-APPEL À CONTRIBUTIONS-
« Les mèmes numériques : formes, figures, fonctions »
Un ouvrage collectif à paraître dans la collection « Pop-en-stock » des Éditions de Ta Mère sous la direction de Gabriel Tremblay-Gaudette (Ta Mère/UQÀM) et de Stéphane Girard (Université de Hearst).
Dans son acceptation large, qui est celle de Richard Dawkins (The Selfish Gene, 1976), le mème, mot-valise combinant « gène » et « mimésis », renvoie à une unité d’information se propageant (comme son corolaire biologique, le gène) d’une personne à l’autre et qui devient un véritable phénomène social. En ce sens, une recette de sauté de crevettes à l’ail, une expression populaire comme « OK Boomer », l’idée même de Dieu ou une comptine seraient des mèmes : leur itération par imitation en vient à prendre une place dans la sémiosphèse (Lotman, 1999) en obéissant à une logique de propagation virale. Dans son acceptation restreinte (proposée par Mike Godwin en 1994 dans un article pour Wired) en phase avec sa réalité contemporaine et numérique, la notion de mème renvoie cette fois plus précisément à des productions plurisémiotiques (généralement iconotextuelles et parfois sonores) qui sont créées, partagées, imitées et transformées sur le Web. Plusieurs études de langue anglaise se sont déjà penchées sur l’étude de ces œuvres mémétiques : voir notamment Brodie (1996), Blackmore (2003), Lynch (2008), Wasik (2009), Tyler (2011) ou Marwick (2013). Par le recueil, cette fois en langue française, que nous nous proposons d’ajouter à cette liste, nous aimerions entreprendre à la fois une synthèse des réflexions (scientifiques et académiques autant que journalistiques et essayistiques) qui se sont faites à ce jour sur le sujet et aborder de nouvelles avenues d’analyse du phénomène.
Jusqu’à maintenant, la plupart des spécialistes du mème numérique se sont surtout intéressé·e·s à ses dimensions politiques et plus généralement participatives. C’est le cas, notable, de Shifman (2014), mais aussi, à sa suite, de Milner (dont les analyses portent principalement sur les mèmes contestataires : féministes, « black lives matter », « occupy Wall Street », etc. [2016]), de Piata (2016), de Pronovost (pour qui « les citoyens sont aujourd’hui de plus en plus invités à participer non seulement aux campagnes électorales, mais aussi à la production de l’information sur l’actualité politique » [2016, p. 7]), ou de Huntington (2017), par exemple. Cela dit, on se doit de considérer tout à la fois la création et la circulation des mèmes numériques comme faisant partie intégrante des processus de production de soi impliqués dans les échanges sur le Web 2.0 (Perraton, Kane et Dumain, 2012; Bonenfant et Perraton, 2015) ainsi que la manière dont, de par leur emploi réitéré, ils en viennent à façonner le discours social et colporter des idéologies et axiologies les sous-tendant (ce dont rend compte un article de Gal, Shifman et Kampf, notamment [2016]). Ce faisant, cette même circulation vient s’insérer à même de nouveaux usages conversationnels et communicationnels dont les composante linguistiques, sémiotiques, pragmatiques, voire psychologiques restent pour l’essentiel à formaliser (idée que des propositions récentes de Baril Guérard [2019], McCulloch [2019] Berthiaume [2019] ou Morin [2020] effleurent également). Du reste, une étude plastique et iconique du mème – à savoir, un examen de ses formes de compositions visuelles et de leurs évolutions – pourrait constituer une piste d’étude fructueuse.
Dans le cadre de ce recueil, nous appréhenderons ainsi les mèmes numériques en fonction d’angles variés, soit dans le cadre de réflexions théoriques, soit par des analyses de cas détaillées. Les corpus à l’étude pourront être formés de mèmes d’origine québécoise (créés ou partagés notamment par Fruiter, Les hommes tristes du Québec fort dans un Canada uni, Mèmes Gastro-entérite, OD Conneries, Thug Life Quebec, Le Revoir, Gym Memes Québec, Québec Insolite, etc.) ou internationale (pensons aux mèmes célèbres comme Philosoraptor, Woman Yellling at a Cat, Distracted Boyfriend, Surprised Pikachu, Pepe the Frog, Eye Rolling Robert Downey Jr., Spider Man Pointing at Spider Man, Grumpy Cat, etc. : les possibilités sont, bien évidemment, foisonnantes et pléthoriques).
Chercheuses et chercheurs d’horizons disciplinaires variés sont ainsi invité·e·s à contribuer en fonction de problématiques originales et pertinentes. Les trois grands axes que l’on cherchera toutefois à privilégier ici seront les suivants :
• Formes des mèmes : comment se déploient les mèmes ? Quelles en sont les composantes formelles récurrentes? Quelles en sont les origines (matériau de base et site de publication initiale) ? Comment sont-ils combinés, modifiés et détournés ?
• Figures des mèmes : qu’est-ce qui, dans une image, serait caractéristique de son potentiel à la méméfication ? Par l’intermédiaire de quels processus certains mèmes en viennent-ils à être « institutionnalisés » (notamment par leur inclusion dans l’encyclopédie en ligne Know Your Meme, leur reconnaissance par le Centre d’observation de la mémétique ou leur diffusion dans le cadre d’un festival comme CringeCité) ? Autrement dit, comment – et pourquoi – acquièrent-ils notoriété et légitimité ?
• Fonctions des mèmes : quels sont les usages conversationnels, culturels et politiques des mèmes ? Dans quels contextes sont-ils employés, par qui, et à quels escients ? Comment peut-on en mesurer la portée et la durabilité ? Quels rôles jouent-ils à la fois dans la construction numérique du soi en ligne (leur dimension subjective), dans leur pouvoir d’évocation rhétorique (leur dimension discursive) ainsi que dans la formation de communautés (leur dimension sociale) ?
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Modalités de présentation des propositions d’article
Les propositions de contribution, d’une longueur maximale de 500 mots et accompagnées d’une courte notice biobibliographique, doivent être envoyées exclusivement en fichier « .pdf » à Gabriel Gaudette-Tremblay (ggaudette@tamere.org) et à Stéphane Girard (stephane_girard@uhearst.ca) avant le 1er juin 2020.
Les directeurs contacteront dans un délai de six semaines les contributrices et contributeurs dont les propositions auront été retenues afin de leur expliquer les démarches à suivre et les consignes rédactionnelles. Les contributions complètes, à remettre avant le 1er janvier 2021, seront ensuite soumises à des évaluations à l’aveugle par un comité de pairs, et celles retenues seront incluses dans un ouvrage collectif à être publié dans la collection « Pop-en-stock » aux Éditions de Ta Mère en 2022.
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Références
BARIL GUÉRARD, Jean-Philippe. 2019. « Ne sous-estimez pas le pouvoir des mèmes ». L’actualité, juillet. En ligne : https://lactualite.com/societe/ne-sous-estimez-pas-le-pouvoir-des-memes.
BERTHIAUME, Jean-Michel. 2019. « Les mèmes devraient enseignés dans les cours de littérature ». Urbania, rubrique « Culture », 5 avril. En ligne : https://urbania.ca/article/les-memes-devraient-etre-enseignes-dans-les-cours-de-litterature.
BLACKMORE, Susan. 2003. The Meme Machine. Oxford: Oxford Paperbacks.
BONENFANT, Maude et Charles Perraton (dir.). 2015. Identité et multiplicité en ligne. Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. « Cahiers du gerse ».
BRODIE, Richard. 1996. Virus of the Mind. The New Science of the Meme. New York: Hay House.
DAWKINS, Richard. 1976. The Selfish Gene. Oxford: Oxford University Press.
GAL, Noam, SHIFMAN, Limor et KAMPF, Zohar. 2016. « “It Gets Better”: Internet memes and the construction of collective identity ». New Media & Society, vol. 18, no 8. En ligne : https://doi.org/10.1177/1461444814568784.
GODWIN, Mike. 1994. « Meme, Counter-Meme ». Wired, 1er octobre. En ligne : https://www.wired.com/1994/10/godwin-if-2.
HUNTINGTON, Heidi E. 2017. « The Affect and Effect of Interne Memes: Assessing Perceptions and Influence of Online User-Generated Political Discourse as Media », thèse de doctorat, Colorado State University.
LOTMAN, Youri. 1999. La sémiosphère. Limoges : Presses Universitaires de Limoges.
LYNCH, Aaron. 2008. Thought Contagion. How Beliefs Spread Through Society: The New Science of Memes. New York: Basic Books.
MARWICK, Alice. 2013. « Memes». Contexts, vol. 12, no 4, 15 novembre. En ligne : https://doi.org/10.1177/1536504213511210.
McGULLOCH, Gretchen. 2019. Because Internet. Understanding How Language is Changing. Londres: Harvill Secker.
MILNER, Ryan M.. 2016. The World Made Meme. Public Conversations and Participatory Media. Cambridge: The MIT Press.
MORIN, Rose-Aimée Automne T. 2020. « Pourquoi les mèmes sur la Troisième Guerre mondiale sont-ils bons pour nous ? ». Urbania, rubrique « Technologie », 10 janvier. En ligne : https://urbania.ca/article/pourquoi-les-memes-sur-la-troisieme-guerre-mondiale-sont-ils-bons-pour-nous.
PERRATON, Charles, Oumar Kane et Fabien Dumain (dir.). 2012. Mobilisation de l’objet technique dans la production de soi. Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. « Cahiers du gerse ».
PIATA, Anna. 2016. « When metaphor becomes a joke: Metaphor journeys from political ads to internet memes ». Journal of Pragmatics, vol. 106, décembre. En ligne : DOI: 10.1016/j.pragma.2016.10.003.
PRONOVOST, Maxime. 2016. « Les mèmes internet politiques : dénonciation, citoyenneté digitale et transformation de l’engagement politique », mémoire de maîtrise, Université du Québec à Trois-Rivières.
SHIFMAN, Limor. 2014. Memes in Digital Culture. Cambridge: The MIT Press.
TYLER, Tim. 2011. Memetics: Memes and the Science of Cultural Evolution. New York: CreateSpace Independent Publishing Platform.
WASIK, Bill. 2009. And Then There’s This. How Stories Live and Die in Viral Culture. New York: Penguin Books.
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Responsables
Gabriel Gaudette-Tremblay (ggaudette@tamere.org)
Stéphane Girard (stephane_girard@uhearst.ca)