Un des principaux paradoxes de la mémétique coronavirale c’est qu’elle vise bien moins le virus comme tel que ce qui est perçu comme son principal effet sociétal, le confinement. D’un côté, tel que nous l’explorions dans notre premier article, il s’agit là d’une stratégie de «déplacement» quasi-freudien qui permet le déni du spectre de la mortalité. De l’autre, l’on peut y déceler le triomphe prosaïque de l’expérience commune des «majorités silencieuses» (mais hyperconnectées), que l’on souhaite partager dans un but de recréer un semblant de communauté (les mémologues du futur en tireront peut-être une loi du fonctionnement proximal des mèmes).
L’on sait que le terme même de « confinement » instaure une sorte de déni, celui du terme original de « quarantaine », érigé au XXe siècle en symbole de barbarie et d’ignorance. C’est à Raguse (actuelle Dubrovnik) en 1383, puis à Venise en 1423 qu’ont été prises les premières mesures d’isolement sanitaire forcé, afin de prévenir la peste du Levant. La durée initiale de 40 jours dont le terme italien (quarantino) est issu obéit à une logique encore débattue : à l’influence d’Hippocrate (pour qui cette durée marque la frontière entre les « maladies aigües » et les « maladies chroniques ») s’ajouta peut-être la symbolique biblique (la durée du Déluge mais aussi du séjour de Moïse au Mont Sinaï ou de celui de Jésus dans le désert) et liturgique (les 40 jours du Carême comme symbole de la purification spirituelle) [1],
De l’Italie la mesure se répand peu à peu sur toute l’Europe. Jean Delumeau nous en donne une description saisissante, où l’on retrouve quantité d’éléments qui alimentent encore nos mèmes contemporains :
Voici maintenant la cité assiégée par la maladie, mise en quarantaine, au besoin ceinturée par la troupe, confrontée à l’angoisse quotidienne et contrainte à un style d’existence en rupture avec celui auquel elle était habituée. Les cadres familiers sont abolis. L’insécurité ne naît pas seulement de la présence de la maladie, mais aussi d’une déstructuration des éléments qui construisaient l’environnement quotidien. Tout est autre. Et d’abord la ville est anormalement déserte et silencieuse. Beaucoup de maisons sont désormais inhabitées » (…). Toutes les chroniques de la peste insistent aussi sur l’arrêt du commerce et de l’artisanat, la fermeture des magasins, voire des églises, l’arrêt de tout divertissement, le vide des rues et des places, le silence des clochers. (1978)
«Coupés du reste du monde, les habitants s’écartent les uns des autres à l’intérieur même de la ville maudite, craignant de se contaminer mutuellement » poursuit Delumeau. « On évite d’ouvrir les fenêtres de sa maison et de descendre dans la rue. On s’efforce de tenir, enfermé chez soi, avec les réserves qu’on a pu accumuler. S’il faut tout de même sortir acheter l’indispensable, des précautions s’imposent. Clients et vendeurs d’articles de première nécessité ne se saluent qu’à distance et placent entre eux l’espace d’un large comptoir. A Milan, en 1630, certains ne s’aventurent dans la rue qu’armés d’un pistolet grâce auquel ils tiendront en respect toute personne susceptible d’être contagieuse. Les séquestrations forcées s’ajoutent à l’enfermement volontaire pour renforcer le vide et le silence de la ville. Car beaucoup sont bloqués dans leur maison déclarée suspecte et désormais surveillée par un gardien, voire enclouée ou cadenassée. Ainsi, dans la cité assiégée par la peste, la présence des autres n’est plus un réconfort. L’agitation familière de la rue, les bruits quotidiens qui rythmaient les travaux et les jours, la rencontre du voisin sur le pas de la porte : tout cela a disparu » (ibid).
Le religieux portugais Francisco de Santa María en témoigne, sous une rhétorique pompeuse proche de l’oratoire des sermons baroques et dont on devine les multiples références classiques (Thucydide, Lucrèce, Jean d’Éphèse, etc.) :
Dès que s’allume dans un royaume ou une république ce feu violent et impétueux, on voit les magistrats abasourdis, les populations épouvantées, le gouvernement politique désarticulé. La justice n’est plus obéie ; les métiers s’arrêtent ; les familles perdent leur cohérence, et les rues leur animation (…). Les gens, sans distinction d’état ou de fortune, sont noyés dans une tristesse mortelle. (…) Les lieux habités paraissent transformés en déserts et, à elle seule, cette solitude inusitée accroît la peur et le désespoir. On refuse toute pitié aux amis, puisque toute pitié est périlleuse. Tous étant à la même enseigne, à peine a-t-on compassion les uns des autres. Toutes les lois de l’amour et de la nature se trouvant noyées ou oubliées au milieu des horreurs d’une si grande confusion, les enfants sont soudain séparés des parents, les femmes des maris, les frères ou les amis les uns des autres — absence désolante de gens que l’on quitte vivants et qu’on ne reverra plus. Les hommes, perdant leur courage naturel et ne sachant plus quel conseil suivre, vont comme des aveugles désespérés qui butent à chaque pas sur leur peur et leurs contradictions. Les femmes, par leurs pleurs et leurs lamentations, accroissent la confusion et la détresse, en demandant un remède contre un mal qui n’en connaît aucun. Les enfants versent des larmes innocentes, car ils ressentent le malheur à défaut de le comprendre. [2]
Aux antipodes de ces boursouflures asianistes, Daniel Defoe constate avec son habituel atticisme délibérément prosaïque le « manque de communication entre les hommes » qui caractérise la grande peste qui s’abattit sur Londres en 1665 [3]. A Marseille, en 1720, un contemporain évoque ainsi sa « ville morte » : « … Silence général des cloches…, calme lugubre…, au lieu qu’autrefois on entendait de fort loin un certain murmure ou un bruit confus qui frappait agréablement les sens et qui réjouissait…, il ne s’élève pas plus de fumée des cheminées sur les toits des maisons que s’il n’y avait personne ;… tout est généralement fermé et interdit » [4]. En 1832, à Marseille toujours, l’épidémie de choléra produira les mêmes effets : « Les fenêtres, les portes restaient fermées, les maisons ne donnaient signe de vie que pour rejeter les corps que le choléra y avait tués ; peu à peu tous les lieux publics furent clos ; dans les cafés, dans les cercles, une morne solitude ; le silence de la tombe était partout» [5].
« Ainsi les rapports humains sont totalement bouleversés : c’est au moment où le besoin des autres se fait le plus impérieux — et où, d’habitude, ils vous prenaient en charge — que maintenant ils vous abandonnent », résume Delumeau, avant de conclure par cette formule frappante : « Le temps de peste est celui de la solitude forcée ».
Dans son étude sur la peste à Florence en 1629 (Florence Under Siege: Surviving Plague in an Early Modern City, 2019), John Henderson décrit avec le sens du détail cher au courant en vogue de la micro-histoire les mesures prises par les autorités de la Sanità et les multiples effets, notamment de résistance, qu’elles suscitèrent dans la population.
In January 1631, the Sanità ordered the majority of citizens to be locked in their homes for forty days under threat of fines and imprisonment”, résume Erin Maglaque dans son savoureux compte-rendu [6]. “In his Memoirs of the Plague in Florence, Giovanni Baldinucci described how melancholy it was ‘to see the streets and churches without anybody in them’. (…) Ordinary life was suspended during the epidemic. Confraternities, associations that brought laypeople together for charity work and socialising, could no longer hold meetings. Public sermons were forbidden. The city’s schools were closed. Taverns and inns were shut. Gambling dens and barber shops were closed, ball games forbidden. Rondinelli remembered that, without a carnival celebration, ‘football was never played, nobody went around in masks, and no comedies of any kind were performed, or performances, or joyful events … thus during the summer there was no palio which of necessity implied a great crowd.’ Workplaces were shut too.
La Sanità pourvoyait les subsistances: “The Sanità arranged the delivery of food, wine and firewood to the homes of the quarantined (30,452 of them). (…) The Sanità spent an enormous amount of money on food because they thought that the diet of the poor made them especially vulnerable to infection, but (…) some elite Florentines worried that quarantine ‘would give [the poor] the opportunity to be lazy and lose the desire to work, having for forty days been provided abundantly for all their needs’. Ce qui justifiait tout un arsenal de mesures répressives à l’égard de ceux qui brisaient la quarantaine, de préférence les pauvres (Henderson dénombre 566 cas portés devant la cour).
L’on reconnaît là un discours qui pointe dans beaucoup des critiques, institutionnelles ou médiatiques, du confinement actuel. C’est qu’une grande méfiance à l’égard des pauvres, ancrée dans un préjugé de classe, subsistait : « In the eyes of the city’s magistrates, the poor were both victims and criminals, defenceless in the face of infection but also walking, breathing, dancing vectors of contagion. While locked in his own house during the quarantine, the physician Antonio Righi (…) wrote a treatise in which he likened the health of the body politic to that of the individual diseased body. Noble members of society were the vigorous organs of the polity, the heart and the brain of the city, organs robust enough to fight off sickness. The poor were the lowly organs that attracted and even bred disease: ‘If the disease is in the city, they receive it and retain it, as if they were the glands of society.”
L’on ne peut éviter de penser à la tentation autoritaire que dénonce Sontag au coeur de la métaphore médicale de la « santé publique » : “The medical model of the public weal, is probably more dangerous and far-reaching in its consequences, since it not only provides a persuasive justification for authoritarian rule but implicitly suggests the necessity of state-sponsored repression and violence (the equivalent of surgical removal or chemical control of the offending or “unhealthy” parts of the body politic)” [7]. Or, très curieusement, on retrouve cette association de la quarantaine avec le « corps politique » dans l’emblème absolu de celui-ci, le Léviathan de Hobbes et, plus concrètement, le célèbre frontispice qui l’illustre dans la première édition (1651), composé par le graveur Abraham Bosse en étroite collaboration avec l’auteur.
En effet, un curieux détail dévoilé par Francesca Falk dans son « histoire gestuelle de la frontière » (Eine gestische Geschichte der Grenze, 2011) montre que, dans la ville vide que surplombe le colosse, deux petites figures représentent des docteurs affublés du long bec de corbin caractéristique des « médecins de peste ». L’on comprend dès lors que cette ville vide est en quarantaine. « La multitude irreprésentable, semblable à la masse des pestiférés, peut être seulement représentée par les gardes qui en surveillent l’obéissance et par les médecins qui la soignent », écrit Agamben. « Elle demeure dans la cité, mais seulement comme l’objet des devoirs et des soins de ceux qui exercent la souveraineté » (2015, p.53). La présence de la peste révèle le caractère biopolitique du Léviathan, dans le droit fil du motto affiché dans le De Cive (ch. XIII) : « salus populi suprema lex». « L’emblème du frontispice, alors qu’il illustre parfaitement le statut paradoxal de la multitude chez Hobbes, est aussi une estafette qui annonce le retournement biopolitique que le pouvoir souverain se préparait à accomplir », conclut Agamben (id, p. 54).
Ce retournement, comme l’on sait, fut initialement étudié par Michel Foucault à partir d’un règlement des mesures de quarantaine de la fin du XVIII, une de ces sources d’archive apparemment soporifiques mais au fond assez flippantes dont l’auteur était friand [8]. Après une description des mesures de quarantaine qui rappellent, en fait, celles déjà mises en place à Florence un siècle auparavant, Foucault en dégage un modèle biopolitique disciplinaire : « Cet espace clos, découpé, surveillé en tous ses points, où les individus sont insérés en une place fixe, où les moindres mouvements sont contrôlés, où tous les événements sont enregistrés, où un travail ininterrompu d’écriture relie le centre et la périphérie, où le pouvoir s’exerce sans partage, selon une figure hiérarchique continue, où chaque individu est constamment repéré, examiné et distribué entre les vivants, les malades et les morts — tout cela constitue un modèle compact du dispositif disciplinaire. (…) La peste comme forme à la fois réelle et imaginaire du désordre a pour corrélatif médical et politique la discipline» (1975, 199-200).
La quarantaine (on dira aujourd’hui le « confinement ») réalise ainsi un rêve absolu du pouvoir moderne, son utopie paradoxale, déjà implicite dans le frontispice du Léviathan : « La ville pestiférée, toute traversée de hiérarchie, de surveillance, de regard, d’écriture, la ville immobilisée dans le fonctionnement d’un pouvoir extensif qui porte de façon distincte sur tous les corps individuels — c’est l’utopie de la cité parfaitement gouvernée. La peste (celle du moins qui reste à l’état de prévision), c’est l’épreuve au cours de laquelle on peut définir idéalement l’exercice du pouvoir disciplinaire » (1975, p. 200).
De la lèpre à la peste, « on est passé d’une technologie du pouvoir qui chasse, qui exclut, qui bannit, qui marginalise, qui réprime, à un pouvoir qui est enfin un pouvoir positif, un pouvoir qui fabrique, un pouvoir qui observe, un pouvoir qui sait et un pouvoir qui se multiplie à partir de ses propres effets », écrit Foucault dans son cours au Collège de France sur Les Anormaux (1999, p. 44) qui prolonge la réflexion entamée dans Surveiller et Punir. « Il s’agit, avec la peste, d’une tentative pour maximaliser la santé, la vie, la longévité, la force des individus. Il s’agit, au fond, de produire une population saine » (id, p. 43).
Cette « biopolitique de la population » va encore s’affiner autour d’une nouvelle épidémie, celle de la variole, et la première vaccination publique qu’elle provoque en 1800, étudiée par Foucault dans son cours intitulé « Sécurité, territoire et population » (1978). Aux disciplines succède, grâce aux nouvelles techniques de quantification, la vaste entreprise de « normalisation » dont nous sommes encore en grande partie redevables [9] : il n’est par ailleurs pas anodin que tous nos espoirs soient présentement placés dans un vaccin qui nous sorte de la mise en « confinement » planétaire. Or, symptomatiquement, c’est le progrès de ce nouveau dispositif qui a progressivement jeté un large discrédit sur la pratique de la quarantaine. Si celle-ci retrouve au XIXe siècle un regain d’activité face à un nouveau fléau venu d’Asie, le choléra, elle sera régulièrement contestée au point qu’en 1911 la onzième édition de l’Encyclopedia Britannica considère que « le vieux système sanitaire de prévention par immobilisation des bateaux et des hommes » était « une chose du passé » (v. XXII, p. 709). Huit ans plus tard la terrible épidémie de grippe (dite) espagnole lui causera un démenti cinglant, mais beaucoup de la confusion dans les mesures prises pour la contrôler proviendra justement de la méfiance à l’égard de la quarantaine.
Là aussi les parallélismes avec la situation présente sont frappants :
“Various responses to the pandemic were tried”, écrit Eugenia Tognotti. “Health authorities in major cities of the Western world implemented a range of disease-containment strategies, including the closure of schools, churches, and theaters and the suspension of public gatherings. (…) Physicians encouraged the use of measures like respiratory hygiene and social distancing. However, the measures were implemented too late and in an uncoordinated manner (…). The decision to close schools was not simultaneously accepted by health and scholastic authorities. Decisions made by health authorities often seemed focused more on reassuring the public about efforts being made to stop transmission of the virus rather than on actually stopping transmission of the virus (…) Newspapers took conflicting positions on health measures and contributed to the spread of panic”. Enfin, “censorship caused a lack of communication and transparency regarding the decision-making process, leading to confusion and misunderstanding of disease-control measures and devices, such as face masks”[10].
Le confinement total d’un ou de plusieurs pays que nous vivons est donc quelque chose d’assez nouveau et d’assez paradoxal : retour archaïque d’un vieux système disciplinaire caractéristique de la modernité qui n’est possible qu’avec le parachèvement du système de normalisation qui lui a succédé (notamment avec l’épidémiologie statistique de la reconstruction d’après-guerre; comme le souligne Raphaël Doan, « c’est l’estimation du nombre potentiel de morts par modélisation statistique qui a conduit la plupart des gouvernements de la planète à privilégier le confinement »[11]). En fait il s’agit là plutôt d’une sorte d’état de siège, déjà théorisé par Énée le Tacticien au IVe siècle a. J-C. et que le frontispice du Léviathan superposait déjà à la quarantaine (outre les docteurs de peste cités, on remarque que les canons des forts sont en train de tirer sur les bateaux naviguant sur les rives du territoire représenté[12]). D’où le spectre de « l’état d’exception » que dénonçait dans un article très polémique Agamben, exégète de Hobbes promu « schtroumpf grognon » du confinement[13].
Enfin, s’ajoute désormais à ces dispositifs héritées des sociétés disciplinaires le rêve ultime des sociétés de contrôle contemporaines (qui selon Deleuze marquent à la fois la mutation et le parachèvement du paradigme disciplinaire foucaultien) : le biopouvoir digital que l’on a vu à l’œuvre en Chine et qui s’érige pour d’aucuns en modèle pour mettre fin à la pandémie. Prodigieux tournant qui permet le passage de la « stasis » de la quarantaine à la mobilité des flux qui forme l’habitus dromologique néolibéral (tout en isolant temporairement les chaînons suspects d’infection). Solution hypermoderne aux problèmes archaïques hérités des vieux dispositifs, notamment la contradiction fatale de l’état de siège (qui ne peut se résoudre que par une délivrance extérieure –ici le vaccin) et l’impératif productiviste de notre économie-monde, cette voie inaugure d’ores et déjà une nouvelle époque. Érigé en emblème de « modèle asiatique », voire du néototalitarisme chinois, ce nouveau dispositif semble encore choquer quelque peu les sociétés occidentales qui paraissent toutefois de plus en plus prêtes à s’y livrer (de fait, comme c’était le cas pour le frontispice du Léviathan ou la querelle de la vaccination, le processus de contrôle –désormais biométrique- était déjà en cours bien avant que la pandémie ne le manifeste).
Quoiqu’il arrive, la superposition de ces logiques fait du coronavirus le laboratoire de la gouvernance totale qui caractérisera sans doute, si l’on reste foucaultiens, le restant du XXIe siècle. Dès lors, comment la mémétique rend-elle compte de toutes les tensions qui entourent ce colossal dispositif?
La mesure véritablement gigantesque du confinement (la moitié de la planète y est soumise, soit plus de gens, signale un article, que la totalité des vivants lors de la Deuxième Guerre mondiale) écrase, comme on l’a évoqué, la menace du coronavirus comme tel dans la mémesphère.
Personnellement les premiers mèmes que je reçus au début de la pandémie furent ceux d’asiatiques enrobés dans des étranges combinaisons plastiques, bric-à-brac insolite de garafes d’eau et sacs poubelles, patchwork érigé en symbole du recyclage en phase terminale. Un imaginaire post-apocalyptique au rabais, singulièrement hygiéniste (contre l’esthétique délibérément malpropre des années Mad Max) qui fonctionnait comme une mise à distance (exotisation sur le modèle goscinnien du : « ils sont fous ces Chinois ») et un déni de la menace.
Puis ce fut le confinement en Europe, et avec lui, l’explosion. Symptomatiquement, la Bible mémologique Know Your Meme semble avoir du mal à se tenir à jour au milieu de cette avalanche véritablement planétaire. Il est donc encore prématuré de tracer la cartographie de la mémétique du confinement (qui fera, si tout va bien, les délices des futurs thésards en cultural studies) mais l’on peut déjà, de par leur circulation intense sur nos réseaux sociaux, en hasarder quelques grands traits[14].
L’on peut d’emblée signaler la conscience hypermoderne des topoï pandémiques et dystopiques, qui fonctionnent non seulement comme simulation baudrillardienne mais comme encyclopédie transmédiatique, comme l’attestent, entre autres, ce manifestant arborant sur sa pancarte : « This episode of Black Mirror Sucks », ou « the guy at Area 51 playing Plague Inc. » qui réagit à la nouvelle de la première infection aux U.S. (inside joke pour les gamers). D’où la quantité de mèmes qui puisent dans le vaste réservoir du « récit épidémique » déjà étudié dans nos autres articles pour mettre en scène la situation, en l’apprivoisant par la familiarité avec des codes préétablis. Pour preuve, ce « re-enactment » dérisoire de la solitude terminale du virologiste d’I Am Legend dans une cuisine pavillonaire.
Le paradoxe du confinement hyperconnecté semble en fait signer le triomphe de la digitalisation de la société et, autre paradoxe, la « fuite du corps » face à la maladie dans les dispositifs écraniques de désincarnation qui désormais nous prolongent. L’ancienne mesure disciplinaire se trouve ainsi entièrement réinventée en révolution domotique, « hortus conclusus » de l’hyperindividualisation et triomphe de la sphère domestique ultraconnectée. Rappelant son travail pionnier sur la Playboy Mansion (Pornotopía, Arquitectura y sexualidad en «Playboy» durante la guerra fría, 2010), Paul B. Preciado voit dans le confinement l’extension et le triomphe de la domotique régie par ce qu’il appelle la « farmacopornographie »[15].
L’on peut aussi considérer qu’après le processus planétaire d’ otakusation » étudiée par Reynolds dans Retromania (2011)[16], nous voici au stade de l’ « hikikomorisation » forcée. Car contrairement à la rupture brutale de la vie sociale qu’impliquaient les anciennes quarantaines, nous sommes déjà partiellement enfermés autour de nos appareils connectés. Ou, comme ironise un mème dévolu aux no-lifers hyper-connectés: “When you find out your normal daily lifestyle is called “quarantine“. Ce à quoi riposte cet autre même qui fait de l’isolement un motif de fierté, détournant la célèbre tirade de Bane dans Dark Knight Rises (C. Nolan, 2012) : “You merely adopted the isolation. I was Born in It ». D’où aussi ce courant de mèmes célébrant, sur le modèle de Revenge of the Nerds (1984), la revanche des introvertis (ou la phobie sociale promue au rang de nouvelle sociabilité).
L’abolition de la frontière entre les « heavy users » du web ou du numérique (stigmatisation d’un rapport « anormal » aux nouvelles technologies) et la « nouvelle normalité » en confinement se double d’une autre, plus encore marquée par le sceau de l’opprobre : celle entre le parasite assisté et le « bon citoyen » laborieux. Soit, comme ce même l’illustre, la transformation du « Lazy bastard » en « Responsible Adult ». On retrouve là des échos des diatribes contre les pauvres de Rondinelli dans la Florence pestiférée de 1629.
Mais si le confinement est parfois célébré comme l’occasion de se livrer corps et âmes aux plaisirs du « soma » numérique, la mémesphère s’amuse à magnifier les désagréments qui minent cette expérience planétaire de retraite du « désert du réel ». Ainsi l’ombre de The Shining est-elle érigée en parfaite monstrification du “cabin fever” qui nous guette: “A couple of weeks of isolation with the family. What can go wrong?”. La descente progressive dans la folie de Jack Torrance devient l’emblème d’une nouvelle claustrophobie.
La dégradation progressive que l’on anticipe et que l’on craint lors du confinement est déjouée par l’humour dans le sous-genre du « Quarantine Day X » : parmi les premiers exemples, Know Your Meme cite ce portrait Biedermeir d’un honnête bourgeois plongeant sa fourchette dans son rôti de dinde au jour 1, suivi du Saturne de Goya dévorant ses enfants le lendemain. Il fut bientôt suivi d’une avalanche de posts montrant des activités dérisoires, signe parodique de la détérioration mentale que peut-être on s’amuse à conjurer : une fraise dont on s’amuse à extraire les akènes avec une pince à épiler, un dude qui parsème des miettes devant une image de pigeons qui picorent sur son écran d’ordinateur, un autre qui plonge sa canne à pêche dans son aquarium, un troisième qui joue à pac-man en faisant semblant de dévorer les voitures qu’il voit passer à sa fenêtre avec une chaussette, etc. Une variante « sportive » s’affirma bientôt sur TikTok (une des apps triomphantes du confinement), avec des ersatz domestiques d’activités physiques de plus en plus ingénieux.
Mais ce qui semble dominer cette production c’est le spectre du surpoids. À l’exact opposé de la peur de la pénurie qui terrorisait jadis les populations en quarantaine et qui affecte encore les classes populaires (les « milieux » dits « défavorisés ») et les pays « en voie de développement », l’Occident semble, symptomatiquement, avant tout obsédé par la hantise du gras. Emblème d’un trop-plein de la société d’hyperconsommation, cette obsession se décline en quantité de mèmes, dont le « David vs Covid », qui montre l’affaissement du héros viril de Michel-Ange soumis au confinement. Comme si tout l’appareil de contrôle de la silhouette laborieusement édifié par notre société n’était qu’un fragile rempart contre notre voracité latente, dont attesterait la consommation boulimique de toutes les prévisions stockées dans la panique.
Corollaire scatologique de cette obsession pantagruélique, voire pendant dialectique d’un même excès boulimique, les références au papier toilette sont absolument dominantes dans la mémesphère pandémique. Le décalage entre la gravité de la menace, l’ampleur du bouleversement sociétal qu’elle entraîne et cette obsession mémétique pour le papier-cul signe une dégradation totale du « récit épidémique » tel qu’on l’a étudié, ainsi que de tous les référents post-apocalyptiques préalables, et, partant, de toute prétention épique face à l’adversité présente. Le papier toilette s’érige ainsi en icône incontesté de la mémétique du coronavirus, emblème dérisoire du survivalisme occidental.
“If the coronavirus is spreading rapidly, the TPM [Toilet Paper Meme] is even faster because it has no respect for hand washing, face masks or isolation wards. You can become infected simply by reading the newspaper or a social media post, and there is no vaccine”, constate Rod Taylor[17]. S’agit-il d’une curieuse régression collective au stade anal induite par une sorte de retour en enfance (le non-producteur ne pouvant, en régime néolibéral, qu’être réduit à l’infans ou, au mieux, au teenager)? Ou bien d’une résurgence anthropologique de la valeur apotropaïque des excréments, telle qu’étudiée il y a plus d’un siècle par le colonel J. G. Bourke dans sa Somme colossale Scatalogic rites of all nations. A dissertation upon the employment of excrementitious remedial agents in religion, therapeutics, divination, witchcraft, love-philters, etc., in all parts of the globe (1891)? Ou enfin, plus banalement, d’un regard amusé sur un énième cas de cette « folie des foules » jadis étudiée par Charles Mackay dans son célèbre Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds (1841)?
En effet, c’est l’achat compulsif de papier toilette dans les grandes surfaces à l’annonce du confinement qui a d’abord suscité une avalanche de mèmes sur cette étrange angoisse : “If there’s a surprising development of the coronavirus outbreak, it’s not that people are most worried about food. Come the zombie apocalypse, the greatest fear will be dunny paper riots. Who would’ve thought?”, commente amusé Rod Taylor[18]. Il s’agit là d’une sorte d’acting out colossal d’un lapsus sociétal : la peur de la pénurie se transforme en crainte de ne pouvoir se torcher. À un premier niveau, cela illustre, si l’on pouvait encore en douter, le triomphe absolu du « processus de civilisation » décrit par Norbert Elias (qui consacrait des pages lumineuses à l’intériorisation du rejet de tout ce qui était de l’ordre de la défécation). À savoir que l’idée même de « faire » (au sens classique) sans papier toilette (invention relativement récente, rappelons-le : jusqu’aux années 1950 l’on utilisait encore en France le papier journal à cet effet) devient plus intolérable que celle de mourir de faim. Plus profondément, le côté régressif déjà cité semble s’affirmer dans cette compulsion, mais nous laissons aux psychanalystes le loisir de s’interroger sur ce que cette gigantesque envie des sociétés occidentales d’effacer la trace de leurs déjections peut bien vouloir dire. Les anthropologues se pencheront aussi sur ce curieux déplacement par lequel on semble se prémunir d’une pollution (la pandémie) en en effaçant une autre (la merde)[19].
Les réactions à ces paniques collectives vont de l’élégie ironique de ces violonnistes qui reprennent l’air du film Titanic devant les étalages vidés de leur papier toilette (sans oublier les vestes de sauvetage) aux satires de l’idiotie générale. Sur le célèbre modèle de « Batman frappe Robin », ce dernier s’exclame : « Holly Coronavirus! We need toilet paper!”, tandis que le Chevalier noir rétorque: “It’s a respiratory virus, not Chipotle!”. Sur le modèle du « test médical », l’infirmière annonce : “Your Covid-19 test came back positive”. Ce à quoi le « covidiot » répond : « That can’t be correct. I have more than 300 rolls of toilet paper”. Dans les deux cas il s’agit de ridiculiser par la réduction ad absurdum le paralogisme qui semble soutenir la panique collective (et que synthétise ce tweet de Devon Palmer : « Already ate all the toilet paper I stocked up on :/ »). D’où aussi, sur fond de graphiques extrêmement compliqués, la tentative d’expliquer celle-ci en parodiant la célèbre théorie de « l’effet papillon » : “Me explaining my grandchildren how a guy eating a bat soup in China led to toilet paper shortage” (variante “effet domino”: “some guy eating a bat… me not being able to wipe my ass”).
Ayant trouvé un véritable filon, les mèmes prolifèrent à la manière du virus dont ils sont l’étrange prolongation, en envahissant divers genres et sphères. Le spectre de la guerre civile, toujours proche dans l’imaginaire post-apocalyptique des pandémies (et dont l’on pourrait faire remonter les sources au spectre de l’anomie dans le récit de la peste athénienne que fait Thucydide, tel que l’analyse Agamben, 2015, p. 54), est dégradé dans la vision pseudo-hobbesienne de la guerre de tous contre tous pour le PQ, que ce soit sur le modèle des jeux vidéo à la Call of Duty (« when costco gets more toilet paper ») ou en détournant la dernière séquence de 1917 (Sam Mendes, 2019). Sur le même modèle martial, nous trouvons en guise de stratagème une gigantesque trappe à souris avec pour appât un rouleau de PQ. Le retour à la concurrence féroce de « l’état de nature » hobbesien reçoit une variation éthologique dans ce groupe de jeunes hommes affublés de rouleaux, parodiant sans doute les travers de la sociobiologie d’Edward Wilson : “Post-Coronavirus males, displaying their Hunter Gatherer prowess in order to attract mates“.
S’ensuivent les détournements habituels de grandes icônes de la culture pop : la dépendance toxicomane du Gollum (« My Precious »), l’épopée survivaliste d’I Am Legend (transfert inévitable, puisque le vagabondage dans les supermarchés sous la menace des zombies incarnait déjà la vision d’une apocalypse hyperconsumériste), le tout aussi inévitable Outbreak (« they’re all dead »; « yeah, but did you notice how clean their asses are? »). Selon le principe qui anime la série animée Scooby- Doo (héritier de la vieille logique du roman gothique où les phénomènes qui paraissaient surnaturels s’avèrent n’être en fait qu’une banale supercherie), le « dévoilement » du véritable responsable de la pandémie aux mains de Fred Jones n’est autre que… la mascotte d’une célèbre marque de papier toilette. Cette parodie des théories du complot pourrait bien mettre le doigt sur le vaste déplacement mémétique qui s’est fait de la menace du virus à sa réduction autour de blagues scatologiques.
Quant à « l’inversion totale des valeurs » que semble incarner la promotion du PQ au rang de valeur suprême, certains mèmes le redéfinissent comme « consommation ostentatoire », modifiant même l’histoire de l’Art : pour preuve ces pastiches de portraits où le papier hygiénique prend la place des anciennes collerettes et fraises, telle la récréation du Portrait de jeune femme de Nicolaes Pickenoy (1632) par Bryan Beasley et sa femme, Coco. Ou encore, sur le modèle des célébrités comparées à des objets (déjà décliné par rapport à la pénurie de savon sanitaire), les voici comparées à des rouleaux de PQ, parodie dégradée de la « fétichisation de la marchandise » dénoncée par Marx.
De fait, ces mèmes illustrent parfaitement l’équation entre l’or et l’excrément que Freud, lecteur attentif du colonel scatomane Bourke, établissait dans « Caractère et érotisme anal » (1908): « En vérité, partout où a régné ou bien persiste le mode de pensée archaïque, dans les civilisations anciennes, dans le mythe, les contes, les superstitions, dans la pensée inconsciente, dans le rêve et dans la névrose, l’argent est mis en relation intime avec l’excrément (…). Il est possible que l’opposition entre ce à quoi l’homme a appris à accorder le plus de valeur et ce qui est le plus dénué de valeur, et qu’il rejette comme déchet, ait conditionné cette identification de l’or et de l’excrément »[20]. Dans la mémétique du papier-cul, l’inversion fondatrice de l’argent est à son tour inversée.
Écho dérisoire de ce mouvement, voici les factures devenues un pauvre ersatz de PQ. Et comme pour parodier à la fois Freud et Marx, voici les constructions de « totems » à base de papier toilette qui montrent la conclusion logique de cette inversion du fétichisme du capital. Mais l’extrême absolu reste le blasphème de l’hostie consacrée par le pape François… en rouleau de PQ, radicalisation amusée des thèses sur le poids de l’infrastructure sur la suprastructure religieuse qui en fait semble ressusciter une très vieille polémique autour des liens entre l’eucharistie et l’excrétion[21].
Tout un cycle, corollaire peut-être de celui des danseurs de cercueil (comme lui il a sa propre bande-son : « It’s Corona Time » de Red Knight), semble s’achever dans cette image. L’on pourrait évoquer encore quantité d’autres réseaux de mèmes (ce sera sans doute une des tâches futures des études culturelles et des humanités digitales[22]), mais il nous semble que quelque chose se dessine qui va du vaste mouvement disciplinaire dont le confinement planétaire est l’aboutissement à cette inflation mémétique de papier toilette. Sans tomber dans le déclinisme facile que l’humour potache des mèmes favorise inévitablement (fuite du politique en une nouvelle aliénation de l’homo digitalis pour les uns, dumbing down terminal et déclin de la paideia occidentale pour les autres), l’on est saisi par le total décalage entre ces deux extrêmes, la magnitude du biopouvoir moderne et l’insignifiance de la semiosis qu’il semble susciter. Là encore, Baudrillard pourrait bien avoir le dernier mot, non pas tant dans son invitation quelque peu facétieuse à « oublier Foucault » (1977), que dans sa vision des « stratégies fatales » (1983) qui échappent à tous les schèmes de rationalité et dont la seule règle semble être l’ironie, où nous sommes volens nolens (fatalement) immergés[23].
[1] P. A. Mackowiak, P. S. Sehdev, “The Origin of Quarantine”, Clinical Infectious Diseases, Volume 35, Issue 9, 1 November 2002
[2] Fco de Santa Maria, Historia das sagradas congregaçoes seculares de S. Jorge em alga de Venesa e de S. João evangelista en Portugal, 1697, p.270-2
[3] D. Defoe, Journal de l’année de la peste, trad. J. Aynard, Paris, 1943, p. 134
[4] Cit in Ch. Carrière, M. Courdurie et F. Rebuffat, Marseille ville morte. La peste de 1720, Marseille, 1968, p.104
[5] L. Chevalier, Le Choléra: La Premiere Epidemie Du XIX Siecle , Impr. Centrale de l’Ouest, 1958, p. 131
[6] Erin Maglaque, “Inclined to Putrefaction” , London Review of books ,Vol. 42 No. 4 · 20 February 2020
[7] S. Sontag, Illness as Metaphor and AIDS and Its Metaphors, Penguin, 1991, p.180
[8][8] Les Archives militaires de Vincennes, A1 516 91 s, citées en note (Foucault, 1975, p.197)
[9] « On a donc un système qui est, je crois, exactement inverse de celui qu’on pouvait observer à propos des disciplines. Dans les disciplines, on partait d’une norme et c’est par rapport à ce dressage effectué par la norme que l’on pouvait ensuite distinguer le normal de l’anormal. Là, au contraire, on va avoir un repérage du normal et de l’anormal, on va avoir un repérage des différentes courbes de normalité, et l’opération de normalisation va consister à faire jouer les unes par rapport aux autres ces différentes distributions de normalité et (à) faire en sorte que les plus défavorables soient ramenées à celles qui sont les plus favorables. (…) Donc, je dirais là qu’il ne s’agit plus d’une normation, mais plutôt, au sens strict enfin, d’une normalisation » (M. Foucault, Sécurité, territoire et population, Gallimard, 2004, p. 65)
[10] E. Tognotti, « Lessons from the History of Quarantine, from Plague to Influenza A », Historical Review, vol 19, n. 2, février 2013
[12] M. Kristiansson et J. Tralau, “Hobbes’s hidden monster: A new interpretation of the frontispiece of Leviathan”, European Journal of Political Theory, vol. 13, num. 3, 2014
[13] G. Agamben,
“Lo stato d’eccezione provocato da un’emergenza immotivata” , Il manifesto, 26 février 2020
[14] Parmi les rares tentatives de cartographier cet immense continent l’on peut signaler le bref article (très lacunaire et centré sur les seuls États-Unis) de P. Haasch pour Insider (20/04/2020): “How coronavirus memes have traced the timeline of the pandemic, from panic to the new normal”
[15] « La mansión Playboy y la cama giratoria de Hefner, convertidos en objeto de consumo pop, funcionaron durante la guerra fría como espacios de transición en el que se inventa el nuevo sujeto prostético, ultraconectado y las nuevas formas consumo y control farmacopornográficas y de biovigilancia que dominan la sociedad contemporánea. Esta mutación se ha extendido y amplificado más durante la gestión de la crisis de la Covid-19: nuestras máquinas portátiles de telecomunicación son nuestros nuevos carceleros y nuestros interiores domésticos se han convertido en la prisión blanda y ultraconectada del futuro”, P. B. Preciado, “Aprendiendo del virus”, El País, 28/03/2020
[16] S. Reynolds, Retromania. Pop Culture’s Addiction to Its Own Past, chapitre 5: “Turning Japanese. The Empire of Retro and the Hipster International”, Faber and Faber, 2011, p. 162-179
[17] R. Taylor, “Ask Fuzzy: Why toilet paper memes are spreading faster than the coronavirus” The Canberra Times, 01/03/2020
[18] Id, ibid
[19] Et l’on ne sait qui des deux, anthropologues ou psychanalystes, seraient les mieux placés pour interpréter le très étrange (et polémique) « toilet licking challenge » lancé par l’influencer Ava Louise sur le mode du « challenge viral ».
[20] S. FREUD, « Caractère et érotisme anal », in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1974, p. 147 ; GW, VIII, pp. 207-208
[21] v. Frank Lestringant, “Des hauts lieux aux retraits: petite contribution à une théologie de l’excrément (XVIe—XVIIIe siècles)”, in Revue des Sciences humaines, 261/1, 2001, pp. 65-89
[23] Comme le résume adroitement Philip Knee, « Baudrillard s’en prend à la cécité de ceux qui, depuis tant d’années, veulent insuffler aux «masses» une «prise de conscience» qui leur ferait mettre en question le «système»; ceux qui s’évertuent à dénoncer les manipulations du pouvoir (…). Peine perdue ; si l’on veut espérer comprendre quelque chose, dit Baudrillard, il faut plutôt renverser ce schéma classique de l’aliénation pour déceler dans le social les effets d’une « stratégie ironique» (p. 139) : ce ne sont pas, par exemple, les médias qui aliènent ou abêtissent les masses ; celles-ci au contraire, constituent, par les médias, le monde en spectacle inaccessible, afin justement de suspendre les exigences de liberté, de savoir, d’autonomie — ces valeurs qui allaient de soi dans les philosophies du sujet ». D’où la volonté de « s’abandonner à l’insignifiant et s’en remettre passivement à ce qui s’offre par la médiation des préposés officiels au savoir et à l’action: les intellectuels, les politiciens, les experts… » : « L’ironie, la duplicité sont les armes de ce constant mouvement « d’im-plosion » sociale, de ce « détournement», non pas d’un sujet assoiffé de responsabilité, mais par un objet se refusant à savoir, à vouloir… » (« Baudrillard. Les stratégies fatales », Laval théologique et philosophique, vol. 41, n. 1, février 1985, p. 132-3).
Agamben, Giorgio, La guerre civile : Pour une théorie politique de la Stasis, Points, 2015
Delumeau, Jean, La peur en Occident, Gallimard, 1978
Foucault, Michel, Les anormaux, Cours au Collège de France, 1975-1976, Seuil, Gallimard, 1999
Foucault, Michel, Surveiller et punir, Gallimard, 1975
Leiva, Antonio (2020). « Mémétiques du coronavirus (5) ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/memetiques-du-coronavirus-5-le-confinement-de-foucault-au-papier-cul], consulté le 2024-12-11.