, par exemple, possédaient une mémoire phénoménale due aux innombrables histoires mythologiques qu’ils devaient sans cesse répéter. Maintenant, nous avons Wikipédia. Reste que le sériel est un véritable exercice mémoriel. C’est d’ailleurs le propre du fan-geek que de corriger le néophyte sur la couleur des souliers de Han Solo. Ou encore de savoir qui a couché avec qui dans True Blood. Ou plus simplement, de discuter de la névrose carriériste de Don Draper dans Mad Men.
Dans son fascinant Petit éloge des séries télé, fraîchement publié, Winckler poursuit en affirmant le caractère quasi infini et continuellement en mouvement de l’univers sériel:
Si chaque roman est une planète, chaque ensemble romanesque un système stellaire, alors les œuvres proches sont des constellations, des galaxies et le lecteur qui en a lu beaucoup peut, de leur agencement, de leurs positions respectives, déduire un réseau de relations et un ensemble de force –tout comme les astrophysiciens ont fini, après s’être focalisés sur les astres et leurs mouvements, par déduire l’existence de la matière sombre qui les unit et les maintient en mouvement. Il en va de même pour le cinéma, le théâtre, la bande dessinée… et les séries. Aucune production n’apparaît au hasard; toutes s’inscrivent dans des mouvements de création difficiles à appréhender depuis la France, mais néanmoins identifiables. [Martin Winckler, p. 32]
Ayant «la même fonction de préparation et de réparation que les films et romans» [M. Winckler, p. 99], mais étant souvent plus proches de «notre manière de vivre: par la durée et le rythme» et davantage diffusées, les séries télés peuvent avoir un impact collectif majeur sur la culture d’une société donnée. Il est donc impératif, dans cet univers aux limites inconnues, d’avoir certains guides pour analyser, critiquer, transmettre ou encore faire l’éloge de tout ce que les séries télévisées ont eu et continuent à dire.
C’est précisément ce que la collection «Les séries ont maintenant leur série» s’évertue à faire. Aussi bien aux sériphiles chevronnés qu’aux êtres normaux qui gobent en moyenne six heures de téléinternet par jour, je recommande vivement et les livres de cette collection et le petit éloge de Winkcler.
Ouvrages cités
Martin Winkcler, Petite éloge des séries télé, Paris, Gallimard, Coll. « Folio », 2012, 128p.
La collection «Les séries ont maintenant leur série».