Pour Warshow, le premier théoricien du genre (The Gangster As Tragic Hero, 1948), le gangster incarne le revers du Rève Américain, «le Non au Grand Oui Américain qui est imprimé partout dans notre culture officielle et qui pourtant a si peu à voir avec la façon dont nous nous sentons véritablement à propos de nos vies». Archétype du Self-made Man, le gangster transforme en cauchemar le rêve du bonheur chiffré dans le succès, qui voudrait éclipser l’horizon tragique de l’expérience américaine, finit par tourner les individus les uns envers les autres et génère son propre revers, «un sens de désespoir et d’inévitable échec».
Le gangster devient alors la figure qui permet de dire ce dilemme insoluble au coeur de la psyché collective, réinventant le tragique à partir des contradictions du capitalisme. D’où la nécessité de sa mise à mort pathétique, à la croisée de l’hybris, du Destin et de l’expiation. Comme le baiser final de la comédie romantique ou le départ du cowboy dans l’horizon, le gangster qui agonise dans le ruiseau rétablit l’équilibre social, mis en branle par son individualité hypertrophique. Le sacrifice du gangster comme bouc émissaire, nécessaire à la catharsis du Système en un ultime déplacement idéologique de l’origine du conflit social (occultant la logique de la guerre des classes en une pathologie marginale de la Volonté de pouvoir dévoyée). Dès lors ce qui est occulté dans la figure du gangster, c’est bel et bien les «conditions réelles d’existence», les relations entre les forces de production (C. Eckert).
Écoutez ici l’analyse de Antonio Dominguez Leiva pour l’émission «Plus on est de fous plus on lit» sur les ondes de ICI Radio-Canada Première.