L’Inde est bien connue pour son industrie du film, qui est souvent désignée par le terme Bollywood, contraction de noms Bombay et Hollywood. Le cinéma de Bollywood remplace les mélodrames mythologiques en situant à l’écran, dans un contexte contemporain, des personnages capables de danser, chanter et attirer le regard du spectateur. Ce cinéma représente le lieu où il est encore possible de voir les dieux, les personnages mythiques et les démons se transforment en images mouvantes.
Les films de Bollywood deviennent un moyen d’expression corporelle, verbale et non verbale qui donne une représentation fidèle de la culture indienne, un reflet du peuple indien. En d’autres termes, les films bollywoodiens véhiculent tous les types des arts tels que la musique, la danse, le théâtre, la peinture, la sculpture, etc.
Les films de Bollywood comportent des histoires d’amour mélodramatiques. Les réalisateurs font référence aux mythologies hindoues en s’inspirant des couples divins mythiques comme Shiva et Parvati, Krishna et Radha, Vishnu et Lakshmi. Ils sont des métaphores éternelles de la passion, l’érotisme, la magie et le désir. En général, les séquences de danse font allusion à ces couples légendaires, dont la mise en scène et les expressions non verbales sont à la fois romantiques, érotiques et sensuelles.
Dans les films Devdas (2002), Umrao Jaan (2006), Aiyyaa (2012), Ram-Leela (2013), Chennai express (2013) et Bajirao Mastani (2015) la danse est impressionnante, les héroïnes dansent face à leurs biens aimés, pour tenter de les séduire, accompagnées d’autres danseurs ou danseuses. Elles envoûtent les spectateurs par leur charme et leur beauté physique. Autrement dit, les danses filmées sont utilisées comme éléments dramatiques dans des scènes romantiques où les femmes fascinent les spectateurs par leurs costumes colorés, leurs tatouages et leurs bijoux.
Ces danses sont fondées sur la mythologie et l’hindouisme classique: c’est le dieu Brahmâ qui créa le théâtre et la chorégraphie pour permettre aux êtres humains de comprendre les textes religieux. En outre, les films indiens contiennent un mélange varié de danses de l’hindouisme, du bouddhisme et du soufisme, comme le Bhârat Nâtyan, kathakali, Kathak, Odissi, Garba, Râs, etc. «La danse indienne compte plusieurs styles de danses: on y trouve les danses classiques, les danses folkloriques et tribales, marquées par les mouvements de mains, de bras et de jambes avec des expressions faciales codifiées, décrites dans le traité du Nâtya Shâstra.1».
«Par la danse sacrée, les fidèles prennent contact avec Shiva, recevant de lui le message de sagesse ; message mythique qui va orner et illustrer l’une des premières danses classiques indiennes, le Bhârat Nâtyan.2» La danse filmée est constituée d’une grammaire complexe de signes, formée des mimiques du visage, des gesticulations et d’une cinétique corporelle préétablie. Les gestes des mains et des doigts ont une fonction narrative dont la composition est déterminée par des «mudras»: ces mudras sont des mouvements des mains et des doigts bien connus dans les pratiques orientales anciennes telles que le yoga. Les danses filmées représentent aussi l’art de l’expression qui s’appuie sur les expressions du visage et les gestes spécifiques qui transmettent les émotions des personnages. De ce fait, la danse au cinéma de Bollywood est sacrée.
D’ailleurs, les films sont également remplis de références aux multiples divinités des épopées hindoues, bouddhistes ou musulmanes. «[…] La main devient le support de la narration. Le danseur n’arrête pas de danser pourparler, il soutient sa parole à l’aide de ses mains, en créant une danse avec ses mains. Le discours prend ainsi une forme corporelle. 3» La danse filmée est ésotérique, spirituelle se pratique comme un événement de communauté religieuse. Elle est porteuse de la mémoire sacrée de la divinité et de la sorcellerie ancestrale de l’Inde.
«La danseuse incarnait un personnage qui pouvait être une divinité, une prêtresse offrant au culte ou encore une fidèle exprimant par la danse sa dévotion religieuse.4» Dans le film Ram-Leela, nous voyons la danse Nâtarâja de Shiva (le dieu créateur).
Cette danse représente l’énergie universelle et éternelle. Elle représente aussi la création du monde symbolisée, le processus éternel de conservation et de la destruction du mal. Les mouvements du corps, la mise en scène, les postures et les expressions faciales des personnages pouvaient généralement servir à honorer Lord Shiva, à accomplir des rites et à exprimer des croyances indiennes
Au cinéma de Bollywood, la danse indienne est alors expression charnelle et spirituelle du corps humain (désir et divinité). Les mouvements corporels les gestes et les expressions faciales peuvent notamment servir à honorer les dieux ou à accomplir des cultes, des cérémonies et des sorcelleries indiennes. Ainsi, les mouvements corporels harmonieux tiennent un rôle très important dans le processus de séduction, de divinités et de spiritualités.
La plupart des films de Bollywood comportent de chansons diversifiées: ces chants sont utilisés pour représenter la fantaisie, le désir et la passion qui sont inhérents à l’histoire du film. Des allusions à l’érotisme, la sexualité et l’intimité physique sont transportées dans les chansons du film. Les scènes de musique et de chansons emploient régulièrement des costumes hautement sexualisés pour la chorégraphie et évoquent le corps de façon érotique.
Dans les films indiens, Devdas (2002) et Umrao Jaan (2006) nous apercevons l’actrice indienne Aishwarya Rai qui expose son talent en tant que chanteuse et danseuse qui fascine les spectateurs par son charme. D’ailleurs, les mélodies et les paroles de chansons filmées sont inspirées des anciennes chansons religieuses ou traditionnelles, qui ajoutent une spiritualité mélodrames du film. De plus, dans les scènes de chansons, le visage, le regard et la grimace du personnage participent au dialogue émotionnel.
Le son de chaque mot avait une grande profondeur. Non pas la résonance d’un instrument à cordes, ou d’un tambour, mais la profondeur d’une voix humaine vivante et sensible à la signification de ces mots sanctifiés par l’usage et le temps. Ils chantaient dans ce langage qu’un poli immémorial a rendu parfait et cela remplissait la pièce immense, et pénétrait les murs, le jardin, l’esprit et le cœur.5
Au sein des films bollywoodiens, les mélodies et les chants traditionnels du mariage et des rituels hindous sont souvent dans les moindres détails des cultures indiennes. Le langage corporel et affectif de l’amour est évoqué dans presque toutes les chansons des films de Bollywood.
D’autres films nous montrent des chants, des cérémonies, des musiques et des rites sacrés dans des temples hindous ou bouddhistes et des pratiques de magie noire. En effet, la musique de rites religieux et de la magie tout entière appartient à la tradition indienne. Nous découvrons ce type de musiques et de chansons dans les films d’horreur indiens: Shaapit (2010), Muni 2: kanchana (2011), Charulatha (2012), Masani (2013), etc. Dans l’espace filmique, la musique confère une grande puissance spirituelle aux paroles des chansons.
«[…] Le chant lui-même, c’est la variété de la nature, surgissant de sa source pour y revenir à la fin de son cycle. […] L’harmonie de ce fond continu sur lequel se déroulent les enchevêtrements du dessin, c’est l’unité de l’Esprit et de la matière.6» Dans certains films, la musique est une cérémonie sacrificielle dominée principalement par une représentation de pratique de rite indien.
D’ailleurs, la source de la musique indienne est inséparable des pratiques rituelles de la religion. Alors, les chansons de Bollywood établissent un dialogue corporel, émotionnel et verbal entre les dieux, les hommes et les forces naturelles, surnaturelles ou célestes.
La richesse culturelle traditionnelle de l’expression sonore indienne, conjuguée à la dimension symbolique fascine encore les producteurs, les réalisateurs, les metteurs en scène et les spectateurs.
Pour terminer, les danses et les chansons filmées sont considérées comme une véritable philosophie de l’art, la théorie esthétique dans les rites et la culture indienne. Ainsi, les paroles de chansons désignent aussi bien une forme poétique de l’expression amoureuse, dévotionnelle ou humaine qu’une réalisation musicale. En outre, les chansons utilisent des vocabulaires symboliques, des grammaires linguistiques, des icônes religieuses et des mouvements hybrides si hautement codifiés que seule leur réalisation sonore peut en révéler le sens caché. De ce fait, les danses et les chants filmés imposent une forte expression émotionnelle et charnelle, une dextérité importante et un maniement du rythme très précis ainsi qu’ils reflètent les courants de pensée shivaïte-nâth, vishnouite, soufi, etc., très influents dans l’Inde. De ce point de vue, la spiritualité et la sensualité érotique sont juxtaposées de manière unique dans les danses et les chansons filmées au Bollywood.
1. «LA DANSE INDIENNE – Troupe de Danse Indienne Bollywood Forever».
2. Thilda Herbillon-Moubayed, dance, conscience du vivant. Processus n°1. « Le corps en situation de présence de la notion de rythme et d’attachement.» Chapitre I. «Les régions corporelles dansantes». Éditions L’HARMATTAN, anthropologie et esthétique 2005, France. Préface de Georges Vigarello.
3. Claudia Palazzodo et Emmanuel Siety. Des mains modernes: cinéma, danse, photographie, théâtre. Sous la direction de «Université Lumière Lyon 2». Editions l’Harmattan, 1 jan.2009- 331 pages, p. 17
4. Anne Décoret-Ahiha, les danses exotiques en France: 1880-1940, centre national de la danse, p. 134
5. Jiddu Krishnamurti, Commentaires sur la vie (Tome III), par – Editions Buchet-Chastel, 1973, p.136
6. Ananda Kentish Coomaraswamy, La danse de Shiva, Tradition Universelle – Editions AWAC, 1979, p. p 136/152
BHANSALI, Sanjay Leela. (1999) Dil De Chuke Hum Sanam.
BHANSALI, Sanjay Leela. (2002) Devdas.
BHANSALI, Sanjay Leela. (2013) Ram-Leela.
BHANSALI, Sanjay Leela. (2015) Bajirao Mastani.
CHADHA, Gurinder. (2004) Bride and Prejudice.
KHAN, Arbaaz. (2012) Dabangg 2.
KUMARAN, Pon. (2012) Charulatha.
KUNDALKAR, Sachin. (2012) Aiyyaa.
LAWRENCE, Raghava. (2011) Muni 2: Kanchana.
PADMARAJ et L. G. Ravichandhran. (2013) Masani.
SHETTY, Rohit. (2013) Chennai express.
SINHA, Anubhav. (2011) Ra-one.
ASSAYAG, Jackie. La colère de la déesse décapitée. Traditions, cultes et pouvoirs dans le sud de l’Inde. Paris, CNRS Éditions, 1992.
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BASHAM, Arthur. La Civilisation de l’Inde ancienne. Arthaud, Paris, 2001.
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Jerbi, Samah (2017). « Bollywood, spiritualité et érotisme ». Pop-en-stock, URL : [https://popenstock.uqam.ca/articles/bollywood-spiritualite-et-erotisme], consulté le 2024-12-26.