Les séries télévisuelles ont désormais une place significative dans la culture populaire. En constatant le nombre d’ouvrages et d’articles qui leur sont consacrés, nous pouvons en conclure que leur légitimité dans la sphère intellectuelle n’est plus remise en question. Les séries télé font l’objet d’études approfondies et sont analysées de manière à mettre en évidence leur caractère singulier. Leur intérêt est d’autant plus pertinent qu’un nombre incalculable de nouvelles séries voient le jour chaque année; de nouveaux objets culturels sont donc constamment disponibles et offrent de nouvelles perspectives pour les critiques et théoriciens. Ainsi, il nous est apparu intéressant d’examiner une figure importante de l’imaginaire de la fiction, le tueur en série, à la lumière d’une série télé contemporaine, soit Dexter. L’objet de ce travail vise à démontrer comment le tueur en série fait objet de culte aux États-Unis, et ce, à travers les théories de Denis Duclos et de Stéphane Bourgoin, et comment Dexter incarne cette fascination américaine pour les serials killers, tout en démontrant la pertinence des séries télé dans l’univers culturel. D’abord, un bref portrait de l’univers des séries télé est nécessaire afin de comprendre les enjeux de cette production et leur intérêt dans les études sur la culture populaire. Les études de Martin Winckler nous seront particulièrement utiles à ce sujet. Ces théories, que nous tenterons de synthétiser au maximum, serviront de cadre à notre analyse.
Inutile ici de retracer dans les moindres détails l’histoire des séries télé, les ouvrages abondant suffisamment sur le sujet1. Toutefois, une mise en contexte est nécessaire. Il faut d’abord mentionner que si la plupart des meilleures séries aujourd’hui sont américaines, c’est qu’elles sont nées aux États-Unis et s’y sont épanouies, et s’y épanouissent toujours, d’ailleurs. Martin Winckler distingue trois «âges d’or» pour les séries télévisuelles. D’abord, celle des pionniers, qu’il situe avant les années 80. Ensuite, Hill Street Blues, produite par la NBC dès 1981, marque le début du deuxième âge d’or des séries. Après cette émission, «[les séries télé] s’interrogeront sur le sens de la communauté, de la famille, de la religion, de la justice dans une société complexe et n’hésiteront pas à jouer avec le temps, avec les nerfs et les sentiments»2. Finalement, l’arrivée de chaînes câblées payantes comme HBO, faisant directement compétition aux grands networks, augmente le niveau de qualité des séries, répondant du même coup à un intérêt plus grand du public pour de bonnes émissions. Peu à peu, les séries télévisuelles ont fait leur place dans le quotidien des familles et des individus. En effet, par leur aspect de feuilleton, mais aussi grâce à des personnages et à des lieux familiers, les séries créent une fidélisation chez les téléspectateurs. C’est pourquoi les personnages sont essentiels aux séries, bien que l’histoire en soit la base; ils rejoignent la réalité des spectateurs. Ainsi, et surtout, les personnages et l’histoire renforcent l’identification par leur ressemblance à la réalité; les scénaristes doivent faire preuve d’une inventivité remarquable pour transposer des faits et des dilemmes de société au petit écran3. Ces scènes mettent ainsi les téléspectateurs devant une situation bien réelle et contestent leurs propres valeurs. Pour Winckler, les scénaristes «nous préparent à – et parfois nous réparent de – la vie»4. Le théoricien parle ainsi des séries comme des «miroirs de la vie», par «l’inscription [des] personnage[s] dans le temps, aux effets visibles que le temps a sur lui»5. Cette temporalité parallèle donne un effet de réel puissant. En ce sens, les séries télé ne peuvent plus être considérées comme un simple objet destiné à un succès populaire, mais «constituent un genre à part entière»6, au même titre que le cinéma ou la littérature. Elles présentent elles aussi une vision du monde, et en sont même «des témoins stimulants»7. De plus, rappelons que les jugements de qualité d’une œuvre demeurent ancrés dans une culture artistique individuelle; les séries télé rejoignent donc l’éternel débat de la culture d’élite versus la culture de masse, et plus précisément à la question de la définition de l’œuvre d’art. Les séries sont-elles des œuvres d’art? L’espace que nous avons ici ne nous permet pas d’élaborer sur ce point, celui-ci étant en soi un sujet largement discutable. Mais les séries répondent elles aussi, au même titre que des productions artistiques, à des critères et à des modes de production, à des codes et à des caractéristiques singulières, autant sur le plan du contenu que de la forme. Pour Winckler,
[Il] n’y a […] pas deux sortes de formes narratives, les unes qui seraient ‘‘populaires’’ […], les autres réservées à une ou à des élites. […] Quel que soit le support, il n’existe pas de frontière marquée entre les genres, mais des variations plus ou moins perceptibles, insérées dans un continuum […].8
Par ailleurs, Thibaut de Saint-Maurice démontre qu’il est possible, une fois libéré des jugements de valeur liés aux séries télévisuelles, de «réconcilier» la culture de masse et la culture d’élite, si une telle distinction existe, en philosophant devant le petit écran. En effet, ses analyses permettent de constater qu’au-delà du succès populaire des séries télévisuelles, celles-ci portent en elles de véritables interrogations qui enrichissent les téléspectateurs. Tel que nous l’avons exposé ci-haut, la forme sérielle, en plus de rendre possible la représentation d’un réel, permet un développement dans le temps, donnant lieu à une fiction comportant des intrigues complexes qui invitent ainsi le téléspectateur, exposé à cette fiction, à «un retour sur lui-même pour réfléchir au choix qu’il aurait fait dans cette situation. En cela, les séries […] instruisent le spectateur en stimulant sa réflexion critique en en affinant sa sensibilité»9.
Bref, les séries télévisuelles (principalement américaines) sont désormais bien ancrées dans la culture populaire et il serait impossible de renier les réflexions critiques qu’elles suscitent. Par leur regard sur le monde, elles offrent aux téléspectateurs, mais aussi aux critiques et théoriciens, une possibilité de se questionner sur toutes sortes d’enjeux présents dans la société, du système judiciaire aux relations amoureuses, en passant par le terrorisme aux États-Unis. Malgré les apparences de pur produit de divertissement et d’objet de consommation de masse, les séries ont une valeur importante dans la culture contemporaine: «elles veulent, en même temps, distraire et donner à réfléchir»10.
Or, si les séries télé «puise[nt] nécessairement dans la réalité»11, il n’est pas étonnant que les séries américaines soient imprégnées de violence. Afin d’effectuer le rapprochement entre la série télévisuelle Dexter et la figure du tueur en série, il est nécessaire de comprendre globalement la place de la violence dans la culture américaine. Denis Duclos, dans son ouvrage Le complexe du loup-garou. La fascination de la violence dans la culture américaine, tente d’expliquer la «mise en scène collective» qu’est «celle des personnages représentant la violence et la mort»12. Il serait inutile ici de résumer l’ouvrage de Duclos; sa théorie étant dense, elle ne peut être facilement condensée. Ses hypothèses vont toutefois servir de guide à notre analyse.
Pour lui, il s’agit d’abord d’un jeu de miroir, «comme si l’idéal de société parfaite et l’extrême sauvagerie des instincts meurtriers entretenaient un lien mutuel caché, une connivence secrète et naturelle»13. Si les États-Unis sont les principaux acteurs de ce jeu, c’est qu’ils sont en avance «quant à la réalisation de l’idéal post-moderne»13. Dès lors, «la représentation de la violence à l’écran est d’abord le reflet d’une conviction mythique propre à la culture américaine: pour elle, la société n’est qu’un rempart précaire contre l’animal tapi en nous»14. Cette fascination pour la violence n’est donc qu’un fantasme de retour aux personnages héroïques, aux mythes des «guerriers fous toujours tentés de se métamorphoser pour massacrer leurs familles»13. C’est ainsi que, dans la fiction, sous des apparences de mouton se cache le loup-garou qui «interroge l’efficacité des lois civiles, de différents systèmes judiciaires, bref, de ce qui coud le tissu communautaire» 15. Le point de départ de la théorie de Duclos réside donc dans la culture commune, où il trouvera la réponse à cette question de fascination pour la violence. Le théoricien synthétise ainsi une partie de son explication:
La culture anglo-américaine s’inspire avec ferveur du meurtrier extraordinaire, parce qu’il lui renvoie son image de société extraordinaire. Il évoque pour elle les échos de ses propres légendes, porteuses de valeurs intériorisées, où la violence a toujours tenu un rôle central […]».16
Il n’est donc point étonnant que Dexter ait autant de succès, et qu’il fût d’abord destiné à devenir un personnage de série télé. Toute la violence incarnée chez ce personnage rejoint la théorie de Duclos selon laquelle la société américaine entretient une sorte de «sadomasochisme de fiction»17, ces «plaisirs pervers» et violents servant à se rassurer, «alors que le monde s’ouvre et que les repères classiques de l’identité volent en éclats»17. Bref, cette conception américaine du prédateur-guerrier «conduit à faire du tueur en série une icône»18. Certes, ce résumé ne saurait rendre compte de toute la complexité de l’étude approfondie de Duclos. Il nous offre toutefois un aperçu qui nous permettra de nous orienter dans ce travail, d’abord en nous éclairant sur ce regain d’intérêt pour le tueur en série, autant sur le plan critique et théorique que fictionnel.
De nombreux chercheurs et théoriciens s’intéressent à la figure du tueur en série, donnant naissance à un nombre astronomique d’ouvrages qui lui sont consacrés. Si Robert Ressler, agent du FBI, nomme et forge le concept de serial killer au milieu des années soixante-dix19, le monde scientifique tente toujours de définir le tueur en série afin de le comprendre et de rationaliser ses gestes, troublants parce que souvent macabres et d’une violence extrême. Il est possible de repérer plusieurs traits communs (minimum trois à quatre victimes, généralement selon une formule ritualisée et un modus operandi) à ces tueurs, sans pour autant en arriver à un consensus global sur le pourquoi de leurs actions. Stéphane Bourgoin, expert en criminologie, est une autorité en la matière: depuis le début des années quatre-vingt, il a étudié des milliers de cas de tueurs en série. Il a d’ailleurs entretenu des correspondances avec plusieurs d’entre eux. Pour lui, «le comment et le pourquoi ces hommes et ces femmes basculent dans le crime en série reste […] un grand mystère, un point d’interrogation»20. Toutefois, et comme tous les spécialistes qui s’intéressent au tueur en série, Bourgoin indique que ces gens ont tous connu une enfance difficile et que la plus grande majorité provient d’une famille ayant de graves dysfonctionnements.8 Aussi, rares sont ceux qui éprouvent le moindre sentiment de culpabilité ou qui ne ressentent aucun plaisir à tuer; ils agissent par pulsions, parfois sans mobile apparent, et retirent une grande satisfaction des crimes qu’ils ont commis. Selon Laurent Montet, «ce sont des épisodes traumatisants qui surgissent dans la vie du criminel en devenir qui le transforment, qui activent, si l’on peut dire, ses pulsions de violence»21. C’est également ce que Thierry Jandrok explique: il est impossible de fixer un profil à ce genre de meurtrier.
[Le] tueur en série reconstruit ‘‘son monde’’ pour remplacer celui qui n’a pas été détruit à la suite d’un unique traumatisme, comme on pourrait le croire, mais laminé […] par la répétition d’un trauma. Inscrite au plus profond de sa chair et de son esprit, la sérialité traumatique l’a transformé en survivant de l’horreur […]».22
De plus, certains tueurs en série ont un leitmotiv particulier et font preuve d’une intelligence supérieure à la moyenne, ce qui les rend d’autant plus terrifiants… Nous verrons comment ces caractéristiques sont mises en évidence dans Dexter.
Le domaine fictionnel traduit lui aussi cet intérêt pour la figure du tueur en série: «[…] on ne compte plus les incarnations, littéraires ou filmiques, de cette figure»23. Objets de fascination dans les œuvres de fiction, cette obsession traduit la même intention que les théoriciens: comprendre ce qui pousse ces êtres à commettre de tels actes. Pour Bourgoin, les serials killers sont les méchants contemporains, après différentes figures: les années 30 ont connu Frankenstein et Dracula, les années 40 les extra-terrestres, puis est venu l’horreur de Stephen King et The Shinning. Toutefois, pour l’expert, la figure du serial killer représentée dans la fiction est un fantasme: il n’a pas de profil unique, dans le genre manipulateur et sophistiqué, qui prépare ses crimes. Dans la réalité, Hannibal Lecter n’existerait pas comme tueur en série24. C’est d’ailleurs l’adaptation cinématographique du roman de Thomas Harris qui, d’une certaine façon, a marqué la consécration de la figure du serial killer dans la fiction, présentant la figure à un large public et devenant ainsi le «serial killer fictif le plus médiatisé»25. En effet, la performance d’Anthony Hopkins vaudra au film un succès critique et commercial. Or, le tueur en série est présent dans la fiction depuis bien avant, soit depuis Jack L’Éventreur ou Thomas de Quincey et De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, ou encore Psycho d’Alfred Hitchcock… Pourtant, tel que nous l’avons mentionné, c’est véritablement dans les années 80 et 90 qui soulignent les débuts de cette fascination médiatique:
À partir des années 80, le phénomène du serial killer a évidemment enregistré un premier succès au cinéma, à la télévision, dans la presse, bref, dans tous les médias de divertissement et/ ou d’information ou dans tout ce qui compte parmi le fameux infotainment».26
Pour Chazal, si ce succès médiatique peut sembler troublant étant donné la nature des gestes de ces meurtriers (bien que fictifs), l’escalade de la violence aux États-Unis, tel que nous l’avons démontré avec Duclos, a «sans doute contribué à faire entrer [le tueur en série] dans le domaine du quotidien»27. Pour Fabienne Claire Caland,
Que By Reason of Insanity28soit recommandé par Stephen King dans sa réédition de 1997 et tout est dit: du réel à la fiction, le tueur en série est entré dans le monde du spectacle. Sa surexposition romanesque et cinématographique, son intrusion dans les genres où nul ne l’attendait (comédie musicale, saga familiale) font de lui la nouvelle coqueluche du box-office et du lectorat américain et, par ricochet, européen […] et [prouve] qu’une nouvelle icone est née»15.
Ainsi, les serials killers sont devenus des personnages récurrents de nos fictions, qu’ils soient aussi vrais que Jack L’Éventreur ou fictifs comme Hannibal Lecter. Peu importe le médium, ils sont devenus des «stars hollywoodiennes dans la culture américaine»29. Désormais, ils envahissent aussi le petit écran: Dexter, Criminal Minds, et plus récemment The Following et Hannibal, une série consacrée au personnage imaginée par Thomas Harris. Ces séries sont parfois, voire souvent, mal reçues30: certains y voient une monstration gratuite de la violence, qui serait à prohiber suite aux récents massacres de Newtown ou d’Aurora, entre autres, sans mentionner que certains tueurs ont été inspirés de films31, alors pourquoi pas de séries télé? Bien que ce soit des cas isolés, on ne peut nier l’influence négative que peuvent engendrer ces séries télévisées. À l’inverse, ce sont elles qui sont parfois inspirées de vrais tuteurs en série, comme c’est le cas pour Dexter. C’est donc à la croisée de la série télé et de la figure du tueur en série, deux notions désormais ancrées dans la culture populaire, que nous aimerions analyser Dexter.
D’abord, un bref synopsis de la série: le personnage de Dexter Morgan travaille pour la police de Miami en tant qu’expert médico-légal. Il analyse les tâches de sang laissées sur les scènes de crime afin d’aider à résoudre des crimes. À temps perdu, il devient tueur en série, prenant pour victimes des criminels ayant échappé à la justice. Or, au-delà d’un idéal de justice visant à rendre le monde meilleur, le personnage de Dexter agit sous pulsions: malgré la minutieuse préparation de ses crimes et son rituel invariable, hérité du code éthique de son père, il s’agit avant tout, pour le personnage, de canaliser des pulsions meurtrières. D’abord, la première constatation: imaginer et mettre en scène ce personnage est-il légitime? Car Dexter incarne toutes les caractéristiques du tueur en série «typique»… Mais est-il véritablement un meurtrier ? Dès lors, Dexter incarne une tension: l’opposition entre criminel et justicier au sein d’un même personnage.
Thibault de Saint-Maurice fait une analyse judicieuse de cette ambivalence. A priori, Dexter Morgan apparaît comme un justicier; il s’agit d’ailleurs, en apparence, de sa motivation première, c’est-à-dire rétablir l’ordre dans la société. Pourtant, Dexter rend justice dans la violence, à laquelle devrait mettre fin le principe fondamental de la justice. Est-ce que le principe d’œil pour œil, dent pour dent est valable dans la société? Pour Saint-Maurice, Dexter apparaît d’abord comme un justicier «parce qu’il ne cherche pas à se venger, mais simplement à punir»32. En effet, «chaque épisode […] réaffirme un idéal de justice: celui de la nécessité que la punition soit équivalente au crime commis»33. Or, le moyen qu’il emploie, c’est-à-dire la violence, dépasse la simple punition. Mais la véritable justice est-elle seulement possible? C’est en ce sens que «la complexité du personnage de Dexter reflète la complexité qu’il y a pour les hommes à rendre justice ou à faire justice, après que des crimes [aient] été commis»34. Donc, la série Dexter va au-delà de la simple consommation de masse, loin d’un abrutissement des téléspectateurs et démontre que bien qu’ancrées dans la culture populaire contemporaine, les séries télévisuelles proposent une vision du monde et amènent les spectateurs vers la réflexion.
Outre cette remise en question des valeurs que peut provoquer le visionnement de Dexter, la série a un intérêt marqué pour une représentation juste de la réalité. En effet, le personnage incarne plusieurs des traits caractéristiques normalement attribués aux tueurs en série: plaisir à tuer, rituel associé aux meurtres, enfance difficile, insensibilité à autrui… Pourtant, plusieurs experts s’entendent pour dire que le portrait-robot de ce genre de personne ne peut exister. Ainsi, la série télé cache une autre aspiration, soit celle d’incarner ce culte médiatique pour le tueur en série. En présentant Dexter comme une «bonne personne», en l’intégrant dans des situations familières, la série produit ce fantasme de fiction dont parlait Stéphane Bourgoin: cette représentation du tueur en série est le fruit de l’imagination. Elle vise à mettre à l’avant-plan un être dont les gens craignent, en réalité, l’existence. Derrière cette réflexion sur le système judiciaire, la série fictionnalise la figure du serial killer en l’enfermant dans le «familier»: Dexter est un bon employé, un frère aimant, un mari affectueux et un père protecteur. D’ailleurs, dès le générique, on présente Dexter Morgan comme s’étant bien intégré à la société malgré ses plaisirs nocturnes… C’est ce qui rend ses meurtres légitimes et qui leur confère une «valeur morale»35. En filigrane, la question de l’appareil judiciaire étatique se pose; Dexter devient un «héros cens[é] combler les failles [de ce] système»36.
En présentant Dexter Morgan comme un justicier, cette série télé symbolise cette «acculturation du tueur en série», un «processus marqué par l’esthétique qui nous conduit à la métaphysique sous la forme d’une tension entre criminalité et sainteté»37. Si la fiction est «avide de fantasmer celui qui est à la confluence de l’animal et de la machine»13, la série représente donc bel et bien cette fascination pour le tueur en série, d’autant plus qu’elle s’inspire d’un criminel bien réel. En effet, Manuel Pardo, exécuté en décembre 2012, est un ex-policier ayant tué plus de 6 hommes et 3 femmes impliqués dans le trafic de stupéfiants, à Miami.38 D’ailleurs, le personnage de Miguel Prado, dans la saison 3 de Dexter, est une allusion à peine cachée au véritable tueur en série.
Il est désormais évident que la figure du tueur en série s’inscrit dans l’imaginaire contemporain et y trouve un sens. Si l’émergence du serial killer dans notre imaginaire s’est faite graduellement, il semble aujourd’hui que les médias et la fiction veulent nous présenter une image rassurante de la situation.39 La série Dexter répond ainsi à ce besoin de présenter la violence comme rassurante, ou comme ce fantasme de retour au mythe du guerrier fou par les Américains, comme le présente Duclos. Elle s’inscrit donc dans cette fascination pour la violence, incarnée dans l’imaginaire du tueur en série, et ce, en intégrant le personnage dans la culture populaire par un média de masse, la télévision. À la lumière de plusieurs théories, nous avons pu relever que la série télé Dexter est un exemple concret de la fascination pour le tueur en série dans la culture populaire. Nous pouvons donc affirmer que «parce qu’elles sont de leur temps, les séries Tv représentent, mieux que toute autre fiction, l’ensemble des peurs, croyances et rapports sociaux qui structurent nos Weltanschauungen»40.
1. Voir, entre autres, les nombreux ouvrages de Martin Winckler.
2. Winckler, Martin, Petit Éloge des séries télé, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 2012, p. 13.
3. Ibid., p. 20.
4. Ibid., p. 35.
5. Winckler, Martin, Les miroirs de la vie. Histoire des séries américaines, Le Passage, Paris-New York, 2002, p. 35.
6. Winckler, Martin, Petit Éloge des séries télé, op. cit., p. 16.
7. Ibid., p. 17.
9. de Saint-Maurice, Thibaut, Philosophie en séries. Saison 2, Paris, Ellipses, 2011, p. 13.
10. Winckler, Martin, Les miroirs de la vie. Histoire des séries américaines, op. cit., p. 38.
11. Ibid., p. 49.
12. Duclos, Denis, Le complexe du loup-garou. La fascination de la violence dans la culture américaine, Paris, Éditions La Découverte, coll. «Essais», [1994] 2005, p. 9.
14. Ibid., quatrième de couverture.
15. a. b. Caland, Fabienne Claire, «Présentation. Fictions du tueur en série», Spirale: arts • lettres • sciences humaines, n° 229, «Fictions du tueur en série», 2009, p. 16. Consulté en ligne: [http://id.erudit.org/iderudit/62039ac]
16. Duclos, Denis, op. cit., p. 18.
18. Caland, Fabienne Claire, «Il faut manger pour grandir», Spirale: arts • lettres • sciences humaines, n° 229, 2009, p. 20. Consulté en ligne: [http://id.erudit.org/iderudit/62042ac]
19. Chazal, Serge, «Meurtre et sérialité: l’émergence du serial killer dans la culture médiatique américaine», Études littéraires, vol. 30, n° 1, 1997, p. 71. Consulté en ligne: [http://id.erudit.org/iderudit/501189ar]
20. «Serial killers: Stéphane Bourgoin enquête», Planète Plus, Consulté en ligne: [http://www.planeteplus.com/Liste-des-dossiers/Serial-killers-Stephane-Bourgoin-enquete]
21. Laflamme, Steve, «La place du symbole dans l’imaginaire du tueur en série en littérature», Québec français, n° 141, 2006, p. 39-41.Consulté en ligne: [http://id.erudit.org/iderudit/50229ac]
22. Caland, Fabienne Claire, «Il faut manger pour grandir», op. cit., p. 20.
23. Audet, René, «Appel à contribution. L’anomalie: figure du tueur en série dans l’imaginaire contemporain», 23 janvier 2003. Consulté en ligne: [http://www.fabula.org/actualites/l-anomalie-figure-du-tueur-en-serie-et-imaginaire-contemporain_5307.php]
24. CinéSérieCie, publié le 15 mars 2012. Ciné, séries & cie #85 décrypte les SERIAL KILLERS sur OCS max!. Vidéo en ligne: [http://www.youtube.com/watch?v=HS0gkX9_gRw]
25. Spenher, Norbert, «Nés pour la gloire, nés pour le sang», Spirale: arts • lettres • sciences humaines, n° 229, 2009, p. 17. Consulté en ligne: [http://id.erudit.org/iderudit/62040ac]
26. Chazal, Serge, op. cit., p. 252.
27. Ibid., p. 253
28. Roman de Shane Stevens racontant l’histoire d’un tueur en série.
29. Spenher, Norbert, op. cit., p. 17.
30. http://www.washingtontimes.com/news/2012/dec/30/foxs-the-following-pushes-violent-envelope/?page=all
31. http://www.allocine.fr/article/dossiers/cinema/dossier-18591844/
32. de Saint-Maurice, Thibaut, Philosophie en séries, Paris, Ellipses, 2009, p. 113
33. Ibid., p. 114.
34. Ibid., p. 117.
35. Rouby, Bertrand, «Le pacte des loups et le code du renard», Spirale: arts • lettres • sciences humaines, n° 229, 2009, p. 29. Consulté en ligne: [http://id.erudit.org/iderudit/62046ac]
36. Ibid., p. 28.
37. Caland, Fabienne Claire, «Présentation. Fictions du tueur en série», op. cit., p. 16.
38. Société Radio-Canada, «Manuel Pardo: la vie du vrai Dexter», 12 décembre 2012. Consulté en ligne: [http://www.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2011-2012/chronique.asp?idChronique=262697]
39. Chazal, Serge, op. cit., p. 79.
40. Hubier, Sébastien, «Appel à communications: la sérialité télévisuelle – une approche culturaliste», soumis le 10 janvier 2013, POP-EN-STOCK. Consulté sur le web: [http://popenstock.ca/blogue/la-serialite-televisuelle-appel-communications]
Doré, Gabrielle (2014). « Dexter, une fascination (étrangement) rassurante ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/dexter-une-fascination-etrangement-rassurante], consulté le 2024-12-26.