Dans le cadre du colloque Femmes ingouvernables: Repenser l’irrévérence féminine, Vicky Bertrand, Marie-Anick Blais, Catherine Chabot, Sarah Laurendeau et Marie-Noëlle Voisin ont présenté un extrait de la pièce Table rase. Cette création collective, mise en scène par Brigitte Poupart et produite par Transthéâtre a été présentée au théâtre Espace libre à l’hiver 2015 puis en reprise en janvier 2017. La projection a été suivie d’une discussion animée par Samuel Archibald et portant sur la conception de la pièce, l’interprétation du texte et les enjeux de mise en scène.
CATHERINE CHABOT (C.C.)
Pour vous mettre en contexte nous on pète, on rote, on fume, on se saoule la gueule, on parle de nos anus, on parle de nos vulves, de nos vagins, on les commente, on les encense, et puis on s’aime beaucoup, puis tout ça dans la vraie vie et sur scène. C’est un spectacle qui comporte toutes ces grandes thématiques.
SARAH LAURENDEAU (S.L)
Donc on est six filles. Il y a Rose-Anne Déry qui ne pouvait pas être avec nous aujourd’hui et Brigitte Poupart qui s’est ajoutée au projet en tant que metteure en scène et qui a aussi nourri la création. On a terminé le Conservatoire entre 2011 et 2014 à Montréal puis on s’est rassemblées dans le désir de créer. On a présenté cette création collective dans un premier temps sous forme de laboratoire à Zone Homa qui est un événement estival à la Maison de la Culture Maisonneuve. On a travaillé pendant un an pour présenter ça puis après, on l’a peaufiné pour présenter un spectacle final à l’Espace Libre, l’an dernier. On a fait salle comble donc on va le reprendre du 10 au 21 janvier pour 10 représentations. Ce qu’on va vous présenter aujourd’hui c’est un extrait du spectacle d’environ 15-20 minutes. On est à la moitié du spectacle. Six amies se sont réunies dans un chalet pour accompagner l’une d’entre elles qui est atteinte d’une maladie incurable, décide de s’enlever la vie. Le personnage de Rose-Anne est médecin et supervise un peu…
C.C.
… l’injection de la dose létale.
S.L.
Dans la pièce, les filles font table rase de leur passé pour s’affranchir de leurs oppressions et pour se créer autres.
VICKY BERTRAND (V.B.)
Ça va commencer juste après un moment où les filles se sont toutes dit qu’est-ce qu’elles ont fait pour faire table rase, de quoi elles se sont débarrassées, si elles ont laissé leur chum ou vendu leur maison.
Extrait du spectacle lors du colloque
SAMUEL ARCHIBALD (S.A.)
Merci beaucoup d’être là. Il y a quelque chose d’abord que je me demandais par rapport à la mise en scène, l’idée de scène divisée en deux déjà fait que la distance n’est pas «normale;». Dépendamment d’où on est assis on voit des nuques, on voit des faces, pas nécessairement celle de la personne qui parle. D’où est parti cette idée-là de faire participer comme ça? Il y a quelque chose de fascinant. Ce n’est pas vraiment du réalisme. Plus je regardais l’extrait, plus je me disais que ça a pas l’air joué, dans le sens où ça a l’air joué et écrit à un autre niveau, d’une certaine façon dont je me demandais d’où c’était parti. Et aussi, on attribuait le texte à Catherine, mais avec le collectif, avec Brigitte donc d’où c’est parti ce travail-là?
MARIE-NOËLLE VOISIN (M.N.V.)
Je pense que ça part de l’écriture, un souci d’hyperréalisme. Tout ça a commencé avec des séances d’improvisation dans lesquelles Catherine recueillait les anecdotes, les confidences de tout le monde. C’est un peu comme ça que le corps du texte est né. Brigitte nous a donné l’idée du bifrontal et en discutant d’une scénographie, on a sorti des images de table, de femmes assises à des tables et puis l’idée d’avoir une grosse table centrale avec plein de nourriture nous est venue.
S.L.
On aimait l’idée de pouvoir jouer de dos par moment.
C.C.
Au début le spectacle s’appelait Discussion de filles parce qu’on enregistrait nos conversations, on faisait des improvisations, on creusait nos personnages. On a tiré les traits de chacune d’entre nous et on les a vraiment magnifiés, grossis, théâtralisés, mais ça part essentiellement de nos énergies, de nos considérations et de nos enjeux surtout. On est vraiment dans la confidence là-dedans et on se livre. C’est vraiment, à quelques histoires près, pas mal ce qui nous est arrivé dans la vie.
S.L.
Des fois, c’est au travers de quelqu’un d’autre.
M.N.V.
Oui qu’on s’est approprié.
C.C.
Exact. Marie-Noëlle n’est pas vraiment anorexique-boulimique, j’ai été anorexique-boulimique.
M.N.V.
Mais puisque j’ai un casting d’anorexique-boulimique…
C.C.
… de grande mince, c’était comme facile. Donc, c’est parti de trucs très ancrés dans la réalité. On voulait que les spectateurs aient l’impression d’être voyeurs, qu’ils aient l’impression d’assister à quelque chose qui se passe seulement derrière le trou de la serrure. Aussi, le bifrontal donne vraiment l’impression d’assister à une intimité particulière parce que c’est une soirée de filles comme on les entend. Beaucoup de filles peuvent s’associer aux différents personnages et au type de beuverie que ça implique. Mais il y a comme un gros enjeu aussi là-dedans qui est la mort du personnage de Marie-Anick.
V.B.
C’est pas qu’une simple soirée de filles, c’est une soirée de filles fois mille parce qu’il y a cet enjeu grave qui fait qu’elles vont aller au bout de tout.
C.C.
C’est pour ça que les filles font table rase. Elles veulent accompagner leur amie jusqu’à la mort, faire table rase jusqu’à la mort, se débarrasser de tout, comme un acte de foi.
UNE PARTICIPANTE
C’est comme une cérémonie en fait.
C.C.
Oui exactement.
V.B.
Retrouver le sacré qu’on a perdu, tout ce qu’on connaît c’est…
C.C.
… C’est boire, se conter des anecdotes, chanter, se montrer nos boules. C’est quoi les rituels qu’on a? On cherchait. On n’en a pas.
V.B.
On a inséré aussi quelques petites actions, rituels qui veulent dire de quoi pour ces filles-là, des trucs de leur enfance. Au début, on brûle une mèche de cheveux comme quand on était petites. C’est de rechercher ce qui nous reste de sacré.
S.A.
Comment avez-vous répété cette cacophonie-là? Parce qu’au niveau du jeu, c’est le contraire de ce qu’un metteur en scène classique ferait, c’est-à-dire «laissez-vous parler, faites un silence, passez la parole à quelqu’un d’autre». Là, on n’est vraiment pas là-dedans.
M.N.V.
Quand on répétait, on reproduisait ça à chaque fois. C’est un chaos organisé. C’est comme si on avait une partition et chacune était un instrument.
C.C.
On le sait, à partir de telle phrase on embarque toutes en même temps pis bop bop bop jusqu’à une phrase pis là, on revient. Brigitte était vraiment la chef d’orchestre dans cette affaire-là.
S.L.
C’est comme un long plan-séquence. On a beaucoup répété la première moitié du spectacle et quand cette partie-là était correcte on continuait. À force de le faire, on apprenait à faire une espèce d’équilibre de plateau.
M.N.V.
Et il y avait des choses qu’on voulait entendre un peu plus. Il y avait des contrepoints et des trucs plus importants donc on s’ajustait. C’est sûr que l’écoute est super importante.
S.L.
Brigitte parlait souvent de ça comme d’une partition orchestrale avec des moments plus importants que d’autres qu’il fallait revivre.
C.C.
Ayant beaucoup travaillé avec Robert Gravel, elle est une héritière du Nouveau théâtre expérimental qui a fondé Espace Libre. Comme on jouait là, on sentait que notre spectacle était complètement en phase avec le mandat du théâtre. C’est aussi la mise en danger, l’improvisation. On se permet de jouer dans la façon de dire nos répliques: quand on veut ajouter un criss de tabarnak on le fait. Le début est en partie improvisé pis il y a un moment officiellement lazzi avec un livreur de pizza, on ne sait jamais ce qui va se passer à ce moment-là.
M.N.V.
Nous on s’adapte à sa proposition et on improvise.
V.B.
On était toujours prêtes à être déstabilisées par ce nouveau gars-là qui arrive. Il va-tu arriver avec un costume de hot-dog, ça va-tu être un gars super gêné? Et c’est l’Homme qui arrive. On est six filles, il y a un homme dans la pièce qui est là pendant cinq minutes. C’est ça qu’on voulait aussi explorer. Qu’est-ce qui change quand ces six filles-là? Est-ce qu’elles se remettent à être un peu plus droites?
S.L.
Pendant notre run de spectacle, il y avait trois livreurs différents qui ne sont pas des comédiens professionnels. Donc, il y avait un naturel qui marchait pour le spectacle. On aurait voulu de vrais livreurs au départ, mais finalement…
UNE PARTICIPANTE
Peut-être que l’alcool aidait, mais je trouve qu’il y a de l’irrévérence là-dedans. Ces filles-là n’ont plus le même rapport au corps, c’est plus déglingué, c’est moins inhibé… On n’a pas le même âge, mais je trouve qu’il y a quelque chose de thérapeutique là-dedans aussi, de dire les choses.
S.L.
Pour nous le processus a été aussi thérapeutique à un certain niveau. On se livrait entre nous et juste le fait de se réunir, de créer, c’était une façon de s’émanciper en tant que femme.
C.C.
Ce spectacle-là est le résultat de ce dévoilement. Il y a quelque chose aussi dans le fait d’exhiber nos corps d’une façon non magnifiée.
M.N.V.
On n’est pas dans la séduction.
C.C.
Puis il n’y a pas un éclairage qui vient ceindre la côte. Il y a quelque chose de très thérapeutique d’être tout nu sur une scène, d’être laide et de promener ses seins n’importe comment. Il y avait quelque chose d’urgent et de nécessaire pour nous de faire comme: «on est comme ça, on peut être laide». Puis même, on s’est fait reprocher que mon personnage rotait trop dans le spectacle…
Rires.
M.N.V.
Par une critique féminine.
V.B.
Ce n’est pas féminin de roter sur scène.
S.A.
On aurait pu roter juste égal, là il y avait un peu d’excès.
C.C.
Pis la pièce commence par «C’est qui qui a chié?». Faque oui, il y a quelque chose d’extrêmement thérapeutique dans le processus, tous les soirs.
M.N.V.
Je pense que c’est libérateur pour nous, mais pour les gens qui viennent nous voir aussi.
MARIE-ANICK BLAIS (M.A.B.)
Mais vous parliez de générations, il y a eu un public de tous âges et chacun s’y retrouvait à un certain moment ou faisait «wow je comprends ma fille» ou «je comprends cette génération-là».
UNE PARTICIPANTE
Oui parce que je réalise quand même que j’ai des inhibitions qui sont liées à ma génération. Des choses, comme femme, on ne faisait pas ça non plus et on était quand même encore dans la séduction. Il y a des choses qu’on ne se permettait pas.
S.L.
C’est le fait aussi d’être entre filles qui fait qu’elles aient autant de liberté parce que tu mets un gars là pis c’est déjà complètement différent. Elles n’ont pas la même posture.
UNE PARTICIPANTE
À un moment donné dans l’extrait vous étiez là, très actives. Je voyais beaucoup d’agitation, un grand système nerveux collectif et à côté une femme qui carrément, se meurt. Une femme au niveau symbolique aussi qui se meurt, comme une partie d’une femme intérieure qu’on porte aussi qui est mourante, à travers une espèce de discours de «il faut y aller, il faut vivre, il faut survivre, il faut se libérer». Et à un moment donné, cette femme-là se lève et dit quelque chose que je n’ai pas entendu en fait. Je me dis peut-être que dans ce qu’elle dit, il y avait tout le contenu de la réponse qu’elle aurait pu amener, je ne sais pas. Et puis symboliquement quand vous parliez tantôt de l’absence de rituel, de la perte du sacré… Donc ma question, comment ça se fait que cette femme qui se meurt on ne l’entende pas?
M.A.B.
Oui. Mais elle est présente cette fille-là que je joue. On assiste vraiment à sa mort. Tranquillement elle s’en va, elle est très faible et elle est en train d’accepter ce qui va arriver aussi. C’est sûr qu’à un moment donné, les filles sont aussi dans cette espèce d’urgence de «ok on a une amie qui va mourir». Elles partent là-dedans, elles sont dans des extrêmes puis mon personnage ne suit pas ça. Mais quand ses répliques arrivent, c’est très tranchant pis la place est faite. Mais j’avoue que l’euphorie des filles contraste beaucoup.
C.C.
C’est comme une confrontation de la vie et de la mort, Éros et Thanatos. On parle beaucoup de sexualité aussi. Ça se côtoie tout le long et il y une tentative de s’agiter, de ne pas penser à ce qui s’en vient. Elles mangent et boivent autant parce que ce qui s’en vient n’a pas de sens. Puis on imagine qu’elles ont eu des discussions sur la mort assistée avant cette soirée-là: «Est-ce qu’on le fait? Est-ce qu’on ne le fait pas?». On a essayé de la dissuader, y en a certaines qui n’étaient pas d’accord avec sa décision. Et vers la fin, il y a une tension et ça éclate cette affaire-là, boum.
V.B.
Elle va parler un peu plus, s’exprimer: «J’ai jamais fait ci. J’ai pas eu le temps de faire ça». Elle est en paix avec cette décision-là malgré le soubresaut de peur qui arrive.
M.A.B.
La peur, la mort, il y a tout ça qui arrive. Pis c’est un moment magique parce que les filles vont recréer. Oui on est en perte de rituel, mais à la fin on se crée un rituel à nous, les six ensembles. Il y a des offrandes, pis une robe qui a pas de bon sens.
V.B.
Dans le processus, Brigitte parlait souvent de la chambre d’hôpital d’un mourant. Souvent on va être assez calme, mais quand t’es vingt-quatre heures au chevet de quelqu’un, à un moment donné la vie continue. Tu contes des jokes. Tu ris. Puis on se disait que son personnage voulait ça, voir la vie continuer autour d’elle.
C.C.
Puis c’est vrai que symboliquement c’est intéressant. Il y a une partie de nous qui se meurt puis c’est ça que son personnage incarne. La mort de quelque chose en chacune d’entre nous comme femme, mais comme personnage aussi. Elles font table rase donc elles se débarrassent. Elle est le prétexte pour se débarrasser de leurs oppressions.
M.N.V.
Et cette espèce de bourdonnement dont vous parlez, des autres qui bougent sans cesse, c’est comme un déni de la situation aussi, je pense.
UNE PARTICIPANTE
Vous disiez que vous aviez écrit les caractéristiques de chacune et que vous les avez augmentées. Quand vous switchiez vos anecdotes de l’une à l’autre, est-ce que dans le fond vous vous appropriez l’anecdote de l’autre, mais avec votre caractère à vous? Est-ce que les trucs sont écrits ou plus comme des canevas?
M.N.V.
Avant c’était des canevas avec des sujets, mais après, tout a été écrit et on suivait notre texte au quart de tour.
S.L.
Après les premiers mois de discussions, on a créé la base des personnages. On avait vraiment toute une couleur particulière donc quand il y avait des nouvelles histoires on savait «ça c’est clairement à elle que c’est arrivé» ou «ça, c’est moi dans la vie, mais c’est clairement pas mon personnage». Ça se faisait assez naturellement.
S.A.
En même temps vous ne les nommez pas les personnages. Ça, c’est quelque chose qui m’a fasciné.
S.L.
À un moment dans le processus, on a réalisé qu’on nommait juste deux fois un nom. On disait «Marie». Alors on a décidé de ne jamais les nommer. Pis je ne sais pas si c’est dû à ça, mais les gens notaient moins «ah telle comédienne était…». C’était tout le temps une espèce d’ensemble, on était comme un personnage, un collectif.
UNE PARTICIPANTE
Mais comment avez-vous fait pour choisir ces caractéristiques-là? Parce qu’il y a dû avoir des parties de vous-mêmes que vous avez mises de côté pour clarifier le personnage…
M.N.V.
On ne pouvait pas vraiment parce que chaque fois qu’on disait quelque chose, Catherine le notait! Il y a vraiment des choses qu’on a déjà dit textuellement.
V.B.
L’équilibre s’est fait tout seul. C’est vraiment Vicky, mais il y a des affaires que je dis que je défendrais moins dans la vie. Marie-Noëlle n’est pas du tout comme son personnage, mais son personnage a la même énergie que Marie-Noëlle fondamentalement, c’est vraiment bizarre.
S.L.
Puis des fois, les autres t’envoient une image de toi qui est très claire «toi t’es comme ça». Pis là t’es comme «hey je ne veux pas jouer ça!». Mais on a fait le ménage. On se parlait, on était dans l’écoute, on avait le droit de ne pas vouloir jouer quelque chose. (Rires.)
C.C.
Moi j’ai convaincu Marie-Noëlle de dire des atrocités aussi puis là elle était comme «ah je veux ne pas dire ça, c’est dégueulasse le monde va penser que c’est moi» puis là je disais «non tu diras que c’est moi qui me masturbe en pensant à la guerre». (Rires.)
M.N.V.
Finalement je l’ai dit puis c’est correct ça m’a libérée. (Rires.)
UNE PARTICIPANTE
Par rapport au personnage de la mourante, j’avais envie de la voir elle aussi montrer ses boules pis courir un peu en rond pour comme, je ne sais pas… de la sentir. Est-ce que c’est arrivé ça?
M.A.B.
Oui. Premièrement on te demande de jouer une mourante et je ne suis pas mourante dans la vie. Je suis très vivante, très en forme donc il y a eu un gros travail de corps à faire. Puis je me souviens qu’à Zone Homa, le personnage était beaucoup plus vivant et présent, sauf qu’à un moment ça ne concorde pas. Cette fille-là tout lui fait mal, son corps est en train de mourir par en dedans. Il fallait respecter l’état physique dans lequel elle était. Elle vient de se faire dire «c’est incurable, je suis désolée, il te reste trois mois» puis elle dit «ce n’est pas vrai que je vais me retaper tout ça encore…». Donc, oui elle a ses moments de folie où elle se laisse emporter. Puis, il y a la fin où elle prend toute la place. Il fallait rendre ça réel autant que possible.
UNE PARTICIPANTE
En regardant la photo avec la pointe de pizza et les pilules dessus, j’ai l’impression que c’est un peu ça sa thérapie, d’être participante au festin sans en être vraiment.
M.A.B.
Elle est déjà en train de partir. Les filles sont un petit peu sur les breaks, elles ont pas tant envie de faire la fête, mais ce qu’elle a envie de voir profondément, c’est ses amies d’enfance qui s’éclatent pour une dernière fois.
UN PARTICIPANT
Moi c’est le processus que je trouve vraiment intéressant. Vous êtes allés chercher des mines d’or d’informations, de la matière brute après avec laquelle vous pouvez monter quelque chose. C’est quoi les deleted scenes, qu’est-ce que vous avez dit «ah ça non, je ne suis pas à l’aise de me livrer devant tout le monde»?
Rires.
M.A.B.
Dans la première version, il y avait une scène où… Sarah a le personnage un peu pogné, elle n’a jamais eu d’orgasme.
C.C.
Elle est asexuelle son personnage.
M.A.B.
Et là, Catherine se donne comme mission de lui donner un orgasme live.
S.L.
Catherine est au bout de table pis me met la main en dessous de la jupe. Moi je suis juste surprise, elle me fait ça en disant: «les filles on se masturbe jamais, pis blablabla». Moi je suis en train d’avoir quelqu’un qui… pis là le livreur de pizza qui rentre là-dessus. C’était…
C.C.
C’était comme weird, c’était comme un viol d’amies.
M.N.
Ça se pouvait pas que la fille ait un orgasme, là.
C.C.
C’était de mauvais goût.
V.B.
On voulait être irrévérencieuses aussi… Y’avait cette volonté-là.
S.L.
On veut être trash, mais là…
UN PARTICIPANT
C’était coupé parce que ça ne fittait pas dans l’espèce de partition de musique de l’ensemble, c’est ça?
M.N.
Non et ce n’était pas réaliste que la première fois qu’elle a un orgasme se passe devant toutes ses amies.
S.L.
C’était intéressant théâtralement. On l’a essayé à Zone Homa pis on a eu la réponse. (Rires.) Mais c’est plus important la cohérence du spectacle que le punch.
M.N.
Moi, vu que j’endossais le personnage de l’anorexique, des fois je trouvais ça dur. Au début, je parle de ma sexualité d’anorexique qui fait des pipes pour se distancer parce qu’elle n’aime pas son corps, pis ça va loin. Y’avait des choses encore plus profondes et je n’étais pas à l’aise avec ça. Alors j’ai dit: «je vais en dire 3-4 pis ça va être correct».
UNE PARTICIPANTE
Y’a le pendant de l’hyperréalisme aussi, d’être associée au personnage.
V.B.
Ouais ça a été comme un… pas combat parce que ça pas été si douloureux, mais c’est sûr qu’il y avait des moments où on se livrait beaucoup. C’était quand même prenant, on s’est beaucoup questionnées sur nos vies. Si nos personnages sont appelés à se débarrasser de ce qui les oppresse pis à pas être victimes justement être ingouvernables, ben les filles qu’on est, dans la vie, il a fallu se rendre compte de certaines oppressions au quotidien. Si mon personnage le fait, jusqu’où moi, Vicky, je vais…
C.C.
C’est qu’on te compare à toi-même. C’était comme un miroir.
S.L.
Si je ne me trompe pas, on était toute célibataires sauf Catherine au début… pis à la fin c’est devenu l’inverse. Toutes en couple sauf elle! Faque y’a toute eu un switch dans nos vies. Un adon peut-être…
C.C.
(Rires.) Oui, oui… (Rires de tous.) Ben c’est ça… On apprend sur soi pis là, on se dit: «On laisse. On laisse la relation qui nous opprime!».
M.A.B.
On fait de la place!
M.N.
On fait Table Rase!
S.L.
Mais par rapport à ta question sur le fait de ne pas avoir de nom de personnage, ça nous permettait de nous mettre à nu, mais pas complètement.
C.C.
On se gardait une distance sécurisante.
S.L.
Ce que je pense que les humoristes font parfois aussi en créant un personnage de scène.
UN PARTICIPANT
Les gens qui l’ont fait disaient qu’au final, c’est une façon de se protéger «si les blagues ne fonctionnent pas, ce n’est pas moi, c’est mon personnage!». Mais ça ne les faisait pas croître sur le long terme. C’est ce que j’ai eu comme feedback. Ils aimaient mieux fouiller dans leur vulnérabilité pis se montrer sur scène que de se mettre une façade, quitte à encaisser le non-rire.
UNE PARTICIPANTE
Tu veux dire que d’inventer des anecdotes?
UN PARTICIPANT
Oui, c’était mieux d’aller directement dans l’authenticité. C’est là qu’ils pouvaient vraiment aller plus loin plus profond pis que les rires étaient vraiment plus gras.
V.B.
C’est vrai que quand tu montres le sale, l’intime pis le laid, les gens se reconnaissent et écoutent. On avait des rires des fois… c’était presque Juste pour rire! Y’a quelque chose dans l’intime qui va rejoindre le monde.
M.N.
Mais ça prend un public. En répétition, des fois je trouvais dur de jouer ça juste devant la metteure en scène. On avait hâte d’arriver en salle, de voir la réaction du public. Je trouve que ça donne une légèreté.
UNE PARTICIPANTE
Je voulais savoir, comment vous avez choisi la morte?
S.L.
La morte! (Rire.)
M.A.B.
En fait, on commençait à écrire notre spectacle pis il nous manquait quelque chose. Ça pouvait pas être juste six filles qui parlent de cul pis qui boivent.
C.C.
Parce qu’au départ c’était censé être un suicide collectif.
M.A.B.
Mais on se disait «faut aller loin là, six filles qui veulent s’enlever la vie, ok ça va mal en esti!».
Pis Brigitte est arrivée avec l’idée du suicide assisté. Les filles avaient toutes une ligne directrice assez claire sauf peut-être mon personnage qui était moins étoffé. Alors j’ai endossé ce rôle-là. En y repensant, je pense que j’ai une personnalité très groundée, ça allait de soi on dirait au final.
C.C.
Son personnage dans le spectacle a comme des perles de sagesse à chaque fois qu’elle parle. Y’a de quoi de vieux en Marie-Anick. C’est une veille âme!
S.L.
Pour ce personnage, c’était difficile de trouver la ligne. Fallait pas que ce soit trop, fallait pas que ce soit petit, fallait pas qu’elle vive rien, fallait pas qu’elle dise toute.
M.A.B.
C’était l’espèce de personnage «phare».
UNE PARTICIPANTE
D’abord, comment s’est formé le collectif? Pour parler de ce genre de choses, faut quand même se connaître un petit peu. Est-ce que vous étiez amies avant ou pas? Qu’est-ce qui était la base du spectacle? Et puis ma deuxième question… Avec ce dispositif du bifrontal, est-ce que vous avez eu des retours du public sur la notion de voyeurisme, est-ce que les gens se sentaient mal?
C.C.
On avait vraiment l’impression, malgré tout, d’être dans une représentation théâtrale. Pis c’est sûr que dans l’intention, on est dans la confidence, le personnel, l’intime. Et le texte fait office de… distanciation.
UNE PARTICIPANTE
Ça vous protégeait, en quelque sorte.
C.C.
Au départ, y’avait peut-être des révélations qui pouvaient choquer. Moi j’avais une amie qui était comme: «mon dieu on parle de moi pis je n’aime pas ça la façon dont on parle de moi». Puis, elle a réalisé que les gens à côté d’elle riaient. À ce moment, y’a comme un truc qui est embarqué pis là elle s’est laissée aller. Elle a compris l’humour qui se dégageait de ça.
M.N.
Après un des spectacles, j’ai entendu le chum d’une amie dire que ça parlait trop de sexe alors je pense que ça confrontait beaucoup de gens de voir des filles parler autant de sexe.
V.B.
Mais dans les commentaires la plupart des gens avaient l’impression d’être au chalet avec vous. Même si y’avait cette distance, les gens se sentaient super proche. C’était vraiment étrange ce qui se passait, c’était beau.
M.A.B.
Pis pour répondre à ta première question, on s’est connue par le Conservatoire et à moment donné le désir de créer ensemble est venu pis on est des amies dans la vie. Ce projet-là a aussi contribué à forger notre amitié.
S.L.
Dans les premiers mois, y’a aussi 2-3 autres personnes qui ont gravité autour du projet, avant que ça se stabilise.
C.C.
Au début, on ne savait pas ce qu’on voulait faire. Certaines d’entre nous étaient allées voir Détruire, nous allons de Philippe Boutin au Offta. C’était une gang de gars de notre âge pis après le spectacle pis on s’est dit: «Comment ça nous, on fait pas ça?».
C.C.
Au départ on voulait faire un spectacle événementiel dans un bar, avec 40 filles. L’idée n’était pas claire donc c’est pour ça qu’on était plus nombreuses au départ.
M.N.
Pis ça se trouve à être important pour les comédiennes se créer leur propre emploi parce qu’on est beaucoup, pis y’a plus de rôles masculins.
C.C.
On voulait parler de notre génération aussi, c’était comme la prise de parole qui était aussi un moteur. On se sentait pas assez représentées sur nos scènes.
M.N.
On ne veut pas être un personnage unidimensionnel: la blonde de, la sœur de, la fille de… On veut être des personnages pleins de contradictions comme on est dans la vie.
S.L.
L’option, c’est donc de faire.
UN PARTICIPANT
Avez-vous l’impression que les critiques ont compris ça? J’imagine aussi que vous avez lu un peu la revue de presse, entre «y’a trop de rots» pis…
S.L.
Ah non! Ça c’est 1%, les «y’a trop de rots», c’est 1% de la critique.
M.N.
On a quand même eu des bonnes critiques. Ils disaient que notre spectacle était indéniablement féministe, alors que nous, ce spectacle-là, on l’a fait organiquement parlant sans essayer d’intellectualiser tout ça. On a reçu des étiquettes, pis moi j’étais heureuse de voir que… on était supposée avoir fait un spectacle féministe parce que… est-ce qu’on voulait faire ça?
C.C.
Ben… oui, oui!
S.L.
C’était pas un moteur de base, je pense.
C.C.
Ben c’est parce qu’on l’est à la base que ça transparaît dans le spectacle, évidemment.
UNE PARTICIPANTE
Le féminisme a comme émané!
C.C.
Mais les gens qui critiquaient le spectacle avaient aussi eu l’impression d’assister à leur propre vie. Souvent, ils partaient d’eux-mêmes, ils parlaient au JE dans leur critique, surtout les gens de notre génération par exemple qui écrivaient pour différents blogues ou magazines. Ils avaient l’impression de se voir eux avec leur gang de chums.
UN PARTICIPANT
Est-ce que ça serait la même dynamique de groupe ailleurs? Pis à propos du chalet, pourquoi on va y mourir? Est-ce que c’est dans ce lieu qu’on va être nous-mêmes pleinement? En tant que groupe aussi, faut s’isoler de tout ce qu’il y a à l’extérieur pour redevenir… ben comme se livrer, le confessionnal, l’isoloir, le chalet devient l’isoloir.
C.C.
C’est un lieu sécuritaire pis symbolique parce que ces filles-là y sont allées souvent.
M.A.B.
C’est là où elle voulait mourir, c’est son choix à elle, c’est sa maison. Pis elles ont vécu tellement d’affaires ensemble dans ce lieu-là, qui est tellement empreint de tout ça.
M.N.
Et c’est l’isolement dans les bois, on se coupe de nos téléphones, de tout.
S.L.
Comme quand tu pars en voyage, tu mets ta vie sur pause. Souvent tu la regardes d’une autre perspective et ce qui se passait dans leur vie était majeur.
V.B.
D’ailleurs la question qu’on se pose à la fin, on a même pas la réponse: «qu’est-ce qu’elles vont faire le lendemain? Qu’est-ce qui reste après?» Est-ce qu’elles vont rester fidèles à leurs promesses?
Pour plus d’informations: http://www.espacelibre.qc.ca/spectacle/saison-2015-2016/table-rase
Chabot, Catherine (2017). « Table rase ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/table-rase], consulté le 2024-10-11.