Zeke a le regard vide. Les doigts, entrecroisés, comme s’ils ne pouvaient s’accrocher qu’à eux-mêmes. Ses yeux se posent au hasard, pour quelques secondes, sur des points en dehors de l’écran, perdus dans un hors-champ qu’on devine encombré par les accessoires du décor où se déroulent les conseils de tribu. Pour la saison, les candidats et candidates se réunissent au milieu d’épaves et de débris qui épuisent les signes de la navigation et du naufrage. Une barque renversée. Un gouvernail posé contre une caisse en bois. Le mouvement saccadé du regard de Zeke est la seule chose qui m’assure que mon stream ne s’est pas arrêté sur une image fixe, que l’action se déroule encore en continu. Ses yeux sont grand ouverts, mais ne semblent rien voir.
«There is something about Zeke nobody knows», déclarait Varner, quelques minutes plus tôt, dans le secret d’une confession à la caméra. «I feel like I know something about Zeke nobody else has picked up on. It is insignificant to this game. It means nothing, but he is not the guy you think he is.» (Survivor, 2017: 26:04-26:16) Au cours de l’épisode, Varner est d’ailleurs apparu comme le mouton noir de la tribu. Sa principale alliée, Sandra Diaz-Twine, a été éliminée la semaine précédente. Il est le prochain. Il le sait et ne veut pas subir le même sort: «I’m not going quietly off this island.» (26:23-26:26)
Il ne partira en effet pas sans faire de bruit. Bien des médias –dont People Magazine, le New York Times, le Daily Mail, USA Today, Vanity Fair, CNN et la Gazette– parleront de son départ, et de ces phrases, lancées à Zeke, pendant le conseil de tribu, en dernier espoir pour éviter d’être expulsé d’un jeu de téléréalité: «There is deception here. Deception on a level these guys don’t even understand. […] Why haven’t you told anyone you’re transgender?» (29:30-29:41)
Zeke semble absent. À la suite de ces mots, l’écran me le présente en retrait, comme lorsque les gens autour de nous discutent passionnément d’une télésérie que l’on n’a pas vue: «he looks a little bit like he’s on an island of his own.» (31:55-31:00) Il ne prend pas la parole, mais le reste de la tribu le défend, rage contre Varner, offre une voix à mon outrage: ils dénoncent l’immoralité d’exposer à tous, candidats comme spectateurs, ce que Zeke n’avait pas choisi de révéler… et de s’en servir comme levier. «I don’t even know what I was thinking. […] It was me wrapped up in this game» (41:07-42:12), dira plus tard un Varner repentant.
Les liens de continuité entre la télévision-réalité et les systèmes de surveillance sont maintenant connus1, mais, comme on vient de le voir, le jeu de la surveillance et de la discipline des corps, dans ces émissions dont Survivor n’est qu’un exemple, n’est pas assuré que par l’entremise des caméras. Pris dans le réseau de ces regards croisés, les candidats et candidates s’épient, s’espionnent, observent les corps des autres à la recherche d’avantages et d’emprises sur eux, encouragés dans leurs scrutations par les règles mêmes du jeu –les récompenses à obtenir, la compétitivité individuelle et ses incitatifs monétaires–, tel Varner découvrant sur le corps de Zeke les indices d’un secret à exploiter. Ces systèmes de surveillance télévisés deviennent de véritables institutions disciplinaires au sens où Michel Foucault l’entendait, une nouvelle île à son «archipel carcéral» (197: 304): on y dresse des corps et impose une codification à leurs gestes à des fins utiles. Les individus s’y trouvant en reconduisent par eux-mêmes les mécanismes d’opération, les techniques disciplinaires toujours promues par l’architecture –pensons à la division des «maisons» d’Occupation double, par exemple–, bien que celle-ci ne soit plus le vecteur principal de la surveillance de type panoptique, dépassée dans son efficacité par le regard omniprésent de la caméra. Dans cet ensemble de techniques confinant le sujet dans une culture de la surveillance, il faut souligner l’apparition de nouveaux dispositifs qui entraînent un retournement des regards: la multitude surveille maintenant l’individu, selon ce que Thomas Mathiesen nomme le «synopticon» (1997).
La critique a longuement parlé du voyeurisme du public et du désir d’être vu des participants, essayant d’expliquer l’une et l’autre des attitudes par des penchants culturels ou des besoins psychologiques. Mais elle s’est moins souvent demandé quels effets pragmatiques pouvaient avoir cette forme de contrôle sur notre rapport à l’identité et à l’individualité, des candidats comme des spectateurs, comparativement à ceux que Foucault décrivait il y a plus de 40 ans. Pour celui-ci, rappelons-le, les institutions carcérales participent à un vaste système ne se limitant en rien aux seules prisons: les écoles, les hôpitaux, les ateliers, les casernes et même les œuvres de charité en font partie. Et nous pouvons maintenant y ajouter les téléréalités, qui se distinguent principalement du reste de cet archipel par leur recours à la médiatisation des écrans.
Mais alors, à quoi bon déverrouiller ces effets du carcéral si mon discours s’ancre lui aussi dans une institution disciplinaire qui les cloître à nouveau? Que dire de mon appétit de chercheur ravi de trouver ces corps meurtris, de mon anticipation face à la découverte de leurs souffrances, sachant que je les recyclerai et les comprimerai en arguments dans une machine à produire du savoir? La détresse de Zeke, les remords de Varner, ne les donnerais-je pas moi-même en spectacle, en opérant une forme de marquage, différente mais non moins réelle, sur leur corps?
Les téléréalités sont une idée qui refuse de mourir. Fortement ancrées dans les conditions télévisuelles du début des années 2000, maintenant dépassées en promesses de promiscuité ou d’instantanéité de l’image par plusieurs autres formes médiatiques, elles se maintiennent en vie néanmoins, comme tout bon zombie, par l’anthropophagie de corps toujours neufs, par un déferlement incessant de nouveaux sujets à observer. Cette survie est en soi surprenante, car depuis presque 20 ans, le concept au cœur de Survivor est demeuré inchangé. Si elles peuvent aujourd’hui faire sourire par leur enflure, en 2000, ces prémisses marquent les esprits: «You are witnessing 16 Americans begin an adventure that will forever change their lives. […] For the next 39 days, they will be marooned, left to fend for themselves. […] 16 strangers forced to band together, carve out a new existence. […] This is their story. This is Survivor.» (Survivor, 2000: 01:51-02:36)
2000. C’est l’année d’un Reality Boom où sont lancées simultanément, aux États-Unis, les premières saisons de Big Brother et de Survivor. American Idol suivra deux ans plus tard. Ces émissions de téléréalité introduisent un nouveau rapport aux corps à l’écran: la crédulité à l’égard de l’authenticité du spectacle passe principalement par la corporalité même des candidats et candidates. Les actions posées sur ces corps et la monstration des marques qui y sont tracées témoignent d’une nouvelle sémiotique de l’image corporelle modifiant le rapport entre le regard et le corps vu, soit un corps qui peut être notamment, désormais, objet d’accidents.
Prenons pour exemple cette soirée du 1er mars 2000 où 31.3 millions de téléspectateurs américains (Spotted Ratings, 2011) observent le candidat Michael Skupin subir de graves brûlures après être tombé dans un feu. La réaction du public face à ces images est vive2 et le lendemain, le producteur et idéateur de Survivor, Mark Burnett, lors d’une conférence de presse organisée en réponse à l’événement, se fait très clair au sujet de sa politique des accidents à l’écran: «If the cameraman would have been dropping the camera and helping [Skupin], I would have fired the cameraman. The cameraman isn’t a medical person; the cameraman is there to film» (Weiner, 2001)3.
Je retrouve sur YouTube la séquence de l’émission originale. Apparaît un plan du soleil australien plombant, auquel sont ajoutés des bruits et des cris d’animaux, puis l’image d’un oiseau perché sur une branche, qui semble produire le chant que j’entends. «The producer wouldn’t say whether he had shots of the actual accident, but he confirms he had more graphic footage that he declined to air» (Weiner, 2001). Puis un mot lancé, «Water!», et des plaintes qui, sans aucun doute, proviennent du corps à l’écran. Je vois Michael sur une plage. Il geint en se tenant le visage de ses mains brûlées. Il se précipite dans la rivière qu’on aperçoit derrière lui pour calmer la douleur. L’image est en plan-séquence, tourné avec tous les signes de la caméra-vérité4, dont ce cadrage frénétique causé par la course du caméraman lancé à sa poursuite.
«He passed out, fell in the fire.» (Survivor Fan, 2017: 0:22-0:24) Ces mots me permettent d’imaginer le moment que les producteurs ne souhaitaient pas diffuser: Michael agenouillé devant le feu, mal nourri depuis déjà plusieurs jours. Il inhale de la fumée qui le fait défaillir un instant. Peut-être reprend-il connaissance au dernier moment et interrompt sa chute en posant ses mains sur les braises.
Il semble souffrir de longues minutes, immergé dans la rivière, avant qu’une équipe médicale n’arrive sur place. Je ressens un malaise en observant cette séquence, mais, à leur façon, les spectateurs aussi sont immergés. Les images opèrent une étrange séduction: «it’s so macabre that you have to watch it […]. It’s the reason people watch a schoolyard fight» (Radden Keefe: 2018). On souhaite tout à la fois que les images se prolongent et se terminent.
Malgré le scepticisme spectatorial face aux mécanismes de la télévision-réalité –la dramatisation évidente de l’action, le montage, la musique et les effets sonores–, les corps, eux, apparaissent, lors de ces accidents, indéniablement réels:
After Michael Skupin was helicoptered out of the game with pieces of his hands falling off, that “this show is fake” talk died down right quick. Sure, some people might have kept it up, but no one worth talking to. Skupin’s injuries legitimized the survival aspect of the show, strengthening the brand in the process. […] Mike Skupin gave them the credibility they desired (Purple Rock Survivor Podcast, 2019).
Ce corps à l’écran sera marqué à vie et la permanence de cette trace –son existence hors-écran– joue une part importante dans la négociation d’une nouvelle sémiotique de l’image corporelle. Elle n’est ni la monstration transparente que promettaient les discours publicitaires, ni la fabrication totale qu’y voyaient ses détracteurs:
Cynical commentators noted that the producers would have liked to stage the event if they could, as it boosted ratings and generated bonus publicity. However it was the accidental clumsiness of this footage which accounted for its appeal. Fans, critics and watchdogs disagreed over questions of morality, safety and privacy raised by the episode, but nobody suggested it was faked (West, 2005: 91).
Le spectateur comprend alors qu’il regarde –surveille– véritablement un corps placé dans des situations où il doit performer certains gestes, parfois dangereux, et que les séquences montrées à l’écran sont représentatives de la réalité matérielle de ces corps, même lorsque ceux-ci ne sont pas l’objet de son observation5. Peuvent s’expliquer en ce sens l’émergence des émissions de téléréalité (mais presque exclusivement Big Brother) comme objet des théories de la surveillance et la prolifération de leur analyse selon le modèle panoptique.
Suivant l’analyse qu’en fait Foucault à partir de l’architecture panoptique conceptualisée par Bentham, le panoptisme doit imposer la dissymétrie des regards en brisant le couple voir/être vu: «le détenu ne doit jamais savoir s’il est actuellement regardé; mais il doit être sûr qu’il peut toujours l’être» (Foucault, 1975: 203). La présence ou l’absence d’un surveillant doit être pour lui «indécidable», imposant la possibilité d’être surveillé en tout temps. Cette possibilité suffit à modifier le comportement du détenu qui devient «le principe de son propre assujettissement» (204). Le panopticon devient ainsi une technologie du pouvoir, un mécanisme économique visant à assurer l’effet désiré au moindre coût.
Nicole L. Wilson (2016) reprend à son compte l’analyse dominante de la téléréalité comme structure panoptique6. Selon elle, les candidats sont placés «under the watchful gaze of the audience» (922) et peinent à contrôler la représentation de leur corps «within the panopticon of reality television» (928). Elle ajoute, en compagnie de Slavoj Žižek (2002), qu’un retournement contemporain dialectise l’être vu entre célébrité influençante et prisonnier influencé: le corps, objet de l’attention panoptique, n’est plus uniquement la cible d’une technique punitive, il obtient du même coup un pouvoir disciplinaire sur ceux qui le regardent7.
Cependant, selon James Wong, les défenseurs d’une conception panoptique de la téléréalité oublient de parler du versant disciplinaire de la structure, se contentant de reconnaître une similitude entre les systèmes de surveillance. Cette absence d’intention disciplinaire éloignerait, pour ce chercheur, la téléréalité du modèle panoptique: «Reality TV shows have nothing to do with modifying one’s behaviour, neither that of the participants nor the viewers8.» (2001) On peut néanmoins en douter: souvenons-nous de Varner, «wrapped up in this game»…
Si le modèle de la téléréalité panoptique fait partiellement fausse route, c’est qu’il voit dans le spectateur l’unique opérateur de la surveillance, lui confiant la position de pouvoir dans l’architecture. Toutefois, le spectateur n’a accès qu’à une infime partie des images du corps des candidats et candidates: il ne peut voir que ce qu’on veut bien lui montrer9. Si la téléréalité est une structure panoptique, le spectateur n’est placé qu’artificiellement, et toujours pour une durée limitée, dans la position du surveillant, ce qui affaiblit considérablement la portée de son regard. Par exemple, un épisode moyen de Survivor dure moins de 45 minutes et couvre trois jours dans la vie des candidats et candidates. L’émission ne présente donc que 45 des 4320 minutes écoulées, installant ainsi une grande dissymétrie entre le regard du spectateur et le regard de la caméra:
Burnett has never liked the phrase “reality television.” For a time, he valiantly campaigned to rebrand his genre “dramality”—“a mixture of drama and reality.” The term never caught on, but it reflected Burnett’s forthright acknowledgment that what he creates is a highly structured, selective, and manipulated rendition of reality. Burnett has often boasted that, for each televised hour of “The Apprentice,” his crews shot as many as three hundred hours of footage. The real alchemy of reality television is the editing—sifting through a compost heap of clips and piecing together an absorbing story (Radden Keefe, 2018).
Peter Weibel est peut-être trop rapidement séduit par les promesses de la téléréalité lorsqu’il affirme, en parlant de «reality shows such as Big Brother» que «[t]he viewers in front of the picture screen see everything», avant d’ajouter: «The TV viewer is like the warden in a panoptic prison.» (2002: 218). Ce modèle, en plaçant les spectateurs au centre de la structure, ne permet pas de rendre compte des effets que la téléréalité suscite chez son auditoire, effets sur lesquels nous reviendrons.
Mais n’oublions pas que c’est la possibilité de l’observation, et non l’observation réelle, qui génère l’effet panoptique. En effet, la présence constante des caméras, pouvant à tout moment capter des images, même si celles-ci ne seront peut-être jamais diffusées, produit un effet disciplinaire panoptique sur les candidats et candidates. Toutefois, en plus de décentrer l’origine du regard, le problème du modèle panoptique est qu’il laisse croire qu’il suffit seul à cerner un phénomène qui le dépasse. La téléréalité est beaucoup plus hybride qu’il n’y paraît, laissant voir de nouveaux modèles de surveillance et trouvant sa source dans des méthodes à la fois anciennes et modernes de contrôle, comme le spectacle des supplices que le tournant disciplinaire avait justement contribué à éradiquer. La description la plus frappante pouvant s’appliquer aux candidats de téléréalité est offerte, dans Surveiller et punir, non pas lorsque Foucault décrit les victimes du panopticon, mais plutôt lorsqu’il se penche sur le rituel de la chaîne des forçats, elle-même à cheval entre deux «arts de punir»:
La chaîne, tradition qui remontait à l’époque des galères, subsistait encore sous la monarchie de Juillet. L’importance qu’elle semble avoir prise comme spectacle au début du XIXe siècle est liée peut-être au fait qu’elle joignait en une seule manifestation les deux modes de châtiment: le chemin vers la détention se déroulait comme un cérémonial de supplice (261).
Attachés les uns aux autres par des colliers de fer et de lourdes chaînes, les condamnés partent à pieds pour le bagne. Ils traversent les villes où «[l]es spectateurs populaires […] poursuivent avec les condamnés leurs échanges ambigus d’injures, de menaces, d’encouragements, de coups, de signes de haine ou de complicité» (262). Décrirait-on autrement les commentaires qui abondent sur les médias sociaux à propos des célébrités? L’apparition des forçats est d’ailleurs une occasion offerte aux regards, et la traversée de la chaîne, un événement:
Dans cette fête des condamnés qui partent, il y a un peu des rites du bouc émissaire qu’on frappe en le chassant, un peu de la fête des fous où se pratique l’inversion des rôles, une part des vieilles cérémonies d’échafaud où la vérité doit éclater au plein jour, une part aussi de ces spectacles populaires, où on vient reconnaître les personnages célèbres ou les types traditionnels: jeu de la vérité et de l’infamie, défilé de la notoriété et de la honte, invectives contre les coupables qu’on démasque, et, de l’autre côté, joyeux aveu des crimes (263).
À la confluence de plusieurs traditions, marquée par son hybridité, la chaîne est aussi une monstration des corps coupables, devenus objets de scrutation: on cherche à y voir, en bon phrénologue, leurs crimes. C’est plus simple encore lorsque des tatouages les représentent directement ou lorsque les coupables «miment en passant la scène de leur crime» (264). On y remarque aussi ce retournement de l’influence par la célébrité que décrivait plus tôt Wilson, celui que l’on croyait si contemporain, et qui fait passer du statut de victime au statut de privilégié:
Dans toutes les villes où elle passait, la chaîne apportait avec elle sa fête: c’étaient les saturnales du châtiment; la peine s’y retournait en privilège. Et par une très curieuse tradition, qui, elle, semble échapper aux rites ordinaires des supplices, elle appelait chez les condamnés moins les marques obligées du repentir, que l’explosion d’une joie folle qui niait la punition (265).
La réforme doit mettre fin à la chaîne pour la même raison qu’elle mit fin aux supplices: sa mauvaise influence sur les mœurs publiques, l’enseignement néfaste que ces corps promeuvent sur ceux qui les observent.
De même, au-delà de son influence panoptique sur ses candidats et candidates, la téléréalité agit sur son auditoire, à commencer par l’imposition du regard –de la caméra, des réseaux sociaux– comme garantie ontologique de l’existence de l’individu (Žižek, 2002). La normalisation de la compétitivité et la justification de la surveillance de ses collègues y trouvent aussi une représentation valorisante, qui promeut l’idée selon laquelle la réussite ne peut être qu’individuelle, jamais partagée («Conspiring to share winnings between castaways is strictly prohibited» [Survivor Rulebook, s.d.]). À mi-chemin entre la culture de l’indépendance dénoncée par Sloterdijk10 et l’individualité-genèse que décrit Foucault (1975: 162-163), s’instaure dès lors une discipline assignant à chaque individu une identité fixe, sienne à clamer, la même pour toujours (car changer serait renoncer à soi), mais qui dépend davantage des envies de mise en scène et de montage que d’une projection «fidèle» de l’individu: «Il faut en outre avoir un état, une identité reconnaissable, une individualité fixée une fois pour toutes» (Foucault, 1975: 298). Cette identité est le plus souvent ancrée dans un traumatisme définitoire exacerbé (ce qu’il faut, pour participer à La Voix, par exemple, ce n’est pas tant une belle voix qu’une histoire triste), soumise à la logique du progrès par une série d’examens, soit autant d’épreuves où l’on devient de plus en plus apte à s’incarner soi-même, à «s’affirmer», puisqu’elles nous fabriquent, en même temps qu’une identité, une place où l’occuper11, un état, c’est-à-dire «l’expression la plus simple de l’ordre qui s’établit dans la société» (Foucault, 1975: 298). Ces effets cadrent bien avec la philosophie que Burnett souhaitait intégrer au spectacle qu’il était en train de créer: «He has long espoused a Hobbesian world view, and when he launched “Survivor” a zero-sum ethos was integral to the show. “It’s quite a mean game, just like life is kind of a mean game,” Burnett told CNN, in 2001. “Everyone’s out for themselves”» (Radden Keefe, 2018).
De la sorte, la représentation des supplices ne sert désormais plus à afficher le pouvoir omnipotent de cette royauté de l’Ancien Régime décrite par Foucault, mais plutôt à réaffirmer la domination de la volonté individuelle sur le corps. Ce dernier est un objet à contrôler; les signes qu’il envoie doivent être ignorés. De la sorte, la souffrance devient une étape obligée du dépassement de soi; autrement dit, plus le corps se blesse, est meurtri, épuisé et affamé, plus l’individu doit sortir grandi de ces expériences. Et c’est l’effet de réalité du spectacle qui trouve là les moyens de sa consolidation.
Le sujet survivant est ainsi condamné à l’écartèlement entre cette rhétorique de l’identité fixe qu’il se voit forcé d’afficher (et qu’on affiche à ses dépens), et ce qu’il constate être son «Moi-toile», marqué par une identité-flux: «Le Moi-toile se présente comme un feuilleté, constitué par “une multiplicité de plans d’inscriptions, qui s’entre-expriment et se surimpriment dans un aller-retour incessant”. Le Moi-toile est une identité-flux en constante renégociation» (Gervais et Mackrous, 2013: 119). Cela dit, nous ne retrouvons aucune représentation de cette mixité dans l’efficace économie du montage d’une émission de téléréalité, qui la promeut pourtant, à son corps défendant, en offrant une surface supplémentaire à l’inscription extime du sujet. Je dis bien à son corps défendant, puisqu’elle cherche au contraire à instaurer un rapport de proximité entre identité vue et identité voyante, à superposer l’être-à-l’écran et l’être réel dans une impression du connaître, qui sert parfois à la propre connaissance de soi, par un effet de miroir, toujours déformant, des candidates et candidats.
Comme on vient de le voir, les images captées ne servent pas qu’à la surveillance des corps: elles deviennent également le véhicule, comme l’aura été un temps la chaîne des forçats, d’une auto-performance de soi. Cette auto-performance semble correspondre à ce que Jean-Paul Fourmentraux nomme l’image performative. Le foyer d’analyse du concept d’image performative se détourne de ce que nous montre l’image pour se concentrer sur sa capacité à provoquer l’action. L’image performative décrit «ce que les images font et “font faire” à ceux qui les instaurent et en font l’expérience» (Fourmentraux, 2017). Son regard embrasse tout autant les gestes qui ont dû être posés pour générer l’image (l’image de la performance) que ceux que l’image fait poser (performance de l’image). L’image performative définit ce type d’images ayant une propension à défier leur stricte bi-dimensionnalité.
Là où le concept d’image performative devient intéressant, c’est qu’il atténue l’importance de la distinction habituelle en deux temps (amont de l’image-surveillance/aval de l’image-spectacle), voire court-circuite la possibilité même d’établir cette distinction. L’image performative est un intermédiaire qui met en continuité les gestes qu’elle capture et ceux qu’elle produit pour révéler la concordance de l’ensemble. Elle est aussi un relais qui relance l’image prise en une nouvelle performance prête à être captée. Un des maîtres contemporains de l’image performative se nomme d’ailleurs… Donald Trump. Ce dernier «re-performe» en effet constamment son rôle dans une émission de téléréalité comme The Apprentice dans le but d’en tirer des images qu’il sait efficaces, tout comme survivre sur une île déserte, dans une émission comme Survivor, devient la performance des corps dirigés, dressés et pressés en vue de produire certaines images qui, à leur tour, inciteront davantage de volontaires à «plonger dans l’aventure». Ce tourniquet de l’image qui se déplie et se replie sans arrêt sur elle-même est visible dans les stratégies de captation et de diffusion des représentations du président:
when Trump announced his candidacy, in 2015, he did so in the atrium of Trump Tower, and made his entrance by descending the gold-colored escalator—choreography that Burnett and his team had repeatedly used on the show. After Trump’s announcement, reports suggested that people who had filled the space and cheered during his speech had been hired to do so, like TV extras, for a day rate of fifty dollars. Earlier this year, the White House started issuing brief video monologues from the President that strongly evoke his appearances on Burnett’s show. […] [W]henever Trump works with camera people, he instructs them, “Shoot me like I’m shot on ‘The Apprentice’” (Radden Keefe, 2018).
Ces images s’accompagnent le plus souvent d’une mise en récit ritualisée par la téléréalité, comme le renvoi ou l’emprisonnement d’un proche de l’administration presqu’à chaque semaine ou la construction artificielle d’un problème pour mieux apparaître comme sa solution:
Trump often runs his presidency like a reality show. He frames his rivalries with name calling, attempting to box fellow Republicans, Hillary Clinton, and the media into simple, made-for-TV archetypes. He builds story arcs in which he is the hero, whether taking credit for ending his own administration’s family separation policy at the border, or claiming to ease tensions with North Korea that he helped ramp up (Schwarz, 2018).
Il ne faut pas croire toutefois à la prophétie autoréalisatrice, puisque l’image performative prend place dans un partage médiatique où «ce à quoi sert une image, sa motivation, détermine sa valeur et l’économie de sa visibilité» (Fourmentraux, 2017). Elle demeure ainsi attachée au contexte de sa production-performance politique et sociale: «Le “photographier” revient ici à faire éclore des événements via un protocole qui remet en question toute réification de l’objet photographique et se manifeste au contraire à travers ses prises et reprises intrinsèquement liées au social» (idem).
L’image n’œuvre pas seule, donc: elle ne suffit pas à réifier son objet. L’essentiel est de la mettre en contexte, en position d’intervention sociale –heure de grande écoute, scénario ritualisé de la téléréalité–, d’assurer son martèlement par une répétition de scènes accompagnées de répliques phares (catchphrases), saison après saison, et de se servir du défilement de ces saisons comme flux ininterrompu d’images. L’image devient alors une sorte d’assommoir qui laisse une empreinte rétinienne indélébile s’imprimant sur n’importe quelle surface où le regard se tourne désormais: une réalité augmentée.
Pour l’image performative, le représenté est une scène et l’image doit avant tout être performée. On dresse des corps à cet effet, car offrir un spectacle reste encore la meilleure façon de s’assurer de la présence de corps qui le regardent, dans le contexte actuel de l’économie de l’attention. Les théories de la surveillance appliquées à la téléréalité doivent donc recentrer les protagonistes de leur panopticon: sortir le public de la tour centrale pour le placer à la périphérie, dans une position qui peut rendre visible (contrairement à ce que postule Wong) les effets disciplinaires qui se jouent sur lui. Mais qui occupe alors la place laissée vacante? Les producteurs comme Mark Burnett? Les célébrités qui accumulent le capital de cette visibilité, comme Trump? Les chercheurs et chercheuses qui les encloîtrent dans leur système de savoir? Ces identités, comme les nôtres, sont multiples, et l’audience peut parfois y faire son tour, la surveillance devenant plus démultipliée et fragmentaire que strictement panoptique.
Car la téléréalité n’est pas que surveillance des candidats. Ceux-ci retournent cette surveillance dans un joyeux carnaval, comme cette chaîne de forçats susmentionnée, où le public devient également sujet des regards. Pensons à cet effet à Trump, qui se joue constamment des effets de réalité de cette performance des images. Pensons aussi à Zeke, à Varner et à Michael: que sont-ils devenus aujourd’hui, d’ailleurs? Je n’ai pour le savoir qu’à consulter un moteur de recherche ou les réseaux sociaux à même le Web. J’y apprends entre autres que c’est l’anniversaire de Varner: il a publié plus tôt cette journée-là sur Twitter une photo de lui, en y ajoutant ce commentaire: «I am what I am. That’s a great thing to be. If I may say so myself… Happy Birthday To Me» (@JEFFVARNER, compte consulté le 15 avril 2019). Pour Michael, une recherche sur Google m’apprend qu’il a été condamné à quelques années de prison. Quant à Zeke, la dernière publication sur son compte Instagram (@zekerchief, compte consulté le 15 avril 2019) fait explicitement mention de sa participation à l’épisode de Survivor décrit plus haut. J’y apprends également qu’il se trouvait à Manhattan lors de sa publication et qu’il (me) semble en amour.
Confronté à cette proximité des images, il m’est difficile de combattre la conviction de connaître intimement ces personnes, de pouvoir en parler avec une familiarité toute disproportionnée, de pouvoir les rencontrer à travers leurs représentations, puisqu’il est possible de les voir chaque jour, sur de plus en plus de plateformes différentes, plateformes sur lesquelles se performe la jonction du couple voir/connaître. Mais alors, si j’ai conscience de n’avoir accès qu’à des représentations performées, pourquoi ai-je moi-même basé l’identité de Zeke sur un événement traumatique définitoire, et pourquoi suis-je néanmoins heureux de pouvoir lui offrir, dans le cadre de ce travail d’élaboration sémiotique –aussi «artificiel» soit-il–, le scénario d’un happy-end?
1. Voir notamment «Reality TV, Big Brother and Foucault» de James Wong, l’ouvrage collectif CTRL [SPACE]. Rhetorics of Surveillance from Bentham to Big Brother et plusieurs des travaux de Rachel E. Dubrofsky.
2. Voir entre autres «The Risks of Reality TV» d’Allison Hope Weiner, paru 15 jours après l’incident dans Entertainement Weekly, avec pour sous-titre: «Are shows like Survivor on the verge of going too far?»
3. Ou encore l’animateur de l’émission, Jeff Probst, plus cynique: «On one hand, it’s horrifying to watch the skin peel off a human being. On the other, when things calm down, there’s certainly a part of you saying “Now that’s gonna make for dramatic television.”» (West, 2005: 91)
4. Le concept de «caméra-vérité» désigne un ensemble de techniques de tournage héritées entre autres du cinéma direct et qui posent le problème de la représentation du réel à l’écran. La «vérité» de l’instant capté est mise de l’avant, notamment par l’utilisation de plans-séquences qui renient l’intervention du montage, par l’absence d’éclairage artificiel ou de trame musicale, ou par la caméra tenue à l’épaule. Plusieurs de ces techniques se retrouvent dans le found footage d’horreur et sont explicitement inscrites dans les «vœux de chasteté» du Dogme 95.
5. Ce lien de visibilité au corps est parfois la reconduction d’un rapport ancien. Survivor, et plus encore Fear Factor, remettent au goût du jour, par leurs «épreuves», l’iconographie et la spectacularisation des supplices, dont Foucault voyait pourtant l’abandon, en France, dans la réforme judicaire s’étirant de la fin du 17e au début du 18e siècle. Voir par exemple l’article de Nick Bond «Survivor’s “Water Torture” Challenge Horrifies Viewers».
6. James Wong (2001) identifie les chercheurs Scott McLemee et Joshua Gamson comme représentants de cette approche. On peut ajouter Peter Weibel (2002).
7. «[T]he idea of being watched is no longer a version of punishment, but instead a reason for praise. Although Foucault argues that a viewed body is more docile or disciplined, celebrity studies argues that a viewed body is more powerful.» (Wilson, 2016: 918). Une des raisons de cette différence serait certainement à chercher dans la dialectique entre panopticon et synopticon abordée plus haut.
8. Au contraire, Foucault nous rend justement sensible à la «fonction» de nouvelles formes culturelles comme le «fait divers qui envahit une partie de la presse» ou du roman criminel (1975: 292). Sur l’influence comportementale, on peut également se référer à l’étude de Karyn Riddle et J.J. De Simone «A Snooki effect? An exploration of the surveillance subgenre of reality TV and viewers’ beliefs about the “real” real world».
9. Rappelons que la démocratisation de la surveillance était au cœur du projet de Bentham: «n’importe quel membre de la société aura le droit de venir constater de ses yeux comment fonctionnent les écoles, les hôpitaux, les usines, les prisons. Pas de risque par conséquent que l’accroissement de pouvoir dû à la machine panoptique puisse dégénérer en tyrannie; le dispositif disciplinaire sera démocratiquement contrôlé, puisqu’il sera sans cesse accessible “au grand comité du tribunal du monde”», par un «flux continu de visiteurs pénétrant par un souterrain jusque dans la tour centrale» (Foucault, 1975: 209).
10. «Mon but est de montrer que sous les masques figés de la culture de l’indépendance, les plasmas des anciens schémas participatifs […] sont toujours là, ou bien de nouveau là» (2003: 186-187).
11. On ne compte plus le nombre de candidats et de candidates de Survivor s’émerveillant devant leur parcours: «I can’t believe how much I’ve grown!» On retrouve ici le mythe de la croissance personnelle. Je pense par exemple au candidat John Cochran, chez qui la gêne du nerd a été surreprésentée pour mieux faire voir ensuite sa «prodigieuse éclosion» jusqu’au titre de gagnant de la saison 26.
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